CHAPITRE ONZE - essayer.

« Le temps passe.
Mais la douleur ne s'efface pas.
Elle semble même s'amplifier, jour après jour.
Pourquoi ? »

Les premières chutes de neige plongèrent la maison dans une atmosphère aussi triste que les jours qui suivirent la disparition de George. Il fallut longtemps à Hermione pour s'en rendre compte et d'en connaître la raison.
Pour comprendre pourquoi le chagrin régnait de nouveau en maître dans chacune des pièces de la bicoque mais également sur le visage fatigué de Molly.

Harry et Ron étaient revenus de leur voyage. Après leur dernière altercation, le Survivant n'avait plus remis le sujet sur le tapis et Hermione en avait été soulagée. Certes, elle comprenait ce qui le poussait à agir de la sorte, à se montrer si véhément face à son manque d'initiatives, mais c'était trop tôt, beaucoup trop tôt...

Elle n'était pas prête.
Pas prête à quitter le cocon protecteur du Terrier. 
Pas prête à affronter le monde extérieur.
La souffrance, la peine.
La mort.
De voir les dégâts causés par les Mangemorts, irrémédiables pour la plupart.
Elle ne voulait pas voir les plaies qui avaient encore besoin de temps pour cicatriser.

Non, c'était au-dessus de ses forces.

C'était lâche.
C'était indigne du courage des Gryffondor.
C'était la preuve ultime qu'elle ne pouvait plus se battre.
C'était le signe qu'elle n'avait plus la force de se battre.

Car la mort, elle l'avait vue à de trop nombreuses reprises.
Plus que de raison.
Elle l'avait vue, l'avait sentie aussi.
Elle l'avait vue prendre des personnes innocentes.
Elle l'avait vue prendre des êtres nobles et d'un courage sans faille.
Elle l'avait vue détruire des familles, des âmes.
Faire des orphelins.
Faire des veufs, des veuves.
Elle l'avait vue prendre des hommes, des femmes, des enfants.
Des sorciers de tout âge, sans la moindre distinction.

Hermione s'était battue toute sa vie.
Pour les autres.
Pour elle.
Pour l'avenir.
Pour l'espoir.

Mais aujourd'hui, elle ne le pouvait plus.

Elle s'efforçait de s'accrocher, de remonter la pente.
D'aller de l'avant, de faire un pas après l'autre.
Comme Fred.
Elle essayait de suivre son mouvement, s'inspirant de sa détermination.
Ce n'était pas facile tous les jours.
Car son cauchemar la hantait jour et nuit. 
Elle survivait au temps qui s'écoulait inexorablement.

Et elle tentait, tant bien que mal, de garder la tête haute pour ne pas s'écrouler définitivement.
Car elle était certaine que le jour où cela se produirait, alors, elle n'aurait plus la force nécessaire pour se relever.

Les nuits étaient devenues sa plus grande hantise.
Dormir était une épreuve. 
Les cernes sous ses yeux devinrent plus marquées après cette nuit-là.
La peur de revivre sa torture lui faisait peur, terriblement peur.
Chaque soir, elle redoutait le moment de se retrouver seule dans le noir, à attendre avec inquiétude ce qui devait être un repos salvateur, mais qui s'avérait être une source de terreur et d'angoisse. 

Et chaque fois, elle se réveillait en hurlant, le cœur battant la chamade.
La poitrine comprimée.
Les membres tremblants.
Le goût amer du sang dans la bouche.
La brûlure des doloris courant encore dans ses veines.

Fred était là à chaque fois.
Sa voix, douce et chaude, rompait systématiquement le silence qui l'oppressait.
Ses mains ne la lâchaient plus. 
Et Hermione parvenait à se rendormir dans ses bras, pour quelques heures.

C'est à partir de ce moment qu'elle comprit que quelque chose avait changé.
Leur relation ne fut plus la même à partir de cette nuit-là.

Au début, elle eut bien du mal à en prendre conscience.
Seule la présence apaisante du garçon avait de l'importance.
Dans ses bras, elle parvenait à oublier.
Elle parvenait à penser à autre chose.
A entrevoir un chemin plus lumineux.
A voir la lueur au bout du sentier.
A avoir de l'espoir à nouveau.

Mais lorsque son contact devint une nécessité, une chose dont elle ne pouvait plus se passer, elle comprit que ce ne serait plus comme avant.
Son cœur manquait un battement chaque fois qu'elle le voyait.
Son corps entier s'apaisait lorsque leurs regards se croisaient.
Son être se consumait lorsqu'il lui prenait la main ou qu'il la prenait dans ses bras. 

Elle essaya d'ignorer les sentiments qui s'éveillaient en elle à la simple vue du rouquin, mais ceux-ci étaient si forts qu'ils prenaient le pas sur tout le reste.
Elle essaya de l'ignorer, lui, mais c'était au-dessus de ses forces.
Car lui seul parvenait à retenir les ténèbres.

La semaine précédant la fin de l'année, Harry et Ron annoncèrent rejoindre la formation d'Auror mise en place par le ministère et qui commencerait début janvier.
Cette annonce fut accueillie sans surprise aucune, chacun ayant toujours su que les garçons étaient destinés à ça depuis longtemps. Seule Molly se montra plus réticente, mais n'essaya pas d'empêcher les garçons. 

Hermione non plus, ne fut guère surprise.
Elle avait toujours su que ses amis souhaitaient devenir des Aurors. 
L'un comme l'autre avait ça dans le sang. 
Et même si à présent, la menace d'un puissant sorcier des ténèbres avait disparu, le ministère avait encore la lourde responsabilité de juger les sorciers et les sorcières ayant participés, de leur plein grès ou non, aux atrocités commises pour Voldemort. 
Une grande campagne de recrutement avait donc été lancée pour renforcer les rangs des Aurors, puisque de nombreux avaient péri pendant la bataille et les survivants étaient appelés à témoigner dans les procès.

Et en les écoutant en discuter, un soir, lors du dîner, elle se demanda ce qu'elle-même pourrait bien faire, une fois... 
Une fois... guérie ?
Elle n'y avait pas vraiment réfléchi depuis la fin de la guerre.
Autrefois, son souhait le plus cher était d'entrer au ministère, au service de la Justice magique, pour mettre un grand coup de pied dans une fourmilière dont la vision étriquée et ancestrale ne correspondait plus à la société actuelle.
Une vision qui prenait les créatures magiques pour des parias, des monstres.
Une vision qui prenait la différence pour une immondice, une saleté dont il fallait se débarrasser à tout prix.

Une vision qu'Hermione se refusait à accepter.
Une vision qu'elle voulait faire brûler, la voir disparaître.
Afin que désormais, les elfes, les gobelins, les centaures et les loups-garous soient acceptés en tant qu'individus. 

Mais aujourd'hui, elle n'était plus certaine d'en avoir envie.
De rejoindre le ministère, dans lequel la corruption avait mené à la mort de centaines de sorciers né-moldus. Des personnes innocentes.
Des personnes qui, comme elle, avaient toujours cru en la bonté de la communauté magique mais qui en avaient été abusées.

Et le temps passant, elle savait qu'on finirait par lui demander ce qu'elle voulait faire.
Harry avait eu raison, finalement.
Elle ne pouvait plus se terrer ici indéfiniment.
Elle allait devenir une adulte, elle aussi et participer comme tout un chacun à la vie de la société.

Mais que faire ?
Comment choisir ?
Vers quelle voie se diriger ?

Un soupir lui échappa.
Elle referma doucement le livre qu'elle avait commencé à feuilleter, confortablement installée dans le fauteuil qui se trouvait au plus près de la cheminée.

Le froid devenait de plus en plus mordant à mesure que les jours d'hiver s'écoulaient.
Un épais manteau neigeux avait recouvert la plaine qui entourait la maison, plongeant celle-ci dans une atmosphère particulière.
Seule la présence constante de Molly rappelait que les lieux restaient habités la journée.
Fred errait, soit dans sa chambre, soit dans le salon.

Ils n'échangeaient que peu de mots lorsqu'ils se trouvaient en compagnie d'une tierce personne.
Pourquoi, ni l'un ni l'autre ne le savait. 
Mais ils préféraient se retrouver seuls, à l'abri des regards, pour parler, se rassurer, se soutenir mutuellement. 

Et puis, qui sait comment les autres auraient pu réagir à leur rapprochement ?
Que dirait-on si on savait qu'Hermione était la seule personne à laquelle Fred acceptait de confier sa douleur ?
Que dirait-on si on savait que Fred était le seul à savoir ce qu'Hermione n'avait pas le courage de dire aux autres ?
Molly n'émettrait probablement aucun jugement, Arthur et Ginny non plus. 
Mais Harry et Ron ? 
Que penseraient-ils du fait qu'elle leur ait cachés ce qu'elle vivait durant si longtemps ?
Qu'allaient-ils penser d'elle ?
C'était une question à laquelle Hermione craignait de connaître la réponse, aussi étonnant que cela puisse paraître. 

Elle soupira de nouveau.
Encore.
Et encore.
Comme si son quotidien ne se résumait qu'à cela.

Son regard se perdit par-delà la fenêtre du salon, et elle observa distraitement les flocons qui voletaient au grès du vent, dans un ballet aussi dispersé que l'étaient ses pensées en cet instant.
Une seconde, elle se remémora un hiver qu'elle avait passé avec ses parents, dans une station moldue. Une tempête bien plus violente que celle-ci les avaient contraints à rester enfermés dans leur chambre le soir du réveillon. Mais cela n'avait pas dérangé la petite fille qu'elle était alors, si heureuse de pouvoir profiter de ses parents, de l'instant présent. Ils avaient dîner, assis sur le grand lit de ses parents et elle avait écouté avec émerveillement leurs propres souvenirs d'enfance. 

Son cœur se serra lorsqu'elle pensa à ses parents. 

Même si la guerre était finie depuis longtemps, elle n'avait toujours pas eu la force ni le courage de se rendre en Australie pour leur rendre leurs souvenirs.
Car elle ne se sentait pas encore prête à affronter leurs reproches, leurs questions.
Ils seraient déçus, c'était indéniable.
Comment leur expliquer que si elle avait agi de la sorte, c'était unique pour eux ? Pour les protéger ? Pour éviter que les Mangemorts ne s'en prennent à eux car elle était la meilleure amie de l'ennemi juré de leur chef ?
Elle y avait réfléchi si souvent, durant leur fuite à travers le pays et depuis son retour ici, qu'elle avait déjà une très bonne idée des questions qu'ils lui poseraient. Elle voyait la peur dans les yeux clairs de sa mère, la déception dans ceux de son père. Car ce n'était pas ainsi qu'ils l'avaient élevée. 

Et les jours passant, elle avait senti la culpabilité l'étreindre. 
Elle repoussait cet instant. 
Celui où, lorsqu'elle se tiendrait devant eux, elle passerait d'inconnue à leur fille.
Leur unique petite fille.

Leur fille brisée.
Leur fille qui avait perdu son sourire, sa joie de vivre.
Leur fille qui avait vu plus d'atrocités qu'eux-mêmes.
Leur fille qui avait mis sa vie en danger pour sauver un monde auquel ils ne pourraient jamais complètement appartenir.
Leur fille qu'ils avaient vu s'éloigner d'eux à partir du jour où elle avait appris être une sorcière, une véritable sorcière. 

Bien sûr, ils lui manquaient.
Plus que tout au monde.
Mais elle ne voulait pas qu'ils se retrouvent face à celle qu'elle était aujourd'hui.
Car devant eux, elle n'aurait pas la force de faire semblant.
De mentir en disant aller bien. 

Non, sa mère la connaissait bien trop pour cela. 

Alors, elle laissa le souvenir des moments qu'ils avaient passés ensemble l'envahir.
Elle les revit, évoluant sous son regard d'enfant qui ne cessait de mûrir.
Elle se souvint de chaque anniversaire, de chaque vacances, de chaque Noël...

Noël !

Son regard se posa aussitôt dans le coin qui accueillait ordinairement le sapin d'un vert majestueux. 
Un coin vide.
Inexorablement vide.

Elle se souvint du dernier arbre de Noël qu'elle y avait vu, croulant sous des décorations plus colorées les unes que les autres.
Elle se souvint de la joie qu'ils avaient tous ressenti en l'habillant.
Elle se souvint des rires qui avaient résonné dans toute la maison alors qu'ils extrayaient les décorations des cartons que George et Fred avaient descendus du grenier. 
Elle revit Molly, assise dans le même fauteuil qu'elle occupait en cet instant, un sourire rempli d'amour aux lèvres, alors qu'elle guidait ses sempiternelles aiguilles qui confectionnaient ses fameux pulls de Noël. 

Voilà pourquoi elle avait l'étrange sensation que l'ambiance dans la maison avait changé.
Parce que Noël approchait.
Le premier qu'ils allaient célébrer depuis la mort de George.
Le premier depuis que cette famille toujours si unie, pleine d'amour, avait été détruite à tout jamais. 

Elle se demanda un instant si quelqu'un avait pensé aux fêtes qui se profilaient.
Quelqu'un avait-il pensé à installer un sapin ?
A décorer la maison ?

Elle sentit son cœur se serrer en réalisant que non.
Bien sûr que non.
Combien d'entre eux auraient le courage de faire la fête alors qu'il manquerait quelqu'un ?
Combien d'entre eux auraient la force de prétendre que tout irait bien alors que le souvenir de George planerait avec eux, douloureux ?
Combien d'entre eux pourraient sourire alors même que la tristesse les envelopperait ?

Et George ?
Qu'aurait-il pensé de les voir ainsi ?
Si rongés par leur tristesse ?
N'aurait-il pas voulu au contraire qu'ils célèbrent leurs souvenirs dans la joie ?
N'aurait-il pas voulu qu'ils fassent ce qu'il avait toujours aimé faire : donner du bonheur et de la joie aux autres ?

Fred serrait contre cette idée, c'était certain.
Mais il le fallait.
Elle devait le faire.

Pour eux.
Pour elle.
Pour lui. 

Elle devait lui faire comprendre qu'au-delà de la douleur, cela éveillerait de bons souvenirs de son jumeau.
Cela leur donnerait de l'espoir.
Cela leur donnerait de la force pour continuer d'aller de l'avant.

Elle ne réfléchit pas plus longtemps et s'engouffra à pas de loup dans l'escalier, ne prenant qu'une brève inspiration avant de toquer contre la porte de la chambre du rouquin.
Fred répondit aussitôt, sans la moindre hésitation.

Qui d'autre qu'Hermione oserait le déranger alors qu'il souhaitait clairement qu'on le laisse seul ?
Un sourire se dessina sur ses lèvres lorsque la jeune femme poussa la porte.
Il sentit son estomac faire des bonds. 

―Salut, souffla-t-elle doucement.

Elle n'osa pénétrer plus dans cette pièce qu'elle connaissait pourtant si bien, à présent.
Fred se tenait assis sur le rebord de la fenêtre, observant distraitement la neige qui tombait au dehors.

Elle sentit son visage s'embraser lorsque leurs regards se croisèrent.
Etait-ce de la joie qu'elle perçut dans ses prunelles ?
Ou bien était-ce son esprit qui lui faisait voir des choses qu'elle désirait si ardemment ?

―Salut, répondit Fred. 

Sa voix, calme et sereine, l'enveloppa toute entière.
Elle sentit son cœur se mettre à battre plus fort.
Sa peau se mit à picoter, désireuse de pouvoir toucher le garçon. 

―Est-ce que je peux te parler ? 
―N'est-ce pas pour ça que tu es venue ? rétorqua-t-il gentiment, en arquant un sourcil.

Elle perçut l'amusement sur ses traits. 
Son visage devint encore plus rouge.
Elle détourna le regard, gênée.

―Je sais que ce n'est sûrement pas une bonne idée, mais...
―Mais ?

Qu'allait-il dire ?
Allait-il lui laisser le temps de s'expliquer avant de refuser ?
Si l'idée lui paraissait sensée quelques minutes auparavant, ce n'était plus le cas à présent.

Son être entier criait encore au désespoir et elle, elle voulait décorer la maison pour Noël ?

Elle prit une profonde inspiration avant de répondre.





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