11. Là où brillent les étoiles

Un silence pesant, rythmé par la respiration bruyante de Jim, régnait sur la descente des fuyards.

— Depuis combien de temps on est dans cet ascenseur ? demanda-t-il, d'une voix brisée par la peur.

— Vingt, trente minutes, hypothétisa Helmut.

— N'aie pas peur Jimmy. Tout va bien se passer, tu verras, rassura Lina dans un sourire que lui rendit le cuisinier.

L'apeuré regarda le sac à dos que portait Helmut sur une épaule, avec un brin de jalousie.

— Et en plus j'ai laissé ma valise dans la chambre...

— J'ai pas non plus eu le temps de prendre mon sac, répondit la fillette, pas le moins dérangée du monde.

Silence de nouveau.

Pour la dixième fois, Helmut observait chaque centimètre de la grande cabine d'ascenseur dorée. Son regard se posa sur un panneau où étaient insérés deux boutons : le premier, au-dessus, était gravé d'une flèche vers le haut, le second, en dessous, d'une flèche vers le bas. Il n'y avait que deux destinations, séparées par un trop long trajet. Au-dessus, une climatisation laissait passer de l'air frais. Face à la porte, un grand miroir renvoyait les mines inquiètes des jeunes hommes et l'air amusé de Lina, qui sautillait d'excitation. Helmut posa un genou au sol et plaça sa main sur l'épaule de la fillette, qui s'immobilisa sans perdre son expression de réjouissance.

— Lina, c'est ça ?

— Oui. Et toi c'est Helmut ! s'exclama-t-elle.

— Exact. Tu n'as pas peur ?

— Peur ?

— Tu sais où on descend ? demanda Jim.

— Pas vraiment. Mais ça va bien se passer.

Il se laissa tomber contre le mur dans un long soupir, alors que Helmut s'efforçait de sourire pour ne pas inquiéter l'enfant.

— N'aie pas peur Jimmy.

— Pas peur ? On est pourchassés par deux cinglés et bloqués dans cette foutue cabine !

— Pas de gros mots devant la petite ! l'arrêta Helmut.

— C'est vraiment ce qui t'inquiète là ? Si ça se trouve, on n'est même pas en train de descendre. Qui sait, peut-être que dans quelques secondes la porte va s'ouvrir face à Bloup et la foldingue encapuchonnée ! Et toi, tout ce qui...

Cling.

Il s'arrêta net alors que la porte se mit à coulisser latéralement. Helmut avança, la bouche et les yeux grands ouverts, Jim et Lina à sa suite tout aussi émerveillé que lui. Ils contemplèrent un ciel nocturne étrangement violacé où baignaient une multitude d'étoiles palpitantes. Sous cet océan astral, se dessinaient par endroits les reliefs rocheux d'un plafond sous-terrain. Il ne pouvait qu'être sous terre, mais devant eux, une plaine luxuriante s'élançait. Là, trônaient des bosquets, composés d'arbres semblables à ceux qui bordaient l'hôtel.

Devant cette vision, Helmut comprit que la cage sylvestre n'était rien. Il s'en était satisfait, il aurait pu, sans la moindre hésitation, en faire son tombeau. Quelle bêtise ! Maintenant ici, au cœur de cette nature merveilleuse, son rêve d'autre monde prenait une dimension plus importante qu'il n'eut jamais pu le croire.

Une dimension qui le dépasserait. Mais peu importait pour l'heure, son rêve prenait vie et c'était tout ce qui l'importait.

— Dites moi que je rêve, souffla-t-il la tête relevée à s'en faire un torticolis.

— On a atterri où, là ? se demanda Jim en se frottant les yeux pour chasser une potentielle hallucination.

— J'en ai aucune idée, mais c'est magnifique. Tu vois qu'il n'y avait pas de raison de s'inquiéter ! répondit Helmut.

Jim se contenta de sourire, peu convaincu. Il se tourna vers un récif montagneux, limite de ce nouveau monde, qui s'élevait jusqu'au plafond céleste. Devant cette montagne, la porte dorée s'était refermée. Quelque chose était gravé en plein milieu de ces deux battants, un aigle tenant entre ses serres les morceaux d'une flûte brisée.

— L'ascenseur remonte, faut qu'on bouge !

— On a mis au moins trente minutes à descendre, ça nous laisse le temps de nous éloigner, le calma Helmut.

L'inquiet regarda l'heure sur son téléphone : 00 h 11. Pas de réseau, forcément, et sa batterie presque à plat.

— Tu ne penses quand même pas à aller explorer, rassure-moi. On ferait mieux de se cacher derrière les arbres, d'attendre que Bloup passe et ensuite on reprend l'ascenseur. Ohé ! Helmut !

Il ne l'écoutait plus, son intention était tournée vers Lina qui de dos, dans un ricanement, sautillait à quelques mètres d'eux, en faisant de grands signes de main. Il fallut quelques secondes à Jim pour apercevoir à travers la nuit – légèrement éclairée par le ciel mauve – une petite silhouette humaine. Il se précipita vers la fillette, plaqua une main sur sa bouche et la fit reculer. L'inconnu ne les avait pas vus, ni entendus, ils étaient trop loin. Le dos courbé, ce dernier observait paisiblement une parcelle de fleurs colorées. Helmut recula furtivement à la suite de Jim. Impossible de savoir s'il s'agissait d'un ennemi, alors il valait mieux rester prudent.

La silhouette se redressa les bras croisés dans le dos, entonna un chantonnement et se mit à marcher dans leur direction, les yeux rivés vers les étoiles. Jim se retrouva dos aux portes de l'ascenseur désormais fermées. Le fredonnement cessa, le visage dissimulé par la fine pénombre se tourna vers le trio.

— Qu'est-ce qu'on fait ? s'alarma Jim.

Helmut fit glisser son sac sur son ventre, à la recherche de sa fronde de fortune.

— Il me faut un caillou.

Trop tard, un petit vieillard coiffé d'une longue barbe s'était émancipé de la silhouette. Il tirait un immense sourire, à n'en pas douter amical. Il leva une main en l'air en guise de salutation.

— C'est que nous avons de la visite !

Helmut sortit son arme, il tendit la main pour y recevoir les munitions demandées, mais n'eut rien.

— Lina, non, murmura sèchement Jim.

La fillette s'était déjà élancée, elle courait autour de l'inconnu.

— Mais vous êtes comme nous ! s'exclama-t-elle sans cacher sa surprise.

— En voilà une gentille petite !

Ces quelques mots firent frissonner Jim qui ne put retenir un murmure.

— S'il lui propose des bonbons, on lui saute dessus, d'accord ?

Helmut s'avança à son tour, rassuré par l'âge et le ton franchement rassurant de l'inconnu.

— Où sommes-nous ? lui demanda-t-il.

— Nous sommes à Hamelin ! fit le vieillard en ouvrant grand les bras.

Et sur ces mots, il tourna sur lui-même, faisant virevolter sa trop longue toge par endroit tachée d'encre, jusqu'à s'écrouler par terre. Lina éclata de rire devant ce personnage farfelu. Le moqué plongea ses yeux dans ceux de l'enfant, puis dans la clarté du firmament.

— Voilà belle lurette que je n'avais pas entendu un tel rire, souffla-t-il pour lui-même.

Son regard passa de Jim encore accolé aux portes dorées, à Helmut qui éloignait Lina. Il se releva lentement, ce qui fit craquer quelques-uns de ses vieux os, adressa un nouveau sourire et s'inclina en un ample salut.

— Ce fut un honneur ! Mais le devoir m'appelle. Je vous souhaite un agréable séjour et vous demande de faire attention à vous !

Et il s'en alla. Helmut eut beau essayer de le retenir par un déluge de question, l'inconnu ne se retourna pas. Il disparut à l'horizon.

— Punaise, il m'a foutu les jetons ! expira Jim.

— On devrait le suivre, il pourrait nous aider à comprendre...

— N'y pense même pas ! Ce type n'est pas normal, ses manières me font penser à Bloup. Il faut juste qu'on parte d'i...

Jim s'immobilisa, le regard tourné vers Lina qui courait au loin, les bras en l'air. Au moins ce n'est pas dans la direction de Bloup numéro deux, pensa-t-il.

— La petite est en train de partir ! signala Helmut, plus amusé qu'embêté.

Jim émit un grognement aigu, synonyme d'agacement et de frayeur. Ils durent se mettre, eux aussi, à courir pour ne pas la perdre de vue.

— Reviens Lina !

Cette dernière tourna la tête et tomba dans la pelouse. Elle se perdit dans un rire strident de joie. Elle était enfin libre.

— Ne pars pas comme ça, intima Helmut d'une voix posée.

— C'est pas cool ! s'exclama Jim à son tour.

Helmut la releva. Ils s'éloignèrent un peu plus de l'ascenseur.

— On va rester ici ? souffla timidement Lina, craintive de la réponse.

— Non. On va reprendre l'ascenseur dès qu'il sera redescendu, répondit vivement Jim, lui aussi craintif de la réponse que pourrait donner son ami.

Lina baissa les yeux, déçue.

— Je veux pas partir !

Jim échangea un regard avec Helmut, à la recherche de soutien, mais ce dernier agita la tête en signe de négation.

— Je veux aussi rester !

Et avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, ajouta :

— Deux contre un. Tu es obligé de nous suivre.

— C'est une mauvaise idée, soupira Jim.

Alors le trio reprit sa marche dans ce nouveau monde. Lina chantait, semblait sans crainte, plus insouciante que courageuse. Elle n'arrivait pas à se défaire de son trop grand sourire, en avait mal aux joues. Jim ne cessait de se retourner. Ils avaient compté une trentaine de minutes dans l'ascenseur, mais était-ce réellement le cas ? Et si Bloup et la femme encapuchonnée descendait à leur tour, pourraient-ils leurs échapper ? La peur le tourmentait, l'empêchait de profiter du magnifique panorama et de la voix mélodieuse de celle qu'il pensait autrefois être une sirène. Helmut était comblé de joie. Sous ses yeux se dressait enfin la concrétisation de son plus grand rêve : un monde nouveau, merveilleux, qui s'accompagnait tout naturellement d'aventure.

— Des arbres qui poussent sous terre, souffla Jim pour lui-même, perdu entre extase et panique.

— C'est incroyable, non ? s'exclama Helmut. Qui aurait pu croire qu'un tel écosystème s'épanouit sous terre !

Bientôt, la silhouette d'un hameau s'éleva. Quand ils furent suffisamment proches, Jim s'étonna de nouveau :

— On a atterri où ? C'est super rustique !

— Je te l'ai dit, on est dans un nouveau monde ! Et il est habité visiblement ! répondit Helmut, plus excité que jamais.

— Tu crois qu'ils font bien la cuisine ? demanda Lina, peu inquiétée par la présence d'une vie sous-terraine. Je commence à avoir faim.

— Peut-être même mieux que Jim, murmura Helmut à son oreille, suffisamment bas pour qu'elle soit la seule à l'entendre.

Cette dernière observa successivement les jeunes hommes, puis s'approcha du cuisinier, mit ses mains autour de son oreille et lui répéta tout. Ce dernier leva sa main, que la fillette tapa.

— Comme ça ils font mieux à manger que moi, monsieur l'aventurier ? J'espère qu'ils te nourriront alors, parce qu'il ne faudra pas compter sur moi.

— Tu sais chasser ? Reconnaître les aliments comestibles dans la nature ? répondit Helmut, certain que ses arguments feraient mouche.

Jim toussota.

— Plus on reste mobile, moins on a de chance que Bloup nous retrouve, alors allons voir ce village, ou mieux ! On peut retourner à l'ascenseur et appliquer mon plan !

À l'entrée de la bourgade, un panneau indiquait « Oudstal ». Ce dernier marquait le départ d'un chemin de pierre serpentant entre les maisons. Un grand étendard étiré sur un bout de bois flottait à l'entrée, Helmut reconnu le même motif que sur les portes de l'ascenseur. En bordure, s'étendait de grands champs labourés, mais dépourvus de céréales.

— Tu crois qu'il est la même heure ici et dans notre monde, à la surface ? murmura Jim. Parce que si c'est le cas, il est plus de minuit.

— Sûrement, mais je ne vois pas en quoi c'est important, répondit Helmut.

— Tu devrais parler moins fort, les gens dorment sûrement. Si tu veux qu'on soit bien vus, il vaudrait mieux ne pas les déranger.

— Pas bête.

— Non, il est pas bête du tout Jimmy, surenchérit Lina, elle aussi dans un chuchotement.

Le hameau semblait plus qu'ancien, les maisons étaient faites de bois et de pierres, il n'y avait pas le moindre signe d'électricité. À de rares endroits, des torches accrochées aux murs émettaient une faible lumière. Heureusement, la scintillance des étoiles permettaient d'y voir quelque chose. Les habitations étaient disséminées sans ordre visible, tantôt trois à gauche, mais seulement une à droite, une dont la porte pointait vers le nord, l'autre vers l'est, une en biais, l'autre parallèle au chemin de pierre. Le trio essayait de marcher le plus lentement et silencieusement possible, mais les pavés caillouteux les trahissaient en laissant émettre de clairs échos dans la nuit. Dans leur dos, une tête apparue derrière une fenêtre avant de disparaître aussitôt. Le regard de Jim se posa sur un grand panneau où était épinglée une multitude d'affiches. Il grimaça à la vue du portrait d'une femme peu élogieux, presque monstrueux. Pris par la marche, il n'eut pas le temps de lire ce qu'il y avait d'écrit. Il n'eut pas le temps de voir les avis de recherche et les trop nombreux prospectus informant sur les exécutions prochaines.

— On dirait qu'il n'y a personne. C'est peut-être un village fantôme, chuchota Lina.

Et comme pour lui répondre, dans un long grincement une porte s'ouvrit, le battant vers eux. Instinctivement, Jim s'en éloigna et fit mine de n'avoir rien vu et entendu. Mais peu accoutumé aux règles d'usages – on ne rentre pas chez des inconnus quand leur porte s'ouvre – Lina, se glissait déjà dans la pénombre de cette dernière. Jim attrapa le bras de Helmut qui s'élançait vers elle pour la rattraper.

— Attends tu vas vraiment rentrer dans la maison, là ?

— On va pas abandonner Lina.

— Il faut qu'elle arrête de faire n'importe quoi et toi que tu arrêtes de faire le héros, souffla Jim dans une grimace.

La fillette était déjà dans la maison obscure. Elle laissait glisser son doigt autour d'une table en bois, observant du mieux qu'elle le pouvait, grâce à la lueur du ciel nocturne qui entrait par la porte encore ouverte.

— Reviens Lina, murmura Helmut alors qu'il la suivait.

Jim resta devant le seuil, hésitant. Mais dès qu'il posa un pied à l'intérieur pour tenter de faire reculer son ami, la porte claqua, plongeant le trio dans une obscurité totale. 

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