3. une bière et un vendredi soir.
JE NE sortais jamais le vendredi soir; je n'avais pas les amis pour. En revanche, j'avais des tas de séries à rattraper et une liste de livres à lire qui ne prendrait fin que lorsque j'aurais passé la trentaine.
M'installant sur le canapé, je lançais un épisode de The 100. On m'avait promis une série palpitante mais je ne voyais qu'une couche de clichés que l'on saupoudrait de suspense. Et je mordais à l'hameçon comme une idiote. J'osais espérer que la saison deux serait moins clichée.
Mon téléphone vibra alors. Je le consultais : ma mère m'indiquerait sûrement qu'elle était de nuit et que je ne devais pas l'attendre et aller dormir.
Je fronçais les sourcils en voyant l'expéditeur.
Benjamin.
'Hey la comète, ça te dit de sortir ce soir?'
Je fronçais les sourcils. Mon coeur balançait. D'un côté, ma série, mon canapé, regarder Stup aboyer dès qu'il voyait un pot de glace sortir du congélateur, c'était des choses qui me rendaient heureuse. Mais de l'autre, voir Benjamin et surtout qu'on me propose de sortir un vendredi soir me rendait heureuse.
Le truc, c'était que je n'aimais pas les traditions de remplacer son sang par de l'alcool.
'Je ne bois pas, si tu veux faire la fête demande à quelqu'un d'autre' envoyais-je.
C'était peut-être un peu sec, cela dit?
'Sinon oui je suis partante' ajoutais-je.
Je me levais du canapé et me dirigeais dans ma chambre afin de jeter un oeil à ma penderie. Des pulls colorés, des gilets tricotés, des pantalons clairs et des jupes simples. Aucun sequin, aucune fanfreluche, aucun décolleté, rien qui puisse faire un peu plus adulte ou simplement adolescente qui s'amuse. Même mes chaussures demeuraient résolument plates.
J'aimais cette image que je renvoyais, de fille soignée, propre. Les gens me prenaient pour une fille très intelligente qui avait dix-neuf de moyenne et les profs m'aimaient bien : même si j'étais loin de briller dans toutes les matières.
'Cool! on se rejoint devant le conservatoire. Prend un pull!'
Je me sentis allégée par ce pull : ça voulait dire que je ne mettrais pas nécessairement de robe, ou de joli haut à sequin. Et puis, qui mettait un pull lorsqu'il était question de s'enfermer dans une maison où les stroboscopes s'excitaient de partout ?
J'enfilais mon pull préféré, un jean qui venait d'être lavé et fixais mes chaussures des yeux.
Non. Décidément, je ne pouvais pas me résoudre à porter ces derbies. J'avais beau les adorer, ce n'était pas la tenue que je voulais. Aucune de ces chaussures n'étaient ce que je voulais.
Avec un soupir, je me dirigeais dans la chambre de ma mère : elle ne m'en voudrait pas si je sortais avec une de ses paires de bottes préférées ?
Je les enfilais. Les talons n'étaient pas très hauts, je pouvais donc marcher sans chanceler. Dans la folie de l'instant, je lui empruntais aussi son rouge à lèvres. Les miens nuançaient du transparent légèrement brillant ou rose nude. Pourtant, je me trouvais un certain élan de confiance, avec ces lèvres rouge vif.
Je pris tout ce dont je pouvais avoir éventuellement besoin, d'une petite bouteille d'eau à mes écouteurs en passant par le chewing-gum et une boîte de pansements. Puis j'écrivis une petite note à ma mère et quittais la maison, après avoir vérifié une demie-douzaine de fois que j'avais éteint toutes les lumières et fermé la porte à double tour et que Stup avait assez de croquettes.
Je croisais quelques gens dans la rue; certains gambadaient joyeusement, les joues roses et le rire facile. D'autres marchaient normalement, pas ivres pour un sou.
"T'en as mis du temps. T'es venue à cloche-pieds ou quoi ?"
Il leva les yeux vers moi. Vu son regard, j'en déduisis que mon rouge à lèvres le surprit.
"Oh, tu tentes un nouveau look ?
- J'allais pas sortir avec une tenue de lycéenne.
- Pourquoi pas ?"
J'haussais les épaules. Je n'avais aucune envie d'être associée à la sage petite Astrée. Pas que je voulais faire des conneries ce soir-là, mais la simple étiquette 'Astrée' me convenait.
"C'est quoi ton plan ? demandais-je finalement."
Je vis alors qu'il transportait Eaz sur son dos. Le plan me sembla finalement très clair : un cours de guitare improvisé.
"Rien, j'avais envie de jouer de la guitare avec quelqu'un que j'aime bien. La plage, ça te va ? J'ai ramené des bonbons."
Ce plan me semblait plutôt bien. Carrément bien, pour être honnête.
"Je suis partante."
Nous nous mîmes en route vers la plage. Les rues étaient peuplées d'adolescents et d'étudiants au bar, bière à la main ou alcool plus fort pour certains.
Je reconnus des gens de mon lycée et j'étais bien contente d'avoir mis ces talons. C'était stupide. Je me sentais confiante alors que je ne faisais rien de spécial. Je marchais dans la rue comme si elle pouvait m'appartenir et ce sentiment était plus qu'agréable.
Je croisais une fille de ma classe, bière à la main, qui parlait avec un garçon jusqu'à ce qu'il l'embrasse.
Benjamin sembla les avoir vu aussi car il s'arrêta. Je ne savais même pas pourquoi : il ne pouvait pas la connaître, nous étions dans différents lycées.
- C'est la meilleure pote de ma cousine, ça te dérange pas si on rentre deux minutes ?
- Deux minutes pas plus.
- Marché conclu."
Nous nous dirigeâmes vers la fille de ma classe et son copain - ou coup d'un soir, je ne savais pas trop; non loin de là, une blonde au rouge à lèvres criard et à l'eye liner prolongé les regardais avec un sourire en coin.
"Glo ?
- Qui va là ? s'exclama-t-elle dans un hoquet de surprise."
Elle se tourna vers son cousin et leva les yeux au ciel.
"C'est pas un endroit pour toi ça, Ben.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Regarde, des couples, beurk c'est dégoûtant.
- Depuis quand Déotile sort avec Lucas ? demanda-t-il avec le nez plissé de répulsion."
La blonde haussa les épaules.
"J'suis pas une grande fan du couple non plus, mais écoute.
- Je trouve qu'il dégage quelque chose de mauvais.
- On est deux."
Je levais les yeux vers le garçon. Plutôt pas mal, un peu plus vieux que l'adolescente, il avait l'air totalement normal. Néanmoins, ils avaient raison : je ne me serais pas jetée dans ses bras, au contraire. Il dégageait quelque chose qui n'inspirait pas confiance.
"Pourquoi t'es venu me voir, tête de singe ?
- Je devais te rendre un truc."
Il lui tendit un pull qu'il avait glissé dans la poche de son sweat.
"Ah oui c'est toi qui l'avais."
Benjamin lui fit un clin d'oeil.
"Et tu es ? demanda la blonde en levant les yeux vers moi.
- Une amie.
- Gloria, la cousine préférée de Ben."
Le concerné leva les yeux au ciel et Gloria me tendit la main : ses longs ongles noirs s'apparentaient plus à des griffes qu'à autre chose.
"C'est cool de voir que mon cousin a des potes. Vous vous asseyez avec moi ? C'est dur de tenir la chandelle.
- On avait d'autres plans...
- Oh, allez, je vous offre un verre !"
Benjamin haussa les épaules en me regardant, l'air de me demander ce que j'en pensais.
"Je ne bois pas d'alcool.
- Moi non plus, Glo.
- Deux verres d'eau alors. OK. Je vous donne ma bouteille. Maintenant restez avec moi je vous en conjure.
- On reste cinq minutes pas plus."
Gloria battit des mains et comme par magie, les deux tourtereaux revinrent à la table.
Le rouge à lèvres de Déotile avait légèrement bavé sous son menton et elle n'arborait pas de grand sourire béat - plutôt une moue de dépit. Sa robe avait un décolleté généreux que ce Lucas bouffait du regard.
Décidément, il avait l'air parfaitement con.
"Salut Ben, sourit Déotile en allumant une cigarette.
- Bébé, tu m'en passes une ?
- On sort pas ensembles, pourquoi tu m'appelles bébé ?"
Lucas ne répondit rien et se contenta de poser sa main sur la cuisse de l'adolescente. Le regard de cette dernière puait la détresse. Je n'osais réagir et Gloria ne voyait pas ce qui se passait, nez dans sa bière.
Benjamin se racla la gorge.
"Désolé si je me trompe mais je crois que Déo aimerait bien que tu enlèves ta main.
- Mais non, pas vrai bébé ?"
La brune fit la moue.
"En fait, si. Je crois que je vais rentrer, je suis un peu fatiguée.
- Et on a un contrôle de maths lundi, inventais-je pour la sauver. Tu devrais réviser, apparemment il est super dur.
- Heureusement que tu me le rappelles."
Déotile enfila rapidement sa veste en se dégageant de la main baladeuse de son 'copain'.
"Profitez bien de votre soirée."
Lucas ne proposa même pas de la raccompagner mais lui quémanda quand même un baiser baveux à souhait avant de la laisser partir ; j'espérais que c'était parce qu'il avait compris qu'il la dérangeait. Benjamin me fixa, m'indiquant du regard qu'on allait partir. Je saluais la table avant de partir, suivant le brun dans les rues. Malheureusement, l'excitation de passer une bonne soirée était un peu retombée.
"Tu les connais ?
- Déo c'est la meilleure pote de Gloria. Elle est super gentille mais je sais pas ce qu'elle fout avec un trou du cul comme Lucas. C'est un mec qui traîne avec Anthony. Il est majeur en janvier, vit aux crochets de ses parents et est assez...malsain. Je crois qu'on en a eu l'expérience ce soir.
- J'espère qu'elle va arrêter de le fréquenter.
- J'espère aussi, mais si tu veux mon avis, ça va pas être le cas. Elle a besoin d'attention et ce qui est sûr c'est que Lucas va pas la lâcher."
Je ne répondis rien en fourrant les mains dans les poches de mon pantalon.
Benjamin nous emmena à la plage, où il s'assit sur le muret, en face de la mer. Il sortit des bonbons de son sweat et m'encouragea à en piocher un.
"Certaines personnes croient qu'elles sont nulles tant qu'elles n'arrivent pas à séduire.
- T'en fais partie ?
- Pas vraiment. Mais un peu trop quand même."
Il se mit à rire en piochant un bonbon à son tour.
"En fait, je fais la gueule de con parce que les gens en quête d'amis à tout prix me foutent la paix. Et je sais que ceux qui resteront tiendront vraiment à moi."
Je ne savais pas s'il m'incluait dans la liste de ses amis. Pour moi, c'était encore trop tôt avant qu'il me considère comme son amie.
"Bon, j'ai appris quelques nouveaux morceaux, tu veux les entendre ?
- Tu les apprends tout seul ?
- Ouaip.
- C'est pas super dur ?
- J'ai une bonne oreille."
Il chantonna quelques chansons connus, comme Creep et Hallelujah. Je murmurais les paroles du bout des lèvres, à mon tour.
"Désolé, c'est fait et refait mais elles sont toujours sympas.
- Au moins t'es sûr que je les connais.
- Je t'ai entendu marmonner, au fait. On devrait définitivement se faire une petite soirée chanson.
- Sans façon."
Il me regarda avec un sourire. Avant de recommencer à gratter sa guitare et de commencer à chanter. En français cette fois. Je me doutais qu'il jouait du Saez, c'était ce qu'il jouait toujours.
"De la mer tu éclaires
Une destination
Tu ressembles à ce rêve
Que j'ai fais autrefois..."
Je m'allongeais sur le muret, les yeux fermés, et me laissais porter par ses chants et aux paroles, me promettant de plus écouter Saez. La sérénité emplissait mes veines, malgré le vent froid qui soufflait sur ma peau.
"Astrée, tu dors ?"
Je n'avais pas envie de répondre. Je voulais rester allongée, là, avec la mer et sa voix, et m'endormir jusqu'à voir le soleil se lever.
"Je suis fatiguée.
- Tu veux que je te raccompagne chez toi ?
- Non merci, je peux le faire toute seule. A mercredi pour tes cours de soutien.
- A mercredi."
Je me levais, lui fit un petit signe de la main avant de partir à toute vitesse vers chez moi, serrant mon pull contre ma poitrine.
Lorsque je rentrais chez moi, je vis ma mère assise sur le canapé, au téléphone. Elle semblait avoir une conversation animée avec quelqu'un. J'en déduisis que c'était soit du travail, soit avec sa soeur. Pas quelque chose qui pouvait me concerner.
Lorsqu'elle me vit, elle raccrocha immédiatement. Avant de me toiser, le regard haut.
"Depuis quand tu sors le vendredi ? Et depuis quand tu me piques mes affaires ?"
Je croisais les bras autour de ma poitrine par réflexe.
"Oh, je vois, c'est un garçon.
- Pas du tout! Enfin, si, mais...
- Mais ?
- Laisse tomber, soupirais-je."
Elle m'invita à m'asseoir sur le canapé : je ne voulais pas vraiment avoir ce type de conversation avec elle mais je n'avais pas le choix.
"C'est à cause de lui que tu sors le mercredi, c'est ça ?
- C'est des cours de soutien, c'est tout !
- Donc tu vas me faire croire que tu es allée faire faire du soutien à un garçon un vendredi soir ?
- Il jouait de la guitare, rien de mal."
Ma mère fit la moue.
"C'est quand même la première arme de drague d'un garçon, la guitare. Il te plaît ?
- Non! Il est en seconde.
- Tu as le droit de m'en parler, tu sais. Je préfère que tu sois honnête plutôt que tu me mentes.
- Il ne se passe rien entre nous, maman, vraiment, insistais-je."
Ma mère laissa échapper un sourire rassuré.
"Je regarde un film, tu veux venir ?"
Je me débarrassais de mon pull, m'enroulais dans la couverture et m'appuyais à ma mère pour regarder sa comédie romantique niaise à mourir.
Mais en m'endormant dans le coin du canapé, je ne pus m'empêcher de constater que la romance manquait légèrement à ma vie.
eske j'ai casé déotile de partout
oui
totalement
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