15. une crêpe et la Bretagne.

LE MOIS de décembre était arrivé bien trop vite à mon goût. J'étais dans mon train en direction de Vannes, presque la mort dans l'âme. Je n'avais toujours pas de nouvelles de Benjamin et venais à m'en demander si Gloria lui avait vraiment fait passer le message.

Sa disparition soudaine me laissait un goût amer ; et malgré tout, je n'arrivais pas à l'oublier. Pire, même : plus j'essayais de ne pas y penser, plus son nom hantait mes pensées.

C'était toujours comme ça.

Mon père m'attendait à la gare. Il me serra dans les bras, m'embrassa le front, affirmant que je lui avais manqué. Peut-être que prendre l'air me ferait du bien, après tout.

Il me proposa même de manger une crêpe sur le port. Je ne refusais pas : après tout, j'aimais sûrement plus l'hiver que l'été. Il y avait moins de touristes et je pouvais sortir plus de deux minutes sans me prendre un coup de soleil sur le nez.

Je le tins au courant des essentiels de ma vie : que j'avais essayé d'apprendre la guitare - une boule se forma dans mon estomac, que j'avais un copain, que la S c'était compliqué - la boule s'accentua.

"Juju aussi, a un copain.

- Ah oui, elle a trouvé quelqu'un qui la supportait ?"

Mon père a laissé échapper un rire malgré lui.

"T'es mauvaise, ma fille."

Mais au vu de son sourire, j'ai su qu'il voyait bien ce que je voulais dire. Que Justine n'était pas méchante, juste terriblement chiante.

"Alors, il est gentil ? Tu as des photos ?"

Au moment où je dégainais mon téléphone pour lui montrer une des rares photos que j'avais d'Olivier, je vis que j'avais une notification Instagram, notifiant qu'un certain "ben_caalors" m'avait suivi. Je fronçais les sourcils et n'y prêtais pas attention.

"Ah oui, pas mal, fit mon père en se concentrant sur une photo. Il me rappelle quelqu'un...

- Son père travaille à l'hôpital. Il est chirurgien."

Automatiquement, mon père fronça les sourcils.

"Anselme ?

- Euh...oui, marmonnai-je, confuse."

Il ne semblait plus de si bonne humeur. Nous rentrâmes bien vite. Pendant qu'il prenait du pain à la boulangerie, je me penchais vers le profil du mystérieux ben_caalors, me rappelant quand avais-je déjà rencontré un Ben Calors. Et puis la réponse me vint subitement, pas par la photo de profil qui ne laissait pas voir le visage de la personne, mais par les personnes qui le suivaient. Gloria et Giselle, en somme.

Ce n'était pas Ben Calors, c'était "ben ça alors".

Je pouvais entre Maia grincer d'ici, "t'es si premier degré, ça me désole".

Je demandais à le suivre en retour, le coeur un peu battant. C'était un premier pas ; un premier contact depuis deux semaines. Après l'altercation à la bibliothèque, que j'avais encore en travers de la gorge. Je me souvenais être partie en furie, sans laisser à Olivier l'occasion de me rattraper ; j'étais trop en colère pour pleurer, aussi.

J'avais broyé du noir, supprimé toutes les chansons de Saez de mes playlists et au moment où j'ai compris qu'il ne servait à rien de s'énerver pour un mec, Olivier m'envoyait un "ça va ?".

Alors que je rentrais dans la chambre que je partageais avec Justine, j'y trouvais ma demie-soeur étalée sur son lit, téléphone à la main, en train de raconter je ne savais quel ragot inintéressant sur les filles de son lycée.

"Non mais c'est marrant, la nouvelle elle vient du Sud Ouest, comme moi, disait elle, peu consciente de ma présente.

- Oui, fin, Toulouse c'est pas exactement ton coin paumé, la corrigeait l'autre qui lui servait d'amie.

- Même, on est partenaires de chocolatine, on se sert les coudes !"

L'autre pouffa.

"N'importe quoi.

- En tout cas, elle traîne déjà avec Edouard... avec toutes ces filles qui lui tournent autour...

- A qui, Cristal ou Edouard ?

- Les deux ! J'ai entendu dire qu'elle était lesbienne. Tu pourrais peut-être aller la draguer."

Alors que son amie protesta, elle se releva et réalisa ma présence ; mon mutisme n'avait pas du aider.

"Oh, salut Astrée, fit Justine. Je savais pas que t'arrivais aussi tôt...

- Faut croire que si.

- Jade, fit son amie en me tendant la main."

Je préférais ça que faire la bise mais lui serrais avec un peu de réticence. Sa paume était moite. Super.

Elle paraissait un peu gênée. Sûrement parce que Justine avait révélé son attirance pour les filles et qu'elle craignait ma réaction.

"Bon, je vais y aller, moi, fit la-dite Jade en tordant ses mains de nervosité."

Justine répondit par une moue déçue mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Sûrement qu'elle comprenait que je n'avais pas vraiment envie de faire amie-amie avec sa camarade ; c'était déjà impressionnant qu'elle réussisse à la supporter.

"Salut."

Jade me gratifia d'un sourire poli avant de s'en aller. Justine se retourna sur le dos et me fixa. Elle portait un débardeur rose uni et un vieux jean, ce qui la faisait ressembler à une gamine de dix ans. Nous étions dans la même classe en primaire, d'ailleurs.

Elle aussi avait vécu à Saint-Palais, mais avait déménagé en Bretagne quand elle avait quatorze ans, suite à la mort de son père.

"Ca va ? fit-elle finalement.

- Tranquille.

- J'ai vu que tu t'étais fait un Insta, commenta-t-elle pour rompre le silence gênant. C'est cool.

- Je vis avec mon temps."

Elle eut un sourire un peu ironique, comme si j'avais trente ans avant l'heure.

"Papa m'a dit que t'avais un copain... fis-je finalement.

- Ouais... il est cool.

- J'espère."

Justine jeta un oeil à ses ongles rongés puis me coula un regard en douce.

"Toi aussi, non ?

- Etonnamment, oui.

- Pourquoi, étonnamment ?"

J'haussais les épaules.

"J'trouve ça cool, ajouta Justine. Tu te laisses enfin vivre, ça te fera du bien, non ?"

Sa remarque me piqua. Comment ça, je me laissais enfin vivre ?

"J'veux dire, tu t'es jamais montrée particulièrement agréable avec les gens, ni super sociable, d'ailleurs. Après peut-être que t'étais heureuse comme ça, hein.

- Je préfère être seule que mal entourée.

- Mais quand t'avais moyen d'être bien accompagnée, tu crachais dessus. C'est ça que je comprend pas.

- Je t'ai jamais demandé de disserter sur ma vie, Justine."

Mon ego était froissé ; je ne voulais pas qu'elle me fasse plus de remarques, je n'avais envie d'attirer ni sa pitié, ni sa médisance.

"Tu sais quoi ? Ton père il est venu me parler, une fois, et il m'a dit qu'il avait peur que tu te suicides tellement t'étais seule."

Sa remarque me fit l'effet d'un coup de poing dans l'estomac et me retourna les intestins.

"Alors, ouais, reprit-elle. Mieux vaut être seul que mal accompagné, mais des fois, c'est bien d'avoir des amis. Et pas vouloir d'amis, ça fera pas de toi quelqu'un de spécial et unique."

A voir son air sérieux m'annoncer des vérités odieuses, je ne sus pas comment réagir. Les mots se précipitaient dans ma tête, sans que je puisse assembler une phrase correcte. Et je ne suis ce qu'elle voulait faire. Si elle était méchante par pure cruauté ou si elle souhaitait simplement me faire réagir.

Et je ne pus trouver de réponse adéquate. Je me contentais de la fixer, très probablement pâle comme un linge, les poings tremblants de l'envie de lui en foutre une.

Je ne voyais réellement pas l'intérêt de cette agressivité.

"Tu sais, Astrée, reprit-elle d'une voix plus douce, c'est à force de trop se protéger qu'on finit par se faire mal."

Face à mon silence, elle se sentit obligée d'ajouter :

"Moi, j'ai été très seule aussi, par choix. Et quand papa est mort, j'me suis retrouvée bien dans la merde parce que j'avais personne à qui en parler. Et j'ai failli faire une tentative de suicide. Parce que j'étais comme toi, au collège, toujours le nez dans mes bouquins, dans les premiers de la classe, alors ça lâchait quelques petites remarques par-ci par-là, rien de bien méchant. Puis tu t'enfonces dans la parano. Tu te dis que si les gens rigolent derrière toi, ils rigolent de toi."

Je ne savais pas où elle voulait en venir. Je ne savais pas pourquoi elle s'était sentie obligée de me mettre dans un tel état de vulnérabilité pour me confier ces pensées.

"Et t'as beau croire que rien ne t'atteins, que tu vaux mieux qu'eux, la vérité c'est que tu guettes le moindre rire, que t'as l'impression que t'es à leur merci, que t'es une putain de porcelaine et qu'eux c'est des marteaux et que tu dois les remercier de pas t'éclater en mille morceaux."

Une boule sembla se former dans la gorge de ma demie-soeur.

"Et tu sais pas pourquoi je te dis ça ? C'est juste parce que je vois bien la manière dont tu me regardes. Comme si je valais moins bien que toi. Si tu fais ça avec tout le monde, c'est horrible. Et ça, Astrée, ça va te retomber sur la gueule. Et si tu tu tombes, t'auras personne pour te rattraper."

Je ne parvins plus à contenir mes larmes plus longtemps. Si Justine voulait m'avertir, elle l'avait fait d'une manière extrêmement désagréable et je ne pensais pas mériter ça.

"Je comprends pas pourquoi t'as été aussi méchante, réussis-je finalement à dire, après quelques minutes de silence entrecoupées de sanglots."

Justine esquissa un sourire triste.

"Parce que c'est dans la vulnérabilité qu'on écoute le plus. Là, t'as enfin arrêté d'être méprisante. Et tu m'écoutes. Et c'est dommage d'en arriver là pour pouvoir enfin te parler."

La blonde étrangla un sanglot de son côté avant d'affirmer comme elle le pouvait :

"Je sais que ça fait beaucoup à encaisser d'un coup et que t'écoutes pas, mais j'espère que tu comprendras, un jour."

Je regardai ma demie-soeur avant d'affirmer, le nez plein de morve - ce qui n'ajoutait pas à ma crédibilité :

"C'est dégueulasse de faire ce que t'as fait."

alors j'avoue que j'étais particulièrement remontée contre astrée en écrivant ce chapitre ? de base elles prenaient des nouvelles mais va y personne a jamais été méchant avec elle.
sinon la méthode justine est pas hyper cool et elle marche pas avec tout le monde lol du coup évitez si possible merci bisous.

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