CHAPITRE DIX-SEPT - impossible...
« Impossible.
Impossible.
C'est une erreur.
Une terrible erreur, non, ce n'est pas...
Je refuse d'y croire.
Non, non, non...
Ils se sont trompés, voilà tout.
Oui, ils se sont trompés... »
Ce fut une désagréable sensation de froid qui réveilla Hermione.
Sur chaque centimètre carré de sa peau nue.
Dans chaque cellule de son être.
Alors même qu'il lui semblait que l'air environnant bouillonnait.
Elle crut même entendre le crépitement d'un feu.
Mais cela paraissait improbable.
Qui allumerait un feu en plein mois de mai, alors que les températures hivernales avaient fini par laisser place à cette douceur printanière qu'elle chérissait tant ?
Un crissement s'éleva à sa droite.
Une chaise ?
Il n'y en avait pourtant pas, du moins, n'avait-elle pas souvenirs d'en avoir vues.
Elle revit l'immense fresque sur laquelle s'étalaient les portraits des disparus, ne se remémorant que des familles debout, se soutenant tant bien que mal pour affronter la douleur.
Elle se rappela aussi avoir suivi les Weasley, guidés par Ginny, vers l'un des derniers portraits de sa file.
George était aussi souriant que dans son souvenir.
Même si la photographie en noir et blanc ne parvenait pas à le rendre correctement, elle avait également aperçu l'éclat d'amusement dans son regard.
Elle se rappela la souffrance de Fred.
D'avoir comblé la distance qui les séparait pour lui prendre la main, sans se soucier une seconde que les autres puissent les remarquer.
Fred avait eu besoin d'elle, et le reste n'avait pas eu la moindre importance.
Tant pis si leur secret devait éclater au grand jour.
Fred avait besoin d'elle.
Il n'avait pas eu besoin de le dire.
Elle l'avait compris à la seconde où elle avait remarqué qu'il était incapable de regarder le portrait de son défunt jumeau.
Elle l'avait compris en voyant ses épaules s'affaisser.
Elle l'avait senti.
Aussi simplement que cela.
Elle l'avait senti.
Et avait su aussitôt quoi faire.
Sans réfléchir.
Un nouveau raclement attira son attention, aussitôt suivi par des murmures.
Elle ouvrit doucement les yeux.
Elle ne se trouvait plus dehors, non.
Le matelas moelleux sur lequel elle était allongée en témoignait.
Non, elle était à l'infirmerie de Poudlard.
Une fine couverture blanche avait été remontée jusqu'aux épaules.
Les murmures s'intensifièrent et elle repéra le chapeau pointu de Mrs Pomfresh, l'infirmière de l'école, qui paraissait en grande conversation avec une personne qu'Hermione ne put voir, car elle lui tournait le dos.
Mais cette masse de longues boucles grises ne lui disait rien.
―Salut.
Hermione tourna la tête, surprise d'entendre la voix de Fred.
Le jeune homme était assis à son chevet.
Le teint rendu encore plus blafard par l'éclat foncé de sa robe de sorcier.
Hermione remarqua aussitôt ses yeux larmoyants.
Les cernes sombres sous ses yeux.
Un faible sourire étira ses lèvres.
Elle le lui rendit tant bien que mal.
―Comment tu te sens ? reprit-il.
―Patraque, répondit-elle. Nauséeuse aussi.
―Tu t'es évanouie, ajouta Fred en voyant ses sourcils se froncer. Tu nous as fichu une peur bleue, tu sais ? Maman a failli tourner de l'œil aussi.
Hermione grimaça, essayant de se souvenir de ce qu'elle avait ressenti avant de perdre connaissance.
Mais elle ne se souvenait que du moment où elle avait été soutenir le garçon, pour le soulager de sa peine et de son fardeau.
Autant qu'elle le pouvait dans une telle épreuve.
―Je ne me souviens pas, soupira-t-elle.
―Et c'est totalement normal, s'éleva la voix de Mrs Pomfresh. Miss Granger, si on m'avait dit un jour que vous seriez de nouveau allongée dans un de ces lits !
Fred lâcha un léger rire.
Hermione sentit son visage s'enflammer en croisant le regard à la fois réprobateur et amusé de la sorcière.
La femme avec qui elle discutait auparavant se tenait un peu en retrait, et semblait l'observer avec une expression indéchiffrable.
Hermione se détourna, mal à l'aise d'être ainsi observée.
―Comment vous sentez-vous ? demanda l'infirmière en posant une main fraîche sur son front.
―Nauséeuse, répéta-t-elle.
―Mh. Autre chose ?
―J'ai un peu mal à la tête depuis quelques jours, ajouta Hermione, les sourcils de nouveau froncés.
Mrs Pomfresh ne répondit pas et attrapa sa baguette qu'elle agita en des gestes complexes au-dessus du corps de la jeune femme.
Hermione l'observa faire en silence, essayant de comprendre pourquoi un simple évanouissement demandait autant d'attention.
Certes, elle avait encore envie de vomir, mais il fallait dire que le contexte ne la mettait pas en joie.
Depuis qu'ils avaient appris par Arthur que le ministère avait prévu une cérémonie de commémoration à Poudlard, elle ne se sentait pas dans son assiette.
Bien entendu, elle avait toujours su que le ministère allait prévoir quelque chose pour fêter les un an de la bataille.
C'était toujours le cas, quelles que soient les cultures et les communautés.
Célébrer, c'était marquer le renouveau.
C'était tirer un trait définitif sur un passé douloureux et traumatique.
C'était garantir, se garantir un avenir meilleur, uni, soudé.
C'était se débarrasser des mauvais souvenirs pour en construire de meilleurs.
Plusieurs fois, elle avait songé à y échapper.
Elle avait encore du mal à affronter son propre traumatisme, alors affronter la souffrance des autres ?
Se souvenir des personnes qu'elle avait connues et qui avaient perdu la vie ?
Revoir leur visage ?
Rouvrir les plaies qui commençaient tout juste à cicatriser ?
Seulement, il y avait eu Fred.
Et elle ne pouvait se résoudre à le laisser surmonter cette épreuve tout seul.
Pas cette fois.
―Du repos, finit par dire Mrs Pomfresh. Il vous faut du repos.
―Merci, souffla Hermione.
L'infirmière se contenta de lui offrir un sourire en réponse.
―La cérémonie ne doit pas encore être finie, reprit-elle en s'éloignant. Vous aurez encore le temps d'entendre la fin du discours du ministre.
Hermione n'eut pas besoin de le voir pour sentir Fred se raidir.
Visiblement, à en juger par l'absence des autres membres de sa famille, le reste des Weasley s'était rendu dans le parc pour écouter Kingsley.
Fred refusait-il d'y aller ou avait-il préféré rester auprès d'elle ?
―Oui, sûrement, répondit-elle.
Satisfaite, l'infirmière opina avant de leur dire qu'ils pouvaient partir.
Ils obtempérèrent, et Hermione eut à peine le temps de franchir le seuil de l'infirmerie avant d'entendre son nom s'élever en écho dans le couloir désert.
Avec surprise, elle observa l'inconnue marcher d'un pas pressé vers elle, ses boucles voletant dans son sillage.
Son sourire doux et la délicatesse des traits de son visage devaient certainement mettre n'importe qui à l'aise, mais le regard qu'elle coula en direction du rouquin qui se tenait un pas derrière Hermione, mit la jeune femme mal à l'aise.
―Excusez-moi, fit la femme. Je n'ai pas eu l'occasion de me présenter. Docteur Maggie Mendez, de Ste Mangouste. Enchantée de faire votre connaissance, Miss Granger, c'est un honneur.
Hermione ne put retenir une grimace.
―Je suis vraiment navrée de me montrer si insistante, mais j'aimerais que vous veniez me voir à l'hôpital si vous étiez de nouveau sujette à une perte de connaissance, continua doucement la femme. Vous n'avez pas l'air en grande forme, et j'aimerais vous aider.
Hermione eut envie de répondre qu'elle allait parfaitement bien, mais quelque chose dans le regard du médecin l'empêcha de répondre.
Elle comprit aussitôt que la femme venait de percer son secret.
Du moins, parvenait-elle à voir qu'Hermione n'allait pas aussi bien qu'elle le faisait croire.
Qu'elle-même le croyait.
Son cœur manqua un battement.
Le sourire de la femme s'emplit de tristesse.
―Je connais de nombreuses personnes qui peuvent vous aider, termina-t-elle en faisant un pas en arrière. Si vous en avez besoin.
―Je... euh, merci.
―Je ne vous retiens pas.
Un bref hochement de tête en direction de Fred et elle s'engouffra de nouveau dans l'infirmerie.
―Ça va, Hermione ?
La jeune femme observa la porte close de longues secondes avant de trouver la force de se tourner.
Fred l'observait lui aussi, les sourcils froncés.
Elle n'eut pas besoin de le questionner pour savoir qu'il avait saisi les dernières paroles du médecin.
Elle sentit son cœur se serrer.
Les larmes lui montèrent aux yeux mais elle s'efforça de les chasser, glissant sa main dans celle, tendue, de Fred.
La douleur reflua instantanément.
―Et toi ? demanda-t-elle.
La réponse se lisait clairement dans ses prunelles.
Sur son visage.
Dans l'affaissement de ses épaules.
Mais Hermione voulait l'entendre le dire.
Elle voulait qu'il affronte sa douleur.
Avec autant de courage qu'il le faisait ces derniers mois.
Elle ne voulait pas qu'il s'enferme de nouveau en lui-même.
Devienne hermétique au monde environnant.
A sa famille.
Non, pas après tous les efforts qu'il avait fournis.
Cette journée était une nouvelle épreuve à surmonter.
Mais rien que le fait qu'il ait accepté de venir à Poudlard prouvait à quel point Fred souhaitait s'en sortir.
Et elle voulait qu'il le comprenne, qu'il s'en souvienne.
L'idée même qu'il puisse songer encore une fois à mettre fin à ses jours lui donnait envie de vomir.
―Je ne sais pas, avoua-t-il en se rapprochant d'elle. Je ne sais pas, c'est...
Il se tut, à court de mots.
Hermione pressa doucement ses doigts et s'appuya contre son épaule.
―Je sais qu'il n'est plus là. Je sais que je n'aurais jamais l'occasion de le revoir ni même qu'il sera présent pour les moments les plus importants de ma vie, mais... c'est dur. C'est dur de me dire que ça fait un an.
―Il serait si fier de ce que tu as accompli, assura-t-elle doucement.
―J'espère que tu as raison, soupira Fred en appuyant sa tête contre la sienne. Je l'espère vraiment.
Ils restèrent silencieux encore quelques minutes.
Cherchant de la force et du courage dans la présence de l'autre.
Sachant pertinemment que ni l'un ni l'autre n'aurait pu affronter cette journée si l'autre n'avait pas été présent.
Que la vie sans l'autre...
Ce n'était plus imaginable.
Hermione réprima un soupir.
La main de Fred remonta le long de son bras nu, traçant un sillon de feu sur sa peau, avant de se poser sur sa joue.
―Merci, lâcha-t-il.
Il n'ajouta rien de plus, mais ce n'était pas nécessaire.
Hermione enroula ses bras autour de son cou et se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un léger baiser sur ses lèvres.
C'était le premier baiser qu'ils échangeaient depuis cette nuit qui avait marqué un tournant dans leur vie.
C'était le premier vrai contact physique qu'ils instauraient entre eux depuis.
Et Hermione ne put qu'espérer qu'il y en aurait d'autres.
Le trajet vers le parc se fit dans le silence le plus complet, seulement rompu par leurs respirations respectives et le choc des semelles sur la pierre.
Fred lui lâcha tant bien que mal la main lorsque le Hall se dessina dans leur champ de vision.
Hermione lui offrit un sourire rassurant pour toute réponse et le suivit alors qu'ils rejoignaient le reste des Weasley.
Le discours s'était achevé peu de temps auparavant et la famille s'était réunie dans un coin du parc, à l'ombre d'un grand chêne.
Hermione jeta à peine un regard en arrière lorsqu'ils décidèrent de partir.
Le silence régna dans chaque pièce du Terrier durant les jours qui suivirent la date anniversaire.
Charlie repartit en Roumanie.
Bill et Fleur promirent de venir déjeuner chaque dimanche.
Percy assura qu'il allait bien.
Harry et Ron reprirent leur formation.
Et de nouveau, Hermione et Fred se retrouvèrent dans leur bulle, protégés par le charme qui entourait le Terrier.
Hermione évoqua son idée d'aller chercher ses parents en Australie à Mr Weasley qui promit de tout mettre en place pour les faire rapatrier au plus vite.
Molly s'absenta de plus en plus, après avoir rejoint une association de femmes qui venaient en aide aux familles les plus démunies.
Ginny termina sa septième année.
Fin juin arriva avant que quiconque ait pu s'en rendre compte.
Les préparatifs pour le retour de Ginny se mirent en place.
Molly proposa à Hermione de s'installer dans l'ancienne chambre des aînés, qui fut nettoyée de fond en comble pour l'occasion.
Tout semblait aller pour le mieux.
Le sourire revint peu à peu sur les lèvres de Fred.
Hermione fut de nouveau sujette à son cauchemar après la commémoration mais le jeune homme était toujours là pour la réconforter et la consoler quand les larmes parvenaient à lui échapper.
Elle l'observa, alors qu'il avait enfin accepté de faire une partie de Quidditch avec Harry et Ron.
Bill lui servait de binôme.
Le soleil brillait haut en ce dimanche et Hermione s'était réfugiée à l'ombre de la lisière de la forêt pour observer le match.
Fleur se tenait près d'elle, occupée à feuilleter son magasine.
Hermione, elle, avait renoncé depuis longtemps à ouvrir son livre, préférant observer le garçon qui faisait battre son cœur.
Observant son sourire.
Ecoutant avec ravissement son éclat de rire.
Heureuse d'apercevoir l'éclat dans ses yeux.
Qui aurait cru un mois auparavant que Fred franchirait une telle étape dans son deuil ?
Bien entendu, elle n'avait eu aucun doute sur le fait qu'il finirait par remonter la pente.
Avec du temps, certes.
Et de l'aide.
Mais il était plus fort qu'il ne le croyait.
Et ce moment de complicité avec ses frères en était la preuve ultime.
―Je vais me chercher un verre d'eau, lança Fleur en se redressant. Tu m'accompagnes ?
Hermione acquiesça.
Et se leva à son tour.
Le monde alentour se mit brusquement à tourner à toute vitesse.
Son estomac se contracta.
La bile remonta le long de son œsophage.
Elle se sentit perdre pied.
Elle eut à peine le temps d'entendre Fred crier son nom avant de perdre connaissance.
La pièce dans laquelle elle se trouvait à son réveil lui était totalement inconnue.
Mais le blanc immaculé qui l'entourait lui fit comprendre qu'elle se trouvait dans une chambre d'hôpital.
Hermione se redressa, grimaçant lorsqu'une douleur sourde s'éveilla à l'arrière de son crâne.
Elle essaya de se souvenir des secondes précédant son évanouissement, en vain.
C'était flou.
Elle balaya la pièce du regard, s'attendant à y voir un des membres de la famille Weasley, mais elle était seule.
Son cœur manqua un battement.
Elle était en train de repousser les couvertures au pied du lit lorsque la porte s'ouvrit brusquement, laissant entrer le docteur Mendez qu'elle avait rencontré à Poudlard.
La femme lui sourit gentiment en approchant.
Hermione sentit son estomac se nouer.
―Bonjour, Miss Granger, lança le médecin. Je suis heureuse de voir que vous êtes réveillée.
―Que s'est-il passé ? demanda-t-elle.
―Vous vous êtes de nouveau évanouie, comme je m'en doutais.
―Comment ça ?
Seul le le silence lui répondit.
La femme s'installa sur le fauteuil près du lit et l'observa une longue minute, tout sourire ayant disparu, avant de reprendre la parole.
―Ce que je m'apprête à vous dire n'est pas chose facile à entendre pour une jeune femme aussi jeune que vous, mais il me semble que vous êtes assez intelligente pour comprendre et surtout pour comprendre ce que cette nouvelle impliquera, commença le médecin.
Le ton grave qu'elle employa inquiéta Hermione.
―Que voulez-vous dire ?
―Miss Granger... Hermione... vous êtes enceinte.
Le silence se fit dans la pièce.
Hermione eut presque l'impression de voir les murs se resserrer lentement autour d'elle.
Il y avait forcément une erreur, c'était impossible.
Les médecins s'étaient trompés dans leurs analyses.
C'était la seule explication possible.
Mais alors pourquoi le docteur n'arrêtait pas de l'observer avec cette lueur de pitié dans le regard ?
La jeune femme sentit son estomac se nouer.
Non. Non. Non.
Elle ne pouvait le croire.
Après une longue minute de mutisme, elle parvint à délier sa langue et sa voix chevrotante perça le silence qui l'étouffait.
―Vous êtes sûre ?
―Nous avons refait le test trois fois, comme l'exige la procédure, répondit calmement la femme. Et le résultat était positif à chaque fois.
―Mais...
―Vous êtes enceinte, Miss Granger. Il n'y a aucun doute possible.
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