6. une pomme et Jonathan Byers.
LUNDI MATIN, je me rendis en salle de TP. J'attendais Déotile et son nuage de parfum, sa manucure soignée et sa nullité en TP, mais surtout des explications et des détails.
Mais ce fut quelqu'un d'autre qui s'installa à côté de moi. Olivier posa son sac, se laissant lourdement tomber au tabouret voisin.
"Je peux m'asseoir ici ? demanda-t-il en m'adressant un grand sourire.
- Je suppose, répondis-je, perplexe."
Olivier était le beau garçon de notre classe. Des cheveux châtains qu'il laissait pousser au dépit des critères de mode actuels - le plus près du crâne possible, des yeux bleus et la mâchoire ovale. Il avait plus l'air d'un gentil garçon que d'un bad boy rebelle.
"Je savais pas que tu sortais.
- Faut croire que si.
- Du coup, t'as passé une bonne soirée ? Je t'ai vue partir tôt.
- J'étais assez fatiguée, oui. J'ai loupé quoi ?
- Oh, rien, juste Déo qui fait une crise avec son copain. C'était assez marrant, ça."
Il sortit sa trousse et une feuille quadrillée avant de voir une Déotile entrer, la mine fatiguée. Elle m'adressa un petit sourire avant de se diriger vers le fond de la pièce, près de la fenêtre.
"Quand on parle du loup.
- Qu'est-ce qu'elle a fait comme crise ?
- Oh, elle lui a demandé de la lâcher et qu'elle en avait marre qu'il la traite comme ça, rien d'important. Elle est assez lunatique comme fille.
- Je trouve pas...
- Crois moi, je la connais depuis le collège et elle a toujours été comme ça."
Je choisis de ne pas poursuivre la discussion et portais un regard vers mon amie - pouvais-je vraiment l'appeler ainsi ? : elle était couchée sur sa paillasse, la tête entre les bras. A ses côtés, Théa, elle aussi délaissée par ses amis, regardait le plafond comme s'il avait un intérêt quelconque.
Un mouvement de culpabilité me pinça le coeur.
"Sinon, je fais une soirée vendredi, ça te tente de venir ?
- Je ne bois pas, le prévins-je.
- Fais gaffe à pas mourir de déshydratation alors. Le dancefloor ça fatigue.
- Je ne bois pas d'alcool, corrigeais-je."
Il me fit un sourire en coin.
"Oui, j'avais compris. Je te donne mon numéro pour que je puisse t'envoyer l'adresse ?
- Il y'a Messenger aussi, non ?
- J'aime pas donner mon adresse sur Internet, vois-tu."
Il prit mon agenda et écrivit son numéro de téléphone en plein dessus. Nous fûmes interrompus par notre cher professeur de physiques qui lança son bouchon de stylo sur Timéo Gaudin qui avait, comme d'habitude, donné une réponse stupide.
Gaudin était vraiment un cas raté, si bien qu'on venait à se demander s'il le faisait exprès d'être aussi bête. Le plus étonnant, c'était qu'il avait une bonne moyenne. Comme quoi, les notes n'avaient vraiment rien à voir avec l'intelligence.
Je me redressais sur mon tabouret en étranglant un grognement : la semaine allait être longue.
*
"J'ai été invitée à une soirée, dis-je à Benjamin en croquant ma pomme. Ca fait bizarre.
- Tu vois, les gens se sont enfin rendu compte que t'étais cool.
- Ouais. Peut-être."
Je mastiquais longtemps ma pomme. Benjamin ne semblait pas être content pour moi. En fait, il avait l'air assez froid, presque triste.
"Je crois que je vais pas tarder, je suis fatigué. Désolé.
- C'est pas grave. Il va faire nuit, de toute façon. Je devrais rentrer aussi. On se revoit mercredi ?
- Ouais, je sais pas, j'ai pas mal de travail à faire."
Il me fit rapidement la bise et s'éloigna sans me faire de petit signe de la main, de sourire ou autres mouvements amicaux.
Je le regardais partir en terminant ma pomme. Il prétexterait une maladie dans deux jours pour éviter le festival. Mais peut-être se sentait-il réellement malade ? Je n'en savais rien.
Je repensais au numéro qu'Olivier avait griffonné sur mon agenda. Etait-ce l'occasion de lui confirmer ma présence ? Je n'en avais pas parlé à ma mère, mais je n'avais qu'à lui dire que je dormais chez Déotile.
Je sortis mon téléphone et envoyais un "salut, c'est Astrée. Je viendrais vendredi (sauf si c'est annulé)" ce à quoi il répondit dans la minute "cool!! tu fais quelque chose là ?"
En quelques messages, le garçon m'avait invitée au café.
Je passais une bonne heure à lui parler, autour d'un café. Olivier était, en plus d'être un beau garçon, un des meilleurs de la classe. Le garçon faisait LV1 allemand, option latin et projetait de faire l'INSA.
Je me sentais ridicule à côté.
J'appris que son père était chirurgien à l'hôpital, là où ma mère travaillait. Sa mère vivait à une heure d'ici, et il allait la voir en week-end. Il avait un petit frère et une grande soeur, qui réussissait brillamment PACES.
Décidément, la réussite semblait être leur nom de famille.
Il était un peu monsieur parfait, en somme.
Je le quittais avec un sourire, le coeur plein d'espoir et le pas léger. C'était agréable d'avoir passé un moment avec quelqu'un comme lui.
*
Ma mère était devant la télévision, en compagnie de Stup, qui dormait sur le canapé.
"Tu étais où ?
- Au café.
- Encore ce garçon ? Décidément, tu ne me dis pas tout."
Je soupirais et me laissais tomber sur le canapé à côté d'elle, grattant le cou de Stup.
"Non, avec un autre. Le fils du chirurgien Anselme.
- Oh, le chirurgien dont tout le monde parle, je vois. Si le fils est aussi beau que son père, je comprend que tu rentres en retard.
- Maman ! protestais-je."
Ma mère éclata de rire. Après tout, c'était normal de parler de ça avec sa mère. Mais je me sentais mal à l'aise.
"J'ai déjà vu des photos d'Olivier, si c'est ce que tu demandes. Son père et moi on s'entend bien."
Je me sentis coincée : est-ce que les parents d'Olivier savaient que celui-ci faisait une soirée ? Pouvais-je lui demander de sortir en toute honnêteté ?
Oh, tant pis, après tout, si Olivier voulait entretenir une relation pleines de mensonges avec son père, c'était son problème. Je ne voulais pas entacher celle entre moi et ma mère.
"Il organise une soirée vendredi et m'a invitée. Je peux y aller ? De toute façon tu n'es pas là et je ne travaille pas le soir et je ne bois pas et-
- Astrée."
J'allais protester quand ma mère planta ses yeux dans les miens, ce qui était signe que je ne devais absolument pas la couper.
"Tu peux y aller. Je suis contente que tu me dises la vérité plutôt que de mentir."
Qui êtes vous et qu'avez vous fait de ma mère avait-je envie de demander. Elle paraissait beaucoup plus sereine depuis quelques temps.
Je souris et serrais ma mère dans les bras, la remerciant de sa compréhension.
"Tu veux qu'on regarde un épisode de notre série ?"
Elle en oubliait le nom à chaque fois. Je lançais l'épisode de Stranger Things et m'affalais avec elle sur le canapé. A chaque fois que Jonathan Byers apparaissait à l'écran, elle me regardait avec un sourire sur le visage, en insistant :
"Il est mignon, lui, tu trouves pas ?
- Mamaaan, protestais-je."
Et elle riait de plus belle.
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