25. Mimiques et patrouilleurs (2/2)

— D'ici, tu saurais retrouver la cabane ? chuchota Béatrice.

Jim secoua la tête.

— Alors sors le couteau que je t'ai donné.

Il s'exécuta. Dans une main, il brandissait la lampe torche éteinte et de l'autre, le poignard. Ils suivirent du regard un patrouilleur qui se rapprochait d'eux, le regard rivé sur le sol, là où son flambeau chassait l'obscurité. Il ne tarderait pas à remarquer leur empreinte. Béatrice arma son arc, tendit la corde et au moment où le soldat fut suffisamment éloigné du reste du groupe pour ne pas être vu – c'était aussi à ce moment qu'il repéra les traces de pas – elle décocha sa flèche. Le patrouilleur s'effondra dans des buissons, ce qui masqua le son de la chute.

Jim remarqua que lorsqu'elle avait tiré sa corde, une grimace avait crispé le visage de Béatrice. Elle souffrait de la blessure que lui avait causé le mimique, mais elle ne s'arrêta pas pour autant.

Elle fit signe à Jim de ne plus bouger, de rester cachée derrière l'arbre où il se trouvait. Elle tourna autour de la clairière, jusqu'à être face à une nouvelle cible, invisible dans les ténèbres des bois. Une nouvelle flèche siffla, un nouveau corps tomba. Ils n'étaient plus que trois patrouilleurs.

— Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Günther, qui scrutait les feuillages, attentif au moindre de signe de l'arrivée des mimiques.

Deux voix s'élevèrent à la négative. Béatrice retint son souffle. Avait-il pu compter le nombre de réponses ? Visiblement non, il n'avait pas bougé, son expression était la même.

La jeune femme se remit en marche, silencieuse. Elle se plaça devant une nouvelle cible, la tint en joue. Mais elle eut une intuition, elle tourna la tête vers la clairière.

Disparue.

Günther n'était plus là. Elle chercha du regard Jim.

Introuvable dans l'obscurité.

Dans un juron, elle retourna à sa cible, retint son souffle, mais au moment où elle lâcha sa flèche, son avant-bras blessé par le mimique, frotté par la corde de l'arc, la brûla. Elle bougea légèrement, ce qui dévia la trajectoire. La cible hurla quand le trait pénétra son épaule.

— Misère, souffla Béatrice.

Elle chercha un nouveau projectile dans son carquois, mais elle ne compta plus qu'une dernière flèche, les autres avait dû tomber dans la clairière quand elle avait traîné Jim pour se cacher des patrouilleurs. Alors, elle recula rapidement. Elle aurait pu supprimer son adversaire au corps-à-corps, mais elle prendrait le risque de marquer son épée d'une odeur sanguine, délice des mimiques.

Béatrice fit machine arrière, murmurant le nom de Jim. Pas de réponse. Mais une silhouette se profila. Un homme, bien trop grand, bien trop large. La capuche baissée sur son front, la torche relevée faisant briller un hirsute bouc blond. Béatrice n'eut pas le temps de ralentir, elle le heurta.

Le commandant des patrouilleurs l'attrapa par ses courts cheveux, la fit décoller de terre. Il la regarda attentivement : son visage, ses vêtements, son arc.

— Où sont les être-d'en-hauts, traîtresse de la couronne ?

Pas de réponse, mais un crachat. Günther resta stoïque, il la souleva plus haut encore. Béatrice crut que son cuir chevelu allait s'arracher de sa tête. Ses gémissements de douleurs étaient couverts par les hurlements que poussait le patrouilleur touché à l'épaule.

— Où ? répéta l'homme.

— Ici, répondit Béatrice d'une voix happée par la douleur.

Il regarda derrière lui, mais n'y vit personne. Quand il replanta son regard dans celui de la jeune femme, elle semblait amusée. Le patrouilleur la jeta au sol, où elle rebondit jusqu'à se cogner contre un arbre. Sa vision fut troublée par l'apparition d'étoiles, mais elle vit une silhouette s'approcher en courant, poignard en main. Elle ricana. Jim avait fière allure.

— Par ordre de la couronne de la nouvelle Hamelin, si tu ne me dis pas où se trouvent les être-d' en-hauts, je te...

— Couronne, mon cul ! s'exclama Jim en sautant sur Günther.

Il lui planta son poignard dans le trapèze. Il se tenait comme il le pouvait sur cet amas de muscle agité. On aurait dit un numéro de rodéo.

— Vise la carotide ! hurlait Béatrice.

Mais Jim ne put retirer la lame pour la replanter, elle était bloquée. Et de toute façon, rien qu'à l'idée de sortir le poignard le long de fibres musculeuses et de se retrouver devant un jet de sang lui donna envie de vomir.

— La carotide, je te dis ! continuait de crier Béatrice.

Günther balayait l'air de ses mains, alors qu'il essayait d'attraper Jim. Dans un large mouvement, il réussit à l'envoyer au sol.

— Je t'avais dit de viser la carotide !

Alerté par les cris, le dernier patrouilleur apte au combat, qui aidait son frère d'arme blessé à l'épaule à soulager ses douleurs, accouru près de son chef. Celui qui avait pris le trait dans l'épaule avait arrêté de beugler, désormais il titubait et se tenait le dos penché, ses deux mains autour de sa blessure.

— Toi, hurla Günther. Tu viens d'en haut.

— Non. Je vois pas de quoi vous parlez, menti Jim, en détournant le regard.

Il reçut un coup de pied dans les côtes. Bien-sûr, ses vêtements le trahissaient.

— Où sont les autres ? Vous êtes trois normalement !

— Les mimiques les ont mangés, intervint Béatrice, d'un ton faussement attristé.

D'abord, il eut un léger bruissement de feuilles que Jim fût le seul à entendre.

— Nous avons réussi à tuer l'un de nos assaillants, il est dans la clairière. Mais d'autres mimiques sont partis avec les cadavres des être-d'en-hauts, continuait Béatrice.

Puis, il y eut un craquement de branches qui fit tourner quelques têtes, mais n'apercevant rien, l'interrogatoire reprit. Jim était le seul à scruter les environs.

— Pourquoi étais-tu dans cette forêt ? demanda Günther.

Enfin, une lumière jaune apparue entre quelques feuillages.

Dans un bond, Jim se leva et prit Béatrice par la main. Les patrouilleurs ne bougèrent pas, le commandant fit un signe de main à son soldat qui agita une corde attachée à deux pierres au-dessus de sa tête. Il allait immobiliser les fuyards. Mais une gigantesque ombre emporta son frère d'arme qui avait une flèche plantée dans son épaule.

Il ne fallut qu'une seconde à Günther pour comprendre que les mimiques étaient là. Il regarda le poignard encore planté dans son trapèze, le sang qui se répandait autour. Il serra la mâchoire et s'éloigna dans la direction opposée des jeunes gens, entraînant avec lui son dernier compagnon.

*

— Tu transpires ?

— Et pas qu'un peu ! répondit Jim en allumant sa lampe torche.

— Il faut que tu remettes de la gomme alors ! On va au lac, mais il faut faire un détour par le nid des mimiques, comme ça les patrouilleurs confondront nos empreintes avec celles faites par les monstres ! expliqua Béatrice. Les mimiques seront plus attirés par l'odeur de sang que de transpiration. Ça nous laisse un peu de temps.

En l'espace d'une vingtaine de minutes, ils arrivèrent au nid, contournèrent la clairière et marchèrent jusqu'au lac avec un itinéraire optimal. Ils se nettoyèrent brièvement avant de mettre de la gomme. Jim commençait à s'habituer à sentir cette odeur mentholée.

— Comment tu connais si bien ces bois ? demanda-t-il.

— Je suis une ombre, Jim, c'est normal. Pour intégrer la bande, il faut passer une épreuve : survivre dans ces bois. Et on doit être capable d'aller, en partant de n'importe où, au lac, à la cabane, au nid et à la mine.

— La bande ? Sérieux ? C'est une bande qui est le principal opposant à la reine ? Vous êtes combien ? s'exclama Jim dans un éclat de rire, entre amusement et étonnement.

Béatrice se renfrogna.

— C'est déjà mieux que rien ! Sans nous, tu serais mort dans la forêt ou enfermé dans la mine pour le restant de tes jours.

La jeune femme tourna le dos et se remit en route.

— Désolé, s'excusa précipitamment Jim. C'était pas méchant. Je voulais juste...

— C'est bon, répondit-elle sèchement.

Ils marchèrent jusqu'à la cabane dans un silence de plomb. Béatrice marchait vite, sans se retourner. Jim n'osait plus prononcer le moindre mot. Devant l'entrée, le fin faisceau de lumière filtré par la canopée, seul témoin de l'avancée du jour dans ses bois obscurs, était de couleur mauve. La nuit était tombée.

Ils étaient à Hamelin depuis cinq nuits et quatre jours.

Quatre jours... pensa Jim. On arrive bientôt, Helmut !

À peine furent-ils rentrés, que Béatrice donna les ordres. Elle et Jim monteraient la garde tour à tour, au cas où les patrouilleurs venaient à les retrouver. Lina demanda à sortir, commença à hausser le ton, mais s'arrêta rapidement devant l'air plus énervé que jamais de la jeune femme. Elle se tut et bouda.

— Demain soir, Jim et moi irons chercher Helmut, décréta Béatrice.

La sixième nuit, compta ce dernier.

Lina s'agita, demandant à les y accompagner, mais un nouveau froncement de sourcils de celle qui avait pris les rênes de ce groupe, la fit taire.

*

La soirée passa lentement, les tours de garde se firent sur une chaise, devant la porte. Jim sursautait lorsqu'il entendait un hululement, un hurlement de loup ou lorsque des bruits de course faisaient craquer les feuilles mortes amoncelées tout autour de la cabane – ce n'était jamais plus que la fuite de proies. Plus d'une fois, il ouvrit très légèrement la porte pour y glisser un œil ; il n'y vit jamais rien. La vie sylvestre ne se montre qu'à ceux suffisamment patient pour l'attendre, pas à ceux qui tentent de la surprendre.

Je suis désolé pour toute cette attente, Helmut, pensa-t-il. Tiens bon. J'arrive !

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