20. Tout a toujours un prix (2/2)

La grotte était plongée dans une obscurité quasi-totale où seules quelques lanternes, posées tous les vingt mètres, éclairaient deux larges murs rocheux. À droite, une rangée de prisonnier brisait des roches, alors qu'à gauche, ils évacuaient les minerais. Parfois, Helmut croisa des gardes qui le bousculaient, lui ou les autres mineurs. Une dispute éclata un peu plus loin, entre deux prisonniers, qui s'envenima jusqu'à ce que des coups de pioches fusent. Les gardes intervinrent rapidement. Châtiant par le manche de leurs lances, ils calmèrent les querelleurs et les firent sortir sans le moindre ménagement.

Un véritable chaos régnait ici. Pourtant, tous les regards étaient braqués sur Helmut. Peut-être était-ce parce qu'il était le plus jeune ou bien était-ce à cause de ses vêtements. En tout cas, une chose était sûre, à la vue de l'indifférence des réactions, ce genre de conflit était monnaie courante.

Après quelques minutes de marche dans ces couloirs humides, d'où émanaient des effluves de sueur mêlées à des senteurs dont il était préférable de ne pas connaître la source, Helmut fut arrêté par les gardes. Ils lui indiquèrent un trou dans la rangée de mineurs, où le mur était presque intact. Alors, il prit cette place, les deux soldats firent demi-tour et prirent le chemin de la sortie.

D'abord, Helmut regarda autour de lui, il ne vit que des prisonniers aux apparences déplorables travaillant sous le son régulier du ricochet des pioches contre les veines dures. Souvent, des gardes remontaient et descendaient les files de travailleurs.

Helmut commença à frapper la roche. À chaque tape portée, il sentait le choc se répandre jusqu'à ses coudes, faire trembler ses os, pour finalement se répercuter sur chacune de ses blessures. Dans son état, il fut obligé de faire des pauses. À chaque fois qu'il s'arrêtait, faute de force et d'oxygène, un garde venait le menacer par l'acier de sa lance ou de son épée. Dès lors qu'il sentait la dureté et la fraîcheur d'une arme, Helmut craignait que ce ne soit Jack, qui profite de l'obscurité pour le poignarder dans le dos. A-t-il besoin de se cacher pour me tuer ? se demandait-il alors que la réponse lui était évidente.

Plus d'une fois, à bout de force, Helmut se sentit partir, s'évanouir, en frappant le mur rocheux sans vraiment de résultat, il lui semblait que la paroi était toujours aussi intacte qu'à son arrivée. Il se demanda s'il allait mourir ici. Les premières fois, il en eut peur, mais après des heures passées, il s'étonna à se souhaiter cette délivrance.

Dans le bruit constant de l'éclat des pioches, il n'entendait aucune voix. Pendant qu'il soufflait, en faisant mine de gratter la roche pour duper les gardes qui passaient, il tenta d'entamer une discussion avec son voisin de droite.

— Comment tu t'es retrouvé ici ? demanda-t-il simplement, l'esprit trop embrumé pour toute forme de politesse.

La femme à qui il s'adressait avait le dos voûté, les yeux ensevelis dans de profonds cernes. Il était impossible de savoir si elle avait trente ou soixante ans. Sans lâcher des yeux la roche qui commençait à se fragiliser sous ses coups faibles mais intelligemment portés, elle lui répondit :

— Je ne sais plus trop. Je suis là depuis un sacré moment. Trop longtemps. Mais je ne viens pas d'ici.

Elle se tut alors qu'un garde passait. Elle reprit quand il fut éloigné.

— Mais je ne viens pas d'ici. Je viens d'en haut.

Lorsqu'elle fit remarquer sa provenance, un sourire crispé tordit son visage.

— Et vous ? demanda Helmut à son voisin de gauche, en recommençant à frapper la pierre.

C'était un nain, à lui il était facile de donner un âge. Une quarantaine d'années devait être nécessaire pour faire pousser une telle barbe. Il cracha avant de répondre.

— Je ne suis là que depuis trois jours. Je viens d'ici, moi. J'ai commis un crime.

— Stop ! gronda un garde. Vous n'êtes pas là pour parler !

Quand il fut passé, Helmut demanda :

— Pourquoi on travaille ? On est payés ?

Cette idée fit ricaner la voisine de droite.

— Payé ? Jamais ! Nous sommes des esclaves pour eux !

Cette idée le fit frissonner. Il en avait bien sûr conscience, mais l'entendre eut l'effet d'un coup de marteau.

— On travaille ici, parce qu'on est obligé, continua le nain. Soit pour purger une peine, soit parce qu'on est comme l'autre à côté de toi.

— La plupart des habitants d'ici ne nous aime pas, expliqua la femme à l'âge interminable, qui lâcha pour la première fois son travail des yeux. Tu viens d'en haut toi aussi, je me trompe ?

Helmut se contenta de hocher la tête. Le nain le regarda de haut en bas, avec si peu de lumière il n'avait pas fait attention à ses vêtements.

— Je ne sais pas ce que la reine leur a mis dans la tête, mais ils nous détestent, expliqua la voisine de gauche.

— Vous êtes des êtres impurs, cupides, perfides, violents, mauvais, tonna faiblement le nain, sous le bruit sourd de la roche qu'il frappait.

Helmut fut surpris par cet enchaînement de termes, surtout en considérant où ils se trouvaient et qui étaient leurs tortionnaires.

— Pourtant, ce n'est pas nous qui vous faisons travailler comme des esclaves.

Un garde passa, faisant tomber un silence qui régna pendant plusieurs heures.

Helmut fit enfin tomber un bout de roche.

*

Quand Helmut sortit, en file indienne derrière les autres mineurs, il fut frappé par une évidence. Les employés de Bloup, leur étrange besogne le soir tombé, lorsque leur service prend fin. Taper un mur, ramasser un « quelque chose » imaginaire, le transporter comme dans une fourmilière. C'étaient aussi des mineurs ! Il eut un sourire. On avait raison Jim, les réponses sont ici. Son expression joviale disparut à la vue de l'état des prisonniers, plus proche de la mort que de la vie. Où es-tu ? demanda-t-il comme si son ami pouvait lui répondre.

Le ciel commençait à se voiler de nuage sur un firmament de plus en plus sombre, la nuit tombait, cette journée lui avait paru interminable. Il ne tiendrait pas longtemps ici. Il suivit la femme qui avait été sa voisine dans la mine. Ils allèrent s'asseoir dans la pelouse, en retrait du reste du groupe, après avoir récupéré un bol rempli à moitié d'une chose flasque. Peut-être de la viande, un légume ou un féculent, hypothétisa Helmut.

— Mange. Ce n'est ni appétissant, ni bon. Mais il est important de prendre des forces. D'ailleurs, je m'appelle Francine.

— Moi c'est Helmut, lui répondit-t-il en mâchouillant dans une grimace, un minuscule bout de nourriture.

Ça avait un goût âcre, mais après une si dure journée, il le mangea sans se faire prier.

— Si je peux te donner un conseil, fit Francine en entamant son maigre repas. Tu ferais mieux de te faire tout petit et de rester en retrait. Ici, les gens ne nous aiment pas. Et puis, la plupart sont des criminels, ils sont ici en prison. Cet endroit les rend encore plus mauvais et dangereux.

— Enfermé... songea Helmut. Nous ne sommes pas vraiment enfermés. Nous n'avons pas de chaînes et ne dormons pas dans des cellules gardées sous clef.

Francine ricana. Des hurlements s'élevèrent dans la clairière, des coups plurent sur un mineur. Elle reprit comme si de rien n'était.

— Cette maudite forêt nous entoure, c'est bien pire ! Des choses y rôdent. Les gens qui viennent d'ici... de ce monde, le savent, mais les être-d'en-hauts, comme ils nous appellent, ne sont pas au courant. Celui avec qui je suis arrivé ici a essayé de s'enfuir une nuit... Les gardes ont ri en le voyant courir, sans arme, ni armure. Ils ont ramené son corps quelques jours plus tard pour me montrer que je ne devais pas faire comme lui... Il était en sang... les os brisés...

— J'y étais dans la forêt, il n'y avait rien.

— Tu as sûrement eu de la chance alors, ou tu ne t'es peut-être pas aventuré suffisamment longtemps. Il y a des êtres immondes et mangeurs d'Hommes. Les mimiques.

Helmut pensa à Jim et Lina, encore sous les bois. Peut-être étaient-ils devenus la proie de ces monstres. Peut-être que s'il n'avait pas retrouvé Lina c'était parce qu'elle avait dévoré. Et dans ce cas, qui viendrait le sauver ? Il se dépêcha de changer de sujet.

— Nous sommes les seuls à venir de la surface, ici ? J'ai entendu dire que tous les six mois, ceux piégés par Bloup, étaient envoyés ici.

— Bloup, ce grand guignol... Ne prononce pas ce nom... prénom... je ne sais pas si c'est l'un ou l'autre, mais peu importe, ça me donne de l'urticaire !

Elle passa la clairière sous le crible de son regard, avant de reprendre.

— Je le suis la seule à avoir survécu, je crois. Comme je te l'ai dit, notre présence n'est pas bien vue, alors nous sommes la cible des gardes et des mineurs. Je suis là depuis un moment, parce que j'ai su... gagner les faveurs de Jack.

La main moite qu'elle passa sur sa cuisse, la grimace qu'elle tira et le regard qu'elle tourna vers la tente du chef des gardes, donna les éléments de compréhension dont avait besoin Helmut. Il ne dit rien à ce sujet, voyant bien l'embarras que ça faisait planer.

— Parle-moi du monde d'en haut. Ça fait si longtemps que je ne l'ai pas vue, souffla nostalgiquement Francine.

— Combien de temps ?

-Vingt, trente ans... Peut-être un an. Je n'en ai aucune idée, le temps passe lentement ici.

Helmut raconta tout ce qui lui passa par la tête sur le monde d'en haut, son monde. Celui qu'il avait tant voulu fuir. Il contait le sourire aux lèvres, quittant cet enfer le temps de quelques phrases. Il raconta la naissance du téléphone portable, de la télévision, d'internet, des voitures, des services de livraison, d'une épidémie, des problèmes écologiques, de films. Francine ria d'étonnement à quelques-unes de ces avancées, pour les autres, elle parut vexée que Helmut les lui évoque, se demandant l'âge qu'il lui donnait. Cet âge qu'elle avait arrêté de compter, oublié, comme une grande partie de son ancienne vie.

Derrière les rondes que formaient les mineurs autour d'un feu de camp, Helmut aperçut Jack, le visage à l'air. Il lui souriait, ses dents étonnamment blanches perçaient la pénombre qui l'enveloppait. Le jeune homme baissa la tête, perdit sa jovialité. Un frisson le parcourut.

— Allez dormir ! ordonna un garde. Quand le soleil sera levé, vous retournerez travailler !

— Dans deux heures... soupira Francine, alors qu'elle aidait Helmut à se relever.

Bientôt, tous les mineurs prirent place dans les différentes tentes disposées dans la clairière, quatre gardes se postèrent aux quatre coins de chacune. Et alors que Helmut s'apprêta à pénétrer dans l'infirmerie, la voix grave de Jack le retint.

— Reste là !

Il fit signe à Helmut de s'approcher, quand il fut à quelques mètres, il reprit plus bas.

— Elle est bien gentille Francine, n'est-ce-pas ?

Silence.

— Réponds.

-Oui, murmura Helmut entre peur et colère.

— Où sont les être-d'en-hauts qui sont venus avec toi ?

— Je vous l'ai dit, je n'en ai aucune idée.

— D'accord, répondit Jack, sans paraître le moins du monde embêté par ce mutisme.

Et alors que Helmut tournait le dos, il reprit :

— Tu viens d'arriver. Tu as déjà dormi à l'infirmerie, on va aller tous les deux dans la mine. Il y a encore du travail. 

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