4. un croissant et un poème.

LA FIN du mois d'octobre arrivait à vitesse grand V : Benjamin s'améliorait en physiques - jusqu'à devenir meilleur que je l'étais en seconde, tandis que je piétinais en guitare. Néanmoins, il m'avait convaincue de chanter les chansons qu'il apprenait. J'avais donc appris la moitié du registre de Saez par coeur, pour qu'il ne puisse pas me surprendre avec une chanson surprise.

Ma préférence allait à Marta et Dans le bleu de l'absinthe. Je prenais plus de plaisir à chanter, assise dans l'herbe sous la gratte de Benjamin que de sortir boire le vendredi.

Depuis l'incident Gaétan, Déotile me souriait en classe. Si nous avions des binômes à faire, nous nous retrouvions toutes les deux; aussi bien parce que personne ne voulait de nous que parce que nous nous apprécions. Mais nous n'étions pas devenues amies.

En revanche, elle continuait à voir Lucas. C'était quelque chose que je ne comprenais pas.

Mais Benjamin avait eu un effet bénéfique sur moi. Nous nous retrouvions à la bibliothèque pour travailler, chacun de notre côté, et je m'améliorais. Je travaillais plus régulièrement et c'était une bonne chose.

"Gloria fait une petite soirée film d'horreur pour Halloween. Ca te dit de venir ? demanda Benjamin lorsque je sortis mes cahiers de cours à la bibliothèque.

- C'est toujours mieux que de rester chez moi à manger des bonbons. Ma mère est de garde.

- Super. Y'aura de l'alcool mais Glo est super ouverte : elle dit que les non-buveurs en laissent plus pour les buveurs et qu'il devrait y avoir plus de non buveurs dans les soirées. Du coup personne te forcera à boire, t'en fais pas.

- Tu peux lui dire qu'il y aura au moins moi. Et toi, je suppose ?"

Benjamin haussa les épaules d'un air gêné.

"Je vais peut-être prendre une bière ou quelque chose comme ça, j'en sais rien.

- Ouais, je vois.

- Tu sais ce qui serait cool ?"

Je levais les yeux vers lui, lui indiquant de continuer d'un coup d'oeil.

"Qu'on ai des costumes assortis !

- C'est pas plus ringard que cool, ça ?

- Oh, soit pas rabat-joie, ça peut être drôle.

- Ah ouais, et tu veux te déguiser en quoi ? soulevais-je, narquoise."

Il fronça les sourcils pour réfléchir.

"Un truc original, pas trop cliché, mais que tout le monde connaît...

- Pierre et Marie Curie en hommage à notre excellent niveau en physiques.

   — Je parle sérieusement! protesta-t-il en me frappant la main avec son stylo. »

   J'eus soudain une idée encore plus saugrenue.

   « Le capitaine crochet et Mouche !

   — Tu ne ressembles pas à Mouche.

   — Merci bien, répondis-je avec amusement. Je comptais faire Crochet, j'ai un manteau impeccable pour ça.

   — Je ne fais pas Mouche, s'indigna-t-il. »

   J'éclatais de rire alors il me jeta son stylo à la figure.

   « Y'aura ma cousine et tout ses potes, c'est mort.

   — Alors déguise toi en crocodile.

   — Tope là. »

   Je me demandais comment il allait trouver son costume de crocodile mais au moins nous y allions avec un beau costume commun.

   *

   Je me retrouvais devant le conservatoire. Démêlant mes écouteurs, quelqu'un me tapota carrément l'épaule. Je levais les yeux vers cette personne.

   « Salut ! Je m'appelle Giselle. Je peux te poser une question ? demanda la blonde. »

   De plus près on pouvait remarquer qu'elle avait plus de tâches de rousseur sur le visage qu'il y avait d'étoiles dans le ciel.

   « Euh, je suppose ?

   — Tu sors avec Benjamin ?

   — Non, soupirais-je.

    — Et tu crush sur lui ?

    — Ça fait deux questions, relevais-je en fronçant les sourcils. »

   Elle leva les yeux au ciel. J'eus encore plus envie de frapper son joli visage.

   « Il est juste content quand il te voit. Je pense que c'est bon signe. Vous formeriez un beau couple.

   — Sans vouloir te vexer, c'est pas tes affaires. »

Elle esquissa un sourire amusé.

« Vous avez le même caractère c'est dingue.

— C'est pour ça qu'on est potes, oui.

— Écoute, Astrée, je crois bien que tu devrais clarifier les choses avec lui. Parce que Ben dit pas que vous sortez ensembles, mais c'est tout comme. Alors soit il s'invente une vie, soit il se fait des idées sur votre relation. »

Je fronçais les sourcils, énervée par la tournure de cette conversation.

« Comment tu sais mon prénom ?

— Ma pote Cynthia lui a demandé une fois. En lui demandant si vous sortiez ensembles. Il a dit Astrée et c'est tout.

— C'est très gentil d'essayer de me prévenir mais tant qu'on ne s'est pas embrassés ou même pris la main, je pense que notre relation n'a besoin d'aucun éclaircissement, déclinais-je poliment.

— Salut Astrée, désolé pour le retard. Il me faisait encore chier avec le festival. »

Giselle se tourna vers Benjamin et ses cheveux dans tout les sens, avec un sourire compatissant aux lèvres.

« Si t'as toujours pas de groupe, tu peux te joindre à nous, Ben.

— Plutôt faire un solo, grinça-t-il.

— Bon j'y vais, Maia m'attend. À plus Astrée, s'exclama Giselle en m'adressant un signe, «

Benjamin haussa un sourcil en regardant la blonde partir d'un pas joyeux.

« C'était quoi ça ?

— Une comère en quête de ragots, soupirais-je. Elle voulait savoir si on sortait ensembles.

— Et qu'est-ce que t'as répondu ?

— J'ai préféré dire non plutôt que d'être ironique. »

Benjamin laissa échapper un sourire.

"Les gens ne comprennent pas qu'on puisse développer des liens avec des gens sans sortir avec eux pour autant."

Je n'osais le contredire; pourtant, quand les garçons de ma classe s'approchaient de moi, s'intéressaient à moi, j'avais l'impression que c'était pour autre chose que de la gentillesse.

Et je me sentais coupable de penser ça. Que les garçons étaient gentils avec moi seulement parce que devais leur plaire.

Benjamin s'acheta un croissant et s'assit sur un banc. Posant ses pieds sur le siège, il avait posé les fesses sur le dossier. Une étrange manière de s'asseoir, mais pourquoi pas.

Je l'imitais et il me donna un petit bout de son croissant. Je les picorais du bout des lèvres et nous regardâmes les bus passer, sans rien dire.

"Tu veux réviser quoi ?

- SVT. Ca te va ?"

J'hochais la tête. Après tout, il n'avait plus vraiment besoin de mon aide pour la physique. Il avait trouvé un moyen de progresser, tout seul.

"J'ai eu 17 en français, m'informa-t-il, croisant les bras.

- Oh, c'est super bien. En quoi ?

- Ecriture d'invention."

Je laissais échapper un petit cri admiratif.

"Pas mal. Tu me feras lire ?

- C'était pas très intéressant, mais si tu veux. On devait écrire un poème sur l'automne. J'avais l'impression d'être en primaire."

Il esquissa un rictus, et je ne pouvais m'empêcher de savourer cette petite discussion. Futile, ridicule, mais rafraîchissante.

Une fois dans le bus, il me tendit sa feuille. Un 17 était écrit sur le haut, cerclé de rouge, avec un grand "Bravo Benjamin ! Très belle plume !"

"Dois-je préciser que c'était la meilleure note ?

- Eh bien, Baudelaire, tu vas en faire des heureux à la Saint-Valentin."

Je me penchais vers le texte de Benjamin. Ses petites pattes de mouche noires étaient presqu'illisibles avec son stylo baveux.

"désillusions de l'automne, nos coeurs tombent comme les feuilles. C'est la chute lente, c'est la mort, c'est les derniers rayons de soleil emportés en coup de vent. C'est le manteau d'orange qui emporte la ville, c'est le nouveau noir qui se couche au sol, c'est nos coeurs qu'on écrase.

L'automne est la saison des morts, des chrysanthèmes sur les tombes aux feuilles qui tombent, tout perd la vie et le mal ressurgit, nos démons nous traquent, quittant le soleil pour notre triste existence.

C'est la chasse à la survie, la quête d'un hiver de plus au coin du feu, d'endurer un temps qui glace nos coeurs pour profiter d'un mois au soleil.

L'automne et son manteau orange n'est que le disciple du Mal."

Je relevais les yeux vers le regard curieux de Benjamin, impatient de savoir ce que j'en pensais.

"Honnêtement ? J'ai rien compris. Les mots s'assemblent comme ça et n'ont même pas de sens entre les paragraphes.

- Tu savais que la dépression saisonnière existait ? C'est ressentir les symptômes de la dépression, mais seulement en automne et en hiver. L'été, leur état se stabilise. J'ai lu un article dessus c'était intéressant."

Je ne savais pas. Je ne connaissais rien de la dépression ou des autres maladies mentales.

"Du coup, oui, ce poème ne parle pas que des fleurs et des feuilles mortes mais de dépression saisonnière."

Je lui rendis son poème sans savoir quoi ajouter.

"C'est vrai, joli plume.

- C'est un de mes talents, en effet.

- Tu as écris d'autres poèmes ?

- Non, mais ça ne saurait tarder. La prof a l'air d'adorer les poèmes."

Nous descendîmes du bus et je pus lui expliquer ce qu'il ne comprenait pas en SVT.

Le poème ne fut plus jamais abordé, comme la dépression saisonnière.

honnestly j'ai l'impression de m'auto sucer en disant quelle plume haha

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