7. Toujours plus de mystères

Helmut se réveilla dans un ample étirement avant de se laisser retomber contre son matelas. Tant bien que mal, il finit par se lever. Le jeune homme alluma son téléphone, il était 06 h 19. Trop tôt, mais le sommeil ne l'accepterait plus, la forêt l'avait fait devenir matinal. Le sourire de ses parents sur l'écran de verrouillage lui fit monter quelques larmes, qu'il étouffa aussitôt. Demain, je repars en forêt, se promit-il. Je dois venir à bout de cette épreuve.

Prêt à partir pour le petit déjeuner, il ouvrit la porte mais s'arrêta net, à ses pieds, devant le seuil était posée une lampe torche. Sans la toucher, comme si elle avait pu être contaminée, il l'observa incrédule, alla vérifier dans son sac s'il avait encore la sienne. Elle n'y était plus. Alors, il se remémora son entrée dans la forêt enchantée la veille. Elle avait dû tomber sous l'assaut des branchages de la cage sylvestre. Et elle réapparaît là, comme par magie... remarqua Helmut dans un pouffement satisfait. Il agita la tête. Ce doit simplement être Bloup qui me l'a rapportée.

Il rejoignit la grande salle commune où les employés s'activaient déjà, un balai ou un chiffon aux mains, à leur allure habituelle. Derrière le comptoir, le patron essuyait un verre. Comme la veille, il portait un costume rouge et ses cheveux noirs étaient plaqués en arrière. Lorsque le jeune homme arriva à sa hauteur, le colosse aux couleurs tapageuses ouvrit grand les bras et s'approcha. Helmut fit un pas en arrière, craignant que Bloup attende un câlin de sa part.

- Monsieur est un lève-tôt ! s'exclama le patron.

- On dirait, répondit-il en renvoyant le sourire. Et merci pour la lampe torche !

Bloup perdit son sourire pour une expression de surprise, mais se ressaisit presque aussitôt.

- Pas de problème, s'exclama-t-il. Va t'asseoir, je t'apporte à manger.

- Non mer...

- Hep hep hep. Pas de ça dans mon établissement, ici on prend tous les repas.

Le patron ouvrit la porte de la cuisine avant de se retourner dans un rire.

- Surtout quand on a vécu dans la forêt !

Helmut alla s'asseoir en passant au crible du regard l'apparence des employés. Décidément, il ne s'y ferait pas. Il repensa à tous les mystères de cet hôtel, se sermonna intérieurement de s'être endormi dans cet endroit sans savoir réellement ce qu'il était. Alors, il se jura de trouver réponse à ses questions avant que la nuit ne tombe.

À son tour, Jim entra dans la grande salle, leva un sourcil quand il aperçut Helmut déjà assis.

- Sérieux ? Si tu te lèves avant moi ça va pas le faire ! Tu veux me voler mon travail, c'est ça ?

Ils éclatèrent de rire et se tapèrent le poing.

- Bien dormi ? demanda Helmut.

- Pas trop, non.

- Un problème ?

Avant qu'il n'ait le temps de répondre, Bloup entra à son tour avec un plateau où trônaient un bol et des tartines.

- Ah tu es debout, Jimmy ? fit-il avec un grand sourire.

- Oui, je vais me mettre au travail, Mr. Bloup.

Le patron lui tapota l'épaule.

- Prends-toi un jour de repos ! ricana-t-il.

Jim fit une grimace, alors que le héraut de sa bonne nouvelle s'éloignait dans un grand rire, aussi effrayant que d'habitude.

- Il est cool ! pouffa Helmut.

- Ouais, répondit évasivement le cuisinier.

- Toujours sur tes gardes à son sujet ?

Jim réfléchit un instant.

- Il vaut mieux.

Helmut le fixait. Son ami lui cachait des choses, ça se voyait.

- J'ai un truc sur le visage ? demanda ce dernier ironiquement.

- Tu me caches quoi ?

Jim hésita un instant.

- Mange, on en parle après.

Le soleil se levait derrière les grands arbres, alors qu'un léger souffle rendait cette journée d'été appréciablement fraîche. Jim et Helmut s'aventurèrent loin des yeux et des oreilles, sous les bois de la cage sylvestre.

- Alors ? demanda impatiemment Helmut. Pourquoi tu doutes tant de Bloup ?

- Déjà, tu admettras que cet établissement est étrange. Pourquoi est-il ici, au milieu de nulle part ? En ville, un hôtel comme celui-ci ferait fureur ! Ensuite, avec quoi il nous paie, moi et les autres employés ? On n'a jamais de clients ! s'exclama Jim en passant ses mains sur des fourrés touffus et fruités.

- C'est moi qui t'ai exposé ce problème hier, grimaça Helmut.

- Oui, eh bah tu m'aides à trouver des arguments en la défaveur de Bloup.

- C'est vrai que j'ai vu une offre d'emploi pour un poste dans les cuisines, avec une paie de 3 500 euros. Pas commun, j'imagine...

- Je pensais qu'il l'avait supprimée, songea Jim.

- Pourquoi il l'aurait fait ?

- Après que Mr. Fischer ait été embauché, j'ai entendu une conversation en bas de l'escalier du second étage. Bloup disait que l'annonce devait disparaître au plus vite, que personne d'autre ne devait la voir.

- Pourtant, commença Helmut en sortant son téléphone. Hier, j'ai bien vu que...

Rien. Il ne trouvait plus rien sur l'hôtel.

- Bon. Ça fait un nouvel argument contre lui, concéda Helmut.

Jim sourit de toutes ses dents.

- Ensuite, je n'ai aucun souvenir de quand je suis arrivé ici en voiture. Je ne me souviens plus des routes qu'on a empruntées.

- Tu t'es peut-être endormi ?

- Je ne m'endors jamais en voiture, affirma Jim en tapant du doigt sur les feuilles d'une branche qui lui arrivait au visage, comme pour accentuer son propos.

- C'est léger comme défense, ricana Helmut.

- Je suis sérieux !

- Ok, admettons.

Les jeunes hommes étaient arrivés au niveau du petit ruisseau, ici comme ailleurs dans la cage sylvestre, tout était calme, luxueux et vert. Un eldorado de silence et de féérie. Ils s'assirent contre des arbres.

- Hier soir tu n'as rien entendu ? demanda Jim soudainement sérieux.

- Non, pourquoi ?

- Tu n'as pas entendu une voix d'enfant chantonner, des bruits de pas et de coups contre les murs ?

Helmut ne put s'empêcher de passer son nouvel ami, possiblement fou, au crible d'un regard rond de surprise.

- J'suis pas cinglé ! s'écria Jim.

- Après toutes les nuits que j'ai passées dans la forêt et avec un matelas aussi moelleux, il aurait fallu un séisme pour me réveiller. Disons que ce que tu me racontes n'est pas impossible.

Jim sourit.

- Donne-moi ton numéro de téléphone et ce soir veille un peu, tu verras que je ne mens pas.

Helmut prit cette mission comme un défi.

- Tes parents ? demanda Jim avec un sourire. Ce n'est pas commun de les avoir en fond d'écran.

Le jeune endeuillé garda les yeux rivés sur son téléphone.

- Ils sont morts dans un accident de voiture, ça fera bientôt un mois, expliqua-t-il dans un souffle.

Le mutisme des bois devint atrocement pesant. Jim s'agita avant de s'immobiliser complètement. Il bégaya en essayant de formuler quelque chose, mais rien ne sortit. Que pouvait-il dire de toute façon ?

- Moi c'est mon chat, tenta-t-il avec un sourire de fierté aux lèvres.

Il montra la photo d'un félin aux courts poils roux, couleur de feu. Et des rires fusèrent, des rires pour tromper la tristesse. Mais des rires quand même.

- Il faut que je te montre quelque chose, dit finalement Helmut.

Alors ils marchèrent jusqu'à l'opposé de la cage sylvestre, arrivèrent là où il était arrivé la veille. Il restait des traces de son passage au sol, elles prenaient la forme de branchages brisés ou entièrement cassés. Mais ce ne fut pas ce qui stupéfia Jim.

- C'est quoi ce truc ? s'exclama-t-il, en s'approchant du trou géant.

Helmut lui saisit le bras, craignant qu'il ne tombe.

- Fait attention.

- C'est profond, continua le cuisinier sans détacher ses yeux du vortex.

Helmut s'approcha timidement à son tour, quand il fut au bord, il s'en éloigna vivement.

- T'as le vertige ? s'étonna Jim sur un ton moqueur.

- Et toi t'as peur de bruits que tu entends la nuit, lui répondit au tac au tac son ami dans un ricanement.

Jim s'éclaircit la gorge, faisant mine de n'avoir rien entendu, mais ne put s'empêcher de le suivre dans un éclat de rire.

- Tu l'as vu quand ce trou ? demanda-t-il une fois calmé.

- Quand je suis arrivé, donc hier.

- Je m'étonne de ne pas l'avoir vu avant, dit le cuisinier pour lui-même.

Il s'arrêta, regarda autour de lui et réfléchit un instant

- Je suis presque sûr d'être déjà venu dans cette partie de la forêt et ce trou n'y était pas, songea-t-il. C'est le seul ?

- Le seul que j'ai vu en tout cas. Voilà une nouvelle énigme, soupira Helmut dépassé.

- Tu t'y connais un peu en animaux, non ? Toi qui as vécu dans la forêt.

- Oui, mais je n'ai aucune idée de ce qui a pu faire un trou pareil.

- Un ver de terre géant ? hypothétisa Jim. Il aurait pu bouffer Mr. Fischer, la voiture et l'employé qui devait l'emmener, ça expliquerait pourquoi ils ont disparu.

- Un ver de terre géant, des bruits et un chant la nuit. Je crois que j'ai compris...

- Quoi ? Tu me fais un peu peur, là.

- Tu te drogues, non ? murmura Helmut, avant de rire derechef.

Jim le suivit dans un nouveau fou rire, lui tourna le dos et marcha un peu. Il se pencha au pied d'un arbre avant de s'écrier :

- Viens voir ça.

Entre les grandes racines, une parcelle de fleurs étranges s'épanouissait. Elles étaient habillées de pétales rouges, extrêmement épais au centre desquels un ample sac de pollen jaune s'élevait.

- C'est la première fois que j'en vois des comme ça, s'émerveilla Helmut. Il y a aussi ces arbres qui ont un tronc violet. Ici, rien ne semble être normal. On se croirait presque dans un conte pour enfant.

- C'est très légèrement violet, analysa Jim. Ça doit simplement être à cause de la réverbération, de l'éclairage, ce genre de truc.

Devant l'air dubitatif de Helmut, il dut avouer qu'ici la lumière n'était pas bien différente des autres forêts.

- Tu crois que c'est de nouvelles espèces de végétaux ? demanda le cuisinier avec un regain d'intérêt. On pourrait leur donner nos prénoms !

- C'est peu probable, je ne vois pas pourquoi ces fleurs et arbres ne pousseraient pas en dehors de cette cage sylvestre. Et puis nouveau mystère, qu'est-ce que c'est que cette cage ?

- Ça doit simplement être une incroyable formation naturelle.

- Sûrement, soupira Helmut. Tu sais où passent les voitures ?

- Elles ne passent pas, elles sont garées à l'extérieur, juste devant les barreaux, expliqua Jim en mimant des guillemets en énonçant « barreaux ».

Il se repencha au-dessus des fleurs.

- Viens voir ! appela-t-il de nouveau.

Il tenait entre ses doigts une minuscule pousse, dont la tige irradiait légèrement. Helmut passa ses doigts sur cette petite fleur.

- Ça n'a aucun sens, articula-t-il lentement pour lui-même.

Jim cueillit la pousse et à l'instant où il la leva, elle perdit sa translucidité. Helmut ne pouvait plus la lâcher des yeux. Et si c'était de la magie ? Il réfléchit un instant avant de se jeter au sol. Il observa minutieusement la parcelle et se mit à creuser, à l'endroit où se trouvait quelques instants plus tôt la petite fleur. Rien. Pourtant, l'élément qui donnait ces caractères paranormaux était forcément dans le sol. Mais rien n'était visible.

Helmut se releva, tapa ses mains entre elles pour en enlever la terre sèche, les yeux dans le vide. Jim posa une main sur son épaule.

- On va comprendre, t'inquiète ! Tout est sûrement lié.

- Je suis sûr que toutes les réponses se trouvent au second étage, soupira Helmut.

Jim resta un temps muet. Il était d'accord, mais le sourire et surtout la force titanesque de son patron lui firent ravaler tout semblant d'héroïsme. Si c'était interdit d'accès, ce devait être pour une bonne raison !

- C'est une mauvaise idée ! finit-il par répondre. Qui sait ce que ferait Bloup s'il nous trouvait là-haut.

*

À l'entrée de la clairière où trônait l'hôtel, soucieux de résoudre au moins un mystère, Helmut leva les yeux sur le bâtiment. Là-haut, il vit une grande antenne. Voilà qui explique qu'il y ait du réseau... Un mystère en moins ! se dit-il. Il n'y a pas de petite victoire. Et alors qu'il longeait la bâtisse des yeux, prenant conscience de sa beauté, un mouvement l'attira, une silhouette. Un rideau tiré. Helmut appela discrètement Jim qui avait continué d'avancer.

- Un problème ?

- J'ai vu quelqu'un tirer un rideau ! murmura-t-il.

- Un employé sûrement, répondit Jim en regardant l'édifice avec une grimace d'horreur.

- C'était bien trop rapide et la silhouette était toute petite. On aurait dit un... enfant.

- Où ?

- Là, répondit Helmut en pointant du doigt la dernière fenêtre du deuxième étage.

- Les chants que j'entends la nuit doivent venir de là ! supposa Jim.

- Tu crois que l'enfant est enfermé ?

Jim ne sut répondre, ça semblait pourtant être une évidence.

Une nouvelle journée. Une nouvelle et dernière énigme.

Une nouvelle journée et un premier indice vers la clé d'un nouveau monde.

Très bientôt, ils comprendraient. Très bientôt, ils disparaîtraient.

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