1. un muffin et un cours de physiques.

   VENDREDI ARRIVÉ, je marchais jusqu'à l'école de musique. J'avais vérifié les horaires sur Internet pour ne pas attendre trop longtemps et fut surprise du flot de têtes connues qui sortaient.

   Évidemment, celui que je cherchais sortit en dernier, traînant les pieds.

   « Alors, inscrite ? »

    Je levais les yeux vers lui avec une moue.

   « Non, ma mère a pas voulu. Je te l'avais dis. Je suis venue te le dire personnellement pour que tu ne m'attends pas trop longtemps. 

   — Oh trop adorable tu penses à moi, ironisa le garçon. Tu lui as dit mes conseils ?

   — Ils ont pas marché. Ils sont nuls tes conseils.

   — C'est toi qui est nulle, je te donne de l'or tu le transformes en plomb. C'est l'inverse qu'on fait d'habitude. »

   Une fille blonde, nous passa devant. Je la détaillais du regard.

   Les yeux bleus, une constellation de tâches de rousseur sur le visage, des ondulations blondes et des pinces à chignon encadrant ses tempes, un collier autour du cou et une ignoble robe à fleurs qui semblait découpée dans une nappe de grand-mère avec des Doc marrons.

   Elle avait un léger sourire narquois surtout en plantant son regard dans le mien.

   « Ben, le prof m'a dit que tu devais arrêter de faire ta tête de mule et réfléchir sérieusement à sa proposition, annonça la fille en se plantant devant nous.

   — Non merci.

   — Il l'a dit, articula-t-elle.

   — Personne ne suit les règles ici, sauf toi.

   — C'est pas parce que t'es le cousin de Gloria que tu deviens obligatoirement monsieur rebelle, tu sais. »

   Benjamin leva les yeux au ciel.

   « Va voir ailleurs, Giselle. Je suis en train de parler à quelqu'un de plus intéressant que toi.

   — Je vais rejoindre mes amies qui sont moins pédantes que toi, claironna la dite Giselle avant de partir.

   — Désolé, le prof me tanne pour faire un groupe pour le festival mais j'ai aucune envie d'en faire un. »

   Je souris.

   « Et pourquoi ?

   — Parce que la classe de musique, c'est que des Giselle. Et les Giselle, en plus d'être super con, c'est super chiant. Alors non merci.

   — Elle est plutôt jolie, tu pourrais sortir avec une Giselle.

   — Plutôt me passer le couteau sous la gorge. »

   Il décocha un regard plein de dédain derrière la baie vitrée, à cette fille dans son tissu vieilli et son grand sourire.

   "C'est des filles comme elles qui me font perdre foi en la gente féminine.

   - Comment ça ?

   - La niaiserie. Elle pourrait jouer dans Si je reste ou quelque chose comme ça. Très prude, très délicate, qui crie quand on lui jette une algue dessus et rougis quand on prononce le mot b.

   - Le mot b ?

   - Comme le n word. Mot b. Bite."

   Le rire me démangea. Ce garçon était vraiment sympa, avec lui, parler ça ressemblait moins aux océans déchaînés mais ça coulait tout seul, comme un ruisseau.

   "Je devrais te suivre, mais c'est une fille.

   - Et alors ?

   - Et alors les filles se supportent entre elles. Alors je ne vais pas la critiquer, parce que la charte de la solidarité féminine me l'interdit.

   - On a pas de charte de solidarité masculine, nous.

   - Bin, un peu, si."

   Il haussa un sourcil, me poussant à continuer.

   "S'appeler beau gosse quand vous réussissez à choper tout en traitant les filles de salope quand elles y arrivent, c'est une forme d'encouragement masculin. Après ça exclut pas que vous vous critiquiez, mais vous dénigrez surtout les filles, et les filles se dénigrent entre elles. Regarde, là je suis en train de critiquer les filles qui critiquent les autres filles du coup je me critique moi-même.

   - Est-ce que t'es la première de ta classe en science sociales ou en philo, par hasard ?

   - Première S, alors non. Ca s'appelle juste de la culture.

   - Eh, j'ai une idée."

   J'haussais un sourcil : j'avais suffisamment parlé à Benjamin pour comprendre que ce garçon n'avait pas l'air d'avoir les meilleurs plans du monde.

   Il suffisait de voir ses mains recouvertes de dessins, ses cheveux désordonnés, la courbure de son sourire en coin, les plis de sa chemise à carreaux et les semelles crasseuses de ses chaussures trouées. J'étais sûre que si on relevait la jambe de son jean, on allait lui découvrir un mollet bleuâtre.

   "Tu veux jouer de la musique, c'est ça ?

   - Euh, oui ?

   - Et t'avais combien de moyenne en seconde ?

   - Je sais pas trop, dans les quatorze ?"

   Il siffla d'admiration.

    "Ok, donc je te propose un deal : je t'apprends à jouer de la musique et tu m'aides pour mes cours.

    - Ca vaut pas.

    - Bien sûr que si ça vaut, je suis même perdant si tu veux mon avis, parce que je suis pas si nul que ça, j'ai juste besoin de deux trois tuyaux pour la physique parce que je suis un vrai Jacques.

   - Une vraie brêle, tu veux dire ?

   - Oh, mais c'est que miss comprend mes références."

   Benjamin regarda la baie vitrée et eut une moue désolée. Je n'eus pas le courage de lui dire que c'était la physique qui avait considérablement baissé ma moyenne en seconde.

   "Je suis désolé d'interrompre notre si passionnante conversation pleine d'humour mais je dois y aller. On se retrouve lundi au café pour en parler ?

   - Tu te moques de moi ?

   - Non, je suis très sérieux. Je saurais te retrouver sur Facebook, un prénom comme ça ne s'oublie pas, Astrée. Je pourrais te le rappeler."

   Je sortis de l'école avec lui, qui rejoignit instantanément Anthony Angelin.

   "Désolé, j'avais une négociation très importante pour sauver ma moyenne.

   - Pour changer."

    Anthony leva les yeux au ciel en écrasant son mégot contre la semelle de sa basket.

    "Il fait ça avec tout le monde. On est devenus amis parce qu'il m'a promis une chanson d'amour contre un paquet de roulées. Et voilà où on en est, maintenant. »

Anthony gratifia l'épaule de Benjamin d'une bourrade "affective" et les deux s'éloignèrent joyeusement, me laissant seule.

*

  Il était en retard. Est-ce que ce genre de chose m'étonnait ? Absolument pas. C'était le genre de personne à poser ses pieds sur le bureau, écrire sur les murs et crier en pleine rue.

   Ou alors était-ce moi qui était en avance ?

   J'avais commandé un muffin aux myrtilles et un smoothie quand je le vis arriver, tout essoufflé. Il quémanda rapidement un muffin tout chocolat avec un café et s'assit en face de moi.

   « Tu as réfléchi à notre marché ?

   — Oui. Je pense décliner l'offre.

   — T'es sûre de toi ? Apparemment, j'ai un don, je dis ça comme ça. »

   Je me mis à sourire en mordant dans mon muffin.

   « Je rigole. J'accepte, il faut bien que je m'occupe. Tu veux commencer maintenant ?

   — Tu serais prête à faire ça ? T'es une super nana toi.

   — Je suis Belle.

   — Mais quelles excellentes références. »

   Il était frais dans sa manière de parler. Rien n'était prise de tête et tout coulait de source.

   « Quand j'étais petit je regardais les Winx avec ma cousine. On voulait en être un peu comme tout les gamins. Du coup moi j'étais Flora.

   — Ne te moque pas mais je voulais être Techna. »

   Benjamin cligna des yeux, l'air heberlué.

   "T'es la première personne que je rencontre à aimer Techna.

   - Moi aussi. Je connais que moi."

Ça m'avait légèrement complexé, d'ailleurs ; mais j'avais regardé quelques épisodes dernièrement et elle était toujours définitivement ma favorite.

« Flora était très cool aussi.

— Tout le monde adorait Bloom ou Stella, faut dire. »

Nous continuâmes à parler pendant une heure avant que je ne regarde ma montre et n'interrompe la discussion.

« Ma mère va m'attendre, je suis désolée...

— C'est dommage, on passe un bon moment...

— Je sais, mais elle me laissera jamais sortir de nouveau si je rentre pas.

— Dictateur maman. »

Je souris parce que c'était un peu vrai : ma mère était un docteur très apprécié à l'hôpital par sa douceur, mais avec sa propre fille, les rapports n'étaient pas au beau fixe.

« Au final on aura pas travaillé.

— Merde alors, on a plus qu'à se revoir.

— Dans ce cas on va à la bibliothèque, parce que je veux qu'on bosse vraiment.

— Pas de soucis. »

Il avait pris un air innocent que je connaissais bien chez les garçons comme lui : ce n'était pas prémédité. Mais il avait préféré me parler que de travailler. Il était là pour avoir une amie plus que la moyenne en physiques.

« Mercredi après-midi, tu fais quelque chose ?

— Non.

— Alors retrouvons-nous là bas à quinze heure. Bonne soirée Astrée, à mercredi ! »

Je le saluais et m'éloignais d'un pas rapide.

*

En proie à l'ennui d'une dizaine de minutes d'avance, je me promenais dans les rayons et choisis un thriller avant de m'installer à une table.

Alors que j'étais plongée dans l'intrigue, une voix me tira de ma bulle.

« Désolé du retard. »

Je levais les yeux vers lui.

« J'ai investi mon temps dans la lecture.

— Tu lis quoi ?

— Que ta volonté soit faite, de Chattam.

— Ah, lui je connais !

— Tu en as lu ? demandais-je avec un sourire. »

Il fit la moue.

« J'ai commencé Les arcanes du chaos mais j'ai arrêté quand Yael disait qu'elle était comme tout le monde parce qu'elle buvait du jus de tomate.

— Dégueulasse.

— On est d'accord. »

Il se pencha vers mon livre et susurra :

« Mais lui, il est bien ?

— C'est très bien écrit, j'adore. Je crois que je vais l'emprunter.

— Je crois que je vais réviser tout seul et te laisser finir ton bouquin. »

Je plissais les yeux pendant qu'il sortait ses affaires lentement.

« Attends, quoi ?

— Je vais revoir mon cours tout seul et te laisser lire, t'as l'air plongée dedans on va pas gâcher ça. Tape moi juste sur les doigts si je suis déconcentré.

— Non, t'inquiète. Je peux juste finir mon chapitre ?"

Il approuva d'un hochement de tête et sortit ses affaires. Néanmoins, il n'écrivait pas.

"Je te tape quand sur les doigts ? demandais-je après quelques minutes à le voir compter les petits spots éclairants au plafond.

- Désolé. J'y comprends juste rien."

Il se déplaça pour arriver à côté de moi et se pencha sur la page.

"Putain c'est bien écrit. J'aspire à une telle maîtrise des mots.

- N'est-ce pas ?

- Ca va me réconcilier avec les bouquins si je le lis, je crois.

- Me fréquenter va t'être bénéfique."

Il tira la chaise à côté de moi.

"Du coup tu peux m'expliquer la structure d'un atome ?

- J'ai une chose à confesser...

- Va-y.

- J'ai failli être refusée en S à cause de ma moyenne de merde en physiques, lui confiais-je."

Il ne s'énerva pas, contrairement à ce que je pensais, mais éclata de rire.

"Ca nous fait un point commun."

Je lui souris timidement en retour, avant de soupirer.

"Je vais quand même essayer de t'expliquer. On a un marché, non ?"

Son clin d'oeil rassura mon coeur.

"Je t'en voudrais presque pas si j'ai une sale note à cause de toi."

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