32. Départ précipité (2/2)
Béatrice fit signe de reculer, s'armant de son arc. Vivement, elle décocha une flèche qui se figea dans un des patrouilleurs, alors qu'il se levait. Il ne rouvrirait plus jamais les yeux. Du coin de l'œil, elle mit un second ennemi dans sa ligne de mire. Mais au moment où elle faisait glisser une nouvelle flèche hors de son carquois, un carreau se figea dans son bras. L'arc tomba à terre et sa propriétaire laissa échapper un gémissement de douleur. Sous le regard satisfait de l'arbalétrier qui armait un nouveau trait, elle se reprit et dégaina son épée, les dents serrées. Helmut avait les yeux rivés au sol. Deux flèches... juste deux flèches, pensait-il. C'était tous ce dont il avait besoin.
Les deux patrouilleurs avançaient lentement, sûr d'eux. Ça semblait sans issue pour ces jeunes fuyards. Günther, le chef des patrouilleurs, fit un terrible sourire en posant ses doigts sur son épaule bandée, il comptait bien se venger de cette cicatrice.
Tout derrière, même dans l'ombre des murailles qu'étaient ses deux fiers et forts compagnons, Jim tirait une grimace de terreur. Il faisait barrage devant Lina, sa main levée en avant, tremblante, brandissait un poignard.
L'arbalétrier fit siffler un carreau qui se figea dans un arbre, à quelques centimètres de Jim. Le tireur éclata de rire devant le désarroi du jeune homme.
Profitant de la recharge du patrouilleur, Helmut s'élança sur l'arc au sol, sous le regard médusé de ses amis et ennemis. L'arme n'était qu'à une dizaine de mètres des patrouilleurs et sa jambe lui faisait souffrir le martyre, mais il atteignit son but, manquant de chuter au moment de revenir en arrière. Dans un juron, Günther bondit dans son dos, prêt à le fendre de son épée, mais il fut reçu par Béatrice qui utilisa sa lame pour dévier la taillade. Elle laissa choir son carquois au passage. L'imposante carrure de son chef, obligea l'arbalétrier à se déplacer latéralement. Mais à peine fût-il dans une bonne position pour tirer, qu'il dut éviter un poignard. Jim était à son tour gagné d'un grand sourire. Cette fois, se fut lui qui se laissa aller dans un rire franc.
Helmut, désormais armé, prit de la distance dans de grands pas.
Inspire.
Günther venait d'envoyer Béatrice au sol d'un coup de pied. Jim éloignait Lina. L'arbalétrier rechargeait encore son arme, il lui fallait de longues secondes.
Expire.
Une flèche fusa, elle frôla le buste de Günther, lui arrachant un filet de sang, mais aucun cri, ni sourcillement. Il leva simplement les yeux vers l'archer.
Un pas en arrière, puis deux à droite. La douleur à la jambe de Helmut était anesthésiée par une concentration infinie. La corde fut lâchée et avec elle, un projectile propulsé. Il se planta dans l'épaule du tireur ennemi. Comme dans du beurre, se félicita Helmut, content que les longues heures de chasse en forêt lui servent.
C'est ce que dirait Jack, pensa-t-il finalement. Alors, ses lèvres s'affaissèrent.
Deux nouveaux pas à droite. La tête de son ennemi en ligne de mire.
Inspire.
Les mots de l'infirmier lui revinrent : « Ne laisse pas cet endroit te changer ».
Il baissa légèrement sa main et envoya une flèche dans la seconde épaule de sa cible. L'arbalétrier s'effondra dans un hurlement.
Entendant des pas lourds, Helmut tourna la tête. Günther le chargeait. Jim lança un caillou sur l'assaillant, qui ralentit. Le temps gagné permit à l'archer de reculer et d'éviter de justesse un coup d'épée. Béatrice se releva et observa le jeune patrouilleur gémir au sol, son arbalète encore en main. Elle tourna son attention vers le dernier ennemi, Günther.
— Trois contre un, souffla-t-elle dans un sourire.
— Quatre ! ajouta Lina, qui, cachée derrière un arbre, envoyait des cailloux aussi loin qu'elle le pouvait (soit à moins d'un mètre à la ronde).
Alors que l'étau se resserrait autour de Günther, un hurlement paralysa les combattants. Jim vit les arbres se courber, dans des craquements fibreux. Il déglutit et jura. Son pire cauchemar approchait.
Attiré par la bataille, le mimique adulte pliait, littéralement, la forêt.
— Fuyez ! hurla Béatrice.
Sans une question, tous ceux encore debout se mirent à courir. Mais Helmut fit face à un contre-coup de sa blessure, qu'il avait magistralement oublié. Après une série de pas maladroits, il s'effondra. Tant bien que mal, il se releva et reprit une course lente et douloureuse. Il était loin derrière ses amis. Béatrice et Lina, en tête du groupe, couraient main dans la main. Jim les rattrapait. Transit de peur par l'apparition imminente de ce gigantesque monstre, il s'en était retrouvé paralysé, jusqu'à ce que le craquement boisé soit suffisamment proche pour le faire sortir de sa léthargie. À cet instant précis, il remerciait ses parents de l'avoir inscrit à l'athlétisme.
Günther lança un regard de regret à son frère d'arme mort, il devrait le laisser là, sans sépulture digne de ce nom. Après avoir tenté différentes positions pour soutenir l'arbalétrier blessé, dissuadé par ses cris de douleur, il avait fini par le porter à bout de bras. Il courait, haletait, ses sourcils broussailleux froncés, ses pupilles dilatées de haine devant la frêle silhouette de Jim. S'il n'avait pas eu ce jeune soldat entre les bras, il se serait amusé à faire tomber chacun de ses ennemis.
— Ne ralentissez pas ! hurlait Béatrice pour ses compagnons. Les mimiques ne quittent jamais la forêt ! Nous y sommes presque !
Jim ralentit pour aider Helmut, le monstre adulte était encore loin, il semblait peiner à avancer dans cette forêt. Mais quand il se retrouva au même niveau que Günther, ce dernier tenta de tendre la main, d'attraper ce large t-shirt, d'envoyer ce jeune être-d'en-haut au sol pour le donner en pâture. Mais déséquilibré par ce mouvement, c'est lui qui tomba dans un énième hurlement de rage.
Helmut passa devant ses deux patrouilleurs, Günther peinait à relever l'arbalétrier blessé ; il tourna la tête vers eux, hésita une seconde. Il ne stoppa pas sa course.
Bientôt, le haut du buste du mimique adulte s'éleva au-dessus des arbres brisés, immensité obscure devant un ciel auroral. Il dévoila, comme les autres monstres avant lui, une musculature sèche surmontée d'un petit visage où deux yeux jaunes étincelait au-dessus de longues canines acérées. Il était identique aux abominations juvéniles, mais son âge avancé lui avait permis de gagner une taille titanesque, soutenu au-dessus de grands troncs, son fin corps musculeux et avachi s'élevait sur au moins cinq mètres. Il était encore loin, mais le sol vibrait déjà sous ses pas.
La jambe de Helmut, meurtrie par la mine, n'en pouvait plus. Il tentait de continuer dans de douloureux cris d'abnégation. Il se poussait, s'acharnait à survivre, les dents serrées, les poings aussi. Mais finalement, il se résigna.
Ses compagnons s'arrêtèrent avec lui, Jim à ses côtés. Ils se tournèrent vers une mort certaine.
Le mimique passa au-dessus des patrouilleurs qui s'étaient écroulés au sol. D'une main ferme, l'abomination se saisit de l'arbalétrier qui hurlait encore en s'agrippant aux deux flèches figées dans chacune de ses épaules. Günther s'était jeté sur le côté, avait évité de justesse cette prise, il hurlait des mots rendus inaudibles par le passage du monstre.
Ce dernier continuait d'avancer. Rapidement, d'autres silhouettes plus petites apparurent, bondissant contre les arbres brisés.
Helmut arma une flèche, la tira. Inutile, elle ricocha sur l'épiderme d'acier de la créature.
— Il faut y aller ! hurlait en boucle Béatrice. Ça ne sert à ri...
Le son d'un long et puissant cor résonna. Il rivalisa avec le brouhaha de la marche du mimique. Le monstre ralentit petit à petit, jusqu'à s'arrêter, les plus jeunes l'imitèrent, certains regagnèrent la forêt, disparaissant dans son obscurité. Ils firent silence à l'écoute du son long et grave.
— Je croyais qu'ils n'avaient pas d'ouïe ? fit remarquer Jim.
Béatrice, trop obnubilée par la scène ne répondit pas. Quand elle reprit consistance, elle hurla :
— C'est le moment de filer !
Alors, le groupe en profita. Béatrice et Jim épaulèrent Helmut. Lina courait devant eux.
— Si peu de sang a attiré un monstre pareil ? demanda le blessé.
— On a pas pu mettre de gomme je te rappelle et puis ce qu'on a fait à la mine a dû les agiter.
— Et ce cor ? C'est quoi ? s'enquit à son tour Jim.
— Je te l'ai déjà dit, nos connaissances sont limitées ! déglutit Béatrice.
Pourtant, elle savait très bien qui était à l'origine de l'immobilisation du géant. Elle ne connaissait qu'un homme capable d'une chose pareille, mais elle devait avouer ne pas comprendre l'aide qu'il leur offrait.
*
Plus loin dans la forêt, là où l'obscurité gouvernait, sous un abri construit à même le tronc d'un immense arbre, Boris soufflait dans un gigantesque cor. Un cor qu'il avait lui-même taillé.
L'onde sonore qui en était sortie avait éteint les torches aux quatre coins de ce qui semblait être un campement. Le son avait attiré deux mimiques, qui observait le balafré. Un troisième, plus petit, se tenait à côté de l'ancien membre du groupe des ombres.
— Vit Lina... vit et sauve-nous. Toi, notre si précieux symbole ! souhaita Boris, après avoir repris son souffle.
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