37. Pris au piège (2/2)

— Je n'ai pas fait exprès, je ne sais pas ce qui m'a pris ! Je me suis souvenu de la mine... j'ai... j'ai eu peur alors j'ai tiré, mais je ne voulais pas ! Je... je... je suis désolé !

— Du calme, du calme, murmurait Jim dans son dos.

L'Archiviste était étendu au sol, le visage relevé vers les jeunes hommes, tendu en une grimace de douleur. Ses mains enserraient sa jambe autour d'une flèche aux plumes noires. Des hululements s'élevaient dans cette pièce presque vide.

— Tu vas me donner ton arc et ton carquois, d'accord ? continua Jim pour son ami, en abaissant un regard plein de remords sur l'Archiviste.

Helmut s'exécuta sans le moindre mot.

— Vous ! reconnut le blessé, les dents serrées. C'est vous qui êtes sortis des portes dorées !

— Je suis désolé, souffla Helmut. Je ne voulais pas vous faire de mal !

— C'est raté ! grogna l'Archiviste, dans un semblant de sourire. Vous venez d'en haut... je vous ai vu arriver à Hamelin, nous nous sommes déjà croisés. Vous étiez avec une enfant.

Jim lorgna cet homme, un sourcil relevé. Toute trace de peine avait déjà disparu de ses traits.

— Jim, appela Helmut qui, soutenu à l'entrée, reprenait contenance. On devrait peut-être voir ce qu'il cache ici... Béatrice nous avait dit que cette tour était une propriété de la reine. Il doit y avoir des choses qui pourraient nous servir. On pourrait peut-être même trouver la clé.

— Une clé ? répéta le blessé, sans comprendre.

— Pour l'ascenseur, pour qu'on puisse remonter.

— Oh... vous ne trouverez rien de tel ici. Je n'ai aucun moyen d'accès à la surface.

— On va juste s'en assurer alors, conclut Helmut.

Jim acquiesça, parcouru la salle du regard et finalement, il agita la tête en signe de négation.

— À tous les coups, il y a des gardes derrière ! s'écria-t-il, le doigt pointé en direction d'une épaisse porte au fond de la tour.

— Il n'y a personne, ils seraient déjà intervenus sinon ! répliqua Helmut.

— À moins qu'ils attendent que j'entre pour me mettre un coup derrière la tête.

— Faites donc confiance à votre ami, souffla l'Archiviste entre deux faibles gémissements. Je suis seul ici.

— Parce que c'est censé me rassurer ? C'est exactement ce que j'aurais dit si je cachais des soldats.

Mais devant le regard inchangé et déterminé de son acolyte, il se résigna. Il rendit l'arc et les flèches à Helmut.

— J'ai compris, soupira-t-il. Garde-le en joue, mais j'insiste bien, ne tire pas ! Tu n'es plus dans la mine, tu n'as rien à craindre !

Jim se retourna vers la porte, expira longuement. Mais à peine eut-il posé sa main sur la poignée qu'il s'immobilisa, les yeux rivés sur le mur, fait de grandes briques grisonnantes.

— Un trou ? remarqua-t-il en y entrant complètement sa main. Ça monte !

— Un problème ? s'inquiéta Helmut, au-dessus de l'Archiviste.

— Il y a un trou qui monte dans le mur...

— C'est pour communiquer avec Bloupistse, depuis son hôtel. Il nous envoie des parchemins par-là, expliqua le blessé, les mains encore sur la flèche.

— Ça me paraît plausible, fit Jim en faisant pivoter, vainement, la poignée de la lourde porte. Heu... Nouveau problème. Il y a une serrure, c'est fermé.

L'Archiviste fouilla dans sa toge et sortit trois clés. Du doigt, il montra la porte d'entrée, celle que les jeunes hommes comptaient ouvrir et la trappe qui donnait sur le second étage.

Dans un léger « merci », Jim ouvrit l'épais battant de bois. Il entra dans une profonde salle, toute en longueur, un couloir obscur formé de petites étagères. Helmut sorti la lampe torche de son sac et la lui lança. Sous le flux de lumière, apparurent des étiquettes au-dessous de chaque carré de rangement. Il y était inscrit des dates et des prénoms, allant de 1881 à 2024.

— Tu devrais venir voir ça, Helmut...

Ce dernier rejoignit son ami devant la dernière étagère remplie, après avoir ordonné à l'Archiviste de ne pas bouger. Il posa son regard sur l'étiquette : « 2024, Bloup ». Il sortit un parchemin de l'étagère, l'ouvrit et le lut à voix haute : « Colis arrivé, demande de rendez-vous immédiat ».

— Ce sont les derniers messages, fit remarquer Jim. Les colis... C'était nous !

Helmut sortit une autre missive : « Proposition de travail envoyée, les colis devraient bientôt arriver. Encore un peu de patience. » Les jeunes hommes durent prendre appuis sur les étagères, tant la surprise était grande. Ils avaient bien compris qu'ils avaient attirés à l'hôtel pour être offert à la reine, mais le lire, être clairement appelés « colis », ça leur fit un choc.

— Ça fait depuis presque vingt ans que ça dure... Tu te rends compte ? fit Jim en faisant glisser son doigt jusqu'à une étagère datant de 2009. Ça a commencé avec un certain Lothar, c'était lui qui s'occupait des transferts d'après les lettres. Il a laissé sa place à Bloup en 2012.

— Deux ou trois prisonniers tous les six mois, songea tristement Helmut.

Un silence pesant plana sur l'archive. Ils lurent une à une les autres lettres de l'étagère de 2024. Certaines informaient sur l'avancée des recherches de « colis », d'autres sur des demandes de rendez-vous et d'autres encore sur des plaintes ou des ajouts de clauses pour une mystérieuse affaire. Dans les bibliothèques d'en face, statuaient des missives envoyées par des habitants de Hamelin – visiblement haut placés –, à la reine, à la prison de Nanris ou à des villages. Inintéressants, la plupart relataient de l'avancée de travaux et de faits politiques. Rien quant aux êtres-d'en-haut.

— Vous êtes dans les archives. Là où sont conservées les copies des lettres qui passent par cette tour depuis sa construction, soit en 1881, année où la famille royale actuelle a pris le pouvoir, expliquait l'Archiviste depuis la pièce principale, d'une voix forte, sifflante pour quelques syllabes – comme si sa blessure le relançait soudainement.

Jim fit tournoyer le faisceau de sa lampe torche sur toutes les hautes étagères. Ils étaient au centre d'une partie de l'histoire de ce monde. Ça avait quelque chose d'impressionnant, de majestueux. Helmut s'approcha d'une seconde porte, à demi-camouflée derrière les bibliothèques.

— Surtout, n'entrez pas dans la salle du fond ! C'est privé ! Pas même la reine n'y a accès ! Ordre de sa sœur ! s'écria encore l'Archiviste.

Les jeunes hommes sourirent devant cet avertissement.

« Bloup pour Mathilda, 2009 à ... ». Des documents confidentiels devaient forcément être entreposés ici !

— Dites-moi que je rêve ! s'esclaffa Helmut, après avoir lu un parchemin.

Jim eut la même réaction en repliant une autre missive. Cette étagère renfermait bel et bien un secret, mais pas celui escompté. Toutes ces lettres étaient des déclarations d'amour, des poèmes, et des écrits faisant état de la relation amoureuse de Bloup et Mathilda. Relation qui s'était détériorée ces dernières années, mais qui semblait avoir un regain de vigueur depuis quelques mois.

Les deux acolytes sortirent des archives dans des éclats de rire, mais s'arrêtèrent net en entrant dans la pièce principale.

Au sol, là où se tenait l'Archiviste quelques minutes plus tôt, étaient étalés un long morceau de tissu mouillé et souillé, un flacon vide et une flèche ensanglantée. Le vieillard les regardait, assit sur le tabouret face à sa table, le sourire aux lèvres, la main dans sa longue barbe. Il dévoila sa jambe soigneusement bandée.

— Je n'allais quand même pas vous attendre là avec une flèche dans la chair ! ricanait-il.

— Vous vous l'êtes retiré tout seul, sans hurler ? s'enquit Jim dans une grimace de dégoût, s'imaginant la scène.

— Il semblerait, oui... Je suis content de ne pas avoir perdu la main. À l'écoute de vos rires, je peux affirmer que vous avez lu les missives privées, s'amusa-t-il. Mathilda vous tuerait pour ça.

— Si vous savez pourquoi on rigole, c'est que vous les avez aussi lus, pouffa Jim.

— Moi ? Je suis l'Archiviste ! Je lis les lettres, je les retranscris pour en garder une trace ici et je transmets l'original aux intéressés, avec l'aide de mes fidèles pigeons. C'est mon travail de les lire, au moins une fois, pour en rédiger une copie. À Hamelin, on aime garder une trace de notre passage, par l'écrit généralement.

Quand il eut fini sa phrase, il se tut, perdit son grand sourire. Son visage se voila de sérieux. Et dans cet air froid, il reprit.

— Et puis, je sais ce qu'il n'y a pas de quoi rire dans les lettres qui vous intéresse...

— Vous savez qu'il n'y a pas de quoi rire ? répéta Helmut. Oui, il n'y a rien de marrant ! Mais savez-vous combien de personnes innocentes souffrent par votre faute ? Combien d'êtres-d'en-haut sont morts ? Plus simple, savez-vous combien d'êtres-d'en-haut sont encore en vie à la mine ? Aucun !

Silence. L'Archiviste tourna le dos, camouflant la peine qui l'emportait sur ses traits habituellement joyeux. À côté d'une bougie nouvellement allumée, il se pencha sur un parchemin à retranscrire.

— Vous feriez mieux de partir avant qu'un garde ne vienne prendre de mes nouvelles, répondit-il simplement.

— De vos nouvelles ? s'enquit Jim. Comment ça, de vos nouvelles ? Vous avez envoyé un pigeon pour demander des renforts ?

Il n'eut pas de réponse. Mais en balayant la tour du regard, l'évidence frappa les jeunes hommes. Le peu de meuble, la décoration qui ne se limitait qu'à un étendard brodé du sceau royal, cette toge salie par l'encre, l'obscurité ambiante combattue par une frêle et unique bougie posée sur la table. Ça avait tout l'air d'une prison. Pourtant, la porte était ouverte... quoique défoncée.

Jim et Helmut s'échangèrent un regard, se demandant comment s'assurer le silence de cet homme. Finalement, en l'absence de solutions raisonnables, ils ne firent rien. De toute façon, après la pagaille mis à la mine, la reine devait être au courant de leur présence à Hamelin.

— Ne vous en faites pas. Personne ne saura rien de votre venue. Il me reste encore de ma douce folie, murmurait l'Archiviste pour lui-même, alors que ses visiteurs quittaient sa tour.

Devant le seuil de la porte, Jim se retourna vers ce mystérieux personnage, l'air songeur.

— Il me fait penser à Bloup, dit-il. Tous ses sourires... Même après qu'on lui ait tiré une flèche dans la jambe, et puis il l'a appelé Bloupi... Bloupist... Blou... Enfin, il a réussi à prononcer son nom en entier ! Même moi qui ai essayé pendant les deux semaines où j'ai travaillé à l'hôtel, je n'ai pas réussi...

L'Archiviste, de nouveau avalé par les ténèbres de sa tour, sourit à l'écoute de cette remarque. Qu'il ait pu être un exemple pour Bloup le rendait fier. Il avait doté ce colosse d'un sourire à toute épreuve, et le jeune homme qu'il avait été en avait eu grand besoin. Il avait fait de son mieux pour qu'il ne sombre pas complètement dans les méandres de la reine. 

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