- Chapitre 9 -
– 9 mois plus tôt –
☆
PUTAIN !
Je me réveille en sursaut. À côté de moi, sur la table de chevet, le réveil affiche neuf heures. Bordel de merde, pourquoi il n'a pas sonné, ce con ? J'ai déjà séché hier, je vais me taper un avertissement si en plus je suis en retard !
En un bond, je suis sur mes pieds, encore tout habillé dela veille. Mais quel déchet ! Je me suis endormi comme une masse avec mon joint à la main. Il a laissé un trou dans le drap et le matelas. J'ai de la chance que ça n'ait pas pris feu.
J'attrape mon sac à la volée, dévale l'escalier et me rue sur mon vélo. Je pédale à toute allure. Mes muscles me brûlent, mais je ne ralentis pas. Quand je déboule devant le lycée, en nage, tout est désert. J'accroche mon vélo et l'abandonne avant de me précipiter à l'intérieur. Dans le hall, personne non plus : ils doivent tous être en cours. Je me dépêche de rejoindre la salle de maths, mais je me retrouve face à une porte fermée à clé. C'est à ce moment-là que je consulte enfin mon portable.
Samedi.
On est samedi.
Et moi, je suis un gros con trop défoncé pour savoir quel jour on est.
Essoufflé d'avoir pédalé comme un dératé et blasé de devoir déjà faire le trajet dans le sens inverse, j'en profite pour récupérer les manuels que j'ai oubliés en voulant fuir Kenna hier. Tout en me dirigeant vers mon casier, je commence à me poser des questions. Le lycée n'est pas censé être ouvert le week-end, et j'en viens à me demander ce que je risque à être là. Inquiet, je suis sur le point de faire demitour, quand un bruit d'aérosol attire mon attention, suivi d'une conversation désordonnée :
– Ça prend pas deux Z !
– Passe-moi la bombe !
– Non, j'ai pas fini !
– Putain, tu m'en as foutu sur la chemise ! Vous me soûlez avec vos plans foireux, là !
J'avance avec discrétion et, à l'angle du couloir, je découvre que c'est encore elle. Sa longue chevelure retenue en chignon, Kenna McKenzie se penche sur un casier. Autour d'elle, je reconnais les deux inséparables de mes cours de maths et d'espagnol : le grand noir, avec ses fringues de skateur, et le petit chrétien aux airs de fils à papa, avec ses chinos parfaitement repassés et sa raie sur le côté. Et puis il y a ce minet aux boucles blondes, à la gueule d'ange et au style décalé, avec son piercing au nez et sa veste en jean oversize, que je crois avoir déjà vu en cours d'éco.
De là où je suis, je ne distingue pas bien les casiers devant lesquels ils se trouvent, mais je devine sans mal ce qu'ils sont en train de faire : armés d'une bombe de peinture, ils s'appliquent à taguer l'une des portes en métal bleu. Je me dévisse le cou pour tenter d'apercevoir ce qu'ils écrivent, lorsqu'une main s'abat sur mon épaule et me fait sursauter.
– Dans mon bureau ! Immédiatement !
Je me retourne pour découvrir un prof furibond, ses yeux fixés sur le groupe des quatre imbéciles, qui s'interrompent aussitôt.
– Putain, marmonne le maigrichon bien propre sur lui. Je vous l'avais dit.
– Tais-toi, Jaeger, le rabroue Kenna. Et souris.
Elle suit son propre conseil et, bientôt, les trois autres l'imitent. Ils sont ridicules.
– J'ai dit immédiatement ! vocifère le prof.
Kenna se ramène sans se départir de sa joie de vivre tandis que les autres traînent les pieds comme des condamnés à mort. Je m'apprête à les laisser se dépêtrer avec la justice, mais le prof raffermit sa prise pour m'en empêcher.
– Où vous croyez aller, comme ça ?
– Moi ? Mais j'ai rien fait !
– Vous pensez que je ne vous ai pas vu, en train de faire le guet pour vos petits camarades ? Vous êtes dans un sacré pétrin, jeune homme.
Et c'est comme ça que, sans un mot de plus, on se dirige tous les cinq vers le bureau du prof pour recevoir notre sanction. Voilà comment je me retrouve collé un samedi matin, dès ma première semaine à Lusher High. Deux heures à me coltiner Kenna et ses potes.
Super.
Pour une fois que ce n'est pas ma faute...
Comme il nous a pris la main dans le sac, le prof nous garde dans son bureau le temps qu'un surveillant arrive. Quelques minutes plus tard, M. Johnson nous conduit sur les lieux du crime. Sur la porte d'un casier, cinq lettres :
N A Z Z I
Le deuxième Z est pratiquement illisible, tellement la couleur a dégouliné. Je me demande s'ils ont essayé de l'effacer en comprenant qu'ils avaient fait une faute. Qu'est-ce qui leur a pris d'écrire un truc aussi vénère ? Je les croyais stupides, mais pas à ce point.
Notre punition est simple : d'ici midi, il faut qu'on ait récuré le casier que ces débiles ont vandalisé. Après nous avoir filé les consignes et le matériel, M. Johnson nous abandonne avec notre seau et nos éponges.
– Je vous laisse deux heures, indique-t‑il en s'éloignant déjà dans le couloir. Quand je reviens, je veux que tout soit impeccable.
Il faut croire que Lusher High et la sévérité, ça fait deux. À Houston, ils n'auraient jamais laissé des collés seuls une seconde. Ici, l'administration a l'air de faire suffisamment confiance aux élèves en retenue pour les laisser aller et venir à leur guise. Je crois que j'aurais préféré qu'on m'impose un geôlier, même quelqu'un de chiant. J'aurais tout accepté, si ça m'avait permis d'échapper à Kenna.
– On dirait que t'arrives pas à me fuir, Finn Holtz, me lance-t‑elle d'un air satisfait.
– J'aurais pu si t'avais pas insisté pour dire au prof que j'étais bien avec vous.
– Il faut savoir forcer le destin, de temps en temps, réplique-t‑elle en ébouriffant mes cheveux.
Je me dérobe.
Alors c'est comme ça que ça va se passer, maintenant ? Plus je vais la fuir, plus elle va me coller aux basques ? Non seulement le blabla de cette meuf est imbuvable, mais si en plus elle est prête à me tendre des pièges pour m'obliger à l'écouter, je suis foutu.
Elle se détourne vers les casiers, non sans m'avoir jeté un coup d'oeil espiègle, pour vérifier d'un doigt si la peinture est sèche. Une légère trace rouge sur l'index, elle s'approche de moi et menace de l'essuyer sur mon visage. Je m'écarte avant qu'elle arrive à ma hauteur, tandis que le gringalet essaie de la raisonner.
– T'es reloue. Laisse-le tranquille, un peu.
– Il a grave envie de traîner avec nous, Jaeger. Il le sait pas encore, c'est tout.
Elle esquisse un pas de plus, mais je maintiens la distance. Elle se résigne avec un haussement d'épaules, l'air de dire : « Je te laisse tranquille pour l'instant, mais je n'en ai pas fini avec toi. »
Insensible à tout l'échange qui vient d'avoir lieu, le mec en baggy s'empare du seau pour aller le remplir aux toilettes des mecs, accompagné par le fils à papa qui a pris ma défense. Pendant ce temps-là, Kenna demande à la gueule d'ange de la prendre en photo devant le casier. Elle pose, puis l'attire vers elle pour faire un selfie d'eux devant ce qu'elle semble considérer comme un trophée.
– Je te préviens, je ne vais pas poster ça sur mon Insta, l'avise-t‑il sans se retenir de rigoler pour autant.
– Écoute, Nate, au moins, il comprendra ce qu'il risque, s'il continue ! réplique-t‑elle en vérifiant les photos sur le portable.
– Tu sais qu'il ne m'a toujours pas unfollow, depuis le temps ?
– T'as eu raison de ne pas le bloquer. J'ai hâte de voir comment il va réagir.
– Je te dis que je ne posterai pas ce truc !
Elle joue des sourcils et, sur ces entrefaites, les deux autres reviennent avec de l'eau chaude. Kenna distribue les éponges à tout le monde. Lorsqu'elle m'en tend une, je ne la saisis pas. Elle ne croit quand même pas que je vais nettoyer leurs conneries alors que c'est leur faute si je suis coincé là ?
– Prends cette éponge ou je te la fais avaler, Holtz.
– Garde-la et bâillonne-toi avec, ça nous fera des vacances.
Elle me défie du regard, son intérêt d'autant plus aiguisé par ma remarque. La prochaine fois, je me souviendrai de fermer ma gueule.
Ses potes n'interviennent pas, mais ils me lancent des sourires encourageants, comme s'ils étaient impressionnés que je tienne tête à Kenna. Ils se ravisent dès qu'elle se tourne vers eux et leur fait signe de se mettre au travail. Plutôt que de la rembarrer, ils lèvent les yeux au ciel mais obéissent tout de même. Quelle bande de losers.
Le blondinet sort son portable de sa poche et met de la musique, sans doute pour qu'on nettoie dans la bonne humeur. Manque de bol pour lui, j'ai horreur du rock, et encore plus depuis que je vis dans une maison assiégée par un groupe. Kenna danse avec lui tandis que le dénommé Jaeger râle.
– Éteins ça, Nate ! On est censés rester tranquilles, M. Johnson va nous tomber dessus !
Kenna se moque de lui, sans cesser d'onduler sensuellement.
– Pauvre Thomas Jaeger-Lynch Junior, troisième du nom! Il est contrarié parce que son papounet va le forcer à venir à pied au lycée pour le punir !
– Arrête, Kenna, je suis pas d'humeur. Tu sais que je vais me faire défoncer à cause de tes conneries !
– Oh, excuse-moi. Tu vas être privé de chauffeur, par ma faute.
Je marque un temps d'arrêt, perplexe. Ce Jaeger a l'air riche, c'est clair, avec sa chemise sur mesure et sa montre de luxe, mais je ne pensais pas que c'était au point d'avoir un chauffeur.
– Tu sais, mon chou, il serait temps que tu passes ton permis ! Allez, boude pas ! lui dit Kenna d'une voix pleine de sous-entendus. Viens danser avec moi, plutôt.
Elle tend les mains vers sa proie pour l'appâter. Il fait une gueule de six pieds de long lorsqu'elle l'attire à elle, puis réussit à se dégager en grognant.
Il reprend le nettoyage du casier tandis que Kenna mime des scènes suggestives dès qu'il a le dos tourné. Et puis, comme les autres rejoignent Jaeger pour l'aider, elle fonce vers son grand pote noir sans crier gare et saute sur son dos.
– KUUURT...! hurle-t‑elle alors qu'il la réceptionne.
Elle lui murmure des paroles à l'oreille et ça le fait rire, puis il la laisse se hisser sur ses épaules. Et voilà qu'elle se met à récurer le haut du casier depuis son perchoir, sa poitrine rebondissant dans le mouvement.
– Je t'autorise à me palper les fesses, lui annonce-t‑elle, à condition que tu me fasses mon devoir de maths pour lundi. Deal ?
Loin d'être intéressé par sa proposition, ledit Kurt réplique qu'il n'a pas le temps de s'occuper de son devoir et qu'elle a tout un tas de gens disposés à lui peloter les fesses si elle veut. Il dit ça d'un ton totalement détaché, mais sa remarque semble faire tilt chez Kenna, qui se contorsionne depuis son mirador et braque ses yeux fourbes sur moi.
– Holtz, attrape ça ! s'écrie-t‑elle.
J'essaie d'esquiver, mais trop tard : je me prends son éponge dégueulasse dans la gueule. Elle rebondit et tombe à mes pieds dans un bruit spongieux, mais le mal est fait. Je dévisage Kenna d'un regard assassin, les nerfs à vif. Je vais craquer. Je jure que je vais craquer. Cette fois, elle a dépassé les bornes.
Je ramasse le projectile et m'approche de Kenna d'un pas menaçant. Elle dégringole des épaules de Kurt et me dit :
– T'oseras pas.
– Qu'est-ce qui te rend si sûre de toi ?
– Le fait que, si tu tentes quoi que ce soit, je vais devoir me venger. Et t'as pas envie de m'avoir encore sur le dos... Pas vrai ?
Pleine d'assurance, elle se retourne vers le casier et, volant l'éponge de Kurt, se remet à frotter. Les mecs me jaugent avec un sourire en coin, et je comprends qu'ils se délectent du spectacle. C'est comme s'ils attendaient de voir jusqu'où j'étais prêt à aller pour faire taire cette emmerdeuse. Comprenant qu'ils n'essaieront pas de me retenir, j'attrape le seau plein d'eau sale et le vide entièrement sur sa tête. Les autres font un bond pour éviter les projections, avant d'éclater de rire.
Quand Kenna me fait face, complètement trempée, je balance, glacial :
– Que je te cherche ou pas, de toute façon, j'ai bien compris que tu ne comptais pas me lâcher de sitôt.
Sur ces paroles, je fais volte-face et me dirige vers les toilettes pour me rincer le visage. J'avance tendu, me préparant à ce qu'elle me saute dessus à tout moment.
Au lieu de quoi, je l'entends rire. Rire, bordel !
– Quand je vous disais qu'il avait grave envie de traîner avec nous !
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