Chapitre 12
Madenn
La bicoque de la vieille Dahut se trouvait à l'extrême sud de l'île de Louvent, sur l'un des minuscules îlots mangés par la mer mouvementée. Un endroit dangereux, selon les dires, où seuls les pêcheurs et ramasseurs de goémon les plus aguerris osaient s'aventurer. Les enfants avaient la ferme interdiction de s'en approcher et, malgré les innombrables possibilités ludiques offertes par cet amoncellement de bouts de terre caillouteuses, aucun n'osait braver cet interdit. On disait la marée trop imprévisible, ses écarts trop soudains, à tel point qu'elle pouvait piéger sans mal un enfant trop téméraire.
Madenn avait entendu ces histoires toute son enfance. Et elle se doutait que la marée n'était pas la seule chose qui gardait les bambins loin de ce coin de l'île. La présence presque invisible de la vieille Dahut, confinée dans sa maisonnette de pierres, avait de quoi faire frémir les plus courageux d'entre eux.
Dès que le soleil amorça sa descente vers l'horizon, Madenn prétexta une migraine avilissante pour manquer le dîner et se retirer dans sa chambre de façon précoce. Sa mère ne rechigna pas malgré la présence de son fiancé, probablement soulagée à l'idée d'éviter une nouvelle confrontation inconfortable. Madenn s'enferma dans sa chambre après avoir ordonné à Véra de ne la déranger sous aucun prétexte jusqu'au matin. Sa femme de chambre l'enveloppa d'un regard préoccupé, l'aida à se mettre au lit en parlant d'une voix feutrée pour ne pas aggraver la souffrance dans ses tempes, et tira les rideaux pour plonger la pièce dans une obscurité réconfortante. Madenn la remercia du bout des lèvres, le cœur serré. Elle détestait mentir, à Véra plus qu'à quiconque. Mais elle n'avait pas le choix, et se pelotonna en position fœtale sous les draps en espérant réussir à refouler sa culpabilité.
Elle attendit dans cette position durant de longues minutes avant de trouver le courage de mettre en branle la suite de son plan. Lorsqu'elle fut certaine que l'étage était vide, et après avoir enfermé ses derniers doutes à double tour au fond de son esprit, elle se leva doucement et arrangea les oreillers et traversins sous les couvertures pour reproduire la forme de son corps recroquevillé. Puis elle revêtit sa robe la plus confortable et passe-partout, faite de laine bleu profond et dont le corsage se fermait à l'avant. Elle surmonta le tout d'une capeline noire et se faufila à travers la porte.
Ses pieds connaissaient par cœur chaque latte susceptible de grincer et l'entrainèrent à travers le couloir sans que le parquet ne craque une seule fois sous ses pas. Son cœur battait à tout rompre lorsqu'elle surveilla les allées et venues des domestiques, entendit l'écho étouffé d'une conversation provenant de la salle à manger, se glissa dans les corridors tel un fantôme, jusqu'à la porte d'entrée. Mais ce n'était pas l'appréhension de se faire prendre qui faisait s'affoler son cœur contre ses côtes. C'était la sensation grisante de se lancer dans une aventure dont elle était l'héroïne. De prendre ses propres décisions, peut-être pour la première fois de sa vie.
Dehors, l'heure dorée éclaboussait les toitures humides et les ruelles pavées de Port-Lebran. Cette ville ne séchait jamais complètement, en-dehors des quelques journées de chaleur estivales. Mais le soleil hésitant de l'automne peinait à faire reculer l'humidité, même lorsqu'il brillait aussi joliment qu'en cet instant. Madenn remonta la capuche de sa capeline sur sa tête et plissa les yeux pour les protéger des réverbérations éblouissantes.
Elle quitta l'enceinte de Port-Lebran en évitant les passants, dissimulée sous son vêtement, et augmenta la cadence, saisie d'une délicieuse sensation de liberté. Le sourire qui s'épanouit sur ses lèvres la suivit à travers les plateaux d'herbes folles, jusqu'à ce que la terre se disloque sous ses pieds en une myriade d'îlots reliés par des sentiers boueux apparus grâce à la marée basse. Une odeur de vase réchauffée par les rayons du soleil lui chatouilla les narines. Madenn s'immobilisa quelques instants sur une bande de terre relativement sèche. Son sourire avait fané, rattrapé par l'appréhension.
La maisonnette de la vieille Dahut s'élevait sur l'un des îlots les plus éloignés. Sa silhouette trapue, colorée d'or par le soleil couchant, semblait avoir directement jailli de la terre et de l'eau. Une mousse verdâtre était montée à l'assaut des murs de pierre et du toit, conférant à la bicoque des allures mystiques de conte de fée. Une fumée âcre s'échappait en tourbillons de la cheminée, preuve que la maison était habitée. Madenn serra et desserra les poings à plusieurs reprises, s'obligea à détendre ses épaules et à puiser son courage au fond de ses tripes.
Son corps sembla le trouver avant sa tête car elle se mit en mouvement sans y penser. Ses pieds s'aventuraient sur les galets et la boue instable en prenant garde de ne pas déraper. Ses petites bottines à lacets et ses jupes traînant dans la fange n'étaient guère l'accoutrement le plus adapté à ce genre de périple. Mais elle n'en avait cure. Son regard demeurait autant que possible rivé sur les fenêtres crasseuses de la petite bâtisse. La vieille Dahut l'observait-elle ? L'avait-elle vue arriver ? La considèrerait-elle comme une menace ? Depuis combien de temps n'avait-elle pas eu d'interaction avec un autre être humain ?
Madenn s'arrêta devant la porte, le souffle court. Les oreilles grandes ouvertes, elle guetta un instant des signes d'agitation à l'intérieur de la maison. Mais elle n'entendait rien, rien d'autre que le ressac qui léchait les galets boueux en contrebas et le vent qui sifflait par rafales. La peur grossissait par à-coups dans son estomac et lui comprimait la poitrine. Était-elle en train de commettre une erreur monumentale ? Madenn jeta un regard en arrière, envisageant un instant de faire demi-tour et de rentrer chez elle en courant.
Elle secoua la tête, carra les épaules et leva le poing pour frapper contre le battant de bois, usé et gonflé d'humidité. Mais la poignée s'abaissa sans lui laisser le temps de toquer, et elle ne put réfréner un mouvement de recul paniqué. Dans l'entrebâillement de la porte, un visage apparut. Des traits creusés par des rides profondes, quelques mèches de cheveux gris laissés libres. L'âge, le sel et le vent avaient usé sa beauté jusqu'à la corde, ne laissant qu'un bout de femme fané par le temps. Ce fut, en tout cas, la première impression qui saisit Madenn à la vue de la vieille Dahut. Mais il ne lui fallut que quelques instants pour apercevoir, au milieu de cette figure parcheminée, l'esquisse d'un sourire accueillant et un regard aussi vif et brillant que celui d'un enfant. La pitié et l'inquiétude laissèrent aussitôt place à la curiosité. Elle réalisa soudain qu'elle dévisageait la vieille femme en silence depuis trop longtemps. Ses lèvres s'ouvrirent pour balbutier quelques mots hésitants.
— Bonsoir, Madame, je... Je suis désolée de vous importuner en cette heure si tardive, mais je... eh bien, j'aurais besoin de votre aide, si... si toutefois vous accepter de m'écouter.
Le sourire de la vieille Dahut s'étira jusqu'à dévoiler une rangée de dents brunâtres et inégales. Madenn retint de justesse une grimace de dégoût et remercia la vieille du bout des lèvres lorsque celle-ci s'écarta pour l'inviter à entrer.
Il faisait chaud dans la maisonnette. Presque trop. Un feu virulent ronflait dans la cheminée et donnait à l'espace étroit une atmosphère étouffante. Madenn s'empressa de se défaire de sa capeline et tamponna du bout des doigts ses tempes qui perlaient déjà de transpiration. Elle demeura figée sur le seuil, sans savoir quelle attitude adopter, tandis que Dahut s'affairait dans la pièce sans prêter attention à elle. La vieille femme retira une marmite qui frémissait au-dessus du feu puis jeta une poignée de sel sur les flammes pour atténuer leur vigueur. Malgré son âge, elle se mouvait avec aisance et se tenait droite, le pied sûr et le geste vif. Ses cheveux libres et emmêlés coulaient jusqu'à sa taille.
Madenn se dandina d'un pied sur l'autre, indécise. Comment allait-elle réussir à communiquer avec cette femme dénuée de parole ? L'image d'un moignon de langue arrachée, cachée sous ces dents brunes, s'imposa à elle et lui arracha un frisson.
Après avoir remis un peu d'ordre dans la pièce, Dahut se retourna enfin vers elle et l'invita à s'asseoir d'un geste de la main. Madenn s'installa du bout des fesses sur un coin du banc à la stabilité douteuse, installé face à une table de bois tout aussi vétuste. L'humidité n'épargnait rien ici et sembler déformer les meubles aussi bien que les gens. Dahut déposa deux tasses ébréchées sur la table et y versa une infusion fumante sans se départir de ce sourire énigmatique. Puis elle s'installa face à Madenn, souleva sa propre tasse de ses doigts noueux et souffla doucement sur la vapeur tout en gardant son regard plongé dans celui de la jeune fille. Elle sirota le breuvage du bout des lèvres avec un gargouillis sonore et fort peu convenant, avant de pencher la tête sur le côté comme pour enjoindre son invitée à prendre la parole.
Madenn se racla la gorge et baissa le nez vers les effluves herbacés de son infusion. Elle se sentait déroutée, quoique rassurée ; elle s'était attendue à trouver une femme récalcitrante à laisser une inconnue pénétrer chez elle, inacclimatée aux interactions sociales et encline à la chasser au plus vite. Au lieu de cela, son hôte se montrait accueillante et parfaitement à son aise.
— La raison de ma venue est pour le moins... incongrue, commença Madenn sans oser regarder son hôte en face. Complètement folle, devrais-je dire. Mais j'espère que vous...
La vieille femme l'interrompit avec un grognement qui ressemblait à un ricanement. Madenn releva les yeux pour voir une expression amusée affichée sur le visage de Dahut, accompagnée d'un mouvement de la tête et de la main laissant entendre qu'elle en avait vu d'autres. Madenn lui rendit timidement son sourire.
— Avez-vous entendu parler du mystère du Kornog ? Enfin... J'ignore si de telles nouvelles peuvent circuler jusqu'à un coin aussi reculé que celui-ci, mais...
La vieille hocha vivement la tête en fermant ses petits yeux gris. Ses lèvres se pincèrent en une grimace attristée.
— Vraiment ? Vous avez entendu cette histoire ? Comment ?
L'énigmatique sourire s'épanouit à nouveau sur ses lèvres, puis Dahut se leva et se dirigea vers un buffet amoncelé de bric-à-brac. Des statuettes aux allures grotesques, des pots de terre cuite remplie de Dieu savait quoi, des bouquets de fleurs fanées, des bougies grossièrement façonnées et dégoulinantes de cire, des pièces de monnaie et ce qui ressemblait à des morceaux d'animaux ; crânes de corbeaux, pâtes de poules, mue de serpent ou dents de prédateurs... Madenn survolait le tout du regard en oubliant de respirer. Et lorsque Dahut revint s'assoir face à elle, elle puisa un semblant de réconfort dans le sourire rassurant et les yeux pétillants de la vieille femme. Celle-ci posa sur la table un étrange artefact bricolé ; deux morceaux de bois solidement attachés par une corde fine, au bout de lequel pendaient une petite boussole et un bouquet d'immortelles des dunes.
En tapotant du doigt l'un des deux morceaux de bois, la vieille ouvrit la bouche en un o parfait et laissa échapper deux sons gutturaux.
— Oh... Oh...
— Kornog ? devina Madenn. C'est un morceau du Kornog ?
Dahut hocha de nouveau la tête avec enthousiasme puis tapota le deuxième morceau de bois avant de mimer avec ses mains ce qui ressemblait à un navire ballotté par les flots. Madenn déglutit avant de prononcer :
— Le Zodiaque. Le navire qui est allé chercher l'équipage de mon père. Vous avez... ensorcelé ces morceaux de bois appartenant aux deux navires pour faire en sorte que le Zodiaque retrouve l'équipage du Kornog ?
Nouveau hochement de tête, suivi de mouvements de mains mimant un imposant tricorne au-dessus de sa tête tout en tapotant régulièrement le bois du Zodiaque. Puis son doigt pointa la petite fenêtre crasseuse avant de se tendre vers le banc sur lequel Madenn était installée. Celle-ci peinait à déchiffrer ces gesticulations. Ou plutôt, elle rechignait à en comprendre le sens. Pourtant, elle se résolut à mettre des mots sur ce qu'elle en avait conclu :
— Le capitaine du Zodiaque est venu vous demander... de l'aider ? Avec... avec votre sorcellerie ?
Les mains de Dahut se reposèrent enfin calmement sur la table et son sourire témoigna de sa satisfaction. Madenn ne pouvait décrocher son regard de cet artefact étrange, plus perplexe que jamais.
— Cela arrive souvent, n'est-ce pas ? Les habitants de l'île... ils viennent vous solliciter pour...
Elle ne termina pas sa phrase, interrompue par l'affirmation silencieuse de son hôte. Un pouffement cynique s'échappa des lèvres de la jeune fille, soufflée par l'hypocrisie sans borne des îliens. Ils avaient sectionné la langue de cette pauvre femme et l'avait condamnée à une vie de solitude, coupée de la civilisation, mais n'hésitaient pas à avoir recours à ses sortilèges dès que l'envie leur en prenait. Madenn comprenait mieux les manières décentes de cette vieille que tout le monde qualifiait de sorcière dangereuse.
— Je n'arrive pas à y croire.
Dahut haussa les épaules avec une mine défaitiste. Elle semblait s'être accommodée à ce traitement depuis fort longtemps. Madenn, elle, sentait l'indignation courir dans ses veines. Elle aurait voulu s'excuser auprès de la vieille femme pour l'attitude injuste des îliens à son égard, elle aurait voulu lui dire qu'elle essaierait de l'aider, de plaider peut-être auprès du recteur pour qu'il la laisse revenir vivre en ville et réintégrer la société. Mais l'expression sereine de Dahut lui cloua le bec. Elle ne semblait pas malheureuse. Au contraire. Peut-être Madenn n'avait pas à la plaindre, finalement. Au moins, Dahut était une femme libre. Probablement la seule de sa connaissance.
Madenn mit fin à ses réflexions lorsque la vieille lui intima de reprendre la parole. Alors, saisie d'un élan de confiance, la jeune fille exprima d'une voix claire :
— Je veux que vous m'aidiez à contacter Noz. Si quelqu'un sait ce qui est arrivé à mon père et à son équipage, c'est elle. J'en suis certaine.
****
Le soleil avait déjà affleuré l'horizon lorsque Madenn et Dahut sortirent de la petite maison. La fraîcheur piquante du soir les cueillit sans délicatesse. Cheveux, jupons et manteaux se soulevèrent face aux assauts du vent, et Madenn ne put empêcher ses muscles de se crisper douloureusement sous la violence du contraste entre la touffeur de la maisonnette et l'air glacé du dehors.
Peu rassurée, la jeune fille coula un regard vers les terres et écouta les murmures du vent. Elle guettait la lumière des torches dans la pénombre, l'écho de voix qui crieraient son nom dans la nuit, un souffle de panique balayant la quiétude nocturne de l'île. Mais il n'y avait rien. Nul ne s'était aperçu de sa disparition.
Avec un soupir de soulagement, elle remonta sa capuche sur sa tête pour se protéger des rafales et trottina à la suite de la vieille Dahut. Celle-ci s'avançait d'un pas assuré sur les bandes de terre glissantes qui se formaient au milieu de la marée montante. Les jupes retroussées jusqu'à mi-mollet, elle ne s'inquiétait ni de la boue qui souillait ses souliers usés, ni de l'eau qui imbibait ses bas. Madenn l'imita du mieux qu'elle put, déterminée à ne pas perdre la face devant la vieille sorcière. Mais lorsque Dahut s'enfonça dans l'eau glacée, au milieu des vaguelettes qui clapotaient tranquillement autour de sa jupe de laine grise, Madenn s'immobilisa.
— Je... Hm, êtes-vous certaine que c'est nécessaire ? bafouilla-t-elle.
Ses bottines trempées émirent un bruit spongieux lorsqu'elle se dandina d'un pied sur l'autre. Dahut s'arrêta enfin et se tourna, le visage illuminé de son éternel et étrange sourire. L'eau lui arrivait désormais au-dessus des genoux. C'était une vision étrange que cette vieille femme aux cheveux défaits et aux jupes trempées, enfoncée dans l'océan jusqu'aux cuisses, baignée par la lumière douce du crépuscule. Madenn demeura hypnotisée un instant par cette l'image insolite et étonnamment belle qu'offraient Dahut et l'Océan ainsi réunis, avant de se décider à s'enfoncer à son tour dans l'eau froide.
La vieille femme ne la quittait pas du regard, comme si elle guettait chacune de ses réactions. Madenn ne broncha pas. Le contact de l'onde sur sa peau lui était presque agréable. Vivifiant, comme une bouffée de vent frais après avoir respiré un air vicié pendant trop longtemps. Elle inspira à plein poumons et parvint sans mal à rendre son sourire à Dahut. Celle-ci l'accueillit d'un hochement de tête entendu, comme si elle se trouvait satisfaite.
Puis, avec douceur, elle attrapa le poignet de Madenn et l'enferma entre ses doigts humides. De son autre main, elle se saisit d'un petit couteau, jusque-là dissimulé dans sa poche. Madenn ne put réfréner un mouvement de recul. Son cœur s'affola contre ses côtes, mais la poigne solide de la vieille femme l'empêcha de bouger davantage. Son regard gris, rendu presque noir la pénombre, l'enjoignait à rester calme.
Dahut approcha la pointe de la lame de l'index de Madenn et lui entailla la pulpe du doigt. Une goutte de sang en jaillit. Aussitôt, le couteau retrouva sa place dans la poche de Dahut, et une pièce de monnaie prit sa place entre ses doigts noueux. Madenn se laissa faire lorsque la vieille pinça le bout de son doigt pour faire couler le sang sur l'or. La jeune fille se retrouva bientôt le bras tendu au-dessus des flots, paume ouverte vers le ciel, la pièce imbibée d'écarlate au creux de sa main. Le sang gouttait toujours de son index et rejoignait silencieusement le sel de l'océan.
Dahut déplia un morceau de parchemin qui semblait avoir traversé les âges et le lui tendit. Madenn s'en empara de sa main libre.
— Dois-je le lire à voix haute ? interrogea-t-elle.
La vieille hocha la tête et compléta sa réponse en levant trois doigts devant son visage.
Alors, d'une voix aussi claire et ferme que le lui permettait l'angoisse de ce qui allait suivre, Madenn prononça la courte formule dont les lettres noires luisaient sous la lumière de la lune :
De l'or, du sang et de la vie, voici mon offrande pour la capitaine de la nuit.
Elle répéta la formule trois fois avant de faire basculer sa main. La pièce d'or tomba dans l'eau noire et disparut sous les vagues en un battement de cils. Madenn replia sa main sanglante contre son torse et vissa son regard sur l'horizon. À ses côtés, Dahut observait également la surface de l'océan, à la recherche de la silhouette obscure du Bateau de la Nuit.
Elles attendirent, immobiles et silencieuses, pendant ce qui lui parut une éternité. Rien ne venait perturber le calme infini de l'océan. Au bout d'un moment, tremblante de froid, Madenn s'autorisa à ouvrir la bouche :
— Combien de temps cela prendra-t-il avant que...
Elle s'interrompit lorsque ses yeux se posèrent sur les sourcils froncés et la bouche tordue de la vieille Dahut. Celle-ci semblait contrariée. Inquiète. Elle se tourna finalement vers Madenn et secoua la tête avec défaitisme.
— Pourquoi... Pourquoi ne répond-elle pas à notre appel ?
Sa question demeura sans réponse. Soudain, Dahut empoigna son bras et l'entraîna vers le rivage. Déséquilibrée, Madenn manqua de basculer dans les flots, mais l'emprise de la vieille la maintint debout. Dès qu'elles se furent hissées sur la bande de terre, Dahut pointa la terre du doigt avec un bruit de gorge qui ressemblait fort à une exclamation paniquée.
— Je... Non, je ne rentrerai pas chez moi ! Je dois voir Noz, s'il vous plait, n'y a-t-il pas un autre...
Mais Dahut se détournait déjà. Elle leva le doigt en direction de Port-Lebran avec une expression d'urgence, une peur dans ses cris gutturaux qui semblaient lui dire « rentre chez toi, vite ! ».
— Vous allez me laisser seule ? Non ! Attendez !
La vieille ne se retourna pas. Elle se barricada dans sa maisonnette et Madenn se retrouva seule dans la nuit.
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