35. Ténèbres (2/2)

Habillé d'une longue cape obscure et d'un chapeau tout aussi sombre, Jim arpentait les rues sans attirer le moindre regard – telle était la mode de Hamelin. Il arriva au puits, prit une petite ruelle, longea une avenue légèrement courbée. Caché par le large bord de son couvre-chef, il scrutait chaque recoin, rien ne lui échappait.

Rapidement, il déboucha sur une allée où un riverain avait la tête tournée vers un homme boiteux, habillé d'un long imperméable et d'un treillis. Jim accéléra le pas, tout en essayant de ne pas paraître suspect, jusqu'à la hauteur de Helmut, où il reprit une allure normale.

— Désolé pour tout à l'heure, mais c'est que...

Il s'arrêta net à la vue du visage baigné de larmes de son ami. L'échine courbée, les vêtements sales et le pas irrégulier, l'ancien prisonnier n'avait pas fière allure.

— Pas de problème. Je deviens un imbécile, je le sais. Mais c'est à cause de cet endroit. Je n'en peux plus...

— Il faut qu'on file se cacher ! L'ascenseur est bloqué et Bloup traine en ville.

— J'ai de plus en plus l'impression de ressembler à Jack, tu sais, monologuait Helmut. J'ai rencontré quelqu'un de bien à la mine.

— Ana ? tenta Jim.

— Non. Quelqu'un de vraiment bien. Peut-être un peu fou sur les bords, mais bien. Un médecin. Il disait que faire de bonnes choses autour de lui le rendait heureux, quitte à subir la méchanceté des autres.

— Possible, non ? Tu ne le pensais pas toi aussi ?

— Possible, oui. Mais largement excessif.

— Je pense qu'on sème ce que l'on récolte, répondit le Jim. S'il a fait le bien autour de lui, il a dû récolter le bien.

— Il s'est fait battre, presque à mort. Si je n'étais pas intervenu, il ne serait plus de ce monde. Enfin, s'il est encore vivant, ce qui m'étonnerait.

— Alors, quoi ? Tu vas juste faire le mal autour de toi ?

Helmut se tut. Il regarda tous ces bâtiments en pierre et en bois.

— Je suis convaincu qu'on ne peut pas être entièrement bon, ni mauvais, d'ailleurs, continuait Jim. Mais quand une situation où il est possible de faire le bien se présente, il faut la saisir. Moi, je suis bien plus limité que toi... ma peur... mon manque de courage diminuent ces occasions. Mais toi...

— Moi...

— Il n'y a pas de héro. Il n'y a que des actes héroïques, conclut Jim, l'air soudain songeur.

Les jeunes hommes se stoppèrent nets devant deux silhouettes qui sortaient d'une auberge. Un colosse avachi, soutenu par une femme couverte d'une cape noire, avançaient dans leur direction.

— C'est... c'est Bloup ? reconnut Jim.

Sans attendre la moindre confirmation, il attrapa Helmut, s'engouffra dans une ruelle et accéléra le pas.

— Qu'est-ce qui te prend de boire autant ? Il va vraiment falloir que tu m'expliques ce qui te tracasse, disait sèchement Mathilda, le regard plongé dans les yeux rougis de Bloup, alors qu'ils passaient devant la cachette des être-d'en-hauts.

Les jeunes hommes les suivirent du regard, avant de se faufiler dans la rue opposée.

— Jim, je veux m'assurer que l'ascenseur soit réellement bloqué ici, souffla Helmut après avoir vu ses poursuivants disparaître derrière le mur de pierre. On pourrait peut-être remonter... On nous ment peut-être !

— À quoi ça te servirait ? On s'occupera de ça après avoir sauvé Béatrice !

— Et si ça part en cacahuète ? Réfléchis ! Ce n'est pas notre monde ! De base, je voulais sauver Lina de l'autre malade... on ne peut pas dire que j'ai vraiment réussi, mais maintenant, je veux au moins m'assurer que rien ne lui arrive. Voilà ma manière de faire le bien autour de moi : protéger Lina. La sortir de la galère dans laquelle je l'ai mise. Alors, je veux un moyen de la faire partir d'ici avant que ça ne dégénère.

— Je veux bien, mais regarde autour de toi. Tes vêtements nous trahissent. La Vieille Dame nous aidera ! Bon, retourner chez elle maintenant serait trop risqué, il faut attendre la nuit... mais on devrait y retourner ce soir, au moins le temps de trouver une solution !

Helmut réfléchit, le regard rivé sur la terre poussiéreuse, qui empiétait petit à petit sur les pavés difformes et inégaux.

— Deal. Mais d'ici à la nuit, on a le temps de monter jusqu'à l'ascenseur, répondit-il.

— Et si les habitants préviennent Bloup ?

Helmut posa ses doigts sur le bois de l'arc qu'il tenait en bandoulière. Il était peu enjoué par cette solution, mais il força un sourire en coin.

— Je l'attends, lui et les gardes !

— On ne peut pas juste tuer tous ceux qu'on croise, soupira Jim, désespéré de ne pas réussir à raisonner son ami.

— Ceux qui nous veulent du mal.

— Arrête ! Regarde-toi, tu deviens... tu deviens...

Jim n'eut pas le courage de finir sa phrase, alors il en commença une autre.

— Et si tes parents te voyaient ?

Il y eut comme un déclic dans l'esprit de Helmut, comme si une porte s'ouvrait, qu'une nouvelle réflexion s'engouffrait dans sa tête pour y résonner lourdement :

« Et s'il me voyait ? »

Le visage du torturé se contracta en un rictus de colère. Il se jeta sur Jim, le plaquant lourdement contre un mur, le choc lui coupa la respiration.

— Et s'il me voyait ? grondait-il. Que penserait-il ? Que je ne suis plus qu'un animal... Ils me diraient d'être fort. De... de... de...

Sa voix criante s'était brisée. Sa main, qui s'était fermée en un poing rageur, se décrispa.

Les visages stupéfaits de deux passants arrêtés étaient tournés vers eux. Jim se releva précipitamment et épousseta son chapeau avant de le remettre. Il toussota pour s'assurer le bon fonctionnement de ses poumons et attrapa Helmut par le bras. Ce dernier le suivit dans le silence.

Si mes parents me voyaient... pensait-il encore. Est-ce qu'ils me voient ?

Il riva son regard vers le ciel nuageux.

Il faut que je sois fort, acheva-t-il.

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