Paprika
Paprika s'assit sur la chaise à roulettes noire posée juste devant son bureau. Elle ouvrit son ordinateur, un MacBook flambant neuf qu'elle avait reçu quelques mois auparavant pour ses seize ans (ô miracle, ses parents avaient réalisé son souhait pour la première fois depuis qu'elle était née). Elle lança sa musique en aléatoire en fond sonore puis fit ce qu'elle faisait tous les jours depuis une semaine: elle se creusa la tête pour écrire ses sept cent cinquante mots.
La première fois qu'elle avait essayé, Paprika avait eu du mal à atteindre le nombre de mots requis (on ne se rendait pas compte à quel point c'était difficile au début). Ensuite, cela variait en fonction de son imagination du moment: elle pouvait en écrire deux mille comme huit cent. C'était aussi aléatoire que les chansons de sa playlist.
De l'imagination, Paprika, elle en avait. Peut-être était-ce à cause de son nom hors du commun, ou bien à cause de sa famille extravertie (pour être étrange, elle était étrange sa famille), ou encore à cause de son caractère. Quoiqu'il en soit, Paprika avait toujours eu la tête remplie d'idées en tous genre.
Du coup, en théorie, elle n'aurait jamais dû avoir de mal à écrire, mettre des mots sur ce qu'elle imaginait dans son crâne. Parce qu'il y avait des tas d'idées sous ses frisettes brunes, emmêlées dans un pêle-mêle indécorticable (ce mot n'existe peut-être pas, mais qui ira vérifier ?) : des personnages, des mondes, des vies, des dialogues, des fragments d'histoires. De tout.
Cela aurait dû être très facile, du coup, d'écrire.
Mais Paprika avait un problème : elle n'avait aucune mémoire. Sa mère disait qu'elle était la fille la plus tête en l'air de la ville, son père, lui, renchérissait en disant que c'était plus plus tête en l'air du monde. Et elle en avait conscience, Paprika savait qu'elle oubliait toujours tout. De ses clés aux anniversaires en passant par les devoirs à faire ou les courses dont sa mère la chargeait. Sans ses post-it et les alertes qu'elle programmait sans cesse sur son téléphone, elle n'irait pas bien loin (et en plus elle oublierait d'y aller, ce qui était encore pire: qui voudrait d'une telle situation ?).
Du coup, toutes les idées géniales qu'elle avait dans la journée, au moment où elle ouvrait son ordinateur pour les écrire, elles avaient cruellement disparu de sa tête qui ne lui offrait à présent qu'un vide total. Plus vide que le désert du Sahara. Que la cour du lycée le vendredi soir à dix-sept heures trente. Que le frigo de son grand-frère avant que sa mère ne passe chez lui pour le remplir à sa place (Paprika n'avait jamais compris pourquoi sa génitrice s'occupait encore de Curcuma comme s'il avait huit ans et pas vingt-et-un).
Du coup, elle regardait son écran avec une tête de poisson mort (mais bien mort, depuis plusieurs jours, avec les yeux globuleux et vitreux); c'était cruel de savoir qu'elle possédait l'imagination qui manquait cruellement à certaines personnes, mais n'avait en revanche pas de mémoire.
Elle s'apprêta alors à faire ce qu'elle faisait d'habitude. C'est-à-dire, raconter sa journée, ou dire ce qui lui passait par la tête, critiquer son frère Curcuma, ses parents ou les gens de sa classe; tout en priant pour qu'une idée géniale fasse son apparition comme si de rien n'était.
Mais au moment où elle posait ses doigts aux ongles vernis d'orange sur le clavier de l'ordinateur, son téléphone vibra.
Paprika sursauta. Car en plus d'être tête-en-l'air (la plus tête-en-l'air du monde, ne l'oublions pas), Paprika était facile à surprendre et réagissait au quart de tour. Du coup, elle tomba de sa chaise à roulettes et atterrit fort peu gracieusement sur le parquet de sa chambre. Non sans se cogner le genoux contre son bureau au passage.
C'était peut-être un peu excessif pour un simple vibreur de téléphone, mais déjà, celui-ci vibrait particulièrement fort, et ensuite, elle était en phase de concentration extrême quand c'est arrivé.
En fait, elle n'avait pas vraiment d'excuse, Paprika était juste bizarre. pas dans le mauvais sens du terme, ni dans le bon d'ailleurs. Elle était bizarre, au même titre que son frère Curcuma était immature, sa mère poule et son père cynique.
Elle était bizarre, mais cela ne la dérangeait pas plus que ça.
Quand elle se fut remise de sa chute, elle tendit la main pour attraper son téléphone. C'était un vieux smartphone qu'elle avait hérité de Curcuma. Il avait vibré à cause d'une alerte qu'elle avait mise.
Elle regarda: il s'agissait de tout plein d'idées qu'elle avait eu dans la journée pour écrire.
Paprika sourit: elle avait oublié qu'elle avait mis ce mémo.
Elle était assez fière du coup: elle était peut-être bizarre et tête-en-l'air, mais elle n'était pas bête, et surtout, elle avait de quoi écrire ses sept cent cinquante mots aujourd'hui.
Ce texte est inspiré du site "3Pages" qui a pour principe de nous faire écrire 750 mots pas jours. C'est assez sympa pour essayer d'avoir une écriture régulière :)
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