C H A P I T R E 2

Premier regard

Cher journal,

Le garçon de mes rêves s'appelle Fredek. Un nom si étrange et si beau qui tourmente mon esprit. Fred na aucun souvenir. Il ne se souvient ni de sa famille ni d'où il vient et encore moins de qui il est. Je crois que Fred est un extraterrestre qui vit sur une autre planète et qui a atterri sur la Terre par accident.

DIX MINUTES PLUS tard, en secouant nous têtes d'avant en arrière, faisant voler nos cheveux dans tous les sens comme si nous étions des chanteuses de rock, Ambrose et moi, nous hurlons à pleins poumons la chanson Ghost d'Ella Henderson en chœur.

I had to go through hell to prove I'm not insane

Had to meet the devil just to know his name

And that's when my love was burning

Yeah it's still burning

Each time that I think you go

I turn around and you're creeping in

And I let you under my skin

'Cause I love living in the sin

Je me laisse aller contre le dossier du siège de ma Jeep et je profite du sentiment de liberté alors que le soleil me chauffe la peau. Je regarde dans mon rétroviseur et je vois Ulysse toujours penché sur sa tablette. Son aura est gris pâle. Irritation.

C'est clair qu'il est toujours contrarié et qu'il m'en veut. À cause de moi, nous avons déménagé et il a dû abandonner tous ses amis, ses repères, sa ligue de baseball et sa cabane dans le chêne devant notre maison. C'était son endroit préféré exclusivement interdit aux filles. Il passait des heures dans cette cabane que John avait construite pour lui. Maman était la seule fille qui pouvait entrer sans sa cabane et elle devait toujours aller le chercher pour l'obliger à venir manger. Je devrai trouver un moyen de me faire pardonner et ça ne serait pas chose facile. Il est très, très rancunier et il n'oublie jamais rien. À Portland, Maman a essayé de lui remonter le moral en lui montrant le chalet et le lac, mais rien à faire.

Ulysse surprend mon regard dans le rétroviseur. Je lui fais un petit sourire qu'il ne me retourne pas. Il repousse ses lunettes sur son nez avant de se concentrer à nouveau sur son jeu. Colère.

J'arrête la voiture devant un feu rouge. C'est alors que je penche la tête en arrière et je cède à mon envie de lever les mains au-dessus de ma tête. Même si la bagnole est immobilisée et que je perçois le jugement non caché d'Ulysse derrière ses lunettes, cela n'empêche pas ni Ambrose ni moi de baisser le ton jusqu'à ce qu'on croise le regard d'un conducteur arrêté aux lumières près de nous.

Au volant d'une décapotable rouge, je remarque que le chauffeur porte des lunettes de soleil sur le nez et ses cheveux auburn s'accrochent aux rayons de soleil, attirant les regards. Il paraît plutôt mignon avec sa chemise bleu marine... il n'est pas seul. Son voisin, qui est sans doute son ami, semble être plus grand et plus développé que lui. Je remarque qu'il porte une veste sportive sur ses larges épaules et que ses cheveux noirs sont cachés sous une casquette des Yankees de New York qu'il porte à l'envers. Il ne semple pas encore remarqué notre présence, trop occupé à boire goulument un Red Bull, mais je sens que ça ne va pas tarder.

Sur les lèvres du gars aux cheveux de cuivre, je peux lire :

- Je n'y crois pas!

Il donne un coup de coude dans les côtes de son ami et pointe Ambrose et moi du doigt. Le garçon aux cheveux d'ébène se retourne et ses yeux s'écarquillent de stupeur. Lorsque nos regards se croisent, la Terre arrête de tourner. Tout devient indistinct autour de moi. Il n'y a plus que lui et moi. Je ne respire plus. La voix d'Ella Henderson se transforme en un simple bruit de fond à peine perceptible. À cet instant précis, j'ai l'impression d'être dans un film lorsque la fille voit le garçon grimper les marches du bahut au ralenti. C'est alors que l'image devient floue et que seule l'image du garçon reste nette. C'est exactement l'effet que ça me fait de regarder ce gars à la veste sportive. Des beaux gars, j'en ai déjà vu. Mais ce garçon-là est tout simplement... éblouissant. Soudain, il recrache sa boisson, gâchant le moment magique. Du revers de sa main, il essuie sa bouche sans me lâcher des yeux.

Ambrose agrippe mon bras et enfonce ses ongles violets dans ma peau jusqu'à m'en faire mal. Furax, je me retourne vers elle.

- Qu'est-ce qui te prend?!

- Roule! s'exclame-t-elle. La lumière est verte!

Elle pointe les feux de circulation passés au vert.

Je regarde à nouveau les garçons et mon visage se vide de son sang. Je remarque que le chauffeur nous observe avec un petit sourire flottant sur les lèvres tandis que le passager tente d'essuyer le liquide qui dégouline sur son menton. Le gars aux cheveux cuivrés nous fait même un petit signe de la main et Ambrose pousse le vice en leur répondant. C'est à cet instant que je choisis d'enfoncer mon pied sur la pédale d'accélérateur.

Je ralentis seulement quand on passe devant un parc où des marchands se promènent avec leurs chiens et s'arrêtent devant des kiosques à hot-dog. Deux garçons se lancent un ballon de football. Plus loin, deux bambins courent derrière une fillette, les mains remplies de vers de terre. Ulysse les regarde attentivement.

Un vert foncé surgit de sa poitrine. Envie.

Je me fais la promesse d'y emmener Ulysse un jour.

EN QUELQUES MINUTES seulement, Ambrose et moi sommes arrivées devant notre lycée. J'ai eu le temps de déposer Ulysse à son école à un coin de rue d'ici. À peine me suis-je garée qu'Ulysse a descendu de la voiture en claquant la portière sans me dire « au revoir ». Ambrose n'a émis aucun commentaire. Je l'ai remercié silencieusement.

L'établissement scolaire, dont l'aspect est assez lugubre pour me donner des sueurs froides dans le dos, est noyé au milieu de tant d'arbres et d'arbustes qu'à première vue, on a dû mal à le voir au travers de ces feuillus. Je gare ma Jeep orangée sur le parking du lycée et aussitôt, tous les regards se convergent vers nous. Ambrose ne semble pas s'en apercevoir.

- Super, vraiment super, je soupire en regardant ma nouvelle école qui est beaucoup plus petite que celle de Vancouver.

Un large frisson traverse mon dos, passant de ma colonne vertébrale et remontant jusqu'au haut de ma nuque. J'avale péniblement ma salive.

- C'est plutôt joli, tente Ambrose, d'une voix mal assurée.

- Joli? On n'a pas du tout la même définition du mot.

La vieille bâtisse est recouverte de pierres grises, des gargouilles plutôt effrayantes déformées par des grimaces et les fenêtres sont teintées des tons ocre qui me font penser aux vieilles basiliques.

- Tu crèves autant de trouilles que moi, finis-je par rétorquer à ma sœur dont le visage est aussi blême que le mien et dont la couleur bleue presque noir émane autour d'elle.

- D'accord, d'accord! T'as raison! Je suis morte de trouilles!

Elle se frotte les bras comme si elle avait froid, puis se mord la lèvre inférieure.

Violet. Elle est nerveuse.

- T'inquiètes, dis-je, pour la rassurer. Tout va bien se passer, tu verras. (Je lève les yeux au ciel.) Et, pour l'amour du ciel, arrête de stresser, ça va te donner des boutons!

Ambrose éclate de rire.

- Merci, Éden, dit-elle en me serrant dans ses bras. Je t'aime!

Rose pâle.

Je lui tapote gentiment la tête. Je déteste les affections, mais je supporte ses câlins, parce que c'est ma sœur et que je l'aime de tout mon cœur. Le visage toujours plaqué contre ma clavicule, Ambrose me demande :

- Dis, tu ne veux pas porter du rose plutôt que du noir sur tes lèvres?

- Nan.

Elle hausse les épaules et me lâche enfin.

- Au moins, j'aurai essayé, murmure-t-elle, pour elle-même.

Elle applique une généreuse couche de brillant à lèvres, passe une main dans ses cheveux pour les ébouriffer encore plus ce qu'ils le sont déjà et inspecte une dernière fois son reflet dans le rétroviseur. Puis, elle se retourne vers moi.

- Bon, envoie-moi un texto quand tu auras fini ton cours. On se retrouve pour le dîner comme on l'avait dit. Et une dernière chose... souris!

- D'accord, fis-je en faisant mon plus beau sourire.

Elle saute de la voiture et se pavane jusqu'à l'entrée cachant sa pomponne d'oxygène dans son sac-à-dos. Ambrose passe devant un groupe de garçons aux auras rouges. Ils se retournent tous sur son passage pour l'admirer. Ce n'est que son premier jour et elle attire déjà l'attention des garçons.

« Bien joué! »

Maintenant, c'est à mon tour. Bon. Quand faut y aller, faut y aller... mais je n'arrive pas à bouger, comme si une force imaginaire m'empêche de quitter ma voiture. Mes mains moites sont accrochées au volant, mon cœur bat à la chamade et une volée de papillons se balade dans mon estomac. Je n'ai jamais été aussi nerveuse de toute ma vie.

Heureusement, que j'ai une solution à mon problème et la solution se trouve dans mon coffre à gant, toujours à la portée de main. Je plonge ma main à l'intérieur et je saisis une fiasque de vodka enveloppée dans un sac en papier brun. J'incline la tête en arrière et mes lèvres entrent en contact avec la froidure du métal. L'alcool coule le long de ma gorge, provoquant une brûlure familière et un sentiment de satisfaction. Je range la bouteille dans le coffre à gant et je ferme les yeux, humectant mes lèvres et savourant la sensation de légèreté avant que celle-ci ne fasse plus d'effet et disparaisse.

« Tu peux le faire, je me mens sans conviction. » J'attrape mon sac-à-dos et sors de ma bagnole.

Je redresse donc les épaules, empruntant l'air décontracté de Ambrose et je me dirige vers la porte. À chaque pas, mon stress s'amplifie. Je serre les bretelles de mon sac à dos et me dépêche d'entrer dans le bureau de la secrétaire. Une fois à l'intérieur, je sens des paires d'yeux se braquer sur moi. Actuellement, je suis dans un état de panique, mon rythme cardiaque augmente chaque seconde.

Cependant, personne ne le remarque.

Lorsque je traverse le corridor bourré d'étudiants, je saisis quelques bribes de conversations, ainsi que des éclats de rire et un tourbillon de couleurs.

Je les ignore et poursuis mon chemin, la tête baissée.

En poussant la porte du secrétariat, je trébuche et c'est à quatre pattes que j'atterris sous les regards des neuf étudiants présents. Je suis morte de honte. J'aimerais tellement m'enterrer vive. Là, maintenant, plutôt qu'être allongée par terre, en train d'agoniser comme un vers de terre. Voilà une entrée en scène dont je me serai passée... Des mains secourables viennent à moi et l'individu m'aide gentiment à me relever. À son toucher, un courant électrique m'anime. Je dois rassembler tout mon courage pour lever les yeux vers mon sauveur tandis qu'une vague de malaise me gagne. Les premiers mots qui me viennent à l'esprit sont : « doré », « argenté » et « bleu ». Je ne parle pas de ses émotions, mais de ses cheveux dorés, de son piercing à l'arcade sourcilière d'un métal argenté, de ses yeux et de ses cernes bleus. Quand nos regards se rencontrent, l'individu se fige. On aurait dit que le simple fait de me voir le surprend et... l'effraie.

C'est impossible qu'il soit effrayé, puisqu'on ne se connaît pas, que je ne pèse que soixante kilos, alors que lui, il... mais... attendez. Il y a quelque chose qui cloche chez lui. Il n'y a rien qui émane de lui. Absolument rien. Nada, niete, nothing. Aucune émotion, je ne ressens rien.

« Hein? »

J'ouvre encore plus grand mon esprit et je fais appel à toute ma concentration... mais je ne perçois rien du tout. Ça me paraît à la fois étrange et merveilleux. Je peux voir que l'aura de la secrétaire, derrière le bureau, est mauve. Mais ce garçon ne possède aucune couleur. Il contient toute une émotion. La neutralité semble être sa meilleure amie. Il n'a qu'un halo blanc presque aveuglant au niveau de son sternum. Je n'avais jamais vu cette teinte auparavant sur qui que ce soit. Comment ça se fait? Pourquoi je ne capte que le blanc? Que peut-elle signifier? Mais avant que je puisse examiner de plus près mon sauveur dépourvu d'émotions, il m'arrache de mes pensées lorsqu'il s'écarte brutalement de moi comme si je l'avais brûlé au fer. Son front se plisse et son regard se durcit. Je finis par observer le plancher en marbre, avec un profond embarras. Je balbutie de pauvres excuses et m'empresse de m'enfuir en faisant attention à ne pas le toucher lorsque je passe à côté de lui.

La secrétaire assise derrière le bureau est en fait une vieille dame. Elle lève la tête vers moi et m'étudie d'on œil critique.

- Je peux t'aider?

- Euh... Je m'appelle Éden Ollivier, je l'informe.

Elle écarquille les yeux avant de me sourire chaleureusement. Évidemment, j'étais attendue.

- Ah oui, acquiesce-t-elle. La petite canadienne!

La vieille dame a le nez enfoui dans une pile de papiers accablants étalés sur son bureau. Elle ne lève la tête que lorsqu'elle trouve ce qu'elle cherche.

- Voici ton emploi du temps et un plan du lycée, dit-elle, en me tendant les papiers.

Elle m'offre de m'aider en m'indiquant l'emplacement de mes classes et de surligner les chemins les plus rapides à prendre, mais je refuse en la remerciant malgré tout.

- J'espère que tu te plairas ici, très chère.

Je lui réponds par un rictus le plus convaincant à ma disposition.

Je jette un œil à mon horaire. Je commence en histoire avec Tate Brayman dans le deuxième bâtiment. Sans difficulté, je le trouve avec le plan du lycée. Au fur et à mesure que je m'en rapproche, mon pouls s'accélère de façon désordonnée.

- Hé, toi ! La nouvelle!

Mon cœur arrête de fonctionner quand j'entends quelqu'un m'interpeller.

Si je pouvais me faufiler dans un trou, même celui d'un hobbit, m'y recroqueviller et y vivre jusqu'à la fin de mes jours, je le ferais.

Tous les élèves qui se trouvent à moins de trois mètres de moi se retournent pour me lorgner sans retenue. Je fais la sourde oreille et je poursuis mon chemin en prenant soin de maintenir la tête baissée jusqu'à ce que je sente une main ferme se poser sur mon bras. Je me retourne vivement vers l'individu me préparant à le menacer de lui arracher la main s'il ne l'enlève pas immédiatement, mais les mots se coincent dans ma gorge.

Je connais ce visage.

- Drasio?


/ Chaque fois que je pense que tu es parti / Je me détourne et tu rampes à l'intérieur / Et je te laisse sous ma peau / Parce que j'aime vivre dans le péché.





*****

NOTES DE L'AUTEURE :

Désolée pour mon absence!!! J'étais très occupée avec mes examens et mes travaux de fin de session à l'université. Mais ne vous inquiétez pas, je tombe bientôt en vacances, et ce, jusqu'en septembre. Alors, j'aurai amplement le temps d'écrire de manière régulière.

Un petit rappel : Si vous aimez l'histoire, n'hésitez pas à mettre une étoile ou de tout simplement de mettre un commentaire. Ça serait très apprécié et c'est gratuit! J'accepte également des suggestions si vous en avez ;)

Bisous mes p'tits anges!

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