9 - L'Endroit de Vérité
L'eau ne coulait plus. La réalité se heurtait, à mi-chemin de la vallée, à un mur invisible - il n'était pas invisible parce qu'il était transparent, il était invisible parce qu'on ne le voyait plus, ni lui, ni le reste, ni tout.
À mesure qu'on avançait, la vision baissait, elle devenait grise-noire. Les ados chassaient des mouches devant leurs yeux, mais c'était simplement des morceaux de réalité qui disparaissaient.
L'eau disparut, alors le Pélican stoppa net. Et il fallait bien rebrousser chemin - parce qu'on n'y voyait rien.
Dans cette vallée, il faisait un peu plus chaud - d'ailleurs la neige avait fondu, même si la nuit éternelle dominait. Il y avait une grosse colline sur leur droite, visible entre deux hauts sapins. Anormalement haute, on aurait pu la prendre pour un terril, mais elle était recouverte d'herbe, et un lapin blanc sautillait au sommet.
Ils attachèrent les cordes aux sapins, et avancèrent vers la colline - il n'y avait pas eu de conciliabule : quelque chose qu'ils n'avaient pas encore identifié, mais qui se logeait doucement dans leur cerveau comme le froid pénètre les chairs, les attirait.
La colline était creusée d'un grand amphithéâtre de pierres assemblées qui n'était pas sans rappeler ceux de la Grèce antique - avec quelques touffes d'herbes qui tentaient de conquérir les gradins.
Le théâtre faisait face au néant - gris télé sans antenne de la fin du monde, qui s'étiolait avec l'altitude, et qui laissait apparaître au sommet la calotte radieuse d'une lune impossiblement immense.
- « C'est l'endroit de vérité, affirma Salman, et tous surent qu'il avait raison, car tous allaient dire la même chose, simplement Salman était plus vif.
- C'est pas si terrible, » répondit Cassandre.
Et pourtant...
Au premier rang, il y avait le cadavre desséché et ancien d'un homme, qui avait dû porter une armure de fer. Il avait un poignard dans ce qui était sa gorge, et il le tenait à deux mains désormais squelettiques, comme pour l'ôter...ou l'enfoncer. Plus haut derrière un couple de squelettes encore, chacun une hache dans la main, plantée dans le crâne de l'autre. Enfin encore, à divers étages, d'autres squelettes étaient assis, la tête enfouie entre leurs genoux...
- « Comme s'ils pleuraient, murmura Dian.
- Comme s'ils s'ennuyaient ! explosa Cassandre.
- J'ai vraiment peur. Et pourtant, c'est paisible, ici », remarqua Salman.
C'était vrai. Les écureuils et les lapins vaquaient à leur petite vie, cheminant entre les squelettes anciens comme s'ils étaient des statues. D'ailleurs, tous ces morts, étaient-ils des juges ou les jugés de l'Endroit de Vérité ?
Cass s'approche du couple aux haches, et commence à toucher le bord de la lame de l'une d'entre elles, malgré les avertissements de Dian, puis s'en détourne en disant : « J'ai jamais vu autant de morts en si peu de temps. »
Tout en bas de l'amphithéâtre se trouvait un banc circulaire de pierre et ils s'y installèrent à équidistance.
- « Vous le sentez ? dit Salman. Le truc dans la tête. C'est depuis que je suis ici.
- Oui, dit Dian, il veut nous faire parler. J'ai très envie de vous dire...des choses.
- On devrait lutter. Tu as vu ces morts ? Je me dis, imagine que je dise quelque chose qui vous donne envie de me tuer ?
- Je n'ai envie de tuer personne, et toi non plus, quoi que tu dises, tu sais.
- Et bien moi, s'exclama Cassandre, je ne sens rien du tout dans ma tête. Vous êtes totalement en train de psychoter, et voici ma théorie sur l'Endroit de Vérité. Tout ça c'est un décor, du bluff pour nous donner les jetons ! Et moi, j'ai très très peur.
- Ben si tu as peur, c'est que ça marche, fit remarquer Salman.
- Ahah, sourit Cassandre. Je ne voulais pas dire ça : je voulais dire, bien sûr, que j'ai peur. »
Ils regardèrent Cassandre, interloqués. Même Cass sembla se regarder, et elle rougit jusqu'aux oreilles.
- « Marrant, constata Salman. À l'Endroit de Vérité, on ne peut pas dire de mensonge. C'est vraiment le pire endroit pour toi, Cass.
- Ouais ben en fait...je voulais dire...que j'ai peur...et que d'ailleurs...j'ai souvent peur...mais pourquoi je dis ça ? J'ai tellement honte. J'aimerais être celle qui n'a pas peur.
- Tu sais, Cass, dit Dian, tu peux aussi ne rien dire. Je pense qu'on peut gagner l'épreuve de cette façon. »
Le silence retomba sur eux comme une nappe de froid. Cassandre reprit la parole au bout de trente secondes :
- « J'ai des trucs à vous dire.
- Cass, NE DIS RIEN, fit Dian.
- Les gars, je vais juste vous dire des trucs totalement bateau. Rien qui va vous donner envie de me tuer ou autre...j'ai besoin de vous les dire parce qu'on s'ennuie trop là.
- Tu as besoin de nous les dire parce que le truc dans la tête, là, il veut nous faire parler, dit Salman.
- J'ai zero truc dans la tête, maintenant taisez-vous si vous voulez, moi je veux parler. Et vous verrez y a rien d'extraordinaire. Mais je me disais...on est en train de vivre un truc pas banal, et plus tard, on va certainement traîner ensemble, devenir potes, à faire des parties de mario kart ou de monopoly même si Salman est trop nul à ces jeux, pas vrai ? Et on a pas pris le temps de faire connaissance. Dian, la pauvre, ou le pauvre, il m'a vu faire des bêtises, il doit penser que je suis une nulle. Je parle trop. Je mens. Je me vante. J'ai de grosses narines.
- Tu parles trop, dit Dian. Mais tu es cool. Et belle. Et tes narines, je les ai même pas remarquées.
- Tu es belle, confirma Salman, avant de se mordre la langue. Enfin...non, rien.
- Je ne vous l'ai jamais dit les gars. Ma famille...ma mère...c'est trop nul. Je suis pas aussi intelligente que Salman, je pense que je suis moins intelligente que lui quand il avait 8 ans. Mes parents, ben, ce sont sont des débiles aussi. Enfin, pas débiles. Mais ils font des trucs que les gens trouvent bêtes, et qui me font honte. Ça me fait honte parce que je sais que je suis à ça de faire pareil, et quand j'aurai leur âge, je ferai pareil. Ils regardent de la télé réalité. Ils boivent de l'alcool jusqu'à s'endormir. Ils passent leur vie devant leur téléphone. Ils ont pas d'amis. Je n'aime pas les livres, c'est écrit petit, on s'ennuie, mais un jour je suis allé chez toi, Salman, et il y a cette pièce avec des livres du sol au plafond sur tous les murs...moi chez moi il y a cinq livres. C'est des livres que j'ai été obligée d'acheter pour l'école. Mes parents sont pas pauvres, je m'en fiche, d'ailleurs papa s'achète une voiture tous les cinq ans, même s'il s'endette pour ça. Mais quand j'ai vu tous tes livres, j'ai compris ma misère, Salman, ma vraie misère qui est pas celle de pas avoir d'argent. La vie c'est une course et avec mes cinq livres et mon cerveau nul, je pars avec des kilomètres de retard. Et chaque fois que je rentre chez moi, et que ma famille fait ce qu'elle sait faire le mieux, c'est à dire rien, ben le retard grandit. Je vais perdre, et c'est le destin. Et ça me rend dingue. Ouais, je pourrais tuer. Peut-être que c'est ça, l'endroit de vérité. Il a mis des mots sur ma rage.
- Tu sais, Cass, dit Salman qui n'avait jamais entendu Cassandre dire de telles choses et qui n'avait aucunement peur d'elle pour l'aimer trop, tu as un cerveau qui marche bien.
- Il faut que je te parle de maman. Maman elle est sur insta toute la journée et elle regarde ces instagrameuses aux cheveux lisses et avec des gros seins et des ongles longs, qui vivent à Dubaï. Elle me dit que je suis jolie et que je devrais mener leur vie : trouver un mari riche, vivre avec son argent, être sur instagram, être à Dubai, vendre des vêtements d'une marque que j'aurai créé, elle en achèterait et serait fière de moi. En fait, non seulement elle me dit ça, mais souvent elle dit : tu es jolie et rien d'autre, donc si tu veux avoir la belle vie, il faudrait que tu fasses ça. Quand elle m'a dit ça, j'ai cru devenir folle. Une partie de moi s'est résignée et je me suis dit pourquoi pas ? J'ai qu'à le faire. Un vieux riche qui profitera de mon corps et je fermerai les yeux, mais j'aurai sa piscine ou sa Ferrari. Mais j'ai voulu autre chose. Je ne veux pas avoir l'argent d'un autre homme. Je veux bien braquer un riche, mais me faire des gros seins pour l'avoir ? Je préfererais me tuer. D'ailleurs...c'est peut-être moi que je dois tuer.
- Pareil, dit Dian. On monte un duo de braqueurs de riches ?
- Tu sais...c'est pour ça que je me suis rapproché de toi, Salman, dit Cassandre.
- Parce que mes parents sont riches ?
- Ouais. Exactement. J'ai fait ce qu'a dit maman. J'ai regardé autour de moi, et je me suis dit :qui est riche ? Y a Arnaud, celui qui a une tête en forme de crayon, qui a un nouvel Iphone dès qu'il sort.
- Oui, dit Salman. En plus, il est plus beau que moi.
- Ça c'est vrai ! Euh, je voulais pas dire ça. Je veux dire, c'est vrai. Oh zut, on s'en fiche s'il est beau. C'est un sale con, et il est encore plus bête que ma mère. Il y a d'autres gars riches, et beaux. Il y en a même des plus vieux...des vieux super riches...des types qui ralentissent dans leur énorme voiture de riche quand t'es dans la rue. Des gars mariés qui te sifflent. Je pense aux vieux mariés...je me dis que je pourrais les faire chanter. Quitte à avoir aucune race, pas vrai, maman ? Et pourtant, je t'ai choisi, Salman, le petit puceau au premier rang, premier de la classe.
- Tu pouvais t'abstenir de dire puceau.
- Le type sans ami.
- Ça aussi.
- Je me suis rapprochée de toi, Salman, parce que t'es l'inverse du vieux dans sa grosse bagnole qui me siffle dans la rue. Je voulais que tu me sauves. Je voulais être celle qui t'approche pour l'argent, mais à qui tu vas donner autre chose que de l'argent...quelque chose qui lui permettra de s'en passer...et ça, sans vouloir coucher avec moi. Parce que t'es trop poli pour le demander, et surtout parce que je n'ai pas envie de coucher avec toi.
- Ça brise un peu mes rêves que tu dises ça, dit Salman en plissant les yeux, sans vouloir dire ce qu'il dit. Cela dit, avec le temps, tu es devenue une amie. Je ne sais pas si on couche avec une amie...moi j'adorerais bien sûr, parce que je suis sûr que c'est trop bien de faire l'amour. Et puis même si tu viens de dire que j'étais en gros un loser, tu es quand même une personne en qui j'ai confiance. Je regrette totalement ce que je suis en train de dire.
- Le sexe, c'est incroyable, laissa échapper Dian. Et tout le reste. D'ailleurs, depuis la première nuit, j'ai envie d'embrasser Cass. Elle est trop belle. Éventuellement Salman. Embrasser avec la langue, bien sûr. C'est vraiment une façon cool de passer le temps. Je sais même pas pourquoi le dis ça. Ce ne sont même pas mes mots.
- Tu sais quoi ? Ça me fait hyper plaisir d'entendre ça, s'exclama sincèrement Salman, que tu veuilles m'embrasser, je veux dire, même si je suis second dans la liste. J'ai compris que les filles n'aimaient pas les gars comme moi, qui sont...je sais même pas pourquoi elles veulent pas de moi, mais c'est comme ça. J'imagine que je suis pas assez beau. Ou que ma voix est nulle. Ou tout simplement je suis aveugle sur ce qui fait de moi un type que les filles ne calculent pas. Je fais partie de ces garçons qui vont devoir se battre de toutes leurs forces pour séduire une femme, et échouer mille fois. Et peut-être échouer toujours. Je me vois mourir sans avoir été aimé d'une femme. Sans avoir fait l'amour. Et pourtant, j'ai l'impression qu'il y a tellement d'amour dans mon cœur à donner. C'est vraiment très triste de dire ça - et il se met à pleurer - mais c'est tellement vrai. J'ai peur parfois de vouloir être égoïstement aimé pour être « comme les autres qui sont en couple » et non pas simplement pour être aimé. Si mon désir d'amour n'est pas sincère, alors je ne mérite pas l'amour. Peut-être c'est ça...pourtant...j'ai de l'amour à donner. Vraiment.
- Tu te prends trop la tête mon vieux, dit Cass. Et pour que dalle. Embrasser avec la langue ? Moi je ferai JAMAIS ça. T'imagines, ta langue contre la langue d'un autre ? Vous vous rendez compte que la langue comme par hasard c'est le truc qui donne le goût ? Vous mettez la pire chose à mettre en contact avec une autre personne. Est-ce qu'il y a des endroits plus dégueulasses à fourrer sa langue dans la bouche de quelqu'un d'autre ? Bon, oui, je vois un ou deux autres endroits, mais disons c'est facile dans le top 3.
- Il est possible que tu changes d'avis à l'avenir...dit mystérieusement Dian en pensant à toutes les endroits possibles, justement, en rougissant jusqu'aux oreilles.
- J'ai toujours été solitaire, poursuivit Salman. Avec Papa et ses forages à l'autre bout du monde, et maman qui me laisse seul. D'abord avec mes jouets, ensuite avec mes livres, ensuite avec mon ordi. J'ai tellement eu peu de contacts avec les autres que je ne sais pas vraiment comment on prononce certains mots, par exemple je dis chaosse au lieu de chaos. Parce que je les connais que par écrit.
- C'est pas que t'as pas d'amis, c'est qu'aucun humain ne dit chaos, lanca Cass. C'est un mot qui sert à rien.
- Ok et c'est ognon ou ouagnon ?
- C'est ognon, t'es débile ou quoi ?
- Oui, ognon, confirma Dian.
- Ouais, j'essaie d'éviter de parler d'oignons en public, même si...il y a pas grand monde qui vient me parler. J'y pense, et je me dis. Je me suis bâti cette forteresse de livres et de solitudes. Et c'est terrible. Socrate et son humour devient ton ami. Le Capitaine Nemo ton mentor. Tu t'éloignes de ce quoi doit être quelqu'un de normal, et tu n'arrives plus à avoir des amis. Tu perds cette compétence naturelle que j'imagine chacun possède. Tu sais, Cass, quand t'es venue me voir, jolie comme tout, je me suis dit que c'était pas parce que j'étais un beau gosse, mais plutôt pour que je te fasse tes devoirs de maths.
- Ouais, ben écoute je me suis pas privée de te les fourguer aussi.
- Et ça m'a rassuré. Parce que c'est logique. Et je m'en fous. Moi j'étais affamé de contact, et oua ! Une jolie fille comme toi qui me parle, c'était la chance de ma vie. Même si je savais tu voulais pas sortir avec moi.
- Sortir avec toi ? On est tout le temps ensemble ! Regarde où je suis !
- Il veut dire que vous vous embrassiez, commenta Dian.
- Ca risque pas !
- Et si tu m'avais demandé l'argent que convoitait ta mère ? En vrai j'étais tellement affamé de l'espoir d'une fille telle que toi que j'aurais volé mon père pour que tu restes. Mais tu voulais rien. Et c'était flippant, parce qu'à un moment t'as commencé à piger ce que je t'expliquais, et t'es restée avec moi sans me demander de faire tes devoirs. Pourquoi ? J'en ai passé des nuits blanches. Je me suis même dit que tu étais une sorte de tueuse perverse qui attendait le bon moment.
- Classe, commenta Cass, sincèrement excitée qu'on ait pensé cela d'elle.
- Et puis j'ai arrêté de me prendre la tête. Tu sais Cass, je t'aime. Tu es tout pour moi. C'est pour ça que je suis allé avec toi dans le métro parce que j'étais mort de peur. Et que quand je suis sorti de l'hôpital je m'en foutais. J'aurais pu mourir pour toi. Je ne t'aime pas comme un homme aime une femme car je ne sais ce que c'est que d'embrasser ou de faire l'amour. Mais tu vois le noir devant nous ? J'étais dans le noir de la solitude. Dans le noir du désespoir de mourir seul. Dans le noir de l'anormalité d'être seul dans un monde où tout le monde est en couple. Pour une fille, c'est facile de pas être seule. Tous les gars sont des affamés. Mais pour un garçon, c'est très dur de trouver une fille. Et dans ce noir affreux, tu es la seule lumière que j'ai. Avec Dian, un peu maintenant. Tu voudras bien traîner avec un loser comme moi, Dian ?
- Oui, Salman. Je connais des losers, des vrais, et t'en es pas un. Tu sais...la normalité...c'est bizarre. C'est bizarre comme on souffre de vouloir être normal et on veut absolument être différent...j'ai pas eu le choix. Mon père et ma mère se sont séparés il y a cinq ans. Mon père est cool, il me laisse faire ce que je veux. Ma mère, elle me cadre bien et c'est cool aussi d'une autre façon. Mais elle s'en fout un peu de moi. En fait...je veux pas vous le dire, mais...elle est tombée amoureuse d'un type...je veux même pas prononcer son nom...je veux même pas le traiter de connard...je dirais que c'est une vilaine rencontre de ma vie. La plus vilaine à ce jour. Alors maman, elle est très amoureuse, et j'ai vraiment l'impression de les gêner. Et lui, il tabasse ma mère, et moi aussi quand j'essaie de me mettre entre lui et elle. Et c'est là que ça devient dingue, incompréhensible, mais elle revient vers lui comme un chien. Et elle commence à penser comme lui, que je suis un élément gênant. Heureusement, y avait mon père. Il bosse beaucoup, et il est tout le temps endetté, parce que je crois qu'il se fait arnaquer par tous ses copains, d'ailleurs maman l'a quitté parce qu'il était trop généreux, qu'elle dit. Et puis il aime bien les femmes, maintenant que j'y pense. Quand je vais chez lui, je dors sur le canapé, et quand il y a une fille...parfois deux, ne me demandez pas pourquoi, et bien il me paye l'hôtel. C'est une vie bizarre. Je suis pas triste, vous savez. Déjà parce que...je ne suis plus vraiment Diane. Diane c'était aussi la fille que n'aime plus ma mère. Oubliez ce que je viens de dire. J'ai jamais été à l'aise avec l'idée d'être une fille. Les robes roses, les poupées...
- Les gros seins des instagrameuses, complète Cass.
- Oui. Je me sentais mieux entre les deux. En tout cas, j'y réfléchis.
- Que va-t-il se passer maintenant que ton père...demanda Salman ?
- Et bien déjà je vais l'enterrer. Et le pleurer. Je l'aime, vous savez. Mais je n'arrive pas à pleurer. Je me sens tellement coupable. Ces larmes qui ne viennent pas...je me dis que je ne l'ai jamais aimé, et que je mérite les mêmes coups que prend ma mère.
- Meuf, dit Cass. Le mec qui cogne ta mère, je vais le retrouver et je vais foutre le feu à sa putain de maison. Je vais lui arracher les yeux.
- Et puis quoi ? Elle l'aime.
- Dian. Tu vas pas retourner chez ta mère, si ? demande Salman.
- Légalement, je le dois.
- La loi on s'en fiche, s'exclama Cass.
- On peut trouver des solutions, argumenta Salman.
- Vous êtes cools. En fait, j'avais des copains, mais vous deux...vous êtes cools.
- Donc on s'aime tous et on est les meilleurs amis du monde ? demanda Cass
- Je crois bien, dit Dian en souriant, et peut-être en sanglotant.
- On pourrait faire un pacte. On se soutient quoi qu'il arrive. Si l'un d'entre nous fait une grosse bêtise ou est en danger, on se soutient.
- C'est bizarre mais ça me va, dit Dian.
- Deux minutes, interrompit Salman qui lisait en Cassandre comme dans un de ses livres. T'as fait quoi comme bêtise, Cass ?
- J'ai pas...j'ai...j'ai fait une bêtise...je crois...je suis désolée...»
Il est de ces moments uniques mais anodins que l'on oubliera jamais. À cet instant, Salman vit pleurer ass pour la première et unique fois de toute sa vie.
Les larmes coulaient à flots dans d'immenses sanglots, une rivière, Cassandre pleurait en cet instant pour toutes les fois passées et futures où elle avait et aura retenu ses larmes.
- « J'ai tellement peur d'être bête...j'ai tellement peur de ne pas m'en sortir seule...j'ai tellement peur d'être celle que voit ma mère en moi...alors, je voulais vous impressionner...je suis désolée...j'étais sûre...tellement sûre que Raymond était un trafiquant de drogue...je me suis dit que j'allais vous sauver et que ça montrerait à tous, à maman et aux autres, que je peux tout faire seule...je me suis dit, si j'impressionne Salman le riche, alors maman sera tranquille...
- c'est pas grave, dit Salman.
- SI ! Parce que pendant que vous dormiez, j'ai dévissé une petite manivelle qui était derrière vous. Personne l'a vu. Je voulais faire atterrir l'avion pour le voler et partir loin de Raymond, pour vous sauver...si l'avion est tombé...si on est là comme des cons au bout du monde dans le froid alors que nos parents sont morts de trouille et qu'on va peut-être mourir, c'est de ma faute, parce que dans le fond, ma mère a raison, je suis tellement, mais tellement bête ! »
Elle pleura si sincèrement, elle qui était si forte depuis le début de l'aventure, que les autres ne surent comment réagir. Ils se regardèrent.
Salman mit sa main sur l'épaule de Cass jusqu'à ce qu'elle s'arrête de pleurer.
- « Allez, c'est pas grave Cass.
- Arrête c'est super grave...
- Cass, cette fois j'ai pas terminé dans un hôpital, pas vrai ? »
Cass éclata de rire dans ses larmes. Elle tourna son regard vers Dian, qui déclara après un soupir :
- « Ce qui est fait est fait. Peut-être c'est bien que j'ai pas pu être là pour l'enterrement de papa. Si je pleure pas, les gens auraient trouvé ça bizarre.
- Vous êtes cools, poursuivit Cassandre en reniflant. Je vous mérite tellement pas.
- Cass, dit Salman. Je t'aime. On est ensemble. À la vie à la mort.
- Moi aussi je t'aime, dit Cassandre. Et je t'aime aussi Dian. T'es quelqu'un de bien.
- Je vous aime tous les deux, répondit Dian.
- Alors puisque les serments d'amour ont été fait et que toutes les vérités ont été dites, on peut faire ce pacte, continua Salman, solennel. Unis dans l'amour au cœur de la Nuit Éternelle, faisons le pacte de triompher ensemble de toutes les épreuves et de trouver nous aussi le chemin de l'Aube.
- J'en fais le serment ! hurla Cassandre.
- Je me joins à ce serment », ajouta Dian.
Ils se tiennent les mains les uns les autres, mais rapidement Dian casse le cercle. Il se lève, éberlué, et regarde l'ouest.
Le mur noir est tombé, et l'Endroit de Vérité s'ouvre désormais sur un immense paysage de plaine au bas d'une falaise dont ils sont au sommet. Une vallée verdoyante, où la rivière qu'ils ont suivie tombe en cataracte. Une cataracte avec un arc-en-ciel, et une vallée sur laquelle s'étendent leurs ombres.
Car derrière eux, derrière l'amphithéâtre et ses juges figés dans la mort, le soleil vient de se lever.
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