/😡/ Puberté
« Mais t'es sûre ?
— Oui, à 100%.
— Comment tu peux en être aussi sûre ?
— Je le sais, c'est tout.
— Mon père me dit toujours qu'on peut pas savoir si on aime ou pas tant qu'on a pas goûté.
— Nan, ça marche pas pour tout. J'ai jamais goûté de merde, pourtant je suis sûre que j'aime pas ça.
— J'rêve où tu viens d'me comparer à de la merde ?!
— Mmhmm... Oui. »
Bien fait pour sa gueule.
On est posé tranquillement chez moi à discuter. Je lui ai proposé de lui faire réchauffer un truc, mais elle veut avoir le ventre aussi vide que possible pour se mettre "minable". Vraiment pas le genre de soirée où j'aime aller. Ou "matinée" comme ils appellent ça...
Qu'est-ce que c'est stupide.
Mais en même temps, il faut que je sorte. Que je rencontre du monde. J'ai pas envie de rester coincée avec elle jusqu'à ma mort. Puis... J'ai pas envie de rater ma jeunesse. D'être là, à 50 ans, avec mon chat –pas Charly–, tout aigrie, à me dire que j'ai raté les meilleures années de ma vie. Je dois vivre ce que les autres jeunes vivent, au moins un petit peu.
Je n'étais pas vraiment le genre d'ado qui sortait ou qui buvait. Par timidité, par amour pour la solitude et tout simplement parce que je n'en ressentais pas le besoin. Puis quand j'ai commencé à sortir avec quelqu'un qui n'aimait pas me savoir dehors, ça me donnait une raison supplémentaire pour rester au fond de mon lit à lire. Mais juste pour lui faire un doigt d'honneur monumental, je dois vivre. Expérimenter. Quitte à ce que ça ne me plaise pas, je dois tenter. Comme dirait Charly, je dois goûter pour savoir si j'aime.
L'obscurité du ciel a laissé place à un bleu très foncé, puis plus clair tandis que le soleil semble se lever au loin. C'est probablement le moment où j'entendrais un coq hurler si on habitait au fin fond de la campagne. Et je m'en rends compte lorsqu'une étrange sensation me traverse le corps. Un frisson, qui part de toutes mes extrémités pour converger vers mes tripes et mon cerveau. Sûrement les trois cafés que je me suis enfilés. Cette sensation disparait très rapidement alors que j'aperçois Charly se lever du canapé où elle était installée de tout son long, sa queue tapant le rythme de la musique en fond sur mes coussins.
« Bon, c'est l'heure, tu permets que j'utilise tes toilettes ? »
... Merde. C'était pas le café.
Je l'ai senti. Que c'était l'heure.
Oh mon dieu faites que je ne finisse pas par me transformer en bestiole à poil ou à plumes, je vous en supplie !
« F ais comme chez toi. »
Puis connaissant l'animal, je me ravise.
« PRESQUE comme si c'était chez toi. »
Elle me lance un sourire puis s'enferme dans la salle de bain. Poussée par ma curiosité, je me dirige vers la porte sur la pointe des pieds et tends l'oreille. Mais à ma grande déception, je n'entends rien. Pas de cri ni d'os qui craquent. Un silence complet. Après une petite minute, la porte s'ouvre. Je n'ai pas le temps de faire semblant ou de m'enfuir, m'attendant à une remarque graveleuse de la part de ma stalkeuse préférée.
« T'es irrécupérable. Je peux avoir un peu de vie privée ou bien ? me sort-elle en souriant.
— C'est vraiment toi qui me dis ça ! L'hôpital qui tire sur la soupe populaire. »
Maintenant que j'y pense, je crois que c'est seulement la 2ème fois que je la vois réellement sous sa forme humaine. Non, troisième.
Je dois avouer que, peu importe sa forme, elle est vraiment mignonne. Même belle à vrai dire. Plus j'y pense, plus sa forme animale lui correspond bien. La rapidité pour son côté énergétique, un corps élancé pour ses joues légèrement creusées et un gros chat pour son manque perpétuel d'affection.
C'est alors que la sensation me reprend. Qu'elle m'attrape de nouveau par les tripes. Non... Pas les tripes.
Ma vision se floute légèrement, mais je parviens tout de même à voir que les yeux noisette de Charly se dilatent subitement, presque instantanément. Je me sens vraiment bizarre. La tête qui tourne, les muscles engourdis, le souffle court et–
« Tu le sens toi aussi, pas vrai ? »
Est-ce que sa voix a changé ? Ou est-ce qu'elle a toujours été aussi...
« Tes yeux se sont dilatés » me dit-elle, un sourire en coin sur son visage. « Je t'ai prévenu que c'est un moment privé la transformation. »
Elle attrape ma main et la pose sur sa poitrine. Mon cerveau est beaucoup trop embué pour que je puisse résister. Je sursaute presque en sentant la vitesse à laquelle bat son cœur. Puis elle pose ma propre main contre mon sein gauche et je réalise que le mien aussi s'apprête à sortir de sa cage.
Ma vision se trouble encore davantage alors qu'un feu ardent remonte le long de ma gorge...Bordel je vais vomir ! Je pousse Charly et mets la tête la première dans les toilettes avant de dégoupiller tout ce que contenait mon pauvre estomac. Ça fait une éternité que j'ai pas vomi, mon Dieu que ça me dégoûte ! Et ça me dégoûte tellement qu'une deuxième dose revient et va s'écraser au fond de la cuvette.
« C'est normal, ça fait ça au début. Le temps que ton corps s'habitue aux changements d'hormones ou ce genre de conneries scientifique. »
Scientifiques de quoi ?! Nan, mais bordel rien de tout ça n'a de sens ! Je ne vais quand même pas me mettre à me transformer la nuit moi aussi ?!
Je finis par me relever en titubant, rouge à cause du sang qui m'est monté à la tête, mais aussi de colère.
« Comment tu peux rester aussi calme ?! Si je reste ici je vais me transformer en je sais pas quelle bestiole toutes les nuits !
— Si ça se trouve ce sera super cool ! Genre tu pourras peut-être voler ou courir super vite comme moi.
— Mais j'en ai rien à foutre ! Il m'arrive que des emmerdes depuis que je suis ici et maintenant ça ?! Je vais jamais pouvoir être tranquille ! »
Je hausse clairement la voix. Je hurle même. C'est la goûte d'eau, j'en peux plus, mes nerfs craquent et j'ai que Charly pour cracher toute mon angoisse.
« Parce que c'est d'une vie tranquille que tu veux peut-être ?
— BAH PEUT-ÊTRE QUE OUI CHARLY !
— Mon cul. T'es le genre de meuf à passer son temps dans les bouquins, à rêver d'être dans je sais pas quel monde bizarre pour vivre des trucs de fou.
— Je le fais dans ma tête et ça me suffit largement ! J'ai juste l'impression d'être en danger ici ! Avec ces bestioles noires et tous ces gens qui veulent pas de moi !
— Mais j'veux de toi moi.
— MAIS TA GUEULE CHARLY ! POUR L'AMOUR DU CIEL, FERME TA GUEULE ! »
Je respire comme un bœuf. Je n'ai jamais parlé comme ça à qui que ce soit. Cette sensation de puissance me drogue et m'avale complètement.
« C'est juste les hormones qui parlent. Attends un petit quart d'heure et tu reviendras à la raison. Quand j'ai dit à mes potes que tu allais venir, ils étaient contents de pouvoir enfin te rencontrer. T'es devenue une sorte de symbole du féminisme ici. Un peu comme une héroïne quoi. »
Je manque de m'étouffer entre les rires et les larmes après avoir entendu une telle connerie.
« Mais héroïne de quoi ?! J'ai fui comme une pauvre merde ! J'ai dû traverser tout le putain de pays pour fuir un pauvre mec ! J'ai été minable de A à Z et même ici je me fais menacer ! Je suis faible, tu comprends ça ?!
— Comment ça on te menace ? Qui fait ça ?
— Bah je sais pas moi, TON PÈRE PEUT-ÊTRE ?! »
...
Et merde.
***
Charly avait raison.
Après un petit quart d'heure à pleurer en tremblotant, j'ai enfin fini par me calmer. Et là, j'ai bien compris que je n'allais pas échapper à la conversation. Donc je lui ai raconté tout ce que m'avait dit son père autour d'un café. Je lui ai aussi expliqué ce petit coffre que j'ai trouvé dans mon grenier avec la lettre d'Ally, la clé pour cette salle au fond de la bibliothèque et cette horrible sensation que je ressens chaque fois que j'essaye d'y aller.
Elle est restée impassible, m'écoutant avec les yeux perdus dans le vide, essayant probablement de comprendre les motivations de son paternel.
« Je suis vraiment désolée que tu l'aies rencontré comme ça. Papa c'est un amour, tout le monde te le dira. Je comprend vraiment pas ce que lui et les gardiens peuvent bien vouloir cacher au point de menacer quelqu'un... J'veux dire, tout se sait ici de toute manière ! »
Je reste là, sans rien dire, à siroter les arômes amers censés me booster en énergie, mais qui font que relancer mon anxiété avec plus de puissance. Je me sens mal de montrer une telle facette de son propre père à Charly. Je suis même surprise qu'elle me croie comme cela, sur parole.
« Ce que je peux t'assurer, c'est qu'il ne te fera aucun mal. Il sait très bien que je ne lui pardonnerai jamais. »
Je souris avant de retomber dans ma tasse. Charly se lève alors comme si une mouche l'avait piquée.
« Allez, on passe à autre chose ! Il est temps de te faire belle pour la matinée ! »
Après sa transformation, elle avait enfilé un mini-short en jean troué dans lequel se cache le bas d'un t-shirt noir. Sur sa poitrine trônent un pentagramme et une tête de bouc stylisé rouge, avec l'inscription très subtile "I fucked the devil, he was 2 horn-y". Jeu de mots pitoyable que je ne prendrai même pas la peine d'expliquer. Le tout tient grâce à une paire de bretelles elle aussi écarlate. Je dois avouer que sa tenue est un moyen très pratique de me rappeler qu'elle n'a que 17 ans.
Je regarde mes propres vêtements comme pour me rappeler de ce que je porte. Après ma douche, j'avais enfilé un simple jean et un t-shirt noir des plus banal que j'ai dû acheter dans une friperie des années auparavant lorsque j'avais emménagé avec mon copain.
« Je comptais y aller comme ça honnêtement. Pas envie que tous les regards soient sur moi. »
Je sens que Charly s'apprête à dire quelque chose, mais se retient de justesse. Je rêve où elle réfléchit avant de parler maintenant ?
« Roooh aller, t'as pas envie de plaire ? Pas forcément aux autres, mais même à toi-même !
— Mais je suis déjà bien comme ça, pas besoin de maquillage ou d'autres trucs dans le genre.
— Qui a parlé de maquillage ? Ne met jamais rien sur ta belle petite gueule, j't'en supplie !
— J'aurai donc trouvé un moyen de te faire fuir ? J'vais me transformer en Barbie si ça peut t'éloigner de moi !
— Je parlais juste de mettre des habits... Qui te mettent plus en valeur ! »
Il est vrai que son t-shirt a un décolleté presque provocateur.
Dommage qu'il soit vide.
Boom.
« Je sais pas... C'est pas mon genre.
— C'est quoi ton genre alors ?
— Être la moins visible possible ? Jusqu'à ce qu'on oublie mon existence et que je puisse retourner lire chez moi ?
— T'es pas drôle. »
Si, je suis très drôle. On a juste pas la même notion de la drôlitude. Ça existe ce mot ?
On a fait un rapide tour vers ma garde-robe, mais lorsqu'elle s'est rendu compte que je n'avais rien qui sortait du lot –ou rien pour qu'elle puisse me mater convenablement, j'imagine–, on a pris la direction de la fête. Comme si, d'un commun accord, on avait toutes les deux décidé de ne plus parler de son père ou même des méchancetés que je lui ai sortis lorsque mes hormones me tordaient dans tous les sens du terme.
Après avoir enfilé un sweat plus léger et s'être enfin mis en marche, mon ventre commence à me faire mal. Même si ça y ressemble, ce n'est pas ça. C'est juste de l'anxiété. L'anxiété de rencontrer des personnes que je ne connais pas. Surtout qu'elles me connaissent. J'ai vraiment envie de faire demi-tour, mais je me retiens pour je ne sais quelle raison. Peut-être pour Charly. Peut-être pour me venger de mon ex. Peut-être pour essayer de vivre comme une personne normale ? Sûrement un mélange de tout ça...
Le soleil caresse ma peau et me donne une drôle de sensation. Comme si mon corps avait perdu l'habitude d'avoir cet apport en vitamine divine. J'ai l'impression d'être une plante restée trop longtemps enfermée, qui redécouvre la photosynthèse pour la première fois. Et le regain d'énergie que cela me procure n'est pas en trop pour surmonter cette épreuve :
Je vais devoir être sociable.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top