/ 🥛/ Pot de colle sur pattes

Je suis la Charly version guépard en discutant avec elle. Je sais que j'ai plein de questions à lui poser, mais vu que je ne les note pas, je continue des les oublier ! Si bien qu'on parle de tout et de n'importe quoi. Je profite pour en apprendre plus sur elle. Elle a été élevée par son père qui semble avoir une place assez importante dans sa vie. Et vu qu'elle ne m'a pas parlé de sa mère, j'imagine qu'elle n'en a pas. Je me demande comment son paternel a pu survivre avec une fille comme Charly, j'arrive à peine à la supporter 5 minutes, alors autant d'années !

« Au fait t'as quel âge Charly ?

— J'ai eu 17 ans il y a 2 semaines, pourquoi ? »

PARDON ?!

« Sérieux ?!... J'aurai juré que tu avais plutôt mon âge...

— Pourquoi, t'as pas 17 ans ? Aller grand max 19.

— 23 ans...

— PARDON ?! ... Mais tu fais... Plus jeune.

— Et bien je fais plus jeune, tu fais plus vieille, on va dire qu'on se complète. »

Cette idée semble bien lui plaire... J'aurais mieux fait de me taire...

Nous arrivons dans le centre-ville. C'est là que je m'étais promené samedi et que j'avais rencontré cette saloperie. Nous passons de nouveau devant le diner et mon amie y rentre. Je me demande bien quel animal est la gérante...

Derrière le comptoir se trouve une vache. Une grosse vache. Cet animal lui correspond parfaitement, sans vouloir être méchant. Elle me fait un grand sourire à moi et mon amie quadrupède, rien à voir avec la gueule d'enterrement qu'elle m'avait tiré à mon arrivée. Mais je sens un malaise peser dans l'atmosphère alors que les regards de tous les clients se jettent sur moi. J'aperçois une oie tout au fond qui me regarde comme si j'avais tué sa mère, un castor chuchoter quelque chose à l'oreille d'un pélican, ou encore un bouc essayer de m'observer sans se faire repérer.

Charly grimpe sur un des sièges rouges du diner rétro puis fait pivoter le tabouret pour me parler.

« Tu vois elle c'est Shaky Aunty ! Bon c'est pas son vrai prénom, mais tout le monde l'appelle comme ça. C'est parce qu'elle fait les meilleurs Milkshakes de tout l'Oregon !

— T'exagères Charly. » On sent que sa voix pourrait être sévère si elle le voulait, pourtant avec nous c'est une intonation toute gentille qu'elle utilise, avec un sourire en coin figé sur son visage. Son visage de vache.

« Peut-être, mais il n'y a pas de Milkshake plus frais sur toute la terre ! Pas d'intermédiaire, directement du pis au verre ! »

Ne me dis pas que... Oh mon dieu...

J'ai bu le lait de la gérante...

J'essaye de garder un visage naturel et bienveillant, mais ça me dégoute !... Mais pourquoi est-ce que ça me dégoute ? C'est du lait de vache après tout, en quelque sorte... C'est pas comme si c'était du lait qui provenait d'un sein humain... Je doute que cela aurait le même goût.

« Shaky, ça c'est Emily ! Je sais que tu l'as déjà rencontré, mais je fais les présentations !

— Ravi de te rencontrer. Désolé pour mon manque d'hospitalité la dernière fois, mais c'était la première fois que je voyais une étrangère de ma vie. »

J'avais cru comprendre...

Nous discutons quelque temps et elle nous offre un milkshake chacune. J'hésite à décliner l'offre, mais ce serait vraiment malpoli. En y goutant à nouveau... C'est vraiment succulent. Un véritable délice rafraichissant. Que ça vienne de vache, de femme ou de tout autre animal, j'en boirais des litres ! Surtout gratos.

Nous sortons du diner alors que je commence à avoir de nouveau faim. Je n'aurais peut-être pas dû manger mon sandwich tout à l'heure, je vais être complètement décalée.

Charly me demande de prendre une lettre dans son sac et de la mettre dans une boite, ce que je fais. Comment peut-elle bien se débrouiller sans humain ?

Nous arrivons à la supérette que j'avais remarquée lors de ma promenade de samedi. Les larges vitres me permettent de voir les quelques rayons bien remplis à l'intérieur.

« On a un supermarché à l'autre bout de la ville, mais avec tes jambes d'humaine on en aurait pour une plus d'une demi-heure. Puis cette supérette est quand même bien pratique en cas d'envie de cornichons en pleine journée.

— Qui a des envies de concombre en pleine journée ? Surtout que c'est la nuit pour vous...

— Bah moi pardi !

— Tu es pleine de surprise... »

Nous rentrons à l'intérieur. Au fond se trouvent plusieurs frigos aux vitres transparentes et le reste est rempli de quelques rayons. On sent que le propriétaire essaye d'en mettre un maximum dans le peu de place qu'il possède. Ce qui me surprend, c'est une sorte de filet de marin qui est accroché au plafond. Mais je comprends vite son utilité quand un singe débarque de l'arrière-boutique, se balançant avec ce filet.

Il atterrit juste devant nous en souriant et nous salut d'une voix sociable et enjouée.

« Charly ! Cela doit faire faire une éternité que je t'ai pas vu.

— Une semaine grand max.

— Bien ce que je dis, une éternité. Tu vas quand même pas faire tes courses au Maximarket j'espère !

— Hey, je te ramène une nouvelle cliente, te plains pas trop ! »

Le singe me regarde de bas en haut. Je sens qu'il m'analyse et il ne s'en cache même pas ! Je fais donc de même et l'observe... Et je manque de rire quand je vois son tout petit appendice génital. Je n'ai jamais vu un truc aussi ridicule, un minuscule tuyau d'arrosage... Bordel il ne faut vraiment pas que je me mette à rire. Les hommes ont une drôle de fierté avec leur queue, comme si tout leur honneur se trouvait dans cet endroit, à demander s'il reste quelque chose dans leur cerveau.

« Tu dois être Emily. »

Comment il-... Ah oui, tout le monde me connait, c'est vrai.

« En chair et en os !

— Ravis de te rencontrer ! En tout cas tu me facilites le travail !

— ... Je vous demande pardon ?

— Hé bien tu vois, étant donné que nos concitoyens ont des pattes et autres sabots, ils ne peuvent pas vraiment attraper ce qu'ils souhaitent dans les rayons. C'est donc moi qui m'en occupe !

— Je vois... Chacun a donc sa place dans cette ville.

— Disons qu'on essaye d'utiliser tous les avantages que nous procure notre corps ! On doit bien s'entraider les uns les autres, c'est normal ! »

C'est agréable d'entendre ce genre de phrases de nos jours ! Cette ville me plait de plus en plus ! Mais Charly brise rapidement mes rêves utopistes.

« Ouai 'fin c'est surtout que tu fais payer un supplément aux clients qui ne peuvent pas attraper leurs propres achats. »

Forcément... L'appât du gain n'est jamais très loin.

« C'est normal, je dois remplir moi-même leur sac ! C'est du travail en plus et je dois bien gagner ma vie ! »

Un silence gênant s'installe, alors que nous ne sommes clairement pas convaincues par son argument. Pour vite passer à autre chose, je rentre dans les rayons et sors un sac de course de mon sac à dos. Je les entends discuter alors que je cherche ce que je pourrais bien me prendre. Quelques conserves, des céréales, des desserts... Je ne connais pas la majorité des marques, mais je vais devoir m'y habituer. Il n'y a pas de fruits ou de légumes frais, je suppose qu'il doit y avoir un maraicher quelque part... Pour le moment ça fera l'affaire.

Je m'amuse à deviner quel animal pourrait bien être agriculteur. Peut-être un boeuf pour tirer la charrue... Qu'est-ce que je raconte, les agriculteurs ont tous des tracteurs aujourd'hui. Mais quel animal peut bien conduire un tracteur ? Ou alors les fermiers travaillent de jour. Pourquoi est-ce que je continue de me poser ces questions à la con moi ? Après tout à l'heure j'avais bien une chèvre qui a des champs de patates. J'imagine que n'importe quel animal peut faire n'importe quoi avec un peu de conviction.

Je passe à la caisse et paye. Il ne prend pas la carte bancaire, bien évidemment... J'y avais pas du tout pensé. Charly m'avance l'argent et je la remercie infiniment, bien que cela m'emmerde de devoir lui être redevable. Je peux déjà l'entendre faire des blagues salaces sur comment je peux lui rembourser l'argent.

Le seul distributeur de la ville se trouve au commissariat selon Charly. Une antiquité qui ne sert jamais, puisque personne n'a de carte ici. Je lui demande donc qu'on y aille ensemble, mais mon amie guépard essaye bien de me faire comprendre que je pourrais la rembourser plus tard, que rien ne presse... Je sens que derrière cette gentillesse repose un intérêt personnel. L'idée que je lui sois redevable doit lui plaire, raison de plus pour que cela ne dure pas ! J'insiste et nous passons au commissariat pour retirer du liquide. Je sens sa queue s'enrouler autour de ma jambe alors que nous marchons... Un pot de colle serait moins collant qu'elle.

C'est un grand bâtiment en bois, étonnement beau et imposant pour une si petite ville. Moi qui m'attendais à quelque chose de plus sommaire, me voilà bien surprise. Il a l'air bien plus entretenu que les autres bâtiments.

Probablement servait-il à autre chose fût une époque, comme une salle des fêtes ou une villa pour riche. Ou c'est peut-être l'œuvre d'un architecte. Les projecteurs qui l'éclairent le font réellement passer pour une œuvre d'art exposée dans la nuit.

Et quand on traine autour de sa tanière, il est normal d'y croiser le loup. Ou plutôt le cheval. Le capitaine j'ai-une-belle-voiture-et-je-suis-beau-gosse-version-équidé pousse la porte du bâtiment. L'étalon me voit et semble hésiter à venir me parler. Décidément, entre ça et son manque de tact lors de l'accident d'hier soir, le social ne semble vraiment pas être sa spécialité. Il finit tout de même par venir nous voir. Charly, telle l'enfant qu'elle est, décide de grimper sur son dos. Le capitaine soupire, mais semble habitué aux gamineries du guépard.

Je remarque que le super-flic n'a pas le mécanisme d'hier, celui qui lui permettait vraisemblablement de tirer avec son fusil. Il n'a que son gilet bleu autour du ventre et du dos avec écrit "police" en blanc. C'est un cheval magnifique. Je n'y avais pas vraiment porté beaucoup d'attention hier –mon esprit était trop occupé à assimiler la scène surréelle–. Un pur-sang, de toute évidence. Pas de tâches, un magnifique pelage gris, des dents droites et propres. La beauté de la forme humaine se transmettrait-elle à leur forme animale ?

« Bonnuit madame Turner. »

Ses yeux fixent le vide. Probablement est-il en train de chercher quels mots employer.

« Si jamais vous avez besoin d'une aide psychologique, je peux vous donner l'adresse du psy. Sans frais bien évidemment. »

Charly s'amuse à planter ses griffes en s'étirant, comme le ferait un chat. Mais l'étalon ne réagit pas le moins du monde. Au moins je suis sûre maintenant, elle s'amuse à emmerder tout le monde, pas seulement moi.

« C'est gentil capitaine. Mais je crois que je vais bien. Je suis surtout contente de ne plus avoir à me soucier de lui. Et puis j'ai un guépard de soutien émotionnel comme vous pouvez le voir. »

Il semble soulagé. D'une part pour ma santé mentale, mais je sens que ça l'arrange que l'affaire soit réglée. Pas de plainte, pas de témoignage, pas de procès. La sentence a déjà été donnée de toute manière, et le bourreau est maintenant mon amie. Cette dernière qui se lèche l'entrejambe sur le dos du cheval, prenant visiblement un malin plaisir à défier l'autorité.

« Toute la police reste à votre disposition si jamais vous avez besoin d'aide madame Turner. »

Il remue sa croupe pour faire comprendre au félin qu'il a d'autres chats à fouetter. Elle s'exécute et descend avec toute la grâce dont elle est capable avec ce corps, avant de lancer un regard de satisfaction vers le capitaine, qui se contente de partir.

Je retire de l'argent au distributeur, puis la super-glue sur patte me propose de me raccompagner chez moi. Comme si j'avais le choix, je ne peux même pas m'enfuir, elle me rattraperait sans aucun effort. Pourquoi sur tous les habitants de cet endroit, il a fallu que je tombe sur elle ? Non pas que je ne l'apprécie pas, sans même parler du fait que je lui dois la vie. Mais des fois j'aurais souhaité tomber sur quelqu'un de plus... moins affectif.

Les lampadaires éclairent les rues et nos visages tandis que nous marchons. Quelques animaux se baladent entre les bâtiments du centre, puis tout redevient calme lorsque nous arrivons dans mon quartier résidentiel.

J'aperçois du mouvement dans l'herbe d'une des maisons de mon quartier. Une musaraigne probablement. Bien évidemment, Charly aussi l'a repérée. Sa tête est tournée et ses oreilles pivotent, sorte de radar pour attraper tous les sons.

« Comment on peut savoir si un animal est un habitant et pas seulement... un animal ? »

— Ça se sent.»

Le guépard utilise soudainement ses pattes pour se projeter en avant et attraper la petite créature dans ses crocs. Cela n'a duré qu'une fraction de seconde, dans un silence parfait, comme si rien ne s'était passé.

La proie couine quelques instants puis semble faire le mort. Moi qui adore les rongeurs –et tous les animaux en réalité–, j'ai envie de demander à Charly de la relâcher. Mais je n'ai même pas le temps de dire un mot qu'elle lance la créature en l'air et ouvre grand la bouche. La pauvre musaraigne tombe dans la gueule du guépard qui n'en fait qu'une bouchée.

« Et les habitants crient quand on essaye de les dévorer. »

Génial comme moyen de vérification...

Je sens bien que son petit spectacle n'avait que pour unique but de m'impressionner. Si elle croit que je vais l'apprécier davantage quand elle tue des petites bestioles toutes mignonnes... Ma réaction semble par ailleurs l'attrister, apercevant bien que cela n'a pas eu l'effet escompté. C'est d'une voix désolée qu'elle tente de se justifier.

« Maiiis je fais ça rarement t'en fais pas ! Et puis j'ai pas mangé depuis ce soir, j'avais très faim ! Tu sais pour nous les prédateurs la faim est très violente ! Et puis j'ai bien vu qu'elle était en fin de vie, elle était malade, crois-moi je lui ai rendu un service ! Eeet- »

Je ne l'écoute plus vraiment alors qu'elle continue de déblatérer mille-et-une excuses, toutes plus pitoyables les unes que les autres. Mes pensées, si légères et vagabondes, recouvrent ses paroles qui n'ont aucun réel intérêt. Je réfléchis à ce que j'ai vécu depuis mon arrivée ici. Moi, la jeune diplômée, se retrouve dans une ville où les habitants se transforment en animaux. Mon ex tyrannique s'est fait tuer par un guépard, qui ne veut plus me lâcher pour je ne sais quelle raison. Tout le monde me regarde comme une bête de foire et il y a des monstres qui rodent dans la forêt. Et cette salle d'archive... Et ce coffre que j'ai trouvé dans le grenier. Avec un peu de chance, mon autobiographie soi-disant fictive fera un tabac dans le milieu fantastique ! Le problème étant que je ne connais pas encore la fin, ni même les mésaventures que le personnage principal va traverser...

Une fois devant chez moi, il est 1h30 du matin. Je suis crevée, mon corps tout entier me hurle d'aller au lit. Il se demande bien ce que je suis en train de faire pour être réveillée si tard en pleine semaine, et à raison. Désolé mon grand, mais tu vas devoir t'y habituer, je suis une créature de la nuit maintenant ! Manquerais plus que je me transforme en animal tiens ! Je me demande quel animal j'aurai été si j'étais née ici. Charly adorait la course et est devenue un guépard. Moi j'aime les livres. Je pourrais être un rat, car du coup je serais... UN RAT DE BIBLIOTHÈQUE !

Je me mets à rire toute seule comme une conne et Charly me regarde, l'air de me prendre pour une folle.

« Je... Pensais à un truc. Humour de bibliothécaire. »

Elle lève un sourcil –qu'elle n'a pas–, interloquée par mon comportement. Comme si entre nous deux, c'était moi la plus bizarre.

« Tu crois que je serais quel animal toi Charly ?

— Mhm... Tu es curieuse... Mignonne... Innocente... Faible aussi.

— Hey ! Je te permets pas !

— Mmmhmmm... Je dirais... Tu sais nager ?

— Oui ?

— Une loutre ! »

Une loutre. Moui, ça me plairait bien d'être une loutre. Nager avec aisance, manger et hiberner... Ça hiberne une loutre ?

« Bonne idée. Bien joué, madame guépard. »

Elle sourit, comme un enfant qui reçoit un compliment de la part de sa mère, fière d'avoir réussi quelque chose, aussi insignifiante soit-elle. J'ouvre la porte de ma maison avec ma clé et dit au revoir à Charly, qui bien évidemment, me saute dessus pour me faire un câlin. Je dois avouer que ce n'est pas désagréable tant son poil est doux. Pour lui faire plaisir, je l'enlace, mais touche sa blessure sans le vouloir. Elle pousse un petit cri aigu puis me dit que ce n'est rien. Je recule un petit peu, pour lui faire comprendre qu'elle doit me lâcher, mais elle résiste... Forcément.

« Je dois aller dormir Charly.

— Oui, tu as raison ! Et moi j'ai encore du boulot. »

Elle finit enfin par redescendre sur ses 4 pattes. Je la salue rapidement et referme la porte, de peur qu'elle ne change d'avis et essaye de rentrer.

Enfin seule.

Après un long soupir, je pose ma clé sur la table de la cuisine, à côté du fameux coffre à code que j'avais laissé là. Sur ce trousseau, j'aperçois le porte-clé de bois gravé avec écrit : "Ally"

Je regarde le coffre... Puis le porte clé... Puis le coffre...

J'ai pas pu être aussi conne, c'est pas possible...

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