15. Un corbeau et une jeune femme
Il dut refermer ses longues ailes noires pour passer entre deux arbres presque enlacés. Il les battit frénétiquement pour regagner de la vitesse. Ses longues plumes sifflaient au vent. Malgré l'obscurité de la forêt géante, sans bouger la tête, le corbeau discernait la forme d'une cabane camouflée sous une couche de feuille. Il se posa sur le toit, émit des croassements rauques et attendit. Pas de réponses. Il se posa face à la porte, d'où émanait de la lumière. Il réitéra le signe de sa présence.
Une jeune femme ouvrit. Elle s'immobilisa face à son curieux visiteur, fit quelques pas en arrière, avant de se figer devant le calme du corbeau. Elle posa un genou au sol, le regarda avec admiration et surprise, un sourire en coin.
— Qui t'envoie, mon beau ?
L'oiseau se mit à gigoter, sauter sur le pas de la porte. La jeune femme ne parut pas apeurée, au contraire, elle approcha sa main, le caressa avant d'essayer de l'attraper. Il ne se laissa pas faire, entra dans de puissants battements d'ailes.
Posé sur une table en bois, il observa la porte se refermer dans un claquement. Aucune fenêtre, pas la moindre issue. Il était pris au piège.
— C'est que tu as encore beaucoup d'énergie. D'où est-ce que tu viens ?
Un croassement fit office de réponse. La jeune femme sourit, sans perdre patience. Elle n'avait plus vu ces oiseaux sombres depuis belle lurette. Cette espèce était considérée comme disparue à Hamelin.
— Tu viens des ruines du Bastion ? continua-t-elle en s'approchant à petit pas. Comment connais-tu ces bois ?
Le corbeau restait immobile, une patte en l'air. Quand la jeune femme remarqua cette dernière, son sourire disparut pour laisser place à une bouche ronde de surprise. Là, était attaché un étui en cuir, servant de réceptacle à un papier enroulé.
— Co...Comment...
Elle laissa tomber l'articulation de sa phrase, pour saisir délicatement la missive. À peine fut-il allégé de sa tâche, que le messager prit de l'altitude pour tournoyer sous le bas plafond de la cabane. La jeune femme ouvrit la porte et regarda la silhouette noire regagner la pénombre des bois.
Sa main tremblait, d'excitation ou de peur. Peut-être les deux. Ses yeux fixaient les ténèbres des profondeurs sylvestres. Une avalanche de questions lui tombait dessus. Qui l'avait envoyé ? Comment connaissait-il l'emplacement de la cabane ? Comment savait-il qu'elle se trouvait dans la forêt géante, alors qu'elle n'avait mis personne au courant ? Mais surtout, pourquoi un corbeau ? Qui serait assez fou pour utiliser un messager si symbolique ? Peut-être quelques réponses se trouvaient au creux de sa main. Alors, elle déroula le papier qui s'étendit en longueur, jusqu'à pendre entre ses doigts. L'encre avait bavé et les lettres étaient difficilement lisibles.
« Chère Béatrice,
Bien que nous ne nous connaissions pas encore, je me permets de t'adresser ici une requête : Des être-d'en-hauts ont gagné notre terre, ils sont en route pour la forêt géante. Retrouve-les, au plus vite.
Excuse mon manque de tact, mais le temps et la place me manque.
Votre compère. Affectueusement. »
Un compère ? Une requête ? Des être-d'en-hauts ? Béatrice ne perdit pas une seconde, elle bondit vers la grande table en désordre, ferma la petite bouteille d'encre, nettoya l'extrémité noircie de sa plume. Elle regroupa toute les feuilles et illustrations finement tracées, d'un revers de main. Tout ce matériel s'engouffra dans sa grande besace.
Elle se saisit de la dernière feuille encore étendue, une carte de la forêt géante à maintes et maintes endroit rayé — un véritable torchon. Elle la mit à hauteur de bouche et souffla dessus pour sécher l'encre qu'elle venait d'apposer, avant que le corbeau ne la dérange. N'ayant aucune idée de quand elle pourrait reprendre ses recherches et ne voulant, en aucun cas, entacher cette œuvre sur laquelle elle travaillait depuis des années, elle ventilait à en perdre le souffle. Quand le fluide fut suffisamment solide, elle glissa la feuille dans une pochette, qu'elle enfonça dans son sac.
Béatrice saisit son plastron en cuir qu'elle passa prestement, sangla son épée à sa ceinture, prit son arc et son carquois. Elle n'avait que dix-neuf ans, mais avait tant l'habitude d'enfiler cet accoutrement, qu'il ne lui fallait que deux minutes, là où normalement, il en aurait fallu une dizaine.
Elle se tourna vers un grand feu, prisonnier d'un âtre cerné de pierres, relit la missive pour graver chaque mot dans sa mémoire et la jeta dans les flammes.
Mis à part les ombres, personne ne devait avoir vent de cette correspondance mystérieuse.
Sans se poser plus de questions, son seul objectif en ligne de mire, elle accourut hors de la cabane.
Avec une agilité déconcertante, elle rejoignit les ramures des grands arbres. Si haut perchée, elle n'était plus qu'une vive silhouette sautant de branches en branches. Les pans de sa chemisette, sous ses quelques pièces d'armure, virevoltaient dans son sillage comme des ramures. Elle se déplaçait en concentrant chacun de ses sens. Véritable rapace.
Elle s'arrêta, s'arma de son arc, qu'elle tenait en bandoulière, et sortit une flèche dans son carquois. Elle observa vivement la clairière qui se dressait plus bas. L'odeur qui en émanait lui saisit le nez. Nauséabond n'était pas assez fort pour décrire ces effluves. Et pour cause, elle était au-dessus une mare de cadavres ensanglantés. L'œil vif, elle parcourut ces corps et soupira de soulagement en ne les voyant habillé que de vêtements usés et décolorés. Ceux-là venaient de la mine, ce n'étaient pas les être-d'en-hauts qu'elle recherchait.
Elle reprit sa course aérienne, l'arme en main.
Au sol, des centaines d'empreintes humaines se rejoignaient avant de disparaître dans la multitude de dépouilles.
Il faut que je les retrouve avant que ces choses ne le fassent, se pressa Béatrice.
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