1ère Partie : Nouvelle ville, nouvelle vie
"Welcome to Demon Wood
Siuslaw National Forest
Oregon"
Le panneau défile à toute vitesse par ma fenêtre. Drôle de nom pour un endroit aussi magnifique. J'ai la sensation d'être dans un film ! Les feuilles des arbres sont d'un vert éclatant, le ciel légèrement caché par les branches est bleu azur, la route a l'air neuve... Tout est beau, que dire de plus ! Un paysage de carte postale.
Ma vieille citadine fonce à toute allure, fenêtres grandes ouvertes et musique à fond, direction ma nouvelle vie. Chaque kilomètre semble m'éloigner un petit peu plus de mes problèmes et bon dieu que ça fait du bien !
« You don't own me~
I'm not just one of your many toys~
You don't own me~
Don't say I can't go with other boys~ »
Ma tête se balance en rythme, le pied sur la pédale d'accélérateur. La voiture atteint doucement les cent-dix km/h, complètement seule sur cette route. Je chante avec Grace et sa voix si enivrante comme si rien ne pouvait m'arrêter.
« Don't tell me what to do~
And don't tell me what to say~
Please, when I go out with you~
Don't put me on display~ »
Je suis libre. Une chaleur douce et vivifiante traverse mon corps. Une sensation de bien-être absolu, plénitude indescriptible rendant l'impossible accessible et le malheur inimaginable. Je suis forte, indépendante, immortelle...
***
« ... en excès de vitesse. Vous étiez à cent-vingt au lieu de cent. »
Arrêtée sur le bord de la route avec ma confiance aux abonnés absents, je sors mes papiers de la boite à gants. « Désolé monsieur l'agent, j'aurais dû faire plus attention. »
L'homme en uniforme beige examine mon permis puis me le rend. Il n'a pas l'air particulièrement sévère, la chance est avec moi ce coup-ci. Avec un peu de chance je n'aurai qu'un rappel à l'ordre. On ne peut pas dire qu'il montrait l'exemple, il devait rouler à cent-cinquante et sans les gyrophares en plus ! En même temps il ne risque pas de se faire contrôler...
« C'est la première fois que je vous vois. Vous ne seriez pas une cousine des Vanighons par hasard ?
— Non du tout, je ne suis pas de la région.
— Comment ça ? Vous venez d'où ?
— De Chicago. »
Ses sourcils se froncent comme s'il entendait ce mot pour la première fois.
« Mais... Vous savez où vous êtes ?
— Eh bien, oui, à peu près. On ne doit plus être très loin d'Oddly Bay.
Je devine une certaine incompréhension derrière ces lunettes de soleil. Est-ce que j'ai mal prononcé le nom du village ?
« Pardonnez-moi mais... Est-ce que vous pouvez répéter ?
— Je vais à Oddly Bay... Je crois que ça s'appelle comme ça en tout cas. »
On m'a simplement donné des coordonnées GPS suivies de quelques indications. Google Map ne m'a donné aucun résultat lorsque j'ai tenté de rentrer le nom, j'imagine qu'il s'agit d'un lieu-dit. J'ai bien essayé d'obtenir plus d'informations pendant mon trajet mais mon contact ne m'a pas répondu. Et il était hors de question de faire demi-tour.
Le policier reste silencieux quelques longues secondes sans me quitter du regard. Mal à l'aise, mes yeux se promènent et tombent sur mes poignets couverts de bleus. J'essaye de les cacher discrètement sans savoir s'il les a vu ou non.
« Est-ce que je peux savoir ce que vous venez faire à Oddly Bay ? finit-il par répondre.
— Je viens emménager ! » réponds-je en y mettant tout mon sourire pour faire baisser cette drôle de tension.
Il regarde l'arrière de ma voiture comme pour vérifier mes dires. Je suppose que c'est son boulot après-tout. Les sièges ainsi que le coffre sont blindés de cartons empilés à l'arrache dégoulinants d'objets en tout genre. J'ai bien essayé de rendre le tout plus stable après mon départ en catastrophe mais l'aspect bordélique est toujours là. Il sourit en haussant les sourcils puis passe sa main sous son stetson pour se gratter le crâne.
« Vous êtes sûre ? »
S'il y a bien une question à laquelle je ne m'attendais pas, c'est celle-là.
« ... Oui ?
— Je dis ça parce que... Personne ne vient jamais à Oddly Bay. On n'a jamais de touristes et encore moins de nouveaux habitants. »
Comment ça "on" ? Donc ma première rencontre avec un habitant de ma nouvelle ville se passe au bord de la route après un excès de vitesse... Génial.
« Pourrais-je savoir qui vous a proposé de venir emménager ? En tant que capitaine, vous comprenez que j'aime bien savoir ce qu'il se passe dans le coin. »
Capitaine ? Pourtant il n'est pas bien vieux. La trentaine peut-être. Alors qu'il replace son chapeau, j'aperçois ses cheveux bruns rasés sur le côté et bien peignés sur le dessus. Quant à ses yeux, ils restent cachés derrière ses lunettes de soleil dorées. Son visage n'est pas déplaisant. On sent qu'il fait du sport mais que son physique lui importe peu à en juger par sa barbe de trois jours mal rasée.
Je prends le temps d'enregistrer son visage. Connaître le capitaine de mon nouveau village pourrait se révéler utile.
« Le bibliothécaire souhaite m'embaucher comme assistante. Et puis ça fait longtemps que je voulais quitter Chicago pour vivre au contact de la nature ! »
Son visage est redevenu neutre comme s'il faisait face à une nouvelle espèce inconnue qui avait besoin d'être analysée. Une espèce qui arrive dans sa ville et qui risque de foutre le souk. Si c'est ce qu'il pense, il se met le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Plus calme et bonne citoyenne que moi, ça n'existe pas ! Ils ne s'apercevront même pas que je suis là.
« Je vois... J'aimerais vous dire de faire demi-tour mais si vous venez de Chicago, je suppose que votre choix est définitif. »
Pas terrible comme façon d'accueillir les étrangers.
« Si jamais vous avez besoin d'aide, le commissariat se trouve dans la rue principale. J'imagine que je dois vous souhaiter la bienvenue parmi nous, madame... ?
— Turner. Emily Turner.
— Hé bien enchanté, Madame Turner. »
J'ai à peine le temps de voir un "William" sur la petite plaque cousue à sa veste qu'il se redirige vers sa voiture, une vielle mustang des années soixante-dix. Plutôt atypique. Curieuse, je l'observe me dépasser alors que son moteur monte dans les tours. À part les gyrophares sur le toit, rien n'indique qu'il s'agit d'une voiture de police. Il avait certes un uniforme mais tout de même... J'espère ne pas m'être fait repérer par une sorte de malade mental.
La clé tourne dans le contact et la musique redémarre. Un reflet attire mon attention sur le rétroviseur que je tourne vers moi. Mes doigts glissent sous ma mèche châtain. J'ai beau avoir traversé Dieu sait combien d'États, ma cicatrice, elle, est toujours là. Je croise mon propre regard qui me fait presque sursauter. Ce ne sont pas tant mes yeux noisette qui me surprennent mais plutôt les cernes qu'ils surplombent. Rien d'étonnant vu les kilomètres que j'ai avalé ces trois derniers jours. Une bonne nuit de sommeil sans entendre mes voisins danser la lambada me fera le plus grand bien.
J'ai beau avoir vingt-trois ans, tout le monde me prend pour une gamine de dix-neuf ans. Ce qui peut sembler être un avantage se révèle vite pénible, surtout quand je dois sortir ma carte d'identité dès que je veux acheter des bières. C'est certes un mauvais exemple puisque je ne bois pas mais cela m'embête tout de même. Prise d'une vague de chaleur je me tortille dans la voiture pour enlever mon sweat orange. Quel plaisir d'avoir de nouveau chaud, surtout après l'hiver glacial que l'on a eu.
On the road again en faisant bien attention de ne pas dépasser la limitation. Ce petit incident ne va pas m'empêcher de profiter de ma nouvelle vie quand même ! Ses questions restent tout de même collées dans un coin de ma tête. Est-ce que je vais être la bienvenue ? Et s'ils détestent les étrangers ? Je fais quoi moi si c'est un village de consanguins qui chassent les inconnus à coup de fourche ?
Dans quoi est-ce que je me suis encore embarquée...
***
Ma voiture arrive au village un petit quart d'heure après cet arrêt forcé. Les arbres si majestueux qui me faisaient une haie d'honneur ont laissé place à des maisonnettes de bois et de briques sorties tout droit d'une autre époque. Elles sont toutes différentes avec leurs planches blanches, leurs toits pointus ou leurs porches et autres balcons ornés de garde-fous. On est bien loin des banlieues américaines que tous les promoteurs veulent nous vendre. Non, ici ça sent le vécu, le vrai, l'authenticité. C'est tout du moins l'impressions qu'elles me donnent tandis que je les admire depuis la rue craquelée et cabossée. J'ai presque l'impression d'être en vacances ! Pourtant c'est ici que je vais vivre désormais. J'espère que cette sensation ne disparaîtra pas avec le temps.
Une odeur vient m'enlacer tel un vieil ami : l'air marin. Il va de pair avec l'air de liberté qui emplit mes poumons depuis quelques heures. Ils se mélangent et s'allient pour me faire un cocktail de dopamine et d'endorphine. Mon petit nuage redescend bien vite lorsque j'aperçois une silhouette assise sur son porche dans une chaise à bascule. Un vieil homme chauve et plutôt enrobé qui me fixe. Que ce soient ses jambes, son ventre ou sa tête, tout crie le manque d'activité. Son absence de cheveux le fait ressembler à une boule, une boule de colère à en juger par le regard qu'il me lance. Peu importe. Je ne vais pas laisser sa négativité m'atteindre, ça non !
Je tombe nez à nez avec la mer éclairée par le soleil de midi. Elle est aussi belle que dans mes souvenirs, peut-être même plus. Ses vagues qui se dessinent et glissent jusqu'au rivage m'hypnotisent. La mélodie qu'elles chantent en se brisant sur la digue me fait chavirer dans un autre monde. Quelques pontons en bois s'avancent dans l'eau, port d'attache des bateaux de pêche aux filets relevés et aux voiles repliées. Le calme est uniquement troublé par le cri des mouettes qui virevoltent dans le ciel à la recherche d'un repas puis qui, bredouilles, viennent se reposer sur les bittes d'amarrage en fonte.
Ce n'est pas un décor de carte postale. Ce n'est pas une plage des caraïbes. Ce n'est même pas une plage à vrai dire. Mais ça a du charme. On peut voir les années qui se sont écoulées, le temps qui a laissé ses traces au même titre que les pécheurs et les passants, usant petit à petit les planches en bois des pontons ou les embarcations qui se soulèvent et s'abaissent au rythme de la houle.
Quel bonheur. J'en oublie presque que je suis arrêtée à un stop. Tout est si calme. Ma main me démange, prise d'une soudaine envie de couper le moteur pour profiter de l'harmonie ambiante. Cela me fait réaliser qu'il n'y a pas d'autres voitures, ni même de passants à vrai dire. La seule présence humaine réside dans ce pécheur que j'aperçois au loin s'afférer sur son embarcation. À part lui et le petit vieux, je n'ai encore vu personne ici. Est-ce que tous les villages sont aussi peu animés ? Je souhaitais certes quitter le brouhaha de la ville mais quand même !
Les indications de mon tout nouvel employeur me font longer le bord de mer que je ne peux m'empêcher d'admirer. Je me vois déjà, me promener après le travail à la recherche d'un banc pour lire en profitant du coucher de soleil sur l'eau. Une activité parfaite qui combine mes deux passions : la nature bien sûr, mais aussi la lecture. Cette fascination ne m'a jamais quittée, pas plus que mon envie de vivre entourée d'ouvrages millénaires et d'histoires en tout genre. Mon rêve ultime serait de vivre dans la bibliothèque de la Belle et la bête, bien qu'il manque quelques zéros à mon compte en banque pour y parvenir. Cet amour des livres m'a guidé vers les bonnes études afin de travailler un jour dans l'un de ces lieux enchantés. Les voilà maintenant terminées depuis quelques semaines, m'offrant enfin l'opportunité d'avoir un vrai salaire. Fini les stages où je suis relayé à l'étiquetage !
C'est par hasard que je suis tombé sur cette annonce pour un poste de bibliothécaire dans l'Oregon. Sans vouloir me vanter, je suis nettement surqualifiée pour ce job. J'aurais très bien pu postuler dans des bibliothèques universitaires voire gouvernementales mais la perspective de vivre au contact de la nature a pris le pas sur mon ambition professionnelle. Toute expérience est bonne à prendre après tout !
Pour être honnête, je n'ai même pas pris le temps de postuler ailleurs. Je voulais surtout partir le plus loin et le plus vite possible.
La mémère qui me sert de voiture continue de longer les vieux docks. Les belles maisons en barde à clin se remplacent petit à petit par des bâtiments en briques rouges, quoique plutôt noires. Cette partie de la ville sort tout droit des années 1900, symbole de la révolution industrielle. C'est dans cette partie que j'atteins ma destination. Le volant tourne à gauche et guide les roues dans une place sur un petit parking vide entourés de bâtisses similaires. Peut-être étaient-ce des entrepôts à l'époque ? Ou bien des usines.
Je coupe le contact. La musique s'arrête en même temps que mon moteur. Le son des vagues quelques rues plus loin parvient encore à mes oreilles. Mon nouveau lieu de travail est à deux pas du bord de la mer, le rêve ! Même si ce n'est clairement pas dans ce port que je vais pouvoir me baigner. J'imagine qu'il y a des petites plages cachées pas loin. Cet État a l'air d'avoir gardé son aspect sauvage et j'adore ça ! C'est tout du moins ce que je me dis juste avant de constater la quasi-absence de réseau sur mon téléphone.
La voiture se verrouille. Une énorme double-porte en bois massif m'attend à l'entrée du bâtiment. Le genre de porte qui me tuerait à coup sûr si elle me tombait dessus. Sur celle de gauche est clouée une jolie pancarte en bois peinte en blanc avec inscrit "Bibliothèque d'Oddly Bay" en lettres noires. Juste à côté, des enfants se sont amusés à dessiner des petits livres garnis de bonhommes souriants. L'écriteau me rassure. Je suis arrivée, enfin !
La porte s'ouvre, non sans difficulté. Une fois à l'intérieur, mes yeux sont tout de suite attirés par le plafond. Une verrière qui laisse le soleil inonder l'endroit de sa lumière, lui conférant ainsi une sorte d'aura mystique. À moins que ce soit la poussière en suspension qui me donne l'impression de pénétrer un temple abandonné. Une fois les yeux baissés, je découvre les étales remplies de livres. Une dizaine de rangées qui s'étendent jusqu'au fond du bâtiment particulièrement long. Elles semblent aussi vieilles que le bâtiment lui-même, souvenirs d'une époque où les meubles étaient construits dans des bois nobles avec pour objectif de nous enterrer. Les effets du temps ne permettent plus de distinguer leurs veines bien que certaines puissent être devinées, vestige d'un temps où le vernis devait les rendre magnifiques. Une échelle est reposée contre l'une d'entre elle, permettant d'atteindre les ouvrages qui trônent à quelques six mètres du sol. J'espère qu'il y a un hôpital pas loin.
Quant aux ouvrages, leurs couleurs et leurs âges sont très variés. Un vieux grimoire avec une reliure en cuir peut se trouver juste à côté d'une bande dessinée ou d'un roman moderne habillé d'une couverture en papier brillant. Ils ne sont donc pas rangés ? Ce mélange de couleurs ternes et éclatantes donne une impression de désordre mais garde pourtant une drôle d'harmonie inexplicable. Quant à l'espace vide entre la verrière et les étagères, il est traversé d'armatures en métal ocre, charpente ou squelette de ce bâtiment centenaire.
Je finis mon rapide coup d'œil par le sol en béton. Son seul petit grain de folie réside dans cet immense tapis sur lequel je marche à l'entrée. Dieu que cet endroit manque de décoration. Mais avant tout, il a bien besoin d'un coup de nettoyage. C'est une femme de ménage qu'il aurait fallu embaucher... Pourvu qu'on ne m'ait pas recruté pour ça.
En parlant de mon recruteur, je crois l'entendre avant même de le voir. Un ronflement tonitruant atteint mes oreilles. Il résonne et va se perdre au fond du bâtiment qui me semble sans fin. Le simple fait de m'imaginer le traverser m'épuise. À ma droite trône un bureau particulièrement long couvert de livres en tout genre. Dessus reposent deux bras poilus et une tête aux cheveux blancs. Il n'a pas l'air débordé par le travail...
Ne sachant comment m'y prendre, je décide de tousser pour le réveiller. Je m'y reprends à plusieurs fois devant son manque de réaction. Mais c'est qu'il ronfle encore plus fort ?! On dirait presque des grognements à ce niveau-là. C'est un homme ou un ours ? J'hésite à claquer la porte pour le réveiller mais me rappelle juste à temps que cet homme est possiblement mon nouveau patron. Se faire renvoyer le premier jour, ce serait vraiment con, surtout après avoir traversé les trois-quarts du pays.
« Monsieur... » Je tente de l'extirper de ses rêves le plus délicatement possible en prenant une toute petite voix. Aucune réaction. Jamais je n'ai entendu quelqu'un faire autant de bruit en dormant. Je sursaute : un livre est tombé d'une étagère. C'est pas vrai qu'il fait même trembler les murs !
« Monsieur. » Toujours rien. « Monsieur ! » Non plus.
Lassée par ce petit jeu et par trois jours de conduite intensive, j'emplis mes poumons et commet l'impardonnable : hurler dans une bibliothèque.
« MONSIEUR ! »
Ma voix l'extirpe du monde des songes d'une telle violence qu'il en perd l'équilibre. C'est avec un réflexe surhumain qu'il se rattrape à son bureau, les fesses à quelques centimètres du sol. Ses yeux sont complètement écarquillés, à croire qu'il vient de voir la vierge. Je sais bien que ma sexualité ne crève pas le plafond, mais faut pas exagérer ! Il reprend rapidement ses esprits puis se rassoit sur sa chaise sans dire un mot, regardant autour de lui comme pour vérifier l'endroit où il se trouve. Le vieil homme jette un regard au plafond puis plonge ses yeux dans les miens avec gravité. Son visage est habillé une épaisse barbe blanche courte mais bien garnie au même titre que ses cheveux. Sur son nez repose une paire de lunettes rondes. Un cosplay du père Noël qui a mal tourné ?
L'une de ses mains attrape ses lunettes tandis que l'autre se frotte les yeux. Il baille une première fois puis insatisfait, réitère l'opération. Un petit sourire se dessine alors que je retiens un bâillement. Une fois son petit rituel terminé il se lève puis me fixe de nouveau, cette fois-ci avec un léger enthousiasme qui se veut rassurant.
« Bonjour Emily. J'espère que la route fut agréable !
— Oui, très ! Mais comment vous savez qui je suis ? J'ai pas mis de photo sur mon CV...
— Vous savez, ici, tout le monde se connait. Par exemple, si vous avez suivi mes indications à la lettre et si votre sens de l'orientation ne vous a pas fait défaut, je suis sûr que vous avez croisé un vieil homme chauve posté sur son porche dans la rue principale. Notre village est grand mais notre communauté pas tant que ça ! »
Je reste bouche bée.
« Bien, puisque toute présentation de votre côté semble futile, permettez-moi de vous donner mon prénom. Mes parents m'ont nommé Joe mais tout le monde m'appelle Grand Ours ici, par conséquent je vous invite à faire de même. »
Un surnom adéquat avec une telle carrure. Cela doit aussi venir de tous ses poils blancs qui recouvrent sa peau. Comment peut-on avoir les mains et les doigts aussi poilus ? Dans tous les cas, me voilà rassurée. Il a l'air très sympathique, je suis sûr que ce sera un plaisir de travailler avec lui !
« Voici les clés ! » Il m'envoie un gros trousseau que j'attrape par réflexe. Grand Ours attrape une sacoche en cuir puis se dirige vers la porte en passant à côté de moi. « Comme convenu, vous disposez également d'un logement. C'est une bicoque très calme, adossée à la forêt. Elle se situe au bord de la ville au sud/sud-est, je suis sûr que vous la trouverez, vous ne pouvez pas vous tromper à cette heure ! Sur ce, moi, je compte bien célébrer ma retraite ! »
Il passe la porte avec une facilité déconcertante tandis que je l'observe partir la bouche entre-ouverte. J'ai bien entendu ?! Je cours pour le rattraper.
« Maiiis vous m'aviez dit que je serais employée, pas bibliothécaire en chef !
— Mais vous êtes employée ! Employée de la commune pour être plus précis, félicitation ! Toutes les indications nécessaires à l'accomplissement de votre nouveau travail sont dans le registre sur le comptoir. Et si jamais vous venez à avoir besoin d'aide pour je ne sais quel sujet particulièrement difficile à traiter, vous saurez où me trouver ! »
Il se met alors à marcher en direction de je-ne-sais-où, un sourire jusqu'aux oreilles. C'est une blague, c'est pas possible ! C'est alors qu'il s'arrête net puis se retourne pour me fixer d'un air grave : « Avant de partir, permettez-moi de vous donner un petit conseil. N'allez pas vous balader après le coucher du soleil. »
Puis il se remet en marche comme si de rien n'était.
Je n'arrive même plus à bouger tant je suis abasourdie. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?!
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