CHAPITRE CINQ - et après ?

« Et maintenant ?
Que va-t-il se passer ?
Comment continuer de faire semblant alors qu'une personne sait ?
Connait votre plus profond secret ?

L'idée même de devoir vivre sans toi me terrifie au plus haut point, mon frère, mais je sais maintenant que je ne peux pas quitter notre famille. Si Hermione est intervenue à temps, hier soir, c'est sûrement pour une bonne raison.
Une raison qui, je l'espère, vient de toi.
Car ainsi, cela me prouve que, de là où tu es, tu veilles sur moi. »


Fred ne parvint pas à trouver le sommeil après ça.
Comment aurait-il pu ?

Des milliers de pensées et d'idées se bousculaient dans son esprit.
Des centaines de milliards de mots l'empêchaient de dormir. De rejoindre Morphée.
Des millions d'images qui se succédaient, les unes après les autres, à la vitesse de la lumière, dont il ne parvenait pas à peine à capter l'essence, mais qui ne tournaient autour que d'une seule et même personne.

George.

En une seconde, il avait failli le rejoindre. Le retrouver.
Il avait failli retrouver ce qui lui manquait cruellement.
Redevenir le garçon qu'il avait été, même si cela voulait dire abandonner bien plus en échange.
Mais pour revoir son jumeau, sa moitié, son tout, Fred aurait été capable de tout.

Seulement voilà, Hermione était intervenue.
Elle l'avait empêché de commettre cet acte irréparable. Elle l'avait empêché de causer plus de souffrance, de malheur et de tristesse à sa famille.
Elle l'avait sauvé, à temps.
Mais elle l'avait fait.

Et cela avait, incontestablement, éveillé quelque chose en lui.
Un sentiment, une sensation, une émotion.
Quelque chose qu'il n'arrivait pas à définir, mais qui lui faisait comprendre qu'il était encore capable de ressentir une émotion positive.
Qu'il y avait, en dépit de tout, encore un peu d'espoir.

Il se doutait que son frère y était pour quelque chose. Hermione avait raison, George n'aurait jamais souhaité qu'il se suicide pour le rejoindre. Bien au contraire, il voudrait qu'il vive sa vie, qu'il profite de chaque instant. Pour honorer sa mort, son sacrifice, sa mémoire. Pour continuer de répandre de la joie, de la bonne humeur dans la vie de ceux qui n'avaient désormais plus rien à cause de la guerre. C'était une idée à laquelle il ne parvenait pas encore à s'accrocher, tant il lui paraissait impossible de vivre sans son frère, mais il y voyait néanmoins un signe de sa part.

Ils se l'étaient promis.
Quoi qu'il advienne, quoi qu'il se passe, ils devraient vivre après.
Se battre, continuer la lutte jusqu'au bout.
Jusqu'à ce que la paix revienne enfin.

George avait donné sa vie pour que leur famille n'ait plus à avoir peur.
Pour que Ginny puisse devenir une femme dans un monde qui ne lui reprocherait pas la couleur de son sang.
Pour que les générations futures franchissent un jour Poudlard sans avoir connaissance de toutes les atrocités que la race humaine était capable de faire.
Sans savoir qu'un jour, un homme qui se pensait supérieur aux autres, avait tenté d'asservir le monde.
Sans se douter que des centaines, voire de milliers de femmes et d'hommes avaient donné leur vie pour qu'ils grandissent sereinement, sans peurs, sans craintes, sans la moindre appréhension.

Non, George n'aurait pas voulu qu'il foute tout en l'air de la sorte.
Il n'aurait jamais cautionné un tel geste, une telle lâcheté.
Mais comment vivre dans un monde où il n'était plus ?
Dans un monde où Fred ne pourrait plus jamais entendre le son de sa voix, de son rire.
Dans un monde où Fred ne pourrait plus jamais être heureux complètement, où un manque subsisterait éternellement.

L'idée même lui donnait la nausée.
Il ne parvenait à entrevoir le chemin qui l'attendait.
Le chemin sinueux qu'il allait devoir emprunter pour se relever.

Fred se trouvait actuellement face à une montagne, la plus infranchissable au monde, et George voulait qu'il parvienne à son sommet à la seule force de ses bras ?

Un soupir lui échappa.
Sa poitrine se comprima.

Non, c'était tout bonnement impossible.
Jamais il n'y arriverait.
Il n'était pas de taille à franchir un tel obstacle.

Pourtant, lui revint en mémoire ce qu'Hermione lui avait dit quelques heures auparavant.
Qu'elle n'avait pas le droit d'avoir mal alors que d'autres avaient subi bien plus d'atrocités qu'elle.
Y avait-il quelque chose de pire que la mort ?

Il songea à tous les sorciers et sorcières qui avaient été envoyés de force à Azkaban, la prison sorcière tenue par de Détraqueurs. Il se souvint de ce qu'il avait appris à Poudlard : que ces immondes créatures aspiraient la joie et l'âme de leurs victimes jusqu'à ce qu'il ne leur reste plus rien.
N'était-ce pas un châtiment pire que la mort ?

Et si...
Et si...
Et si au fond Hermione n'avait pas tout à fait tord ?
Et si, bien que son univers tout entier se soit brisé le jour où il avait perdu son frère, quelque part, il restait un espoir ?
Il lui restait un espoir ?

Fred avait perdu son frère, son jumeau, sa moitié.
Mais Arthur et Molly n'avaient-ils pas perdu un fils ?
Bill, Charlie et Percy n'avaient-ils pas perdu un petit frère ?
Et Ron et Ginny un grand frère ?

Pour la première fois depuis des mois, Fred réalisa qu'il n'était pas le seul à souffrir de la mort de George. Toute sa famille souffrait elle aussi, d'une tristesse différente mais à nulle autre pareille.
Et eux étaient encore là.
Pour l'épauler.
Le soutenir.
Le consoler.
Lui donner la force de faire un pas après l'autre.

Lui donner le courage nécessaire pour se reconstruire.

Oui, Hermione avait raison.
Il ne pouvait pas se laisser abattre ainsi alors qu'il n'était pas le seul à souffrir.

Mais ce ne serait pas facile.
Comment se relever quand on avait atteint les abysses ?
Comment se relever quand il n'y avait plus la moindre lumière dans sa vie ?
Comment se relever quand la vie n'avait désormais plus la moindre saveur ?
Comment se relever quand on avait perdu goût à tout ?
Comment se relever quand on ne parvenait plus à se souvenir de ce que cela voulait dire vivre ?

Vivre pleinement.
Vitre intensément.

Quelques larmes lui échappèrent, qu'il essuya rageusement. Non, il ne pouvait plus se permettre de craquer de la sorte.

Il allait devoir trouver la force, une force quelle qu'elle soit, pour faire un pas après l'autre.
Pour honorer le sacrifice de son frère.
Pour rendre George fier de lui.
Pour lui prouver qu'il en était capable.

Un pas après l'autre, songea-t-il.
Une étape à la fois.

Les premières lueurs de l'aube percèrent l'horizon.

Il perçut du mouvement à travers la cloison qui séparait la pièce de la chambre de ses parents, et il sut tout de suite qu'il s'agissait de son père. Arthur avait toujours eu cette habitude de se lever aux aurores, de prendre le temps de se préparer avant de rejoindre le ministère. Il lui arrivait même d'avoir l'occasion de discuter avec les premiers levés parmi les enfants. Et c'était toujours avec un sourire bienveillant qu'il les accueillait dans la cuisine.

Fred l'imita. Le sommeil ne viendrait pas.
Une fois encore.

Il descendit lentement les escaliers, repoussant encore un peu le moment où il se trouverait face à son père. Voilà des semaines qu'il ne prenait plus la peine de descendre manger avec eux, préférant s'isoler dans sa chambre, triturant et avalant avec difficulté le plateau repas que sa mère venait lui monter à chaque fois. L'appétit s'en était allé, et il ne mangeait désormais que par nécessité. Il avait bien sûr pensé à ne plus s'alimenter, mais il n'aurait jamais eu le temps de rejoindre George avant que quiconque ne s'en rende compte.

Le silence du salon l'enveloppa et il se revit, quelques heures auparavant, affrontant les ténèbres, envahit par un profond sentiment d'apaisement comme il n'en avait pas ressenti depuis si longtemps. Mais celui-ci s'en était allé à la seconde où il avait compris qu'il ne pouvait pas faire ça. Qu'il ne pouvait pas être aussi égoïste et plonger sa famille dans un désarroi sans nom. Molly ne se remettrait jamais de la perte d'un deuxième fils. Et quelque chose se briserait pour toujours chez Arthur.

Aucun mot ne serait suffisamment fort pour décrire l'expression qui défigura les traits de son père lorsqu'il le vit apparaître dans la cuisine, celle-ci faiblement éclairée par les rayons du soleil. Il vit ses yeux s'écarquiller derrière ses sempiternelles lunettes rondes. Son bonnet de nuit reposait, légèrement de travers, sur ses cheveux roux qui avaient perdu de leur éclat au cours des derniers mois. Quelques rides s'étaient formées au coin de ses yeux.

Fred sentit son coeur faire une embardée.
Mais cette fois, ce n'était nullement du à une quelconque douleur.
Non.
Cela ressemblait à la sensation qu'il avait ressenti face à Hermione et sur laquelle il était tout bonnement incapable de mettre un nom.

Il savait simplement qu'elle lui faisait du bien.

Il s'installa autour de la table, sur la chaise qu'il avait toujours occupé depuis petit, et tendit une main tremblante vers la carafe d'eau, dont il se servit un grand verre. Il jeta à peine un regard aux œufs brouillés dans l'assiette de son père, et avala doucement gorgées après gorgées, craignant que cet afflux soudain de liquide ne lui retourne l'estomac.

Son père demeura silencieux, se contentant de lui jeter de temps à autre un regard larmoyant, comme s'il voulait réaliser qu'il n'était pas en train de rêver et que son fils se tenait bien devant lui.

Fred sentit son estomac se nouer.

Il aurait aimé être capable d'engager la conversation, dire quelque chose. N'importe quoi. Mais, hormis hier soir, il n'avait plus tenu une seule véritable conversation depuis l'enterrement de George. A la seconde où le cercueil de son frère avait été enseveli à tout jamais, Fred s'était muré dans le silence. Parler était une tâche coûteuse, car, maintenant, il n'y avait plus personne pour finir systématiquement ses phrases. Il n'y avait plus personne à ses côtés.

Ils restèrent plongés dans le silence le plus profond, Fred se contentant d'avaler son verre d'eau, tout en observant la lumière se répandre un peu plus dans la pièce à chaque instant et Arthur de finir son petit-déjeuner.

C'était un premier pas.
Un premier effort.
Un premier geste disant clairement qu'il allait essayer.
De se battre pour s'en sortir.
Qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour remonter la pente.

Tous deux le savaient.
Et bientôt, chaque membre de la famille aussi.

Fred regretta qu'Hermione ne soit pas là pour le voir. Une seconde, il pensa à le lui dire plus tard car il voulait qu'elle voit qu'il pouvait. Qu'il allait essayer. Il voulait qu'elle oublie ce spectacle pathétique auquel elle avait assisté durant la nuit. Il ne voulait pas qu'elle ne voit en lui qu'un faible, qu'un miséreux.

Qu'une âme perdue.

Mais en aurait-il seulement l'occasion ?

Ginny débarqua brusquement dans la cuisine, faisant sursauter les deux hommes qui s'y trouvaient. Elle marqua une pause sur le seuil en voyant son grand frère assis devant elle. Son regard s'éclaira une fraction de secondes, contrastant avec l'inquiétude qui défigurait ses traits.

―Ginny ? l'interrogea Arthur en se redressant.
―Vous n'auriez pas vu Hermione ? demanda-t-elle d'une voix pleine d'émotion. Elle n'est pas dans son lit.

Fred sentit son estomac se contracter.

Arthur se leva pour s'approcher de sa fille.

―Tu as regardé dans la salle de bains ? demanda-t-il avant d'ajouter, en la voyant acquiescer vivement : Dans la chambre de Harry et Ron ?
―Elle n'y est pas, affirma Ginny. Elle est nulle part !
―Allons, allons, ma chérie, la tranquillisa son père. Je suis sûr qu'Hermione est quelque part et qu'elle va bien. Nous allons la retrouver.

En voyant l'expression de peur sur les traits du visage de sa petite sœur, Fred se demanda si Hermione avait finalement décidé d'aller au bout de son projet, malgré tout.

Il la revit, marchant à ses côtés, dans la pénombre de la nuit, revenant vers la maison.
Il la revit, hésiter sur le palier du premier étage, alors que lui s'apprêtait à rentrer dans sa chambre.
Il entendit de nouveau le son de ses pas qui disparaissait dans les étages supérieurs.

Mais il se souvint surtout de l'expression qui avait défiguré ses traits lorsqu'elle lui avait avoué son secret.
De ce malheur dans ses yeux, de cette souffrance.
De cette terreur incommensurable.

Il avait cru qu'elle trouverait finalement le courage de rester.
Mais peut-être s'était-il trompé.

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