/👮♂️/ Make love, not war
La bataille fait rage. Les tirs fusent à l'étage et agressent mes pauvres tympans protégés par mes mains. L'air est devenu horriblement lourd, une odeur ferreuse l'a envahie et m'écrase au sol. Je parviens tout de même à me lever et me dirige vers la fenêtre. La pluie s'est légèrement calmée, j'arrive à apercevoir la lisière de la forêt où se passe l'action. Une forme en sort et disparait dans une explosion qui secoue les arbres. Un pick-up avec une mitrailleuse montée à l'arrière passe et tire quelques rafales dans l'obscurité avant de disparaitre.
Je doute que cette pluie soit très bonne pour la santé. J'espère que les Wakizas s'abritent autant qu'ils le peuvent... Ça doit être le cadet de leurs soucis.
J'ai beau réfléchir, je ne comprends pas comment on peut encore gagner. S'ils cessent de voir Charly comme l'une des leurs, plus rien ne les empêche de nous anéantir. La seule chose que je peux faire, c'est prier que ce ne soit pas l'attaque finale. Qu'on ait encore un peu de temps pour tester notre hypothèse. Et si jamais elle échoue, qu'on ait le temps de convaincre les habitants de s'enfuir avant qu'Oddly Bay ne se transforme en charnier.
Les cris pourfendent l'air de plus belle, annonçant une nouvelle charge. Les balles les suivent et j'aperçois plusieurs Ohanzees s'effondrer en sortant des arbres. A cette distance avec cette pluie torrentielle, je n'aperçois que les plus gros. Ce qui m'angoisse, ce sont plutôt les petits qui peuvent se faufiler partout...
Une nouvelle explosion. Du bois craque, comme un os qui se fend et un épicéa entame une chute frénétique vers le sol qu'il frappe avec une violence inouïe, provoquant une secousse que je ressens jusqu'ici.
La pluie baisse en intensité. J'espère que cela annonce la fin de l'attaque ! Des bruits dans les escaliers me font sursauter. Ce n'est qu'Adam qui vient chercher des munitions. Il ne me calcule même pas, complètement happé par l'angoisse et l'action.
La vitre derrière moi explose. Je baisse la tête par réflexe et aperçois une petite boule noire passer par-dessus mon épaule suivie d'un cri de terreur.
Je rouvre les yeux et vois un Ohanzee renard s'approcher de mon ami qui presse frénétiquement sa queue de détente, ne produisant qu'un "clic" pathétique, symbole qu'il n'y a plus aucune balle à chambrer. Mes poings se serrent et mes jambes parviennent à bouger. En quelques enjambées j'atteins la créature. Mon instinct me hurle de lancer mon pied à toute vitesse dans ses côtes, mais je ne peux m'y résigner et me contente de m'interposer entre elle et Adam, figé par la peur.
Je le pousse en arrière avec mon bassin et fais face à la créature qui change radicalement d'expression en posant ses yeux sur moi. Je n'en étais pas encore sûre, mais l'Ohanzee ne m'attaque pas. Je perçois de la tristesse et une grosse quantité de remords dans son esprit troublé. J'hésite un instant à me pour approcher ma main de cette petite chose, mais réalise bien vite ma stupidité. Je ne dois pas oublier qu'il s'agit d'une créature démoniaque qui peut me tuer si l'envie l'en prend.
Deux forces distinctes se battent en elle. Une essaye de s'enfuir, l'autre de m'arracher la gorge. C'est bien cette deuxième partie qui me terrifie, d'autant plus qu'elle semble prendre le contrôle petit à petit. Sa mâchoire claque frénétiquement et une patte s'avance dans ma direction, symbole que sa résistance inexplicable ne pourra pas durer éternellement.
Le capitaine descend les escaliers à ce moment précis et met la créature en joue. Elle aperçoit le canon du coin de l'œil et opère un demi-tour avant de bondir par la fenêtre brisée qui laisse rentrer l'immonde eau de pluie. Cette dernière s'arrête presque au même moment, aussi rapidement qu'elle s'est déchainée. Une partie des nuages semble s'en aller, mais pas suffisamment pour apercevoir le soleil.
Tout le monde redescend, l'air fatigué et terrorisé. On a la tête d'indigènes qui découvriraient la puissance des conquistadors pour la première fois. Comme des Japonais devant le champignon atomique d'Hiroshima, priant pour que cela ne se reproduise jamais.
C'est une réalisation douloureuse, mais nécessaire : on ne peut pas gagner par la force.
Seul le capitaine garde la tête froide. Cela ne l'empêche pas d'arriver à la même conclusion que nous cependant.
« Rentrez chez vous et reposez-vous. Soyez ici demain à huit heures trente précises avec vos affaires. On n'aura pas de temps à perdre et il faudra être efficace. »
***
Ma maison est intacte. Si on oublie les énormes traces de pneus et les douilles qui arpentent mon jardin.
Les autres ont proposé de faire une réunion chez moi, mais Charly pense qu'on ferait mieux de se reposer. Si je ne la connaissais pas, je jurerais que c'est une excuse pour passer un peu de temps avec moi avant le départ. Son plan a le mérite de tenir la route : on se couche le plus tard possible, pour se réveiller le plus tard possible afin d'avoir un rythme de sommeil normal pour affronter le monde extérieur. Il est environ midi et je suis déjà crevée, je ne sais pas trop comment je vais tenir jusqu'à ce soir.
La bonne nouvelle dans tout ça, c'est que je vais pouvoir retarder ma transformation en quittant la ville. Rien de définitif une fois encore, mais l'idée de rester moi-même un peu plus longtemps a le mérite de me faire sourire. Je termine de préparer mes affaires dans le salon alors que Charly me regarde, l'air pensive. Je m'arrête un instant et me relève.
« Tu sais qu'il ne va rien m'arriver pas vrai ?
— J'espère...
— Qu'est-ce que tu veux qu'il nous arrive ? On sera hors d'Oddly Bay, Lucy ne pourra pas nous atteindre.
— C'qui m'inquiète c'est comment vous allez sortir de la ville. Puis il faudra rentrer après. Donc vous allez traverser deux fois la forêt.
— Avec les Wakizas ! Puis t'as bien vu, on sera dans un vrai petit char.
— J'sais pas, j'le sens pas c't'histoire... »
Je m'approche d'elle et m'accroupis pour atteindre ses yeux fixés sur le sol.
« Tout va bien se passer. Je ferais attention et le capitaine veillera sur nous.
— J'veux pas qu'il t'arrive quelque chose... »
Je m'assois à côté d'elle et l'enlace face à cette phrase si lourde qui installe une grande pression sur mes épaules. C'est d'ailleurs à cet endroit qu'elle pose sa tête.
« On n'a pas le choix. Si on n'y va pas, on est sûr de perdre.
— On pourrait évacuer les habitants plutôt !
— Ça reviendra au même, il faudra traverser la forêt avec tout le monde. T'imagines le convoi que ça ferait, ce serait une galère à défendre. Faut qu'on garde cette option qu'en dernier recours. »
Son silence approuve mon raisonnement. Mes yeux divaguent dans la pièce que je n'ai pas vraiment eu le temps de décorer. Je ne me suis pas donné cette peine, entre toutes les aventures et la probabilité que je quitte la ville. Même si l'on parvient à battre Lucy, je n'ai toujours pas envie de me transformer en animal chaque nuit. J'ai cependant un nouvel argument de taille qui me pousse à vivre ici.
Pour détendre un petit peu l'atmosphère, je pose un vinyle sur ma platine et lance une musique. Pour une fois, c'est moi qui tente de chanter. Je ne fais que fredonner pour la motiver et lorsqu'enfin elle démarre, je la suis volontiers dans son délire. Je déteste le son de ma voix, mais lorsqu'on chante toutes les deux, je n'y fais même plus attention. L'air devient léger et mes soucis disparaissent dans un sourire qui finit toujours par me faire mal aux joues.
Je redeviens une gamine un instant. Sans responsabilités, sans ennemis, avec comme seuls monstres ceux que j'imagine le soir sous mon lit.
Tous mes doutes, mes complexes, mes gènes. Envolés en un instant. Ils réapparaitront dès que cette bulle d'incrédulité crèvera, mais ça n'a pas d'importance. L'échappatoire que j'ai toujours trouvée dans mes livres s'est matérialisée sous la forme d'une belle fille avec laquelle je vis. Elle me fait rêver, voyager et ressentir un grand panel d'émotions avec plus de puissance que n'importe quel auteur. J'imagine que c'est pour cette raison que les gens sociables préfèrent la vraie vie aux bouquins.
***
Je baille à m'en déboiter la mâchoire.
On a grignoté quelque chose réchauffé au microonde puis on s'est jeté au lit. Moi qui pensais lire un peu comme chaque soir, Charly a bien décidé de profiter de ma présence et ne me lâche pas d'une semelle. Je lui caresse les cheveux comme hier en l'enlaçant contre moi. C'est incroyable à quel point une action si banale peut envoyer une quantité si phénoménale de dopamine dans le corps.
Je n'aurai jamais pensé pouvoir me sentir aussi bien. Surtout avec une fille. Si j'avais su ça plus tôt, cela m'aurait épargné bien des problèmes. Mais d'une certaine manière, je suis tout de même reconnaissante envers ma vie. Sans l'autre enfoiré, je ne serai jamais venu ici. Je n'aurai jamais rencontré Charly, mais je n'aurai surtout jamais vécu toutes ces aventures. Malgré le danger, malgré les blessures et les sueurs froides, j'ai la chance de vivre quelque chose de réel. Une quête unique. J'ai une chance de pouvoir, de par mes actions, changer et sauver des vies. C'est inestimable.
C'est aussi terrifiant. Parfois, lorsque je ferme les yeux, je revois le visage des Murphy. Cette boule grossit alors dans mon ventre et me donne envie de vomir face aux conséquences de mes actes. Charly a beau me répéter que je n'y suis pour rien, je sais d'ores et déjà qu'il me faudra plusieurs années pour m'en convaincre. Comme il m'a fallu plusieurs années pour réaliser que je n'étais pas obligée d'être malheureuse et que je méritais d'avoir une vie belle et agréable.
Je la sens glisser ses mains sous mon t-shirt de pyjama. Elles sont froides, pourtant c'est une chaleur qui m'envahit. Le soleil doit être en train de se coucher.
Je sens ses lèvres se poser dans mon cou. Un frisson me traverse tel un éclair. Tous mes muscles se tendent un court instant, submergés de plaisir. Je peux sentir son sourire de satisfaction contre ma peau tandis qu'elle recommence de plus belle, sa main se frayant un chemin jusqu'à ma poitrine.
Je n'ai jamais fait ça avec une fille. À vrai dire, je ne crois pas avoir déjà fait quoi que ce soit de similaire. La passion qui nous habite relève du mystique pour moi qui n'ai jamais réellement pris de plaisir. Pourtant, il lui a suffi d'un baiser pour que mon corps soit submergé d'un bien-être jamais atteint auparavant. Ses mains sillonnent mon corps avec une douceur nouvelle qui fait monter en moi une chaleur que je pensais inatteignable. Je suis en ébullition.
Elle me susurre une phrase à l'oreille d'une voix sucrée et profonde qui hérisse mes poils :
« Si tu veux que j'arrête, n'hésite pas à me le dire. »
S'en est trop pour moi.
Je la pousse sur le côté et saute sur ses lèvres, comme si elles étaient ma seule source d'oxygène dans cette chambre. On se déshabille aussi vite que possible pour rapprocher nos peaux l'une de l'autre. Je l'admire sous un angle nouveau. Celui d'une statue, digne représentation d'une déesse aux courbes exquises et à la peau plus douce que du marbre, mais aussi plus chaude qu'un feu ardent. Chaque centimètre de son corps est un chef-d'œuvre que je me dois d'admirer, d'explorer et de vénérer pour rendre hommage à sa beauté irréelle.
Nos mains glissent et s'enlacent, comme nos langues prises d'un appétit nouveau. Je sens que la lune est en train d'apparaître dans le ciel, nous réduisant à nos instincts les plus primitifs et sauvage. Nos gènes, doutes et autres réflexions n'ont plus leurs places ici. Je ne ressens plus que le plaisir de la chair décuplé par celui de l'amour qui m'embrase et me fait atteindre des niveaux d'insouciance et d'extase qui me semblaient interdits jusqu'à lors.
Une lumière m'éblouit et me pénètre. L'amour et l'envie que j'y perçois écrasent la haine d'une force inarrêtable qui m'inonde. Je vois Charly comme jamais je ne l'ai vu auparavant. Si je n'étais pas encore folle amoureuse, aucun doute que je le suis désormais. Je traverserai l'enfer tout entier juste pour pouvoir tenir sa main. Mais pour le moment, c'est vers le paradis que l'on se dirige. Et la nuit ne fait que commencer.
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