❄ Chapitre 8 ❄

 Deux semaines se sont écoulées depuis la fin de l'adorable, du regrettable, du parfait couple que nous formions, Timothy et moi. Un peu plus de deux semaines, même, que nous n'avons plus aucune obligation l'un envers l'autre, que nous sommes libres de nos mouvements, que nous n'avons plus à supporter nos défauts. Deux semaines. Quinze jours. L'équivalent des vacances de Noël. Trois cent soixante heures.

Une longue période de vacances que nous avons passée sans que je n'aie la moindre nouvelle. Rien. Le néant total. Il rate même certains cours. Si au début je ne m'inquiétais pas tant que ça, aujourd'hui, je commence sérieusement à me dire qu'il y a un problème.

Vautrée dans mon canapé, prête depuis trente minutes, je regarde mon portable. Je relis encore et encore le message que je lui ai écrit. Un truc que je ne voulais pas vraiment minable. Même si je crois sincèrement que c'est un échec total.

Salut Tim. Je sais, ça fait un bail. On ne se croise plus à la fac, alors j'espère que tout va bien pour toi. Je sais que je n'ai pas vraiment le droit de te dire ça après notre rupture, mais ton silence m'inquiète un peu. Ce n'est pas parce que nous ne sommes plus ensembles que je ne serai pas là pour toi. Bises.

Je grimace. Tout pue dans ce message. Déjà, j'aurais peut-être dû l'appeler par son prénom et pas par un surnom. Quand une personne avec qui tu as été en couple appelle son ancien partenaire avec le surnom qu'il lui donnait, ça ne peut mener qu'à une catastrophe : l'éruption des souvenirs dans une nostalgie douloureuse. Le reste du message n'est pas mieux, j'ai le sentiment de me permettre des choses que je ne devrais pas.

Tant pis. Il m'inquiète, c'est tout ce qui m'importe.

J'ai peut-être rompu avec lui, mais c'est notre lien de couple que j'ai voulu casser. Pas notre relation entière. J'espère sincèrement qu'il prendra le temps de me répondre.

C'est dans un état d'esprit empreint de doutes que ma journée s'écoule difficilement. Je n'écoute que d'une oreille distraite les cours, et si je croise des gens que je connais dans les couloirs, c'est à peine si je les reconnais. Voilà comment j'ai d'ailleurs failli mettre un vent à Adam. Légèrement préoccupé, il m'a demandé comment j'allais. Bien, je lui ai répondu d'un signe de tête. Occupée. Et je suis partie.

Il a dû me prendre pour une idiote, une folle ou une connasse. Peut-être même les trois à la fois. Pourtant, ça ne me dérangeait pas. Idiote, oui, je pouvais l'être. Folle, ça dépend. Une connasse... Je ne suis pas gentille. Pas aussi gentille que Timmy. Rien que mon comportement vis-à-vis de lui... J'en frissonne. Le pire doit venir du fait que je ne veux même pas retourner en arrière. Ma situation me convient très bien. En partie, du moins.

Toute la matinée et durant une bonne journée de l'après-midi, je n'ai pas cessé de regarder mon téléphone. Pourtant, il est resté désespérément vide. Un monde de solitude. L'écho du vide. Je profite d'une pause pour m'installer sur une chaise dans le hall, et j'arpente nos différents réseaux sociaux. Les photos. Les messages. Les commentaires. Tout. Je repasse tout. Je m'arrête. Je reprends, comme si je plongeais. Après tout, c'est peut-être le cas. Les souvenirs ne sont rien de plus qu'une grande épreuve d'apnée dont il est difficile d'en sortir sans prendre la tasse. Certains s'en sortent par miracle, d'autres se noient. Moi, je reste en surface. Mais je sens bien que les vagues sont de plus en plus fortes, de plus en plus coriaces, de plus en plus agressives.

Passer du temps avec Timothy, c'est à peu près ce que j'ai fait de mieux ces derniers temps. Je me suis toujours concentrée sur moi-même. Sur mes soucis. Sur mon avenir. Je ne me concentrais pas assez sur les autres. Et voilà qu'aujourd'hui, ça me tombe dessus. Je ne sais plus quoi penser.

Les photos s'enchaînent, défilent, bourdonnent dans mon esprit. Les souvenirs s'accumulent et je me sens basculer. Il me faut toute la force du monde pour m'empêcher de pleurer. Je dois rester forte. Si Timothy va mal, je ne pourrais pas l'aider si je ne suis pas au mieux de ma forme...

J'essuie donc la trace de larme qui menace de couler et range mon portable. Ma décision est prise, je dois lui parler. Ou, à défaut de pouvoir le faire, puisqu'il n'est pas là, je dois apprendre comment il va. Je cherche pendant de longues minutes comment je pourrais faire. Me pointer devant son appartement en espérant qu'il m'ouvre ? Hors de question. Ce serait vraiment trop étrange. Appeler ses parents ou Max ? Non plus. Même si ses parents me répondent, je ne suis même pas sûre qu'il leur en ait parlé. Quant à Max, il me raccrocherait au nez. Dans le meilleur des cas. Sinon, je suis sûre qu'on finirait par se disputer. Et je n'en ai pas envie.

Alors que faire ? Me pointer directement à son appartement ne me semble pas être la solution idéale. Ce serait vraiment trop bizarre, autant pour lui que pour moi. Et puis, qu'est-ce que je ferais ? Lui ramener les croissants ? Un paquet de mouchoirs ? Lui chanter une berceuse ? S'il m'ouvre, il gardera un sourire de façade et ce serait la pire configuration possible.

Je ne sais vraiment pas quoi faire. Si j'attends trop, je le perdrai définitivement. Si je n'attends pas, je risque de le bloquer. Il risque peut-être de se braquer ; et même si ça n'arrive que très rarement, je préfère éviter. Timothy peut se montrer très pénible quand il le veut vraiment.

— Hey, Lau !

Je lève la tête. Quelques mètres plus loin, Josh balade son petit cartable d'un pas guilleret. Il a l'air de bonne humeur. Arrivé à mon niveau, il s'approche pour me faire la bise, un grand sourire sur les lèvres. C'est parfait. Je ne m'attendais pas à le voir, mais ça vient de me donner une idée. Une idée que je n'apprécie pas particulièrement. Mais une idée qui pourrait me mener à mon objectif.

— Ah, Josh ! Je ne m'attendais pas à te voir ici. T'as cours ?

— Nope ! Je viens de finir ma journée. C'est bon, la géographie, pour aujourd'hui !

Il pousse un soupir de soulagement exagéré et me raconte son programme de la journée. J'essaie de l'écouter, mais je n'ai qu'une idée en tête et elle m'obsède.

— Bref, et toi, ça va ? me demande-t-il après cinq minutes de tirade sur la pénibilité de copier dix pages de cours.

— Oui, oui, ça peut aller. Dis-moi, Josh... Tu sais où est ton frère ?

— Jacob ? Pourquoi ? Tu veux lui parler ?

Non, faire une partie de bowling avec, idiot ! C'est vrai que c'est un plaisir de parler avec ton frère !

— Oui. Je dois lui parler.

— Tu n'es pas tombée dans ses griffes, au moins ? Ce serpent peut être cruel, quand il le veut.

— Non, non. Je dois lui parler d'un truc.

— Bon... Il doit être à la bibliothèque à cette heure. Mais fais gaffe, Lau.

Je me lève et le remercie d'un signe de la main.

— Je n'y manquerai pas.

*            *

*

Entrer dans la bibliothèque de la fac à cette heure-là, c'est comme pénétrer dans une convention le premier jour. S'attendre à ne pas voir du monde, c'est de la folie pure. Les passages se multiplient. Chercher Jacob n'est toutefois pas si compliqué que ça. J'aurais presque préféré pouvoir me dire que ce n'est pas grave, que je trouverai une autre solution. Malheureusement, le nuage de parfum boisé et si viril qu'il laisse derrière lui et le groupe qui l'accompagne facilitent un peu trop les choses.

Lorsque nos regards se croisent, j'aperçois d'abord la surprise sur son visage, puis il se reprend bien vite et reprend un visage avenant et son éternel sourire victorieux. Plus encore quand il se rend compte que c'est vers sa table que je me dirige. J'espère que je n'ai pas l'air d'un taureau en furie, car, même si je ne viens pas avec la meilleure humeur qui soit, je ne veux pas le faire fuir non plus. Visiblement, non, puisqu'il reste planté sur sa chaise, toujours flanqué de sa meilleure adjointe en ragots — pardon, de sa meilleure amie — et de deux autres personnes que je reconnais vaguement.

— Laureen ! m'accueille-t-il. Que me vaut ce plaisir ? Comment vas-tu ?

— Salut, Jacob. Je vais bien, merci. Et toi ?

— Très bien aussi.

J'accorde un regard aux autres, qui me saluent distraitement. Je lance des regards discrets à Jacob, tentant de lui faire comprendre silencieusement que je veux lui parler. Mais comme il est complètement demeuré, ou bien qu'il ne veut pas bouger de son piédestal, je me sens obligée.

— Tu sais que ça va toujours, rajoute-t-il. Tu voulais... ?

Je hais ce type. Je hais sa façon d'être toujours sûr de lui, son optimisme débordant ; pas le même que celui de son petit frère, solaire et lumineux. Non, le sien se tient dans un silence arrogant. Je hais sa façon de ne jamais terminer ses phrases, comme si le monde entier se doit de le comprendre.

— Te parler.

— Me parler ? Oh... ! Me parler, hein ?

— Oui, te parler. Seuls.

Les autres m'observent, outrés que je puisse vouloir les exclure. Néanmoins, Jacob fait taire ces protestations d'un hochement de tête entendu. Un hochement de tête qui veut tout dire : je reviens bientôt, je gère la situation, c'est moi le patron.

Nous décidons de sortir de la bibliothèque. Vu l'affluence, nous devrions jouer des coudes, mais l'influence de Jacob suffit à nous permettre de passer. Nous nous retrouvons bientôt dehors. Tandis que je m'installe sur le muret, Jacob reste debout. Comme s'il n'avait pas besoin de s'asseoir. Je le soupçonne d'être un brin sexiste, bien qu'il n'ait jamais eu de réel comportement misogyne. Tant mieux, parce que je me ferais un plaisir de lui botter les fesses.

— C'est rare que tu veuilles me parler, embraye-t-il directement. Quel plaisir. Je me doutais bien qu'à un moment ou à un autre, on allait se rapprocher, honnêtement. Alors, que veux-tu me dire ? Tu veux qu'on fasse un truc ? Qu'on révise ensemble, peut-être ?

— Non, je suis venue te demander quelque chose.

— Un service ? C'est rare, ça aussi. Que puis-je faire pour toi ?

— Pas exactement un service, je veux savoir quelque chose.

Il acquiesce d'un petit mouvement de la tête et referme sa veste de marque, sans me lâcher du regard.

— Que veux-tu savoir ? Laisse-moi deviner. Est-ce qu'il y a quelqu'un qui t'aime ? Quelqu'un qui serait attiré par toi et qui n'oserait pas te le dire ?

— Non, je m'en fiche. Je n'ai pas besoin de ton aide pour construire mes relations amoureuses.

— Oh là, tout doux ! se défend-il. Je sais, tu es grande, tu sais te débrouiller toute seule. Mais le fait est que je suis celui qui s'occupe des relations ici, alors je suis l'un des mieux placés pour...

— Tu peux écouter au lieu de faire des suppositions, s'il te plaît ?

Je mets les formules de politesse pour faire illusion. Je veux savoir ce que j'ai besoin de savoir sans traîner en sa compagnie.

— Avant de t'écouter, il faut que je te rappelle que c'est du donnant-donnant, m'informe-t-il.

Son sourire manque de s'agrandir. Je n'ai pas oublié que ce mec est un profiteur, mais ça me crispe de l'entendre me le rappeler.

— Si tu veux que je te donne ce que tu veux, et peut-être plus, alors il faut que tu accèdes à une de mes requêtes.

— Ai-je vraiment le choix ?

— Bien sûr, ma chère. Tout le monde a le choix. Le choix de ne pas savoir, le choix d'apprendre ce qu'on veut... Je ne te forcerai en rien, bien évidemment. Tu peux juste considérer que c'est de l'échange. Je te donne ce que tu veux, et en échange, si j'ai un problème et que tu peux m'aider, eh bien...

— Oui, je t'aiderai.

— Comme je ne suis pas un connard, je ne te demanderai bien évidemment pas de te faire passer pour ma petite amie ou ce genre de choses. Que des trucs réglos, tu le sais bien.

J'ai de gros doutes là-dessus, mais puisque la réputation de Jacob ne l'amène pas dans les sentiers escarpés d'abus en tous genres, je décide de lui accorder ma confiance. Pour cette fois.

— Très bien, j'accepte.

— A la bonne heure ! Alors, ma petite Laureen, que veux-tu savoir exactement ?

Je prends une grande inspiration, puis j'expire doucement. Le sourire de Jacob ne le quitte pas d'un pouce pendant les vingt secondes que je prends pour me préparer.

— Je veux savoir ce qui arrive à Tim.

— Tim... Genre comme dans Timothy Galley ? Ton petit copain ? Oups, pardon, je veux dire ton ex-petit copain ?

Il le fait exprès. Il le fait exprès, l'enflure ! Depuis le début, il se réjouit de notre séparation. Si je m'écoutais, je lui placerais bien la pointe de mon pied là où se trouve le machin qui va lui servir à se reproduire. Mais comme il y a du monde aujourd'hui, je ne peux pas. Ce serait un coup à me faire exclure, cette histoire. Ce serait trop bête. Heureusement, les éclairs dans mes yeux suffisent à le faire taire.

— Eh bien, tu n'as plus de nouvelles ? Tu l'as perdu de vue ?

— Si je te demande, crois-moi que oui, c'est parce que je ne le vois plus.

— Oh, Laureen... Tu me fais tellement de peine, tu brises mon petit coeur. Regarde comme il fait un bruit de verre cassé.

Si je l'avais rencontré au théâtre, j'aurais aisément pu dire que Jacob ferait un parfait comédien. Mais malheureusement, il ne se sert pas de ses talents d'acteur pour divertir les autres, plutôt pour s'en servir à sa guise.

— Malheureusement, je ne sais pas grand-chose. Timothy est un garçon un peu trop réservé pour mon goût, alors je n'ai pas trop l'occasion de lui parler. Par contre, je crois que Josh est plus proche de lui. Tu sais ? Mon imbécile de frère que vous m'avez volé, toi et ta pote, le jour d'Halloween.

— On ne te l'a pas volé, il est venu de son plein gré. Et on a passé une superbe soirée. Il a passé une très bonne soirée, puisqu'elle était avec nous, dis-je en souriant.

Jacob serre les mâchoires. Il n'apprécie certainement pas le fait de ne pas avoir le contrôle sur la situation. Savoir que nous avons passé une bonne soirée le fait tellement bouillir qu'il s'allume une clope. Jacob ne fume que très rarement, mais il le fait quand ça ne va pas. Visiblement, je viens de toucher un point sensible.

Le fait est que je n'en mène pas large non plus. Le fait de savoir que Joshua sache quelque chose à propos de Timothy me perturbe. S'il sait quelque chose, pourquoi ne me l'a-t-il pas dit ? Pourquoi me cache-t-il des choses ? Surtout à propos de Tim ?

— Et ton frère ne sait rien, j'ajoute pour me convaincre. Toi, par contre, ça m'étonne que tu n'aies rien à me dire.

— Je sais un tas de trucs sur tout le monde, ma chère Laureen. Je sais que ton petit-ami essaie de se reconstruire, mais que ça ne va pas. Il n'a rien posté sur les réseaux sociaux depuis un sacré moment. Depuis votre petite séparation au café, en fait.

— Comment tu sais ça ?

— Parce que j'y étais, tout simplement. Mais puisque tu étais tellement concentrée à lui briser le cœur et lui à essayer de contenir sa peine, vous ne m'avez pas vu. Pourtant, j'étais assis quelques tables derrière, en charmante compagnie.

— Je ne voulais pas lui briser le cœur ! je proteste, agacée qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas.

Il hausse les épaules, tire une nouvelle bouffée sur sa cigarette et crache un nuage de fumée. Heureusement, il a la décence de ne pas le faire dans ma direction. Le serpent blanc de nicotine rejoint le ciel tout aussi terne.

— Peut-être, mais c'est ce que tu as fait. Le résultat est le même.

— Je n'ai pas de leçon à recevoir d'un type qui largue ses copines à peine en couple.

— L'amour, ça va, ça vient, Laureen. Parfois, le couple est la barrière à ne pas franchir. Il faut savoir s'arrêter avant, c'est une question de logique.

Nouvelle bouffée, nouveau rideau de fumée. Il pourrait presque être attirant, dans ses vêtements parfaits, droit comme un prince, ses cheveux châtains ébouriffés au vent, crachant au monde ses leçons toutes faites et sa fumée rebelle. Il ferait un parfait personnage de fiction dans ces nouvelles poétiques où les lecteurs et les narrateurs recherchent ces personnages parfaitement imparfaits. Mais lui, il a ce truc en plus qui lui ôte toute poésie, et c'est ça la cruelle réalité. Beaucoup d'individus passent à un cheveu de la poésie.

— Toujours est-il que je ne suis pas particulièrement au courant de ce qu'il lui arrive. Je sais qu'il va mal, je sais qu'il t'évite, qu'il vous évite, toi, Kassandra et même Joshua. J'ai entendu dire que certains profs s'inquiètent pour lui. Ce qui, à l'université, est assez rare pour qu'on le souligne. Je sais aussi qu'il traîne beaucoup plus en ville. Si tu veux savoir, il parle souvent de toi aux rares personnes qu'il côtoie.

— Qui ?

— Des gars du cursus de sciences humaines, un peu aussi ceux en biologie. Genre Edward Smith ou Aaron Bock.

Quelque part, mon cœur est soulagé d'entendre ça. Même s'il adopte un comportement de loup solitaire, il reste en contact avec certaines personnes. Surtout des gens assez réglos comme Aaron. Soudain, Jacob lève le nez vers le ciel et sourit :

— Oh, et je crois aussi l'avoir vu aux bras de quelqu'un.

Il a murmuré cette phrase. Il l'a fait, pensant sûrement que ça allait m'atteindre, parce qu'il est certain que j'ai entendu ce qu'il vient de dire. Et en réalité, je crois qu'il a raison. Il a terriblement raison. Oui, ça m'atteint, parce que j'ai la désagréable impression que j'aurais pu être la dernière à le savoir.

— Quoi ?

— Ouais. Je crois qu'il se reconstruit.

— Je... Je vois.

— Si tu veux le récupérer, tu devrais te dépêcher.

— Pourquoi ?

Devant l'air à moitié grave, à moitié souriant de Jacob, j'ai le sentiment que ce qu'il va m'annoncer risque de m'agacer, de me contrarier et qu'il ne parle même pas de la personne qui a jeté son dévolu sur Timothy.

— Parce qu'il ne sera sûrement plus là en Janvier.

Et sur ces quelques mots, il écrase le mégot de sa cigarette d'un coup de talon méprisant avant de me laisser comme une idiote.

— Quoi ? Comment ça, Jacob ? Attends !

Sourd à mes appels, il finit par s'arrêter, ne se retournant qu'à moitié dans un effet dramatique. Ses yeux luisent bizarrement.

— Je n'en sais pas plus que toi. Tout ce que je sais, c'est que les oisillons finissent eux aussi par migrer. Oh, et Laureen, n'oublie pas ! On se voit bientôt.

Il me fait le signe du téléphone, pour me faire comprendre de rester joignable, puis il s'engouffre dans la bibliothèque, me laissant définitivement comme une idiote au milieu du passage, avec encore plus de questions que de réponses.

*         *

*

Je suis énervée. Je suis définitivement énervée, alors j'ai bon espoir que la séance de théâtre de ce soir me calme. Ce n'est que la quatrième, et pourtant, je me suis déjà follement attaché à ce rituel. La deuxième fois, très franchement, a été moins retentissante que la première. Pourquoi ? Peut-être parce que j'en ai beaucoup trop attendu. Mais paradoxalement, elle a été beaucoup plus conviviale. Les blagues se sont enchaînées et nous avons eu notre premier grand fou-rire. Quant à la troisième, elle s'est plutôt bien passée.

Comme d'habitude, Adam se trouve devant, mais cette fois-ci, April est là. Avant même de les voir, j'entends de grands éclats de voix :

— Et tu veux que je fasse quoi ?

— Bah bouge-toi ! Je sais pas, mais arrête de faire l'autruche !

— L'autruche ? N'abuse pas, April ! Je ne peux rien faire pour l'instant !

— T'es vraiment une tête de mule quand tu t'y mets ! Arrête donc de te trouver des excuses et va lui demander. Il en a besoin !

— Non mais ça va pas ? J'ai rien fait de mal, merde à la fin ! Je ne vois même pas pourquoi on en parle, cette discussion est close.

J'ai à peine le temps d'arriver qu'Adam claque la porte derrière lui. April, quant à elle, reste devant, m'offrant un sourire un peu amer.

— Quelle tête de con quand il s'y met, regrette-t-elle après m'avoir fait la bise.

— Je pensais pas qu'il serait du genre à s'énerver comme ça, dis-je.

— On dirait pas, hein ? Pourtant c'est un gros con quand il le veut. Surtout avec Tathan. Je comprends pas.

— Ils se sont pris la tête ?

— Oui, Ethan lui reproche de passer trop de temps au boulot et pas assez avec lui.

— Compréhensible.

— Mais Adam ne veut pas le reconnaître. Et plus leur relation est tendue, plus Adam s'enferme dans ses projets, et donc plus ça énerve Ethan. C'est un cercle vicieux.

— Mais pourquoi il s'enferme dans le travail ?

April soupire. Elle dénoue ses couettes, laissant ses cheveux danser au gré du vent. Je ne l'ai pas remarqué tout de suite, mais elle est belle. Du genre magnifiquement belle. Pas du genre mannequin. Non, plutôt du genre poésie brutale. En un sens, elle est ce que Jacob aurait pu être.

— Ça, normalement, c'est à lui de te le dire. Mais ce n'est pas vraiment un secret non plus. Adam est gay, et comme tu le sais dans ce foutu monde, les gens sont cons et n'acceptent pas la différence. Il est venu étudier ici parce qu'il ne peut plus voir sa famille, tout simplement.

— Je vois. Les gens sont des tocards.

— Ouais, c'est un secret pour personne. Mais n'en parle pas à Adam. Juste, on l'aide du mieux qu'on peut. Nous, ça fait presque dix ans qu'on se connaît, Adam et moi, alors je sais que ça ne le vexe pas tant que ça quand je lui en parle. C'est moi qui l'ai ramassé à la petite cuillère quand ça n'allait vraiment pas.

— Et c'est toi qui lui as présenté Ethan ?

April se met alors à rire. Qu'est-ce que j'ai dit de drôle ?

— Non, ce n'est pas moi qui ai eu cet honneur. Adam a rencontré Ethan grâce à Tom, ils sont voisins.

— Je vois... Et Tom, il a toujours été...

— Aussi timide ? Je crois. Et encore ! Il fait des efforts, parce qu'avant, c'était encore pire. En arrivant, c'est à peine s'il ouvrait la bouche.

— Contrairement à Nils, c'est ça ?

— Ouais. Ces deux-là, ils sont demi-frères.

— Je m'en doutais.

— Demi-frères et tellement différents. C'est dingue d'être si différents dans une même famille, tu ne trouves pas ? Nils est une vraie boule d'énergie, alors que Tom... L'avantage, c'est qu'il est gentil. Vraiment gentil. Nils aussi, hein ! Mais c'est pas tout à fait pareil. Enfin bref. Toi, ça va ?

Elle doit sûrement voir que pendant toute la conversation, j'ai fait l'effort de l'écouter, mais que je n'ai pas vraiment la tête à ça.

— Disons que ça pourrait aller mieux.

— Tu peux m'en parler, si tu veux.

— On ne va pas être en retard ?

— Adam fait la tête, Tom est malade, Luna est en retard. Il n'y a que Will, Alex, Nils et moi, aujourd'hui. Et Maria, notre prof. Quand j'ai quitté la salle, elle n'était pas encore là, elle avait une réunion. Mais même si on est en retard, c'est pas très grave. Moins qu'une amie qui a besoin de réconfort, visiblement.

April est une rebelle, ça ne fait aucun doute. Elle est du genre à se moquer de tout et de tout le monde tant que ce n'est pas important pour elle. Et les amis sont en haut de la liste des choses importantes pour April. Le truc, c'est que je ne m'attendais pas à ce qu'elle emploie ce mot pour moi.

Une amie.

Pas une copine, une camarade, une collègue. Une amie.

Je ne sais pas si c'est moi qui ai besoin de temps pour m'attacher ou si c'est elle qui s'attache trop vite aux gens, mais le résultat est le même : elle me considère comme une amie.

— Je sors d'une rupture.

Je ne sais pas pourquoi je lui avoue tout, mais son regard me pousse à me confier.

— Oh, ma biche...

— C'est moi qui l'ai larguée, dis-je, voyant qu'elle commençait à s'apitoyer sur mon sort. Tim est un gentil garçon... Peut-être un peu trop. On commençait à ne plus s'entendre, tu vois ce que je veux dire ? Il était du genre trop gentil, trop là, trop... trop, en fait, à tel point qu'il ne se voyait plus lui-même. Du coup, j'ai préféré qu'on reste amis. Sauf que ça fait deux semaines qu'il m'évite.

— Il n'a pas supporté votre rupture ?

— Sûrement. Mais pas dans le sens du mâle arrogant, c'est pas du tout son genre. Je crois qu'il était vraiment, vraiment, vraiment attaché à moi. Alors je ne sais pas quoi faire. Et ça m'énerve. J'ai été jusqu'à pactiser avec le diable pour obtenir des infos.

— Pactiser avec le diable ? Attends, me dis pas que t'as été parler avec Brown ? s'exclame-t-elle.

Je lui fais signe de se taire. Je n'ai pas envie qu'on entende avec qui j'ai dû m'allier pour obtenir ce que je voulais.

— Cette enflure... grimace-t-elle.

— Ouais, je sais. Il est dans ma promo, je le connais bien.

— La vache, ma pauvre ! Heureusement que je ne côtoie pas ce connard tous les jours, je me serais fait un plaisir de le remettre à sa place.

— Je n'en doute pas. Enfin bref, du coup, je ne sais pas quoi faire.

— C'est clair. Tu lui as envoyé un message ? A ton ex, je veux dire.

— Oui, il ne m'a pas répondu.

April se gratte le menton, arborant une moue réflexive. Je crains qu'elle ne me sorte un plan un peu foireux. Je ne sais pas pourquoi, mais j'imagine que ses plans — et ceux de Nils — seront ceux que j'aurais à craindre le plus.

— Tu n'es pas allée chez lui ?

— Non.

— Alors vas-y !

Je sais bien que c'est un plan pourri. En tout cas, c'est précisément ce que je crains de faire. Me rendre chez mon ex, toquer, et lui dire quoi ? Coucou, c'est moi, la conne qui t'a largué, je viens voir comment tu ne vas pas bien ! Ridicule. D'un autre côté, Tim n'aura pas vraiment d'échappatoire et ne pourra pas esquiver la discussion si je me déplace. Une méthode machiavélique, mais je crains que ce soit une des seules solutions. Je prends donc mon téléphone, quand une main m'arrête :

— Qu'est-ce que tu fous ?

— Bah... Je lui envoie un message pour lui dire que je vais passer.

— Surtout pas ! Tu as craqué ! Passe à l'improviste. Il ne pourra pas se défendre.

— On dirait que tu penses que je vais lui sauter à la gorge !

— Mais non. Mais ce genre de gars a tendance à prendre la fuite, alors il faut bien jouer son coup. Sinon, on le regrette.

Je n'apprécie pas particulièrement la façon dont April parle de Timmy, mais elle a raison.

— T'inquiète pas, on va le récupérer.

— Je ne veux pas le récupérer... Je veux juste l'aider à aller mieux.

— Ah. Ok, bah on va l'aider quand même, ton gars.

Pour la première fois de la journée, je crois que je souris avec sincérité. Quand April me fait signe de rentrer — parce qu'on est carrément en retard, maintenant —, c'est le cœur aussi léger qu'une plume que je la suis à l'intérieur.

🎄🎄🎄

NDA : oyez oyez mes petits chamallows !

Comment allez-vous ?

Voilà le chapitre 8 ! On découvre - encore - un nouveau personnage. L'odieux Jacob. Comme vous avez pu le constater, il n'est pas aussi sympathique que les autres... Et pourtant ! Laureen va être obligée de s'allier à lui, puisque pour redonner le sourire à Tim, il lui faut pactiser avec le diable...

On en découvre un peu plus sur Adam et Ethan. Toutefois, on ne sait pas tout sur eux... Vous en saurez plus bientôt, promis !

Petite question du jour : avez-vous déjà fait du théâtre ? Ou une activité similaire ? Racontez-moi tout !

Par ailleurs, petite précision : j'actualise régulièrement mes chapitres pour faire disparaître les éventuelles coquilles que je repère durant ma relecture, mais si vous en voyez, n'hésitez pas à me les signaler. ^^

On se retrouve demain pour le prochain chapitre ! <3

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