18. Lanternes (1/2)

Quand elle ouvrit les yeux, Lina sentit une légère douleur sur son front. Elle passa une main sous ses mèches blondes et écarquilla les yeux au vu du sang qui y suintait. Dans un « ouille ouille ouille », la fillette se releva. Aveuglée par l'obscurité qui couvrait la forêt, elle ne put se fier qu'à son toucher. Elle devina un buisson broussailleux dans son dos et un arbre en face.

Au loin, une étincelle chaude attira son regard. Cette lumière prit la forme d'une lanterne tenue par un homme. Il la fit pâlir de peur. Caché derrière le buisson, elle suivait du regard un visage profondément entaillé par la cicatrice d'une brûlure. Le balafré passa devant elle, sans se retourner, sans la voir, dans une marche lente et décontractée. Lina le fixa jusqu'à ce que la lueur ne disparaisse à l'autre bout, avalée par la même pénombre qui l'avait fait naître.

Encore frissonnante de cette rencontre, elle n'avait pas tendu l'oreille à l'air qu'il avait tout doucement fredonné sur son passage. Un chantonnement pourtant si familier.

Toute tremblante d'excitation et de peur, son esprit bouillonnait de cette rencontre, de ce qu'elle prenait pour un fantôme. Mais bien vite elle se calma, imaginant la préoccupation de Helmut et de Jim. Bloup s'était toujours alarmé de ses absences, même de quelques heures, alors eux aussi devaient s'inquiéter. Elle tâtonna dans le noir, estimant après avoir choisi une direction, que c'était par là qu'elle devait faire demi-tour.

C'est à ce moment qu'elle vit une nouvelle lueur, cette fois se balançant dans les arbres. Elle bondissait, faisait craquer et casser des branches, se rapprochait maladroitement et vite. Trop vite. Lina n'eut pas le temps de se cacher, l'obscurité ne lui permettait pas de trouver un abri rapidement.

— Il y a quelqu'un ? hasarda la fillette.

Quand elle fut à quelques mètres, la lumière se rapprocha du sol et vint éclairer des cheveux châtain sur un visage d'une douce rondeur, celui de Béatrice.

— Lina, c'est ça ? demanda la jeune femme à bout de souffle.

Alors que la fillette hochait la tête, Béatrice approcha la source de lumière et ouvrit de grands yeux. Elle saisit l'enfant, la jeta sur son épaule comme un sac de patate, accrocha la lanterne à sa ceinture et se mit à courir dans la direction opposée d'où elle venait.

— Lâche-moi ! hurlait Lina. J'te connais pas ! Je veux que tu me lâches !

— Chuut ! Le sang sur ton front... tu risques d'attirer des mimiques !

— C'est toi, chut ! Lâche-moi !

Béatrice grommela. Elle s'arrêta au pied d'un arbre, le monter avec un tel poids sur l'épaule lui parut impossible. Elle reprit sa course.

— Je suis une amie de Jimmy, tenta-t-elle pour faire taire la fillette.

Lina s'apprêta à se remettre à crier, mais préféra répondre dans une tonalité plus soutenue.

— C'est vrai ?

Béatrice eu un sourire en coin.

— Si je te le dis ! Il était avec un autre ami Helm... Hal... Enfin, quelque chose comme ça !

— Helmut ! s'écria Lina.

Et elle se tut. Elle avait déjà inquiété ses deux compagnons, elle ne voulait pas s'attirer les foudres de leur amie. Béatrice s'attendrit de cette insouciance, mais finit par tirer une grimace. Ce monde n'était pas fait pour une gamine sans défense.

Lorsqu'elles arrivèrent à un grand étang, Béatrice posa Lina et plaqua sa main contre sa nuque pour l'immobiliser. Sans prévenir, elle aspergea sa plaie.

— Tu me fais mal ! s'énerva Lina dans un hurlement.

— Ne crie pas, c'est bientôt fini.

Après s'être longuement débattue pour nettoyer complètement le sang, Béatrice sortit un pan de tissu de sa besace, le posa sur sa cuisse, prit un grand flacon et imbiba le vêtement avec. Elle l'enroula sur le front de Lina.

— Ça pue ! Et tu me fais mal !

— Tais-toi à la fin ! J'ai bientôt fini !

Sur l'eau, à l'autre bout du lac, deux reflets jaunâtres vacillaient. Un mimique, ne mesurant qu'un mètre, se tenait là. Il humait l'air, les yeux braqués dans la direction des filles. Béatrice se figea.

— Passe tes bras autour de mon cou ! intima-t-elle dans un murmure.

— Pourquoi je ferais ça ? s'écria Lina sans avoir vu le danger qui la guettait. T'es une méchante !

Dans un juron, Béatrice la saisit comme elle put et sprinta entre les arbres, sans prêter attention aux hurlements de protestation. Le mimique ne bougea pas, continua à renifler bruyamment, les narines largement dilatées, avant de s'élancer dans la direction inverse.

À quelques mètres de l'étang, après une ligne droite, elles trouvèrent une cabane faite de planches, sur lesquelles étaient accrochées de la verdure. Béatrice se précipita à l'intérieur avant de se laisser tomber contre la porte. Lina se dégagea de la prise de sa ravisseuse.

— Mais t'es qui à la fin ? hurla-t-elle.

À bout de souffle, la jeune femme ne trouva pas la force de répondre.

— Pour qui tu te prends ? continuait l'enfant.

Une nouvelle absence de réponse. Cette fois, Lina s'emporta et tenta de lui mettre un coup de pied.

— Pas de ça, gamine ! lâcha sèchement Béatrice, entre deux bouffées d'air, après avoir bloqué l'attaque.

Lina ne tenta pas de l'énerver davantage. Elle recula et fit le tour de la petite habitation. Il y avait une table en plein milieu, un tas de bûches à côté d'un feu crépitant au-dessus duquel une broche s'élevait, des bibliothèques où les livres s'allongeaient aux côtés d'herbes et de fleurs colorées, un épais duvet faisant office de lit de fortune s'étendait contre un mur et un grand carquois rempli de flèches aux plumes noires trônait dans un coin. De grandes chandelles projetaient une lumière vacillante qui animaient les ombres de cette pièce. Cette atmosphère tamisée donnait un côté merveilleux à la cabane, ça plaisait à Lina.

— Pourquoi ça pue autant, ici ? demanda la fillette, sans même essayer d'y mettre les formes.

Béatrice se releva, soutenue par la poignée de la porte, son marathon sprinté au cœur de la forêt l'avait exténuée. Sans se soucier de Lina, elle posa sa besace, sa lanterne et ses armes sur la table.

— Pourquoi tu m'as enlevée ?

Béatrice soupira, déjà lassée de jouer les babysitteuses. Jim aurait été plus facile à vivre, mais après l'avoir perdu, elle avait eu la chance de tomber par hasard sur la fillette, elle ne pouvait pas jouer les fines bouches. Maintenant, elle était en compagnie d'une être-d'en-haut, peu importait son caractère et son âge, elle devait la protéger. Et une fois qu'elle l'aurait conduite au bastion des ombres, elle pourrait reprendre sa tâche dans la forêt géante. Elle voulait faire au plus vite.

Lina s'approcha, une grimace de colère au bout des lèvres.

— Pourquoi tu ne réponds pas ? continuait la fillette.

— Parce que tu n'es pas gentille, répondit Béatrice avec diplomatie, dans un faux sourire.

Lina s'assit en tailleur face à elle.

— Je suis pas désolée ! C'est toi la méchante ! Tu m'as kidnappée !

— Je ne t'ai pas kidnappé. Je t'ai sauvé la vie.

— Menteuse !

— Non.

— Si. Et tu n'es même pas une amie de Jim ! Tu l'as appelé Jimmy, alors il ne t'aime pas.

Béatrice hésita à insister, mais elle sentait bien que face à cette enfant, ce mur infatigable, cette discussion aurait duré longtemps. Alors, elle alla s'asseoir sur une chaise, à côté de la table et croisa les jambes, ainsi que les mains.

— Bien, soupira-t-elle. Tu es libre de croire ce que tu veux, en attendant, tu es en vie, au chaud, à la lumière et soignée.

Lina passa une main sur son bandage et fut forcée de constater que ces arguments jouaient en sa défaveur.

— Ça veut rien dire, ça !

— Tu as quel âge ?

— Neuf ans et demi. Mais ça ne te regarde pas !

— Moi j'en ai dix-neuf. Alors tu te calmes !

Une nouvelle fois, Lina fut forcée d'admettre que les arguments jouaient contre elle, alors elle se renfrogna.

— Pourquoi t'es-tu séparée de tes compagnons ?

— Je veux partir. Je t'aime pas !

— La porte est là.

Lina suivit du regard le doigt que pointait la jeune femme. Mais avant que la fillette ne se lève, Béatrice reprit :

— Jimmy devrait bientôt arriver... Enfin, il est peut-être mort, je ne sais pas trop. Ça dépendra de lui.

Lina s'agita.

— J'en étais sûre ! T'es méchante ! hurla-t-elle, la gorge nouée par un sanglot.

La jeune femme se rendit compte que le choix de ses mots face à une enfant de son âge n'étaient peut-être pas idéal. Elle se mordit la langue et se leva brusquement pour se positionner devant la porte.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire... Il va revenir.

Intérieurement, Béatrice le suppliait d'être encore en vie et de trouver cette cabane au plus vite, cet électron-libre ne resterait pas tranquille sans lui visiblement. Bien qu'elle ne l'ait pas laissé très loin de la cabane, au vu de la taille de forêt, il pouvait mettre des heures, des jours, des mois à tourner en rond. Il pouvait être mort aussi.

— Et Helmut ? Tu le connais ? demanda Lina après s'être calmée.

— Pas vraiment, quand j'ai rencontré ton ami, ils n'étaient plus ensemble. Mais ne t'en fais pas, je sais où il est, j'irai le chercher.

Lina la scruta longuement. Elle ne savait pas quoi faire, ni quoi dire. De toute sa courte vie, elle n'avait connu et parlé qu'aux employés très peu bavards et à Bloup. Elle ne connaissait pas le mensonge, ni même vraiment ce qu'était la méchanceté. Le peu qu'elle avait vu des sombres côtés humains venait de films et de séries où tout finissait bien. Elle ne put que la croire.

Voyant la fillette se rasseoir, Béatrice retourna à la table, elle se satisfit du calme naissant. Mais à peine posa-t-elle ses fesses sur le bois d'une des chaises, que la porte s'ouvrit brusquement.

Le visage de Jim s'avança, balaya la cabane du regard, s'arrêta sur l'enfant, puis sur Béatrice. Avant que la jeune femme n'ait le temps de se relever, il tenait déjà Lina par la main, était sur le point de repartir aussi vite qu'il était arrivé.

— Stop ! Arrête-toi ! lui cria-t-elle non pas comme un ordre, mais comme une imploration.

Jim s'arrêta devant ce ton.

— Seuls, vous n'avez aucune chance dans cette forêt entre les mimiques et la mine... En quelques heures dans les bois, chacun d'entre vous a déjà failli mourir. Je peux vous aider... Je suis là pour ça...

Le regard de Lina allait d'un adulte à l'autre. Elle n'y comprenait rien, mais sentait bien la main de Jim se resserrer sur ses doigts. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top