30. La mine, le lac, la cabane
Jim attendait, camouflé par l'obscurité de la forêt et ses sous-bois, guettait la ronde des gardes, suivait la lueur de leurs torches quand ils s'éloignaient des tentes pour se rapprocher de la mine. Helmut y était rentré avec une jeune femme et des gardes. Les soldats étaient ressortis quelques minutes plus tard, et ce qui semblait être leur chef s'enivrait de joie.
Des fourrés frissonnèrent dans le dos de Jim. Béatrice était de retour.
— Tu es prêt ? demanda-t-elle, en se cachant aux côtés de son compagnon.
— Oui, mais Helmut vient d'entrer dans la mine, il n'en est pas encore ressorti.
— Bien... soupira Béatrice. Il faut qu'on l'ait en visuel pour lancer l'attaque.
Alors, ils attendirent dans un silence révélateur d'une tension oppressante. Après tout, cette mission était la première, mais pouvait tragiquement être la dernière pour Jim et elle était la plus importante pour Béatrice. Ça ne devait en aucun cas être un échec.
Pour faire taire leurs doutes, les jeunes gens s'activèrent. Béatrice sortit un flacon de sang putréfié, qu'elle utilisa comme anti-stress, en le faisant tourner entre ses doigts. Jim, les yeux braqués sur les gardes, se remémorait les signes distinctifs de Helmut : cheveux châtains mi-longs, mâchoire légèrement carrée, long imperméable, treillis et t-shirt blanc sans motif. Il fallait espérer qu'il portait les mêmes vêtements.
Béatrice jeta un regard à son compagnon, elle posa une main sur son épaule et prit une voix aussi douce et rassurante que possible.
— T'inquiète ! On va le trouver.
— Il est peut-être à l'infirmerie, hypothétisa Jim.
Béatrice hocha la tête. Ils attendirent, observant la faible activité de la clairière, observant les silhouettes avachies sous la seule tente encore allumée ; c'était l'infirmerie.
Jim eut une pensée fugace, il se dit que finalement, Helmut était peut-être mort. Oui... Il est mort... et c'est de ma faute.
— Dans quoi je l'ai fourré, souffla-t-il.
— Hé ! Ce n'est pas de ta faute.
Oh que si, pensait-il.
— Regarde ! murmura Béatrice.
Deux silhouettes sortaient de la mine, elles s'accroupissaient, à l'entrée de cette dernière. Jim fut certain de reconnaître son ami. Les yeux rivés sur Ana qui saisissait un garde et qui le traînait, il tapota nerveusement la jambe de Béatrice. Cette dernière ouvrit le flacon sang putréfié et l'appliqua sur ses flèches. Elle donna une seconde fiole à Jim qui, la main tremblante, le versa sur des pierres qu'il avait amassées.
— Prêt ?
— Prêt !
Béatrice décocha deux flèches, une se planta entre deux plaques d'armure d'un garde, l'autre ricocha et se figea au sol, au pied d'un second. Jim balança ses ridicules munitions, sans grand résultat.
Des cris s'élevèrent, un cor vibra, l'agitation gagna les soldats. La clairière se réveillait d'un coup, arme en main. Mais tout ce tumulte fut masqué par un hurlement monstrueux. Les mimiques se mêlaient à la pagaille !
Envahi par l'adrénaline, Jim avait un immense sourire aux lèvres. Il n'avait pas peur. Ni des gardes, ni des monstres de la forêt. Il était empli d'un courage nouveau. D'une fierté aussi, celle de se tenir là, sans crainte devant cet enfer. Il en oubliait qu'il était caché.
— Lance toutes tes pierres ! s'exclama Béatrice, debout. Vite, avant qu'ils n'arrivent ! Jette toutes les fioles, elles se briseront dans la clairière.
Alors, une pluie désordonnée de pierres ensanglantées s'abattit, suivie d'une averse de flèche. Quelques-uns des projectiles touchaient des gardes, leur ouvraient de légères plaies.
— Il faut qu'on reste en mouvement, conseilla Béatrice en s'écartant d'un pas vif sur la droite, en continuant de tirer.
Jim s'exécuta, se déplaçant sur sa gauche. À eux deux, ainsi cachés, ils donnaient l'impression d'être une armée. Mais bien vite, un des soldats remarqua une silhouette à l'orée de la forêt. Avant qu'il n'ait le temps d'avertir ses compagnons, une flèche se figea dans son cou. Il s'effondra.
Le bal des gardes n'avait plus aucun sens. Certains accouraient vers les tentes des prisonniers – qui avaient sorti leurs têtes, pour tenter de comprendre ce qui causait tant d'agitation – d'autres scrutaient les bois, constatant avec horreur que les hauts arbres tremblaient sous la course des mimiques, désormais à quelques sauts de ce repas géant. Rares étaient ceux qui essayaient encore de localiser les tireurs, les monstres qui arrivaient leur faisaient bien plus peur.
Jack hurla d'une voix puissante à ses hommes de se calmer, de se mettre en rang, de lever – pour ceux qui en avaient un – leurs boucliers. Il ordonna de se séparer en petits groupes, que chacun ratisse l'orée de la forêt. Il était le seul à avoir gardé son sang-froid, son calme était contagieux.
Mais alors que les hommes d'armes se mettaient en marche, les mimiques firent leur apparition. Au début, ce ne fut que des silhouettes s'élançant contre les arbres. Puis, avec une vivacité féline, ils se jetèrent sur les soldats souillés par le sang putréfié. Évidemment, les monstres ne s'en contentèrent pas, ils se mirent à attaquer les autres gardes, tout le monde. Plongeant la clairière dans un véritable chaos.
Béatrice et Jim, s'échangèrent un regard, rapidement ils se rejoignirent. Ils étaient ébahis, terrifiés par leur œuvre. Par ces cris, ce sang, ces monstres.
Bientôt, les torches renversées embrasèrent les tentes, des cadavres jonchèrent le sol, d'autres furent dévorés, les prisonniers accouraient, perdus, pourchassés, tués. Que faire ? Choisir la forêt, au risque de tomber sur un plus grand nombre de monstres, de mourir de faim et de froid ou rester et être, potentiellement, la prochaine cible ? Quelques malheureux choisir une troisième option, ils allèrent se réfugier dans les veines de la mine. Or, l'odeur particulièrement âcre y attira les mimiques, et une fois pris au piège à l'intérieur, il n'en ressortit que d'abominables cris de souffrance, et bien plus tard, des monstres rassasiés.
Jim dut se mettre une gifle. Reste concentré ! se dicta-t-il.
Il balaya du regard l'enfer sur terre.
Là ! Il voyait Helmut.
Le jeune homme, profitant du chaos accourait aussi vite qu'il le pouvait, avec sa jambe blessée, Ana dernière lui. Il ne jetait aucun regard vers les créatures, il fallait simplement courir – sa compagne le lui avait intimé, alors que les mimiques commençaient à s'abattre sur leurs tortionnaires. Mais un cri suffit à le détourner de ce simple objectif.
— Tu fais quoi là ? s'exclama Ana. T'arrête pas !
— Pars devant, je te rejoins !
Il eut un sourire triste, rendu tremblant par l'excitation. Sa main se crispa sur la pioche qu'il tenait encore.
— Je t'avais dit que je devais faire un détour, finit-il en changeant de direction.
Alors, il s'approcha d'une grande tente carrée, celle des hauts placés. Il la contourna et se retrouva face à un mimique mort et ensanglanté, une épée était plantée dans son front. Le monstre s'était écroulé sur l'homme qui avait accompli la prouesse de le tuer. Le visage baigné de larmes, il suppliait qu'on l'aide. C'était Jack.
— Je t'en prie... aide-moi... je suis désolé... je... je... je ferai de toi quelqu'un de riche... respecté... je parlerai de toi à la reine... je t'en prie ! Il faut... Il faut que tu m'aides...
La bouche de Helmut se figea en quelque chose de grand et d'effrayant, en une sorte de sourire. Il se détendit, ses épaules s'affaissèrent, un long et silencieux soupir lui échappa. La roue avait tourné, le méchant tortionnaire suppliait le prisonnier innocent qu'il avait torturé et humilié. Quelque chose de mauvais prit les commandes du vaisseau de souffrance, de haine et de tristesse qu'était devenu Helmut.
Il leva sa pioche.
Le visage du chef des gardes se tordit dans une moue d'incompréhension, qui se transforma rapidement en horreur. Ce n'est qu'alors que Helmut vit l'état dans lequel était Jack, le ventre à demi ouvert par les griffes acérées du monstre, fatale trace de la lutte qu'il avait livrée.
— Ici ! À... à moi ! tentait-t-il d'alerter, mais sa voix brisée par le poids du mimique ne portait plus.
Pourtant, un garde qui accourait dans leur direction pour fuir, répondit à l'appel. Il apparut, une épée à la main, le visage crispé en une grimace perdue entre terreur et colère. Mais une vive silhouette le happa.
Helmut ne tressaillit pas quand il sentit ses cheveux se soulever avec le passage express du mimique, à quelques centimètres de lui. Il leva plus haut la pioche. Il ne pensait plus, ne voyait plus, n'entendait plus. Tout son monde ne se limitait qu'à lui et Jack, qu'à lui et l'être ignoble qui l'avait poussé à devenir ce qu'il était devenu, qu'à lui et l'être ignoble qui l'avait poussé à faire ce qu'il allait faire.
Dans un hurlement, il abattit sa pioche.
Tout devint rouge.
Rouge de sang, rouge de haine, rouge de vengeance. Aveuglé par une irrépressible haine, mêlée à une envie de liberté, il frappa. Encore, encore et encore. Comme s'il frappait les chaînes qui l'entravaient. Comme s'il devait frapper pour vivre.
Il ressentait les coups que lui avait portés Jack, la douleur qui avait parcouru son corps et son esprit. Ces coups qui l'avaient brisé. Alors, il s'acharnait.
Voilà, son tortionnaire était mort. Helmut avait les dents serrées. Jim était arrivé à ses côtés, il retenait ses mains, déjà meurtrières.
— Il faut y aller ! dit-il, sans lâcher le poignet de son ami.
Des larmes coulaient sur le visage de Helmut. S'eut comme s'il s'éveillait d'un songe, il découvrit le corps qui n'avait plus rien d'un corps. Il était libre, mais il avait tué ; cette pensée lui retourna l'estomac. Son funeste but accompli, son corps lui hurla toute la douleur refoulée, il perdit l'équilibre.
— Là ! Il a tué le Lieutenant Jack ! L'être-d'en-haut s'échappe ! hurlait un garde, que les mimiques avaient hasardeusement épargné.
Mais dans le chaos environnant, personne ne l'entendit. Alors, il s'élança seul, lance brandit. Jim n'hésita pas une seconde, il passa le bras de Helmut autour de son cou et se dirigea aussi vite qu'il le put vers les bois. Le garde les rattrapait, du moins, jusqu'à ce qu'une flèche lui transperce la jambe. Béatrice avait déjà détourné le regard, elle veillait à ce qu'aucun autre soldat ne prenne leur poursuite.
Une fois arrivés sous les bois, elle aida son compagnon à déplacer le blessé.
— Ok ! Tout se passe comme prévu, s'exclama-t-elle dans un grand sourire, qui s'effaça à la vue du sang dont était maculé Helmut.
Elle gagna les arbres en quelques bonds.
— Amène-le au lac ! Et dépêche-toi ! Dans son état, c'est un attrape-mimique !
Du haut de sa branche, elle s'équipa de son arc et fit signe à Jim de se remettre en marche.
— Là ! Je les vois... commença un garde.
L'archère ne lui laissa pas finir sa phrase. Mais six soldats accouraient déjà derrière les fuyards. Et en prime, un hurlement de mimique déchira la forêt.
Jim et Helmut s'étaient déjà éloignés, à la poursuite des encoches que le jeune homme avait, plus tôt, taillées sur les arbres.
— Ce que je suis content de te revoir ! s'émerveillait Jim.
— Moi aussi, lui répondit Helmut d'une voix affaiblie par la fatigue et la douleur qui lui étaient d'un coup tombées dessus. Dis-moi, est-ce qu'il y a une jeune femme qui nous suit ?
— Oui, c'est Béatrice. Elle est sur... les arbres.
— Mais est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre ? Ana...
Jim le regarda avec confusion. Mis à part les gardes et l'archère, personne d'autre ne les suivaient.
Béatrice reprit sa course en direction du lac en suivant du regard la course boiteuse des deux jeunes hommes. Elle avait suffisamment retardé et diminué le groupe de garde pour qu'ils ne représentent plus le moindre danger. Désormais, tous ses sens étaient tournés vers la potentielle arrivée d'un mimique. Normalement, ils devraient être suffisamment occupés à la mine, se disait-elle pour se rassurer.
Mais du haut de ses branchages, elle en vit un, humant l'air avant de se remettre à bondir contre les troncs d'arbres, dans la direction du lac. Béatrice jura. Elle arma une flèche. Seule face à un monstre pareil, ça pourrait lui être fatal.
Elle inspira profondément. Et alors qu'elle allait lâcher sa flèche, le mimique s'effondra, remuant un nuage de poussière. Quelqu'un s'approcha de ce dernier, une lanterne similaire à celle de la jeune femme accrochée à sa ceinture. Le monstre n'était pas mort, il remuait encore au sol, des flèches s'étaient figées dans ses grandes et fines pattes. Béatrice ne s'arrêta pas.
Arrivés au lac sains et saufs, Jim avait un grand sourire sur le visage, il était fier de lui. Un sauvetage et une course d'orientation réussis ! Pendant que Helmut rentrait timidement dans l'eau, son compagnon avait les yeux rivés vers les bois. L'ennemi pouvait arriver de n'importe où dans cette clairière. La torche et le poignard de Béatrice tremblaient entre ses mains.
— Pas malin les encoches sur les arbres, fit une voix dans le dos du jeune homme.
Un garde, habillé d'une chemise rentrée dans un pantalon noir faisait des moulinets avec une épée, de son autre main.
— Alors Jack avait raison. Tu cachais bel et bien que tes copains, être-d'en-haut !
Helmut s'humectait de gomme, sans lâcher cet homme des yeux. Il n'avait même plus la force de marcher, alors que le garde s'approchait lentement.
— Il paraît que tu l'as tué, continuait-il. Toi, tuer notre Jack... J'ai un peu de mal à y croire...
C'est alors que Jim eut une idée, qu'il considéra comme du génie. Il éteignit sa lampe torche.
— D'abord les encoches sur les arbres ensuite ça. T'es définitivement pas malin, toi. On est dans une clairière. Le ciel...
Jim lança son couteau dans un hurlement. La lame se planta dans le sol, quelques mètres devant son adversaire. Il n'avait jamais essayé le lancer de quoi que ce soit de tranchant, et il le regrettait amèrement.
Alors, il recula lentement dans un juron, sous le rire gras de son adversaire. Helmut était à cinq mètres et la cabane était à quelques minutes. Il pouvait peut-être l'atteindre... Et puis quoi ? Je m'enferme à double tour, jusqu'à ce que Béatrice arrive ? Il n'y a même pas de serrure...
Sans attendre qu'il ne trouve une solution, le garde s'élança. Jim leva sa lampe torche sans grande conviction, ça lui parut être la fin de son aventure. Mais Béatrice décocha une flèche, qui stoppa net le soldat.
— C'est pire que des cafards ces trucs là ! hurla le soldat.
Jim avait rejoint Helmut, il l'aida à se relever.
— Il a pris sa douche et il est gommé ? demanda Béatrice. Alors allez-y avant que des mimiques rappliquent !
— Et tu crois qu'ils vont aller où comme ça ? cracha le soldat.
La jeune femme lui offrit pour seule réponse le sifflement métallique de sa lame quittant son fourreau. Inutile de gaspiller plus de flèches.
Le soldat ricana, visiblement peu convaincu par les talents de celle qui se tenait face à lui. Mais avant même qu'il ne puisse se calmer, Béatrice était déjà sous sa moustache, la lame prête à frapper, prête à tuer.
Jim et Helmut était déjà loin. Le visage de l'ancien prisonnier était illuminé d'un sourire sincère, comme il n'en avait plus eu depuis longtemps.
Assis sur une branche, Boris les observait dans un sourire. Sa lèvre supérieure était ensanglantée, nouvelle trace d'un affrontement avec les mimiques. Bientôt, une énième cicatrice marquerait son visage.
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