5. un paquet de bonbons et un tee-shirt.
LE JOUR d'Halloween, Benjamin était passé me chercher chez moi. Ma mère était de garde, ce qui m'arrangeait grandement, pour une fois.
J'avais enfilé un chemisier à jabot blanc, un pantalon rose, des chaussettes blanches qui remontaient jusqu'au genoux, mes derbies fétiches et un long manteau bordeaux. Pour le crochet, j'avais enlevé la tête d'un peintre pour le glisser dans ma manche. Une fausse moustache dessinée au liner et une grosse plume sur le crâne - faute de chapeau, je pouvais me considérer prête.
"Ah ouais, tu rigolais pas quand tu disais que t'avais le manteau parfait.
- Montre ta gueule de crocodile, qu'on rigole."
Il rabattit la capuche sur sa tête et s'exposa à la lumière. Tout de vert paré, il avait une tâche blanche au ventre et des pics jaunes sur les bras. Une tête de crocodile ridicule sur le crâne, et sa propre tête d'imbécile heureux sous le déguisement.
"Alors, on va pas faire le duo le mieux assorti de la soirée ?"
Il me prit par le bras après que j'ai fermé la porte à clé et m'emmena vers la soirée d'Halloween que j'attendais avec impatience.
*
Je reconnus plus de monde que je l'eus cru dans cette soirée. Gloria, qui s'était moquée de nous en voyant nos costumes, avait invité des gens du lycée. Je reconnus Olivier, un garçon de ma classe, qui avait toujours été gentil avec moi.
Evidemment, la meilleure amie de Gloria était là, elle aussi. Déotile était installée sur le canapé avec son Lucas qui lui collait aux basques. Elle portait une jolie robe noire, des fausses dents et du faux sang collé au visage; dents que Lucas enleva pour l'embrasser de manière presque déplacée sur le canapé.
J'aperçus un garçon qui regardait aussi la scène et crispa son verre entre ses doigts si fort que le liquide déborda et il en renversa sur le sol et sur sa chemise blanche.
« Putain, Gus ! se plaignit Gloria. T'as cru que ton verre était en titane ou quoi ?
— Désolé, marmonna le concerné.
— Déo, appela la blonde. T'as pas un tee-shirt de secours dans ton sac ?
— Si, je vais te le chercher. »
Gloria allait protester mais la brunette l'implora du regard. Elle se leva sans écouter les protestations de son copain et courut dans le hall d'entrée pour chercher son tee-shirt de secours.
« Ce pauvre mec la kiffe. Déotile. Ça crève les yeux. Le truc c'est que je sais même pas si elle sait qu'il existe, chuchota Benjamin en pointant le garçon à la chemise trempée d'un coup de menton.
— Il a l'air gentil.
— Glo l'aime bien aussi. »
Déotile revint en trottant sur ses petits talons, un tee-shirt à la main.
« T'as pas intérêt à le tâcher, j'y tiens, menaça-t-elle en tendant le tee-shirt au garçon. »
Elle leva les yeux sur lui et lui adressa un grand sourire. Le garçon baragouina un petit merci avant de partit s'enfermer dans les toilettes.
« Au moins, maintenant elle sait qu'il existe. »
Benjamin me décocha un sourire complice et m'entraîna vers les grands bols de bonbon.
*
Le film avait commencé, mais il ne me plaisait pas. Trop d'hémoglobine. Je prétextais une envie pressante à Benjamin, qui se moqua de moi en disant que j'étais une poule mouillée. Ce qui n'était pas foncièrement faux.
Je me retirais dans la cuisine, où je savais trouver les restes de bonbons. En voyant la lumière allumée, je conclus que je n'étais pas la seule à avoir eu cette idée.
Déotile était assise sur le buffet de la cuisine, à regarder le fond de la bouteille – vide, qu'elle tenait entre les mains.
« Tu regardes pas le film ? demandais-je en m'asseyant à côté d'elle.
— Non, j'aime pas, Lucas en profite pour me peloter. Je me sens pas à l'aise. J'aime pas qu'il exhibe notre couple comme ça. Je l'aime pas. Fin si il est sympa mais voilà quoi je l'aime pas. Non pas du tout. Il est même chiant.
— Et pourquoi tu le quittes pas ?
— C'est le seul qui veuille bien de moi. »
J'allais pousser le pauvre Augustin sur le devant de la scène mais je me suis dis que je n'aurais pas aimé qu'on me fasse ça. Alors je me suis simplement penchée sur mes chaussures.
« T'es sûre de toi ?
— Mh-mhh.
— Et toi, personne te plaît ? »
Elle rougit comme jamais.
« Non. Enfin, peut-être. Je sais pas trop. Si un peu mais c'est rien.
— Ne me dis pas si tu veux, conseillais-je. C'est quelque chose de personnel, je comprends. »
Je brossais toujours les gens dans le sens du poil : ils entendaient ce qu'ils voulaient entendre, ne se sentaient pas prisonniers et parlaient généralement plus que si on les y forçais.
« Tu connais le mec à qui j'ai passé un tee-shirt ?
— Non mais je vois de qui tu parles.
— Il est super mignon, non ? Genre vraiment beau. Mais je le connais pas tu vois. Donc je peux pas dire s'il me plaît parce que c'est instantané. Comme les nouilles. Ah, voilà, c'est un crush de nouille.
— Ouais, ça va mais sans plus. »
Elle éclata de rire en brandissant sa bouteille.
« Je vais te frapper.
— Et pourquoi tu vas pas lui parler ? »
Déotile mima le signe du silence en soufflant sur son index.
« Et toi, tu sors avec Ben ?
— Non.
— C'est dommage.
— Ce qui est dommage, c'est que tu ne rompes pas avec ton copain. »
Je me penchais vers elle. Elle sentait un étrange mélange de parfum et d'alcool.
« T'en veux ? demanda-t-elle en tendant la bouteille.
— Non merci. Je bois pas. Et elle est vide.
— C'est bien. Ça veut dire que t'es assez sobre pour pouvoir me gérer. Et pas me faire parler à mon crush. Je compte sur toi.
— Ce serait toujours mieux que ton mec actuel, tu sais. »
Déotile soupira, l'air de ne pas vouloir en reparler, avant de reposer la bouteille sur le comptoir.
« C'est quoi ? demandais-je pour changer de sujet.
— Manzana. C'est pas fort. »
C'était peut-être plus fort que ce qu'elle pensait parce que le nombre de conneries qu'elle disait augmentait en exponentielle.
Un individu nous coupa dans notre conversation en arrivant dans la cuisine. Il tenait un paquet de bonbons dans la main. C'était Augustin.
« Déotile ? »
La jeune fille pencha la tête et lui sourit.
« C'est moi, je crois. Peut-être que tu cherches une autre Déotile ?
— Si quelqu'un d'autre dans le monde s'appelle comme ça, la question se poserait peut être. Mais non, c'est toi que je cherche.
— Qu'est ce que tu veux ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.
— Je vais te rendre ton tee-shirt. Je vais rentrer et...
— Garde le.
— T'avais dit que t'y tenais alors je pensais que...»
Déotile éclata de rire pendant que le pauvre garçon fronçait les sourcils, dépassé par les événements.
« Tu me le rendras au lycée. Tu vas quand même pas rentrer avec ta chemise trempée, si ? Tu vas attraper un rhume. Je veux pas que tu tombes malade à cause de moi.
— Si tu veux, constata-t-il, perplexe.
— Mais tu rentres déjà ? On a prévu de danser et tout, tu devrais rester, ça va être sympa ! On peut même danser ensembles si tu veux ! »
Je ne savais pas si elle pensait vraiment ce qu'elle pensait alors je posais la main sur son bras, histoire de lui rappeler qu'elle m'avait demandé de l'éviter.
« Je me sens pas très bien, se justifia-t-il. »
Elle se leva et s'approcha de lui, d'un pas pressé et si rapide pour son corps sous alcool qu'elle manqua s'étaler sur le sol.
« Qu'est-ce que tu as, tu vas t'évanouir ? T'as besoin d'aide ? La mère d'Astrée est infirmière elle peut t'aider non ?
— Non c'est rien. Mais c'est gentil de t'inquiéter. »
Déotile fit la moue. Je la fis à mon tour. Cette fille après plus de deux verres était une véritable anguille. Je me levais également pour rejoindre la brune, au cas où ça dégénérait.
« Me dit pas que c'est Lucas qui t'a dit de partir. Ce gros con. Je le déteste. Ah je le déteste ! Je vais le frapper, vraiment le frapper, dis moi que c'est à cause de lui que tu pars et pas parce que t'es malade. »
Augustin se mit à rire.
« Non. C'est juste moi. Pourquoi tu veux que ton copain me menace ? Tu m'as juste prêté un tee-shirt.
— Oui, marmonna Déotile, penaude. Mais il est très con. »
Elle releva les bras avec un grand sourire.
« Câlin d'au revoir alors ! Tu te joins au câlin Astrée ? Viens ! »
Elle le serra dans les bras et il lui rendit timidement son étreinte, ne sachant où mettre les mains.
« C'est des bonbons ? Je peux ?
— Déo, on va retourner voir le film, je crois.
— Elle est bourrée, hein ? »
J'haussais la tête pendant qu'Augustin ouvrit son sachet pour lui donner quelques bonbons, la tête triste.
« Merci t'es le meilleur ! »
Je pris le bras de Déotile et échangeait un regard avec Augustin.
« Rentre bien.
— Merci, bon courage avec elle.
— Je suis grave sympa, pourquoi on aurait besoin de courage pour moi ?
— Parce que...tu te comportes comme une enfant, souligna Augustin. J'aime bien les enfants, c'est juste que-
— Ah, enfin quelque chose de gentil qu'on dit sur moi.
— Je suis quelqu'un de gentil. Allez, salut les filles !
— Non reste ! »
Déotile lui pris le bras pour le retenir et fit la moue de cocker.
« On a des costumes de vampire tout les deux ça veut dire qu'on doit parler.
— Y'a deux autres vampires dans la salle, Déo. Tu pourras leur parler à eux, intervins-je. C'est pas un costume super original.
— Oui mais lui c'est un vampire avec un tee-shirt super cool. »
Je la fis lâcher le bras d'Augustin et fit un signe de la main à ce dernier pour le laisser partir.
« Repose toi bien, le saluais-je avant de faire s'asseoir Déotile sur une chaise. »
Le garçon disparu après des derniers mots et Déotile leva de grands yeux boudeurs vers moi.
« T'étais en train de le draguer ! protesta-t-elle, presque avec une voix d'enfant.
— Non, juste de le libérer. Et toi, tu m'avais dit que tu voulais pas lui parler.
— J'ai changé d'avis. Je veux être son amie.
— Tu sais très bien que tu veux être plus.
— Plus quoi ? demanda Gloria. »
Déotile s'empourpra.
"Ok, c'est à moi de gérer ça, je crois. Merci de t'en être occupée, Astrée, tu peux retourner voir mon cousin maintenant."
Gloria prit une voix plus affectueuse en se penchant vers Déotile.
"Allez bichette, on va voir le film ?
- Non.
- C'est pas une question, Déo, viens avec moi.
- Non. Ou alors tu me laisses être loin de Lucas...
- Va vraiment falloir que tu lui parles, tu vas pas l'éviter longtemps, si ?
- J'ai peur qu'on m'aime pas. Lui il m'aime. Un peu."
J'en avais assez entendu.
Je commençais à être mal à l'aise. J'allais chercher Benjamin et le prévenir que je rentrais chez moi. Hors, il avait l'air bien trop absorbé par le film. En revanche, je remarquais que ce garçon, Olivier, me fixait. Il me fit un petit signe de la main lorsque je m'éclipsais discrètement.
Je lui en adressais un en retour avant de fermer la porte.
Devant moi, il y avait ce garçon qui marchait, les mains dans les poches. Je lui courus après avant de m'écrier "un bonbon ou un sort!"
Il eut un sursaut énorme et se retourna, prêt à m'en mettre une.
"C'était juste une blague.
- J'ai cru que c'était quelqu'un qui venait m'agresser, désolé.
- C'est rien.
- Je m'appelle Augustin. Et toi ?"
Je lui décochais un sourire.
"Astrée.
- C'est joli, ça rappelle les étoiles. Pourquoi toutes les filles du coin ont des noms qui rappellent les étoiles ?
- Parce qu'on est des futures stars."
Il éclata de rire et nous continuâmes notre bout de chemin tout les deux, jusqu'à ce que nos routes se séparent. Néanmoins, j'avais évité du plus que je pouvais de rentrer seule, ce qui me rassurait.
Lorsque je me couchais, après m'être débarrassé de tout mon maquillage. Et je fermais les yeux, repensant aux amis que je m'étais fait cette année, ceux que j'allais me faire, et tout me semblait être bon présage.
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