18. Lanternes (2/2)
— Nous aider ! s'exclama Jim. T'attendais là après m'avoir poussé dans une fosse remplie de cadavres ! C'est comme ça que tu nous aides ?
Lina leva de grands yeux incrédules, elle se demandait si deux amis se parlaient toujours comme ça.
— Je t'ai sauvé la vie, répondit sèchement Béatrice. Tu es plein de sang, ton odeur va attirer les mimiques ici. Va...
— Ça, c'est pas mon problème. S'ils reviennent, je te pousserai pour qu'il t'attrape !
— T'es un grand malade ! C'est pas un jeu ! S'ils te sentent, on est tous morts !
À la vue du sérieux de la jeune femme, Jim se raidit.
— Je me suis nettoyé dans un étang. Je ne sens plus trop le cadavre... Je crois. J'ai de la r'ssource, t'inquiète !
Lina ne sentait plus Jim la tirer en arrière. Elle le fixait, totalement perdue.
— Pas tant de ressources que ça, étant donné que tu as mis plusieurs heures à nous rejoind...
Béatrice s'arrêta net et se mit à regarder sa besace, mal à l'aise. Les relations humaines n'étaient pas vraiment son fort ; même en se sachant coupable, elle préfèrerait envoyer des pics plutôt que s'excuser. Mais pour une fois, étant donné l'enjeu, elle prit sur elle.
— Désolé pour tout à l'heure, articula-t-elle difficilement. Si je t'ai poussé dans la fosse, c'était pour que tu sois dissimulé par l'odeur des cadavres.
Jim eut un mouvement de recul qui entraîna Lina.
— À d'autres ! T'as voulu me tuer !
Béatrice soupira et le silence s'installa sur la cabane. Jim posa un regard sur la fillette qu'il tenait. Il sourit à la vue de son air perdu et se mit à sa hauteur.
— Je me suis fait du souci, tu sais ?
— Pauvre gamine, soupira la jeune femme. Et tu crois que je vais te laisser repartir seul avec elle ? Comment t'as pu la perdre dans un endroit inconnu et dangereux ?
Jim ne releva pas, et ne détourna pas son sourire de l'enfant.
— Elle m'a kidnappé... souffla Lina. Elle est pas gentille ta copine.
Béatrice plaqua ses mains sur sa tête dans un long grognement.
— Kidna... commença Jim. Non, mais ça ne va pas !
Il se tourna vers Lina, puis vers Béatrice, de nouveau vers Lina, de nouveau vers Béatrice.
— Tu as des informations... Tu fais partie du groupe des ombres ? J'ai vue clair dans ton jeu... Tu veux nous assassiner ! affirma-t-il.
La fillette ne bougea pas d'un centimètre, ne trembla pas, elle resta stoïque. Dans un rictus d'exaspération, Béatrice se leva et plongea ses yeux dans ceux de Jim.
— Primo, la gamine, je l'ai sauvé. T'as qu'à regarder le bandeau qu'elle a sur le front, monsieur le grand génie ! Secundo, si j'étais un assassin, je t'aurais poignardé plutôt que te pousser et j'aurais fait de même avec la petite, plutôt que de l'emmener ici.
Jim prit un certain temps pour assimiler et se rendre compte de la véracité des arguments, avant d'essayer d'y trouver une parade.
— Oui, mais si tu m'avais tué, alors les monstres t'aurais...
— Entre la gamine qui essaie de me mettre des coups de pied et toi qui m'accuses sans preuve... Vous commencez sérieusement à m'énerver ! s'écria Béatrice.
— Ne crie pas si fort, tu vas attirer les mimiques, grimaça Jim.
— Depuis tout à l'heure vous criez comme des malades, et maintenant ça te dérange ? Asseyez-vous à table. Dépêchez-vous !
Jim et Lina restèrent immobiles.
— Bon, reprit la jeune femme en s'efforçant de retrouver son calme. Nous ne sommes pas partis sur de bonnes bases Jim, je suis d'accord. Mais tu conviendras qu'ici, Lina est à l'abri et que tu as survécu. Si j'avais voulu vous tuer, je vous aurais laissé dans la forêt.
Jim hochait lentement la tête. Ça se tenait. Il posa son regard sur Lina.
— Elle t'a fait du mal ?
— Elle a mis de l'eau sur ma blessure et ça a piqué...
Jim releva les yeux. Il arqua un sourcil face à la moue désespérée de Béatrice. Elle ne semblait pas leur vouloir du mal et puis elle aurait pu lui tirer une flèche depuis le temps qu'il se tenait là, hébété à l'entrée de la cabane. Non, elle ne leur voulait pas de mal. Mais il ne put s'empêcher de penser à l'hôtel.
— J'ai entendu parler du piège de Bloup, qu'il attire des gens seuls pour les envoyer ici à la mine, déclara Béatrice, en s'approchant du feu. Je le déteste.
Jim fit un pas en avant, soudainement intéressé.
— Il est l'allié de ta reine, non ?
— Si je pouvais les tuer tous les deux...
Elle jeta une bûche dans les flammes qui dégagèrent de nombreuses étincelles.
— Oui... reprit-elle. Un jour, ma lame leur tranchera la gorge à ces deux enflures !
Lina s'approcha de Jim. Ce dernier était maintenant complètement rentré dans la cabane. Il laissa tomber le sac de Helmut pour le pousser contre un mur.
— Et tu penses quoi de nous... des être-d'en-hauts ?
Béatrice leva son regard vers Jim, un sourire au coin des lèvres.
— Je vous ai sauvé... Ça devrait répondre à ta question.
Jim prit un air satisfait.
— Je veux bien te pardonner, mais à une condition. Si un jour Helmut te demande qui a bousillé son sac, tu dis que c'est toi.
Béatrice grimaça devant le bagage imbibé d'eau, posé à l'entrée.
— Et moi ? demanda Lina en levant la main. J'ai pas le droit à des excuses ?
— Je t'ai sauvé la vie et le bandage que tu as autour de la tête en est la preuve. Toi, tu n'as aucune raison de m'en vouloir.
— Je te déteste ! s'exclama l'enfant se renfrognant une nouvelle fois.
— Bon. Revenons aux choses sérieuses, Jimmy. Ferme la porte, je n'ai pas envie qu'un mimique nous rejoigne. Tu as parlé du groupe de l'ombre... dis-moi ce que tu sais à leur sujet.
— Que ce sont des assassins. Qu'ils sont terrifiants et que je ne veux pas en rencontrer, c'est tout.
— Moi non plus ! commenta Lina.
— Les âneries que raconte les gens d'ici, en somme.
— Tu fais partie du groupe des ombres, c'est ça ? comprit Jim.
— Nous ne sommes pas des assassins. Loin de là. Nous sommes le seul groupe d'opposition à la reine. Le groupe des ombres essaie d'arrêter le commerce d'humain entre la reine et Bloupistse.
À l'écoute de ce nom, Lina baissa le regard.
— Pourquoi on vous a présenté comme des assassins, alors ?
— La reine veille à ce que le peuple nous méprise, expliquait Béatrice en allant s'asseoir. Puisque s'ils se ralliaient à nous, nous pourrions la faire tomber.
— Pause ! s'exclama Jim, toujours debout près de l'entrée désormais fermée. Si je comprends bien, vous aidez les être-d'en-hauts ?
— Oui et non. Vous êtes les premiers à être entrés en contact avec nous. D'habitude, à la sortie de la porte dorée, une tonne de soldat escorte les prisonniers vendus par Bloup jusqu'à la mine. Il nous est impossible de nous approcher d'eux.
— La porte dorée ? Ah ! L'ascenseur.
— Le foutu ascenseur ! compléta Lina en s'asseyant près du feu.
— Oui, enfin non. Évite d'employer ce mot devant Helmut, d'accord ?
— Vous allez être pourchassé par la reine, marmonna Béatrice.
— Oui, ça on est au courant. Notre présence est une offense à son pouvoir, tout ça tout ça. Mais comment tu savais que nous étions dans ces bois ? Et pourquoi tu nous as aidé ?
Béatrice posa une main sur sa tempe et agita la tête en signe de négation.
— Ça, c'est la grande part de mystère. Tout à l'heure, j'ai reçu une lettre signée « Votre compère », qui m'informait de votre arrivés.
Jim arqua un sourcil en s'accoudant à une bibliothèque pleine de poussières, poussée contre un des murs.
— Et c'est qui ce compère ?
— Je n'en ai aucune idée. Mais il n'a pas utilisé n'importe quel messager... C'était un corbeau.
Lina se retint de pouffer en entendant parler d'oiseau messager. Elle qui suppliait Bloup depuis des mois pour avoir un téléphone était loin d'être à plaindre comparé aux gens d'ici.
— Corbeau... songeait Jim. Oiseau de malheur !
Il accompagna son dire d'une tape sur l'étagère aux livres, qui le fit tousser à cause de la poussière que ça éleva.
— Qu'est-ce que tu racontes, s'indigna Béatrice. C'était le moyen de communication des ombres, rien à voir avec le malheur.
— C'est une ombre alors, où est le problème ? Tu fais partie de leur groupe, tu dois bien savoir qui c'est ?
Béatrice laissa son regard traîner sur les vêtements mouillés de Jim, elle lui fit signe de se rapprocher du feu et il s'exécuta.
— Depuis une dizaine d'années, les corbeaux sont portés disparus. La reine les a exterminés pour anéantir notre symbole.
— T'es sûr que c'est pas un signe de malheur ? C'est le cas à la surface... Ce compère est peut-être quelqu'un qui nous veut du mal... et si t'es son ami, alors tu nous voudrais aussi du mal !
Devant cette hypothèse, Lina se releva et se rapprocha du feu, où Jim posait un regard inquisiteur sur Béatrice.
— Puisque je te dis que les ombres sont contre la reine ! On veut aider les être-d'en-hauts ! Et puis je ne sais pas qui c'est ce compère, je ne sais pas s'il vous veut du mal, ni même s'il me veut du bien. Mais s'il sait que vous êtes arrivé à Hamelin et que vous vous dirigiez vers la forêt géante c'est qu'il vous a observé et sûrement suivi. En plus, bonne chance pour trouver un corbeau, c'est clair et net qu'il n'y en a aucun dans les parages de l'ascenseur et des villages. Il a dû en trouver sous ces bois, il y a peut-être un élevage entier. À la limite, ça nous importe peu. Ce qui est embêtant, c'est qu'il connaît suffisamment bien les lieux pour vous avoir vu aller en direction de la forêt et vous devancer avec suffisamment de rapidité pour me mettre au courant de votre venue. Et ça soulève deux nouvelles interrogations : comment il savait que je me trouvais dans cette cabane ? Et comment le corbeau connaissait le chemin ?
Béatrice dû se malaxer les tempes pour digérer toutes les informations qu'elle avait elle-même énoncées. Devant sa migraine naissante, Jim et Lina se détendirent.
— Jim, qu'est-ce qu'on va faire pour Helmut ? demanda Lina.
Béatrice releva la tête.
— Nous irons chercher votre dernier compagnon, ça devrait vous convaincre de ma bonne foi.
— Il y a quelques heures, tu n'avais pas de plan et maintenant... commença Jim.
— Ta chute dans le nid des mimiques m'a inspirée, sourit Béatrice.
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