CHAPITRE VINGT-SEPT - qui nous devenons.


Une légère odeur de vanille flottait dans l'air.

Ce fut la première chose qu'Hermione remarqua en entrant de le petit cabinet, caché derrière une porte blanche, tout au fond du couloir.
L'homme qui la suivait avait un sourire affable, confiant.
D'une main, il lui désigna le petit sofa clair qui se trouvait sous la fenêtre magique, près d'une cheminée en pierres sombres dans laquelle se consumait une bûche de bois.

Lui-même pris place dans un fauteuil en osier, en face d'elle.
Posant un calepin sur ses jambes croisées.
Prenant une plume qui trônait dans un encrier sur une petite table.

Un bureau en chêne massif était dissimulé dans son dos.
Croulant sous des dizaines et des dizaines de dossiers, dans un fouillis dérangeant qui contrastait avec la propreté et le calme qui régnait sur les autres meubles de la pièce.

―Je suis ravie de vous rencontrer, Miss Granger, lança le docteur Lewis. 

Sa voix était douce.
Claire.
Chaleureuse.

En dépit de son appréhension d'être ici, Hermione comprenait pourquoi le docteur Mendez avait assuré qu'il était le meilleur dans le domaine.
Une phrase, un mot de sa part.
Et quiconque pouvait être tenté de lui dévoiler tous ses secrets.

―J'aimerais en dire de même, mais... lâcha-t-elle.

Elle sentit son visage s'embraser lorsque le médecin coula un regard amusé dans sa direction. 

D'un coup de baguette, il enchanta sa plume qui se mit à prendre des notes par elle-même.
Hermione ne put retenir une grimace en se souvenant que Rita Skeeter agissait de la même manière lors de ses interviews.

―Cela vous dérange-t-il ? demanda le médecin en percevant sa mimique.
―Non, pas vraiment, répondit-elle. Seulement, cela me rappelle des souvenirs... peu joyeux.
―Quel genre de souvenirs ?

Hermione prit une profonde inspiration avant de répondre.
Pour se laisser le temps de choisir ses mots.
De s'expliquer.
Car n'était-ce pas le but de sa venue ?

Dire ce qu'elle avait sur le cœur ?
Pour guérir, si ce n'est aller mieux ?
Pour pouvoir se relever ?
Songer à l'avenir avec plus de sérénité ?
Sans craindre constamment que quelqu'un viendrait s'en prendre à ses petits ?

Sa main se porta aussitôt sur son ventre.
Le regard du médecin suivit son geste.
Elle vit un léger sourire étirer les rides au coin de sa bouche.

Et ce fut suffisant pour qu'elle trouve la force de répondre à sa question.
D'abord de manière hésitante, car elle ne savait comment formuler ses pensées.
Puis, avec une fluidité qui l'étonna.
Et bien vite elle oublia la plume qui griffonnait activement sur le carnet, dont les pages, une fois noircies, se tournaient d'elles-mêmes.

Le docteur Lewis continua de lui poser des questions anodines.
Parfois sans aucun lien avec son mal-être.
Certaines requéraient une réponse développée.
D'autres une réponse brève.
Parfois il se contentait de lui demander si elle pensait à quelque chose en particulier.
Et il l'écoutait, sans rien dire.
Sans émettre de jugement.
Ni d'opinion.

Son visage n'exprimait pas la moindre émotion.
Restant d'une neutralité qui la mit d'abord mal à l'aise.
Puis, retrouvant peu à peu les sensations qu'elle avait éprouvées chaque fois que Fred l'avait écoutée, enveloppés par le silence de la nuit, elle se détendit.
Se laissa aller.
Sa main ne cessant de caresser son ventre.

Et ce fut avec moins d'appréhension qu'elle revint, deux jours plus tard.
Prenant place au même endroit.
Entourée par cette même odeur de vanille.

―Comment ça va, aujourd'hui ? demanda le docteur Lewis.

Il commençait toujours la séance de la même manière.
Et Hermione aussi.

―Je vais bien, disait-elle.
―Tant mieux, répondit l'homme. Vous avez bonne mine. Vous...

Et il enchaînait en abordant un sujet différent à chaque fois.
Pour la mettre à l'aise.
La mettre en confiance.
L'amener à se confier.
A exprimer ses peurs.
Ses doutes.
Ses angoisses.

Ils finirent indéniablement par évoquer le nœud du problème.
Le commencement de tout.
Hermione sentit les larmes monter, alors que l'homme la fixait avec sa bienveillance habituelle.
La plume cessa de s'agiter.
Le silence se fit.

Un maelstrom d'émotions s'empara de chaque cellule de son être.
Des frissons parcourent son échine.
Ses mains se mirent à trembler inexorablement sur son ventre.
Et la peur qui s'insinua sournoisement en elle.
Comme autrefois.

Elle se sentit perdre pied.
S'efforçant de se maintenir à la surface pour ne pas se laisser submerger.
Regrettant que Fred ne soit pas là, auprès d'elle, pour l'aider à combattre les ténèbres qui s'approchaient.
Si elle avait réussi à les maintenir à l'écart, durant tout ce temps, c'était grâce à lui.
Mais ils n'étaient jamais réellement partis.
Attendant seulement le bon moment pour refaire surface.

―Prenez votre temps, Hermione, souffla gentiment le psychologue. 

Elle s'accrocha au son de sa voix.
A la douceur qu'elle percevait dans le timbre légèrement grave.
Se répétant inlassablement qu'il ne lui voulait aucun mal.
Qu'il souhaitait seulement l'aider.
Lui donner le moyen de s'en sortir.

Elle imagina Fred assis près d'elle.
Sa main posée sur son ventre, comme il avait pris l'habitude le faire, chaque soir.
La tête penchée pour murmurer quelques paroles inaudibles aux bébés.

Elle ferma les yeux une fraction de secondes, puisant dans cette image toute la force et l'apaisement dont elle avait besoin pour ne pas se laisser submerger.
Pour repousser la noirceur qui approchait, lentement, tel un serpent s'approchant silencieusement de sa proie.
Pour trouver la force de laisser les mots sortir.
Les mêmes mots qu'elle avait un jour exprimés en présence de Fred.

―Je... souffla-t-elle, en rouvrant des yeux larmoyants. Je ne sais pas comment faire...
―Dites-moi seulement un mot, proposa le médecin. Le premier mot qui vous vient à l'esprit quand vous songez à ce traumatisme.
―Mourir.
―Vous avez souhaité mourir ?

Hermione opina.
Une larme lui échappa.

Elle laissa le souvenir l'envelopper, tout en maintenant les ténèbres à distance.
Revoyant avec une netteté effarante les détails sur les moulures du plafond.
Entendant le souffle saccadé de Drago et sa mère, non loin, alors qu'ils assistaient à sa déchéance sans oser intervenir.
Sentant de nouveau cette âcre odeur de transpiration et de folie.

Elle revit le visage de Lestrange.
L'éclat meurtrier dans ses prunelles sombres.
Elle sentit le poids de son corps pesant sur le sien.

Et cette douleur !
Cette incommensurable douleur !
Cette brûlure.
Ce venin.
Sur elle.
En elle.

Les cris.
L'agonie.
La peur.
La terreur.
Et cette terrible envie de mourir, oui.
De quitter ce monde pour ne plus jamais avoir affaire à la cruauté de l'être humain.
Pour fuir cette folie meurtrière et dévastatrice.
Pour échapper à la triste réalité de l'existence.

Sa main se posa involontairement sur sa cicatrice.
Son geste ne passa pas inaperçu aux yeux du médecin qui lui demanda si elle pouvait lui montrer.
Hermione hésita.
Incertaine.

Mais le sourire apaisé de Fred qui apparut dans son champ de vision la convainquit de le faire.
Alors, elle releva sa manche.

Si la plaie n'avait pas saigné depuis longtemps, elle n'en restait pas moins boursoufflée et intimidante.
Comme si cela s'était produit la veille.
Ou bien quelques heures auparavant.

Hermione détourna le regard.
Le médecin eut un bref mouvement de recul.

―Je vois, fit-il.

La plume s'agita sur le carnet.

―Je... ça ne guérit pas, soupira Hermione. Ça ne saigne plus, mais ça ne cicatrise pas pour autant.
―La cicatrice a beau être physique, la plaie est plus psychique, répondit-il. Elle est en vous et cette blessure n'est que la représentation de ce mal qui vous ronge.
―J'ai peur qu'elle ne s'en aille jamais...
―Pourquoi cela, Hermione ? 

Parce qu'elle craignait de ne jamais pouvoir guérir.
Parce qu'elle craignait de ne pas avoir la force nécessaire pour aller de l'avant.
Pour oublier le passé.
La peur.
La douleur.
Quelque chose s'était brisé en elle ce jour-là et elle ne savait pas si elle serait de nouveau capable d'être cette fille que tous avaient chérie.

―Le fait que vous ayez accepté de venir me parler ne prouve-t-il pas que vous êtes justement sur la bonne voie ? rétorqua le médecin. 
―Je ne sais pas, admit-elle. Sûrement.
―Vous savez, poursuivit le docteur Lewis. J'ai rencontré beaucoup de personnes comme vous, Hermione, depuis la fin de la guerre. Des personnes ayant subi un traumatisme tel qu'elles ne parviennent pas à reprendre le cour normal de leur vie car elles pensent ne pas en être dignes.
―Je sais que beaucoup de personnes ont vécu des événements plus difficiles que moi et sont parvenues à s'en sortir, dit-elle en songeant à Fred.
―C'est vrai aussi, admit-il. Mais cela ne change en rien le fait que votre douleur reste légitime. Que vous avez vécu des choses difficiles, sûrement plus que la plupart de mes patients. Et pourtant, je suis sûr que vous pouvez guérir. Vous avez la volonté pour le faire. Vous avez le désir d'aller de l'avant.

Il désigna son ventre proéminent d'un geste de la main.

―Vous êtes déjà en train de guérir, reprit-il. Inconsciemment. Sans même vous en rendre compte. 
―Vous croyez ? 
―Oui. Je ne dis pas que vous êtes totalement guérie, mais vous êtes sur la bonne voie. SI nous continuons à travailler ensemble, nous y arriverons.

Hermione sentit son estomac se nouer.
Les larmes lui venir.
Et alors, sous le regard bienveillant de cet inconnu, elle s'exprima.
Parlant, longtemps.
Racontant avec des détails saisissants ce qu'il s'était passé ce jour-là.
De leur capture.
De sa torture.
De chaque émotion qu'elle avait éprouvée. 
De chaque élément qui l'avait marquée.

Elle laissa les mots franchir la barrière de ses lèvres.
Sans chercher à enjoliver les choses.
Sans chercher à se cacher.
Sans chercher à mentir.
Mais ne racontant que la vérité.
Cette vérité qui la détruisait à petit feu.
Cette vérité qu'elle n'avait pas eu le courage de partager avant que Fred ne la pousse sur la bonne voie.
Cette vérité qu'elle avait essayé de fuir.
En vain.

Elle ne sut combien de temps elle parla.
L'heure de rendez-vous était sûrement dépassée depuis longtemps, mais le docteur Lewis ne l'interrompit pas une seule seconde.
Il se contenta de l'écouter.
Sans rien dire, sans exprimer la moindre émotion.
Il resta là, assis dans son fauteuil, tandis que sa plume prenait des notes pour lui.

Hermione parla de la douleur physique.
De la douleur mentale.
De cette peur de susciter la pitié chez les autres si elle leur disait qu'elle n'allait pas bien.
De cette sensation de sombrer jour après jour, alors que personne ne parvenait à voir combien elle souffrait.
Alors, elle s'était murée dans le silence et les mensonges.
Elle s'était renfermée sur elle-même.
Pour s'oublier.
Pour oublier.

Faire face lui paraissait impossible.
C'était comme escalader une montagne dont on ne pouvait apercevoir le sommet à la seule force des bras.
Elle ne le pouvait pas.
Son courage, sa force. 
Tout cela avait disparu sous le venin du premier doloris.

Elle s'était effacée.
Détruite.
Et tous les sentiments positifs qu'elle avait un jour ressentis avaient disparu.
D'un coup de baguette.
Elle était devenue une coquille vide.
Un corps sans âme.

La vie n'avait pas seulement fait que la détruire, elle avait emporté tous ses espoirs.
Ses rêves.
Ses ambitions.
Ses souhaits.
Tout ce qu'elle avait construit tout au long de sa vie.
Emportant l'amitié.
L'amour.
La joie.
Toutes ces choses qu'elle avait ressenties auparavant.

Elle lui avait pris l'essence de la personne qu'elle était.
La privant de tout.
La privant de cette allégresse qu'elle aurait du ressentir après la guerre.
Cette joie de pouvoir enfin grandir dans un monde où la couleur de son sang ne lui attirerait ni moqueries ni haine.
Où elle pourrait être qui elle voulait être.
Sans avoir peur.

Hermione était morte ce jour-là.
Et alors qu'elle continuait de s'exprimer, elle prenait conscience de tout ce qu'elle avait vécu.
Elle entrevoyait la globalité.
Pour la première fois depuis longtemps, elle prenait la pleine mesure de ce qu'elle avait vécu.
De ce traumatisme qui avait changé sa vie à tout jamais.
Mourir aurait sûrement été préférable.
Car elle allait devoir apprendre avec.
Se reconstruire avec.
Sans oublier.
Mais en y puisant la force nécessaire.

Afin de pouvoir regarder vers l'avenir sans se laisser ronger par la peur.
Sans craindre à chaque seconde que son bonheur allait s'écrouler.

Lestrange était morte.
Fred le lui avait répété à plusieurs reprises.
Et elle le comprenait enfin.

Cette femme ne viendrait plus jamais s'en prendre à elle.
Elle ne pourrait plus jamais lui faire de mal.

Et cela soulagea une partie du poids qui reposait sur ses épaules.
Pas entièrement.
Mais suffisamment pour qu'elle goûte de nouveau au parfum si particulier de l'espoir.

Et lorsqu'elle vit Fred qui l'attendait patiemment dans la salle d'attente, elle sut.
Que grâce à lui, et auprès de lui, sa vie ne faisait que commencer.

Octobre finit par apporter les premières températures fraîches de l'autonome.
Les premières pluies.
Changeant l'atmosphère qui régnait autour de la chaumière.
Apportant des sensations qu'Hermione appréciait de retrouver, un peu plus chaque jour.
Les couchant dans un petit carnet, comme le lui avait conseillé le docteur Lewis.
Pour ne pas les oublier.
Pour se souvenir que, même dans les moments difficiles, une lumière continuait de briller pour éclairer son chemin.

Un mois après le début des séances, le médecin mit enfin un mot sur son mal-être.
Stress post-traumatique.
Un terme barbare pour certains, mais Hermione l'avait déjà entendu, quand elle était à l'école moldue et qu'ils étudiaient les guerres mondiales.
Deux petits mots.
Deux simples mots.

Mais qui suffirent à rendre légitime son mal-être.
Son malheur.
A faire taire cette terrible impression qu'elle n'avait pas le droit de se plaindre car d'autres avaient connu pire.

Le changement se fit petit à petit.
Jour après jour.
Mais tous le remarquèrent.

Fred.
Arthur et Molly.
Ses parents.
Harry, Ron, Ginny.

Et tous se réjouirent de la voir redevenir cette femme qu'ils avaient toujours aimée.
Cette fille brillante.
Enthousiaste.
Pleine de vie.
De joie.

Son sourire revint.
L'éclat dans ses prunelles se fit plus intense.

Elle se plongea corps et âme dans la préparation d'une nursery pour les bébés, s'inspirant de la nature environnante pour décorer chaque recoin de la pièce qu'ils choisirent.
Fred la laissa faire, heureux, fier et empli d'amour.
Ne se lassant pas de découvrir la femme qu'elle devenait.
Tombant un peu plus amoureux d'elle.

Ils créèrent leur nid douillet.
Leur nid d'amour.
Leur havre de paix, leur foyer.

Cet endroit dans lequel ils aimaient être.
Cet endroit dans lequel ils aimaient se retrouver, pensant à leurs enfants.
Cet endroit dans lequel ils pouvaient panser leurs blessures.
Se découvrir.
S'aimer un peu plus.
Apprendre à faire confiance à l'autre.
Compter l'un sur l'autre dans les moments de doute, d'angoisse.

Un endroit où ils faisaient vivre la mémoire de George.
Où ils se promettaient d'être là l'un pour l'autre. 
De tout se dire.
De ne pas se mentir.
De profiter de la vie, comme George l'aurait voulu.

Son ventre continua de grossir.
Il devint plus difficile pour elle de se déplacer, mais sa joie était si grande qu'elle ne se souciait que peu de ce genre de désagréments.
Molly et sa mère venaient lui rendre visite aussi souvent que possible.
Fred prenait soin d'elle.

Et un matin, elle réalisa qu'elle n'aurait souhaité devenir quelqu'un d'autre.
Car entourée par l'amour de sa famille et celui de Fred, elle était heureuse.
Vraiment heureuse.

Enfin. 
 






Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top