18. une bière et la queue aux toilettes.
LE LENDEMAIN, je me retrouvais devant chez Gloria, assez nerveuse. Ma mère avait accepté, étrangement, ce qui me fit comprendre qu'elle avait ingéré une potion qui lui ramollissait le cerveau, ou alors qu'elle était amoureuse.
Olivier avait préféré ne pas venir. Il passait la soirée avec des garçons de notre classe que je n'appréciais pas plus que ça, "un truc cool sans prise de tête" avait-il dit. Plus ça passait, moins il faisait d'efforts pour que nous passions du temps ensembles. Et comme je n'en avais jamais vraiment, nous ne faisions plus grand chose. Le genre de couple qui mourait parce que personne n'entretenait le feu.
Gloria fut surprise de me voir. Elle avait une trace de rouge à lèvres sur la joue, des paillettes plein les paupières et un bandana rouge qui tranchait joliment avec ses mèches blondes.
"Tiens, t'es là, toi, constata-t-elle avec un certain dépit.
- Benjamin t'a pas dit ?
- Que ? Vous vous étiez vus hier ? Si. Que t'allais passer aujourd'hui ? J'y croyais pas une seconde. T'es vraiment le genre de meuf à rester sous sa couette devant un film, et j'dis pas ça parce que tu picoles pas."
Elle m'invita à entrer puis referma la porte et poursuivit :
"Genre, y'a quatre types de personnes. Les casaniers qui boivent pas. Toi. Les casaniers qui se mettent une grosse race quand ils ont le courage de sortir. Déo. Ceux qui boivent pas mais qui aiment bien sortir. Ben. Et ceux qui picolent et qui sortent quand ils peuvent. Moi.
- Et y'a que quatre types de personnes seulement ?
- C'est l'idée."
Ce qui était bien, avec les gens qui picolaient et sortaient quand ils le pouvaient, c'était qu'ils étaient locaces après deux verres.
"Le copain de Déo est là ? demandai-je alors, voyant cette dernière qui fumait à la fenêtre.
- Pense-tu. J'avais pas envie de l'inviter mais bon, il se serait pointé de toute manière. Trop de parasites dans cette soirée."
Déotile parlait énergiquement avec une fille que je ne connaissais que de visage. De longs cheveux ondulés qui oscillaient entre le roux et le châtain, des yeux verts et une forte poitrine. Très jolie, je devais bien le reconnaître.
"Bon, c'est pas que j'ai pas envie de te parler, mais j'ai soif."
Et la blonde me planta là, totalement perdue. Je cherchais une face connue mais j'affrontais la réalité : Gloria connaissait beaucoup plus de personnes que moi. Alors que j'étais en train de réunir le courage nécessaire pour faire la conversation à une fille qui me paraissait sympa, j'entendis quelqu'un glisser à côté de moi :
"Tu paries combien que Déotile va choper Joséphine ?"
Je me tournais vers la voix, médusée. Benjamin affichait un sourire goguenard face à ma stupeur.
"C'est qui, Joséphine ?
- Bin, tu la mates depuis tout à l'heure, je crois que tu sais qui c'est. Je te savais pas de ce bord là, d'ailleurs ?
- J'ai un copain, je suis pas lesbienne, lui rappelais-je."
Il me répondit avec l'index levé :
"People are bi, Steven."
Puis, il fourra ses mains dans les poches avant d'annoncer avec un grand sourire :
"Je suis content que tu sois venue.
- Déotile est bi ? m'étonnai-je.
- Bin, pas que je sache, parce qu'elle m'a jamais dit qu'elle l'était, mais bon, pour ta gouverne elle lâche ses meilleures pelles à Joséphine en soirée.
- Et son copain dit rien ?"
Il laissa échapper une moue qui ne présageait rien de bon.
"Honnêtement, j'crois que ça le dérange pas parce que Déo est hétéro, ça doit l'exciter plus qu'autre chose. Jules m'a raconté qu'un mec de sa classe lui avait proposé un plan à trois en apprenant qu'elle était bi. Franchement les gens ont un problème.
- Jules ? Elle ?
- Oui, Jules, la meuf de Gloria. Son vrai prénom c'est Julynn mais elle aime pas du tout alors on l'appelle Jules."
Je regardais alors au niveau de Gloria. Elle remplissait un verre en parlant à la fille que j'avais vue l'autre fois au festival. Sûrement la-dite Jules.
"Visiblement, t'as pas mal de commérages à raconter sur les potes de Gloria...
- J'en ai sur tout le monde, qu'est-ce que tu crois ? Faut arrêter de croire que les ragots c'est exclusivement pour les meufs."
Je me calais dans un coin de la pièce où on ne nous porterait pas attention et Benjamin commença à parler, pointant les personnes du doigt, même si c'était impoli.
"Elle, c'est Valérie. Elle est super drôle. Tout le monde dit qu'elle couche avec Augustin, tu te souviens de lui ? C'est celui qui kiffe Déo. J'me demande presque si c'est pas réciproque, en fait, d'ailleurs. Bref. Gloria dit que c'est impossible que Valérie et Augustin aient jamais fait quelque chose ensembles, parce que Valérie a, je cite "des ondes de lesbienne si forte que j'ai l'impression de me regarder dans un miroir".
Je regardais la blonde assise sur le canapé, dans un sweat rouge et un jean usé jusqu'à la corde qui montrait l'intégralité de ses genoux, les jambes grandes ouvertes, sans aucune grâce.
"Sinon, là, t'as Constance. C'est la meilleure amie de Jules. Elle joue super bien du piano."
Je le laissais me pointer la moitié des convives avec une petite anecdote pour chacun. Il buvait sa bière lentement, pas dans le but de boire pour se mettre dans la tête à l'envers mais plutôt parce qu'il en aimait le goût.
"Je te laisse, faut que j'aille aux toilettes, l'avertis-je.
- Reviens moi vite, s'amusa-t-il."
Alors que je montais les escaliers, j'entendis des voix dans les toilettes. Je maugréais dans ma barbe : les chambres ne leur suffisaient plus, ils envahissaient maintenant les seules toilettes de cette maison.
Je remarquais que la porte était entrouverte, mais ils étaient restés dans le noir et je ne voyais rien. J'entendais seulement quelqu'un haleter.
"Là, respire, tout va bien, Déotile."
La voix était masculine. Benjamin avait perdu son pari, ce n'était pas Joséphine. Mais ça ne semblait pas être son copain pour autant, il avait un timbre beaucoup plus grave, plus lent que celui que je venais d'entendre.
"Tout va bien, répéta-t-il.
- J'y arrive pas, répondit-elle, la voix entrecoupée de hoquets."
Mon sang se glaça. J'avais peur d'un viol. Alors que j'étais à deux doigts d'entrer, la voix du garçon se fit entendre :
"C'est pas grave, prend ton temps. Y'a aucune urgence. Je vais pas te laisser, d'accord ?"
Elle ne répondit pas, toujours pantelante. J'avais déjà entendu cette voix quelque part, mais je n'arrivais pas à l'associer à un visage. Et il était de dos, je ne voyais strictement rien.
"Eh, apparemment... fit la voix de Déotile, toujours affaiblie, couper la respiration c'est un bon moyen de se calmer.
- Ah..."
Il y eut un instant d'hésitation.
"Genre, embrasser ?
- Ouais, genre..."
J'étais abasourdie. A croire qu'elle feignait la panique pour embrasser quelqu'un sans remords.
"Tu veux que j'aille chercher ton copain ? demanda alors le garçon."
Déotile sembla paniquer de plus belle puisque j'entendis de nouveau sa respiration s'accélérer.
"N-non, fit-elle précipitamment.
- De toute façon, c'est peut-être mieux que je reste là...
- Ouais, c'est bien..."
Ils restèrent encore dans le silence jusqu'à ce que la voix de Déotile rompe encore son hyperventilation.
"Si ça se calme pas, tu vas devoir m'embrasser.
- T'as un copain.
- J'disais ça pour rire... l'humour ça me fait décompresser.
- Tu veux que je te raconte une blague, alors ?"
Elle ne répondit pas, ou alors sûrement par un sourire.
"C'est quoi un canif ? Un p'tit fien."
Un rire timide fit écho à cette piètre tentative d'humour.
Puis, miraculeusement, Déotile sembla se calmer.
"Ca va mieux ? fit-il.
- Ca peut aller.
- Tu peux retourner en bas ou pas ? Parce que là, clairement, je dois aller aux toilettes.
- J'vais rester encore un peu dans le couloir, je pense.
- Tu voudras que je reste avec toi ?
- Non, t'en fais pas, t'en as déjà fait beaucoup pour moi.
- Si t'as besoin, tu peux venir me voir, d'accord ?
- J'y pense."
Il y eut un bruit de baiser, puis des pas. Je m'éloignais alors de la porte pour faire comme si j'attendais poliment sans les épier depuis tout à l'heure.
Déotile sortit alors et je la regardais avec une surprise feinte.
"Oh, merde, t'attendais pour les toilettes ?
- Ouais, mais t'inquiète, c'est pas pressé.
- Ah, tant mieux, alors..."
Elle se tortilla d'un pied sur l'autre et finalement me regarda dans les yeux pour me lâcher un maigre sourire.
"Ca va, toi ?
- Euh, oui, ça peut aller...
- C'est cool que tu sois venue, c'est toujours marrant de voir les gens dans un contexte plus festif."
Avec le mascara qui avait légèrement coulé, son teint encore pâle et son rouge à lèvres à moitié parti, je n'étais pas sûre de la festivité dont elle parlait.
"T'es encore avec Lucas ?
- Euh, oui.
- Tu devais pas le quitter y'a un mois ?"
Elle poussa un long soupir.
"C'est compliqué. Mais ça va, maintenant, ça va."
Ca allait tellement bien qu'elle avait proposé à un autre garçon de l'embrasser dans les toilettes. Nous n'avions pas la même idée du concept.
"C'était lui, dans les toilettes ? fis-je alors, décidant de la piquer."
C'était sûrement mesquin mais j'avais le besoin de me venger de cette solitude. Parce que j'avais cru que nous étions amies et qu'elle m'avait fait comprendre que ce n'était pas le cas.
"Euh, non. Je sais pas ce que t'as entendu, mais c'est pas ce que tu crois...
- Ca paraissait plutôt clair, quand même.
- Ecoute, Astrée, t'es pas ma mère, j'ai même pas à me justifier, mais puisque tu veux tout savoir, j'ai fait une crise d'angoisse, Augustin est entré et m'a aidée, c'est tout, il s'est rien passé, sauf si le fait de me faire m'asseoir c'est tromper mon mec."
A cet instant là, le garçon sortit, et je pus enfin voir son visage. Celui sur lequel je pouvais mettre un nom. Il avait une trace de rouge à lèvres sur la joue, qui correspondait à la teinte de rouge que Déotile arborait.
Alors que je rentrais dans les toilettes à mon tour, je pus juste les voir interagir. Lui qui demandait à Déotile si ça allait en bougeant seulement les lèvres, elle qui lui répondait par un sourire en posant la main sur son poignet, puis qui lui désigna l'escalier du menton.
Et chacun avait sa perception différente de la tromperie ; mais à les voir se regarder comme ça, j'avais l'impression d'assister à une adultère. Parce que c'était comme s'ils étaient à deux doigts de se sauter dessus.
n'avait possiblement plus de 4g la vie est si compliquée .
bref en mode : je défend mon ship bonsoir.
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