10. du vin chaud et un festival.
JE N'AVAIS jamais été au festival : c'était une occasion pour les jeunes talents de se produire. Les élèves du conservatoire y pullulaient, prêts à montrer leurs talents pour quelques minutes. Cynthia, Maia et Giselle formaient un petit groupe; je ne savais pas où ça les menaient puisque je n'avais jamais vu les filles à l'oeuvre.
Ce que je savais, c'était qu'il ferait un froid de canard. J'avais mis deux paires de chaussettes mais j'avais peur que ça ne suffise pas.
Les filles passaient dans les premières. Après, elles me rejoindraient en bas, dans la foule.
En effet, le troisième groupe fut le petit trio. Giselle, fidèle à elle-même, avait attaché ses jolies boucles en queue de cheval, mis un gros pull, une jupe qui s'arrêtait en dessous des genoux et ses fidèles Doc. Elle ne ressemblait pas à grand chose habillée comme ça mais elle était relativement mignonne. Maia portait une robe en velours bleue et Cynthia un pull en laine rouge.
Elles se contenaient de reprises, comme la majorité des gens ici. Mais contrairement à la plupart qui entonnaient des chants de Noël ou des groupes connus comme Nirvana ou Radiohead, elles avaient une discographie un peu plus enjouée, plus douce, qui avaient plus leur place dans une fête de la musique estivale.
Cynthia chantait, Giselle s'appliquait à la guitare et Maia, à ma grande surprise, jouait de la harpe. Pour moi, ça avait toujours été l'instrument un peu bourgeois : on jouait du piano, de la guitare ou de la batterie. Mais pas de la harpe, ce n'était que dans les films. Et pourtant, à l'entendre jouer, je regrettais qu'on ne parle pas plus de la harpe, qui était un magnifique instrument.
Puis, à la fin de leur chanson, Giselle se leva de sa chaise pour y poser sa guitare et s'empara d'un petit ukulélé. Alors que mon talent pour la musique s'arrêtait à deux trois tuyaux refilés par Benjamin, quelques cours de chants et savoir taper sur les casseroles en rythme pendant que je faisais la vaisselle, ces filles-là savaient chanter et jouer de plusieurs instruments.
Définitivement je les admirais.
D'autant plus que Cynthia, qui assurait au chant, avait su passer de l'espagnol avec Siempre me quedara, à l'anglais avec New Rules, en passant par Les filles désir. Elle avait une voix accrocheuse, un accent impeccable et une assurance incroyable.
Mais là, Cynthia ne chanta pas. Ce fut la voix de Giselle qui s'éleva, jouant de son ukulélé en même temps. Plus timide, elle prenait de l'assurance à chaque mot qu'elle chantait. Les yeux rivés sur son instrument, elle commençait à les lever, regarder le public. Et son visage souriait de voir tout ces regards rivés sur elle.
Elle chantait Can't help falling in love; un bon pari puisque la majorité des personnes ici connaissaient cette chanson et entonnaient les paroles avec elle. Maia et Cynthia ne chantaient qu'aux chœurs, laissant à Giselle l'entière responsabilité de cette chanson.
Quand sa voix s'élevait, couplée au son doux du ukulélé, je me sentais ailleurs. Transportée par sa voix, par ces choeurs qui me transperçaient le corps. Il n'y avait plus de festival, plus de foule, juste un seul et même corps qui chantait, vivait ce moment sans jamais vouloir aller ailleurs.
Je me sentis bien, réellement bien : c'était quelque chose de transcendant, que de chanter le refrain sans pouvoir entendre sa voix, d'entendre les autres chanter avec soi, de faire corps avec les gens.
"Take my hand, take my whole life too, chantait Giselle.
- 'cause I can't help falling in love with you, reprenait la foule, étouffant sa petite voix fluette."
Lorsqu'elles eurent fini, il y eut une salve chaleureuses d'applaudissements. La blonde s'inclina, en proie à un fou rire. Elles se retirèrent dans les coulisses et me retrouvèrent à l'écart, quelques minutes plus tard.
"C'était comment ? demanda Giselle qui semblait surexcitée.
- C'était top, lui assurais-je. Sérieusement, vous avez géré.
- Le contraire aurait été surprenant, s'amusa Cynthia.
Elle passa les bras derrière les épaules de ses amies, leur claquant à chacune un baiser sonore sur la joue.
- Vous étiez top, ajouta la brune. Surtout vu les circonstances.
- Quelles circonstances ? demandais-je en fronçant les sourcils, me sentant à part.
- Rien, s'empressa de répondre Maia.
Elle ajouta un sourire à son propos, laissant clairement comprendre que quelque chose n'allait pas.
- Bon, pour fêter ça, allons au café. Ils font du vin chaud. Et d'autres trucs, ajouta Cynthia en me regardant.
Alors que nous buvions tranquillement dans la bonne humeur, un garçon s'approcha de nous, se dandinant sur ses pieds.
- Hey les filles. Je trouvais juste que vous aviez, hem, super bien chanté, tout ça. C'était cool.
- Oh merci, le remercia Cynthia avec un grand sourire.
- Et, ehm...
Je remarquais que deux autres garçons le fixaient en souriant. Ca devait être un de ces garçons un peu trop timides pour aborder des filles par eux-mêmes.
- Je te trouve vraiment très jolie, bafouilla le garçon en fixant Giselle.
Les tâches de rousseur de la blonde devinrent invisible tant elle était rouge.
- Ah euh...merci...cafouilla-t-elle, l'air d'appeler à l'aide.
On faisait tout de suite moins la maligne quand on se faisait draguer.
- Maia, Astrée, on se reprend un verre ? intervint Cynthia en vidant le sien d'un coup.
Maia ne répondit rien, se levant immédiatement.
Giselle nous assassina du regard pendant que nous nous éloignâmes. Je la regardais s'emmêler les pinceaux et rire de confusion.
- Y'a que toi qui sera célibataire, Cynthia, remarquais-je.
La brune me regarda comme si j'avais dis une énormité et le visage de Maia restait fermé comme de la pierre.
- Pas exactement, souleva finalement l'asiatique d'un ton pincé.
- Oh, merde, pardon, je suis désolée, je savais pas...
- Je sais bien que tu ne savais pas, je ne voyais absolument pas l'intérêt de t'en parler.
Elle qui était froide d'ordinaire semblait s'être transformée en iceberg.
- Giselle semble avoir fini, observa Maia en s'avançant vers elle.
Cynthia afficha un grand sourire qui me parut un peu faux et s'assit à côté de la blonde, prenant un ton enjoué, presque trop forcé.
"Alors ? Il s'appelle comment ? Tu lui as donné rendez-vous ? Tu as son numéro ?
- Ernest. Il s'appelle Ernest, répondit Giselle, les yeux dans le vide.
- T'es sûre que ça va ? s'inquiéta Maia en posant sa main sur l'épaule de la blonde. T'as l'air...
- J'ai son numéro, ajouta la blonde, l'air encore sonnée.
- Mais c'est super ça !"
Cynthia commença à projeter un rencard idéal mais Giselle lui plaqua la main contre la bouche.
"Non, tais toi. Je vais jamais lui envoyer de messages, je veux pas avoir affaire à lui, je...
- Mais Iz, il est mignon et tu lui plaît, pourquoi tu....
- Je vais tout gâcher !"
Cynthia entortilla son doigt dans les jolies boucles blondes de son amie.
"Et alors ? Ca arrive. C'est pas l'homme de ta vie, t'as pas de contrat signé avec lui, que je sache. Vous parlez juste, ça va être cool, non ?
- Non, répondit Giselle, l'air paniquée.
- Laisse tomber, Cynthia. On en reparlera demain, d'accord ?
La froide Maia semblait réellement maternelle avec Giselle. Elle la fit se relever et lui tendit un gobelet de chocolat chaud.
"Tu veux retourner dehors ? Ca va te faire du bien. On va écouter les gens, un peu."
Alors que je sortis, je tombais sur un visage connu. Gloria, perchée sur des talons, qui ne semblait pas m'avoir encore remarquée. Elle semblait en pleine conversation avec quelqu'un, une fille aux longs cheveux châtains et à l'air très douce.
J'étais surprise de ne voir ni Déotile, ni Benjamin dans le coin. Surtout avec Gloria dans les parages.
Avec un peu d'appréhension en premier lieu, je demandais aux filles de m'attendre et tapotais l'épaule de Gloria, ignorant mes mains un peu moites et ma langue toute sèche.
"Oh, salut, Astrid, c'est ça ?
- Astrée, la corrigeai-je.
- Eh bien, Astrée, je suis un peu en pleine conversation, là, ça te dérangerait de me laisser finir, s'il te plaît ?"
Elle avait l'air presqu'en colère contre moi. Je ne comprenais même pas pourquoi.
L'accumulation du rejet tout le monde me mettait en colère. Maia ne pouvait pas me supporter, d'accord, très bien ; Benjamin ne voulait même plus m'adresser la parole sans me dire pourquoi et se barricadait de ma personne. Quant à Gloria, elle qui était avenante, très souriante...je ne comprenais pas.
"Très bien, c'était juste pour te demander comment allait ton cousin mais j'attendrais, répondis-je, un peu piquée au vif."
Gloria se mordit la lèvre par réflexe.
"Il va bien, c'est le principal."
Elle posa sa main sur l'épaule de la jeune fille qui l'accompagnait. Une jolie fille aux longs cheveux châtains, raides comme des cordes qui lui coulaient le long des clavicules pour arrêter leur voyage à ses côtes. Ses yeux noisettes lui donnaient un air doux, elle avait le regard tendre, celui d'une personne qui ne ferait pas de mal à une mouche.
"On y va, Julynn ?"
La-dite Julynn opina et Gloria lui donna son plus beau sourire. Puis, elles s'éloignèrent et Julynn se retourna pour m'accorder un petit sourire plein d'excuse, avec ses yeux noisettes qui semblaient dire "désolée pour ça".
Maia se posta à côté de moi, les bras croisés.
"Pas commode, hein ?"
Je ne répondis pas.
"Tu sais, la prochaine fois, évite de déranger les gens en plein rencard...
- Gloria est ?...
- Lesbienne, oui."
Je me sentis encore plus surprise : avec Benjamin, nous parlions souvent, parfois de Gloria, et jamais il n'avait abordé le sujet.
"Et toi tu es...?
- Lesbienne ? Non. Bi, pan, non plus. Pourquoi ?
- Oh, pour savoir.
- Tu sais, dire le mot te transformera pas en lesbienne, Astrée."
Je ne voulais pas qu'elle me croie homophobe ; je n'avais aucun problème avec ça, tout le monde pouvait aimer qui il voulait.
"Non, je sais, c'est juste que... je m'y attendais pas.
- C'est pas comme si elle le cachait non plus. Elle a carrément un drapeau gay sur son bracelet.
- Je pensais que c'était juste...une fille qui aimait les arcs-en-ciel."
Maia me regarda, stupéfaite, et je me sentais tellement embarrassée que je voulais disparaître dans la foule.
"Mais dis moi, Astrée, tu vis dans quel monde, au juste ? Je veux bien qu'on pense que les réseaux sociaux ça te bouffe le cerveau et tout, mais quand même, ça instruit pas mal aussi.
- J'ai facebook, protestai-je.
- Inscris toi sur Twitter, ma vieille."
Je ne pus répondre, parce que Déotile venait de s'approcher de moi.
"Eh, salut toi, fit-elle avec un sourire en se penchant vers moi pour me faire la bise."
Elle puait la cigarette à plein nez, j'en détestais l'odeur. Je n'étais même pas d'humeur à lui faire la conversation. Je voulais juste rentrer, me rouler un boule sous ma couette avec une bonne musique et oublier toute cette soirée.
"J'ai vu Benjamin, m'informa-t-elle. Je pensais qu'il s'était perdu ou quoi parce que je te voyais pas avec lui. Mais finalement, t'es là. Il va chanter ?"
Elle parlait vite, d'un ton pressé, me suppliant de lui faire la conversation. Je ne comprenais pas : ce n'était pas Déotile, d'habitude. Quoique, étais-je assez proche de la brune pour comprendre qui elle était vraiment ?
"Je sais pas.
- Astrée, ça va ?
- Ouais, je vais rentrer, je suis un peu fatiguée.
- Oh, d'accord..."
Elle n'avait même pas lutté pour continuer à me parler. Je m'en sentais aussi vexée que soulagée.
"C'est dommage, tout le meilleur arrive après, tenta-t-elle finalement. Mais t'as raison, va te reposer.
- Dis moi, tu as vu Benjamin ? tenta Maia en voyant que j'avais à peine réagi.
- Oui, pas loin. Je me demande avec qui il est venu, parce que Glo' est en rencard et qu'Astrée n'est pas avec lui, finalement.
- Anto, se manifesta Lucas qui l'écoutait parler."
Déotile fronça les sourcils dès que la voix de Lucas s'élevait.
"Bon, mystère résolu, Anthony Angelin."
Je n'avais même pas envie de résoudre de mystère. Je voulais juste partir de cette foule qui m'oppressait.
Déotile aussi semblait oppressée par cette foule. Elle semblait mal à l'aise, surtout depuis que son copain avait passé le bras autour de sa hanche.
"Super, merci inspecteur gadget. Je vais rentrer, on se voit lundi..."
Déotile en resta rond comme deux flans et je pus entendre le rire de Maia.
Le lendemain, lorsque je me levais, je vis qu'elle m'avait envoyé un message :
'we stan a sassy queen'
désolée pour le retard once again my système immunitaire est faible
(en vrai c'est juste que j'essaye d'arrêter le café et le manque de caféine flanque un petit mal de crâne des familles breF)
bonne canicule lol protégez vous et faites attention à vos animaux svp astrée ne promène pas stup sur l'asphalte brûlant
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