- Chapitre 12 -


– 8 mois plus tôt –


Comme si ce que je venais d'apprendre ne me rendait pas suffisamment malade, je découvre que j'ai bouffé toutes mes économies. Dès mon arrivée à la gare routière, j'ai foncé vers le premier distributeur automatique pour retirer de l'argent. Au moment où j'ai voulu prendre trois cents dollars, je me suis fait rembarrer par un message d'erreur. J'ai essayé deux cent cinquante, puis deux cents, mais rien à faire.

Je ne comprends pas comment cet argent a pu s'envoler si vite. Lorsque j'ai arrêté les combats, il y avait encore deux mille dollars sur mon compte. Ça me semblait énorme, à ce moment-là.

J'en suis réduit à demander cent dollars mais, là encore, l'automate me les refuse. Mon coeur s'emballe : si je ne peux pas payer mon aller-retour, je ne verrai pas ma mère au moment où elle a le plus besoin de moi. Je tente le tout pour le tout et réclame quatre-vingts dollars, la peur au ventre... Et la machine consent enfin à me donner mon argent. Juste de quoi me payer mon billet et un paquet de cigarettes. Voilà à quoi j'en suis rendu.

Pendant le trajet, j'ai le temps de me traiter de tous les noms et de laisser la honte me tordre l'estomac. Lorsque j'arrive devant le centre pénitentiaire, les deux clopes que je me fume coup sur coup n'ont pas raison de mon stress ni de cette foutue migraine qui me donne envie de m'arracher les yeux. Mes mains tremblent. Ma mère va s'inquiéter si elle me voit dans cet état, mais je ne sais pas quoi faire pour que ça cesse.

Mes visites à la prison se suivent et se ressemblent : détecteur de métaux, signature du registre, palpation. Le seul truc différent, aujourd'hui, c'est que je ne m'arrête pas à la banque. En gagnant le parloir, j'aperçois ma mère comme on distingue une pépite d'or dans la boue d'une rivière. Je m'assois en face d'elle en tentant de me contenir, mais le désarroi m'écrase la poitrine. Sans même un bonjour, que la culpabilité m'empêche d'articuler, je commence à me répandre en excuses :

– Je suis désolé, maman... Je n'ai pas pu mettre d'argent sur ton compte, cette fois-ci. Je... Enfin... Je suis vraiment trop nul...

Je ne peux pas lui avouer que j'ai tout flambé en weed pour me cramer le cerveau.

– Finn, me réprimande-t‑elle d'une voix douce. Tu n'as pas à me donner de l'argent, tu m'entends ?

– Bien sûr que si. T'es enfermée ici et ils ne te paient presque rien pour le boulot que tu fais dans les cuisines, alors...

Elle prend ma main dans la sienne.

– Finn...

– ... c'est à moi de m'occuper de toi, maintenant.

– Ça ne marche pas comme ça, mon coeur.

Elle passe son pouce sur mes doigts et ce contact m'apaise un peu.

– Je suis même plutôt contente que tu ne travailles plus, m'avoue-t‑elle. Je préfère ton visage sans ecchymoses.

– Ça n'avait rien à voir avec mon job, je...

Cette fois, c'est ma joue qu'elle caresse. Elle me force à relever la tête vers elle pour me confronter à son regard.

– Mon coeur, je sais quand tu me mens. Il faut arrêter ça. S'il te plaît.

Je ne dis rien. Qu'est-ce que je peux répondre à ça ?

Je m'en fous, de mentir à Cliff ou à mes profs, mais trahir la confiance de ma mère, ça me détruit. Néanmoins, je ne peux pas non plus ignorer les paroles que j'ai surprises ce matin ni ce qu'elles impliquent. Alors je m'écarte d'elle et on se regarde comme ça, sans rien dire, chacun tentant de percer les secrets de l'autre.

– Si tu veux, maman. Mais arrête de me mentir, toi aussi.

Elle me dévisage et réussit à conserver son sourire quand moi, mon désespoir déborde de partout. Je n'ai jamais su faire semblant.

– Qu'est-ce que tu veux dire ?

– C'en est où, le procès ?

Elle ne se départ pas de son air radieux, mais ne rétorque rien. Et je ne suis pas certain que ça me rassure.

– J'ai entendu Cliff en parler, expliqué-je. Il a dit que la légitime défense n'avait pas été retenue... Pourquoi tu ne m'as pas appelé ?

– Je l'ai appris il y a seulement quelques jours, trésor. Je voulais attendre d'en discuter de vive voix aujourd'hui, parce que je savais que tu allais t'inquiéter.

Un dégoût de moi-même me rampe sous la peau. Si elle ne m'a rien dit, c'est qu'elle avait ses raisons. Je l'aurais su si je lui avais laissé le temps de s'expliquer.

– Je... Je suis désolé, maman... Mais ça ne change pas grandchose.

Évidemment, que je m'inquiète. Quelles solutions il te reste ? Qu'est-ce qu'on va faire s'ils te... S'ils te condamnent au maximum?

Le Texas n'a pas aboli la peine de mort.

Rien qu'à l'idée, j'ai envie de dégueuler.

Je n'aime pas m'effondrer devant ma mère, mais là, je n'arrive pas à me contrôler. Je cache mon visage entre mes bras.

– C'est pour ça que je voulais te voir, trésor.

Je l'entends se pencher par-dessus la table. Elle dépose un baiser sur mes cheveux.

– Pour l'instant, oui, ils ont refusé la légitime défense.

Tout ça prend du temps, on n'est pas encore allés en appel.

C'est vrai, il reste un espoir.

– Ça va bien se passer. Tu n'as pas à t'occuper de tout ça, Finn.

Je voudrais laisser ses mots me persuader, mais j'en suis incapable.

– Je pourrais témoigner, proposé-je. Je pourrais dire à la cour ce qu'il a fait, raconter toute la vérité !

– Non, Finn. On en a parlé. Tu sais que ça, c'est hors de question.

Tous ces mois, et elle ne cède toujours pas.

– Je t'en prie, maman ! Laisse-moi faire ça pour toi.

– Si tu dis quoi que ce soit, tu y seras mêlé. Et puis tu es considéré comme un adulte par la justice, maintenant. Tu serais probablement accusé de complicité.

– Je m'en fiche, de tout ça...

– Peut-être, mais pas moi.

– Je veux juste que tu sortes d'ici !

– Je vais sortir, Finn. Sois patient.

Sa voix a beau être réconfortante, l'anxiété se taille une place jusque dans mes os.

– T'as un avocat de merde, maman! lâché-je dans un cri. S'il n'est même pas foutu de faire accepter la légitime défense, c'est un bon à rien. Il faut qu'on te trouve un meilleur avocat, pas un gars commis d'office.

– On n'a pas les moyens, pour l'instant. Il faut se contenter de ce qu'on a. Tout va bien se passer, d'accord ?

– C'est moi que tu essaies de convaincre, maman ? Ou bien c'est toi ?

Elle tente de me caresser la joue à nouveau, mais je me dérobe. Un tressaillement infime traverse son sourire. Je l'ai blessée.

– Une de mes voisines de cellule m'a donné les coordonnées d'un avocat spécialisé dans ce genre d'affaires. Je bosse dur. D'ici quelques mois, je pourrai demander ses services.

– Je vais t'aider, je vais chercher un nouveau boulot !

– Non, Finn. Non. Je te confie tout ça pour que tu arrêtes de t'inquiéter, mais tu ne vas pas recommencer ce que tu faisais, tu m'entends ? Plus jamais.

– Tu ne te rends pas compte, ça rapporte et...

– Non. Je n'ai pas envie de me répéter, je t'en prie.

Elle incline la tête sur le côté et j'ai peur de ce que je pourrais trouver au coin de ses yeux, si je regardais vraiment.

– Je ne veux plus que tu te mettes en danger. Tu peux faire ça pour moi ?

Je me force à acquiescer.

– Oui, bien sûr... Excuse-moi. J'ai vu un café, pas loin de chez Cliff. J'irai déposer un CV là-bas ou à la supérette du coin, peu importe. Je suis prêt à récurer les toilettes d'un fastfood s'il le faut, mais laisse-moi t'aider.

– Un seul job. Légal. Et les cours doivent rester la priorité.

Je ne dis rien, mais je baisse les yeux en signe de reddition. Elle doit percevoir la peine qui irradie de tout mon être, car elle ne fait rien d'autre que m'embrasser sur le front. Nous restons comme ça un long moment, à nous regarder en silence comme si nous étions seuls au monde – mais la réalité nous rattrape vite. Je quitte la prison le coeur gros, mais déterminé à aider ma mère à s'en sortir.

Il est temps de remonter dans le car direction La Nouvelle- Orléans.

Quatorze heures de route pour une heure de visite.

Quand on aime, on ne compte pas.

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