❄ Chapitre 11 ❄

NDA : Bonjour, bonjour mes petits chocolats d'amour !

Comment allez-vous ?

Aujourd'hui, petite note d'auteur avant le chapitre pour vous prévenir de la présence d'un sujet sensible.

CW : mention d'une perte de goût pour la vie.

Voilà. On ne parle pas directement de suicide, mais c'est évoqué. D'où le fait que je ne mette pas de TW mais un CW.

Autrement, le chapitre conserve des vibes plutôt positives. Bref, j'espère que vous apprécierez ce chapitre. Je vous souhaite une agréable lecture. On se retrouve demain pour le prochain chapitre, en attendant, prenez soin de vous !

🎄🎄🎄

Se réveiller et se cogner un orteil dans un coin de meuble, c'est une chose. Se réveiller et apprendre que le magasin dans lequel on travaille va fermer momentanément à cause d'un problème familial du patron, c'en est une autre. Une autre chose beaucoup plus amère.

J'adore mon travail. J'adore me rendre dans la boutique de Denis, j'adore voir le sourire des gens quand on leur propose des costumes, j'adore faire rêver les clients. J'adore l'ambiance familiale qui règne. J'ignore pourquoi Denis doit fermer. Il n'a pas été très clair, mais à en croire le ton du message, ça l'affecte beaucoup. Une affaire familiale. J'espère qu'il ne s'agit pas de quelque chose de trop grave. D'habitude, Denis est si jovial qu'il envoie une palette d'images mignonnes, d'emojis rigolos, le ton de ses SMS est plus familier que professionnel. Au réveil, j'ai eu l'impression de lire un faire-part de décès.

Une horreur.

Apprendre, donc, qu'un des piliers de ma vie actuelle, se retire momentanément, me trouble beaucoup. Mais la cerise sur le gâteau a été d'apprendre que les cousins viennent effectivement à Thanksgiving. J'avais l'espoir que Connor ou James aient un empêchement, mais non. Ils seront là, prêts à faire leurs remarques idiotes ou sexistes. Quant à Adrian, bien que plus agréable, il ne s'empêchera probablement pas d'être mal aimable avec une bonne partie des gens présents. Moi y compris, si je le titille un peu trop, même s'il m'aime bien. Je savais déjà qu'ils allaient venir, mais je nourrissais l'espoir que seuls Mamie Susan, Papy John soient là, en dehors de ma famille proche.

Raté, Laureen, raté.

Que j'aurais aimé me lamenter ! Que j'aurais aimé me rouler en boule sur mon lit, me morfondre et passer ma journée à regarder des photos de chiots — pas de chat, jamais ! — sur les réseaux sociaux. Seulement, le destin en a décidé autrement et je dois me préparer. Aujourd'hui, nous avons rendez-vous avec Joey, le parrain de l'association.

Je me change donc en quatrième vitesse pour ne pas être en retard après ma journée de cours. J'essaie, dans le même temps, d'ignorer les messages de Kassandra, que je n'ai pas vue aujourd'hui, et qui me reproche de ne pas être venue quand j'ai ramené Ethan. Je règlerai ça plus tard. Pour l'instant, j'enfile ma veste, je prends mes affaires et je file.

J'appréhende ce rendez-vous ; comme je suis celle qui les a convaincus d'aider cette association en particulier, je sais que toute l'attention sera, en théorie, dirigée vers moi. Je vais sûrement devoir m'expliquer sur mon choix. Le faire devant des collègues, des amis, c'est une chose ; le faire devant la personne qu'on veut atteindre, c'en est clairement une autre.

— Allez ! Plus vite !

J'enrage. C'est une des journées les plus importantes pour mon projet, et précisément ce jour, il faut que les routes soient bouchées ou que des travaux m'obligent à faire des détours ! Je ne suis pas une maniaque de la ponctualité, néanmoins, j'ai mal rien que d'imaginer être en retard.

Je soupire de soulagement en voyant que j'arrive pile à l'heure. Je me mords la lèvre. Faites qu'aucun policier ne m'ait vue. Faites que je ne reçoive aucune amende. Je sors de la voiture à peine cette pensée formulée et me dirige à grands pas vers le café choisi pour l'occasion.

Je reconnais au loin, devant l'entrée, une partie de mes compagnons. Tout le monde n'est pas arrivé. En fait, seuls William, Alex et Nils sont présents. Ce qui fait un peu léger, je trouve. Je les salue avec une accolade et une série de bises.

— C'est bien, tu n'es pas en retard, me fait remarquer Will.

Indignée, je lui donne une petite tape sur l'épaule.

— Eh ! Tu croyais vraiment que j'allais me pointer en retard ?

— Tout est possible. Je croyais en toi.

— Mais pas en Nils, murmure Alex, assez fort pour que le petit blondinet l'entende.

— Eh ! Ça veut dire quoi, ça ? Traître !

— Mais non ! se justifie Will. Je me disais juste que tu n'allais peut-être pas avoir de chance !

— Ouais, ouais, c'est ça. Rattrape-toi...

Nous continuons à nous chamailler sous le regard attentif de William. Alex, elle, reste sur son téléphone. Je sens peser sur moi le regard du jeune homme tandis que je fais une clef de bras à Nils, résidu de mes anciens cours de self-défense, et qu'il rigole.

— J'ai une moustache en chocolat ? je demande à Will.

— Hein ? Euh... Non... Je trouvais juste que t'étais jolie. Aujourd'hui, rajoute-t-il avec un sourire que je comprends être une boutade.

Si je pouvais, je lui lancerais quelque chose au visage. Mais le compliment me touche trop et je me surprends à le remercier au lieu de rouspéter. Lui, par contre, prend la teinte d'une tomate bien mûre. Sous le coup, je lâche Nils qui en profite pour tenter de me décoiffer, et le jeu reprend de plus belle. William, en retrait, croise les bras.

Bientôt, Tom et April arrivent coup sur coup, presque ensemble. Nils se désintéresse de notre petit jeu et engueule un peu Tom, qui répond avec désinvolture. C'est bien ; il prend un peu plus d'assurance. Ou est-ce parce qu'il s'agit de son demi-frère ? Bonne question...

Le petit groupe gagne peu à peu ses membres ; après April, c'est à Luna d'arriver, puis Maria. Très vite, il ne manque que Joey et Adam.

— Joey ne devrait pas tarder, nous apprend Maria. Vous savez où se trouve Adam ? Il vous a envoyé un message ? Nils ? Alex ? Laureen ?

— Aucune idée, répondons-nous.

— Mince, j'espère que tout va bien. Ce n'est pas dans ses habitudes d'arriver en retard... Et encore moins de ne pas prévenir.

Nous attendons encore cinq longues minutes avant qu'il n'arrive finalement. Il a l'air essoufflé, un peu débraillé aussi, ce qui lui ressemble encore moins que d'arriver en retard. On dirait un enfant qui va à l'école après s'être réveillé peu avant la sonnerie.

— Adam ! On croyait que tu n'allais pas venir, s'étonne Maria. Comment vas-tu ?

— Désolé. Oui, tout va bien. Je... J'ai dû rendre visite à un ami, c'était urgent.

Maria l'excuse et s'éloigne pour prendre un appel. Adam nous dévisage tous longuement : cet ami restera un ami, inutile de poser plus de questions. J'échange un regard avec April. Nous ne sommes pas idiots : nous connaissons tous cet ami en question. Le fait qu'il ait revu Ethan ne signifie que deux choses : soit on va retrouver notre ami d'avant, soit la situation s'est encore compliquée. Le silence d'Adam ne me dit rien qui vaille, mais le fin sourire que je peux deviner sur son visage laisse planer un espoir.

Nous n'avons pas le temps d'en discuter. Au loin, Maria revient, cette fois-ci accompagnée de deux hommes. Nous comprenons qu'elle ramène Joey et, certainement, un autre membre de l'association. A la manière dont elle parle, il n'est pas difficile de comprendre qui est Joey, celui à sa gauche. A vue de nez, je lui donnerais vingt-cinq ans.

— Je l'imaginais plus vieux, me chuchote Nils.

Moi aussi. Quand je me préparais, je me suis demandée à quoi Joey pouvait bien ressembler. D'abord, je l'ai imaginé avec quarante ans bien sonnés, propre sur lui, cheveux gominés et barbe qui prend les couleurs poivre et sel. Puis je me suis figurée qu'il serait un de ces trentenaires de téléfilms bidons, au sourire de publicité, barbe naissante, brun aux cheveux courts. Enfin, dans mes rêves les plus fous, j'ai songé qu'il était un peu plus jeune que nous, du genre chanteur de boys band ou surfeur. C'était de loin l'idée que je détestais le plus.

Finalement, il ne ressemble à rien de tout cela.

C'est un homme dans la vingtaine, quasiment aussi grand qu'Adam, sinon un peu plus. Même s'il a vingt-quatre ans, Adam a l'air d'être tout penaud à côté de lui. Ses yeux d'un marron banal respirent pourtant une sagesse profonde. Brun, costaud, on est loin de l'image que je me faisais de lui il y a quelques heures encore. L'autre homme, en revanche, correspond bien plus à l'idée que je me faisais de Joey. Le trentenaire beau gosse. Bon sang, il faut croire que les téléfilms ont un fond de vérité.

Lorsqu'ils arrivent à notre niveau, Maria capte notre attention d'un ample mouvement du bras et claque des mains, probablement impatiente de commencer :

— Les amis, je vous présente Joey et Stan. Joey est un des membres fondateurs de l'association pour laquelle nous allons réaliser le spectacle. Stan est un bénévole.

Ils nous saluent d'abord d'une voix claire et puissante avant de nous serrer la main en nous remerciant d'être venus. Stan nous salue avec plus de douceur que Joey, dont la poignée est ferme et énergique. Nils, à côté de moi, se tient la main en grognant :

— Il aurait pu être plus doux, ce con, marmonne-t-il.

— Gringalet, rétorque Will.

— La ferme...

— Lau, ça va, ta main ? Il ne t'a pas fait mal ?

— Je ne suis pas en sucre, je rigole. C'est plutôt moi qui lui ai broyé la main.

— A ce point ? s'étonne Nils.

— Tu veux tester ? je lui demande.

Il cache ses mains, et nous rigolons avec Will. Puis nous finissons par nous installer dans un joyeux bazar. Une serveuse arrive assez vite et prend nos commandes. Installée entre Nils et April, et en face d'Adam, je n'ai pas le temps de m'ennuyer. Le blond ne cesse de taquiner April, qui le lui rend bien, et je peux observer Adam. Perdu dans ses pensées, il ne s'en rend pas compte tout de suite, ce qui me laisse tout le loisir de le détailler.

Je me sens assez mal à l'aise de faire ça, surtout que je devrais me concentrer sur Joey, qui échange avec Luna, Will et Maria, tandis que Alex et Tom parlent avec Stan. Mais l'histoire entre lui et Ethan me touche et je dois dire qu'elle me rappelle, sur certains points, celle que j'ai eue avec Tim.

— Eh, ça va ? je lui demande, m'assurant que tout le monde soit concentré sur d'autres choses.

— Hein ? Ouais. Pourquoi ?

— Tu as l'air dans la lune.

— Je repensais juste à la proposition d'un projet sportif demandé à un élève.

— Tu as beaucoup de boulot avec le conseil étudiant ?

— Pourquoi, tu veux postuler ? me demande-t-il.

Un sourire s'étend sur son visage. Un sourire sincère. Il veut sûrement se décharger d'une partie du travail, ce qui est tout à fait compréhensible. Je saisis l'occasion pour tendre une perche dans cette direction :

— Pourquoi, tu veux céder ta place ?

La question le terrasse. Il cligne plusieurs fois des yeux, regarde ailleurs, m'observe de nouveau, l'air exagérément outré.

— Quoi, tu veux prendre ma place ?

— Tu aurais presque l'air heureux que je la prenne.

— Qu'est-ce qui te fait penser une chose pareille ? se renfrogne-t-il.

— Je sais pas, ça doit être pesant, à force... C'est beaucoup de boulot, non ? Tu ne penses pas que ça va te libérer ? C'est une pression de dingue.

— Sûrement, mais je m'y adapte plutôt bien.

Il s'enfonce dans son mensonge. Le pire, c'est qu'au fond, il n'a peut-être pas tort, mais ses yeux vacillent ; la lueur brave qui les habite tremble un instant.

— On fait ce qu'on peut. Mais ce n'est jamais bon de se mettre la pression.

— Il faut bien que je m'y habitue. Mon avenir, c'est le travail. La société veut qu'on travaille, je ne vais pas me laisser aller.

— La société veut aussi qu'on écoute son cœur et qu'on s'épanouisse.

Adam secoue la tête, prend une gorgée de sa bière, et me fixe droit dans les yeux. Son regard me transperce de part en part.

— Tu sais, Laureen, si tu veux faire passer des messages, essaie de le faire plus discrètement.

— Je ne te fais passer aucun message, je mens.

Et en effet, ce n'était pas forcément un message visé. Adam n'est pas le premier que je vois sacrifier son temps pour la réussite, et ça m'attriste. Ce n'est qu'un constat. 

— On a une conversation autour du travail, je te dis juste ce que j'en pense.

— Tu mens très mal.

— Je ne mens pas, Adam. Je te dis juste que tu n'es pas le premier que je vois travailler d'arrache-pied mais qui, j'en suis sûre, préférerait faire autre chose. Je me trompe ?

— Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

— Je me dis juste que... Le travail, ça peut rendre les gens heureux, mais il ne faut pas s'en servir comme d'une issue de secours.

— Je ne m'en sers pas comme d'une issue de secours, n'abuse pas.

Adam garde une expression neutre, mais encore une fois, je sens que j'ai touché un point très sensible. Comme il s'agit d'un garçon discret, il ne veut pas attirer l'attention des autres, et, dieu merci, le brouhaha du bar couvre notre discussion.

Je hausse les épaules, ne préférant pas insister. De toute façon, je n'en ai pas le temps, puisque Maria m'interpelle :

— Hein, Laureen ?

— Quoi ?

— Je racontais à Joey que c'était toi qui nous as convaincus de travailler avec leur association.

Joey me fait un grand sourire et commence à me raconter qu'à l'occasion, il aime travailler avec des étudiants sur des projets.

— Maria m'a dit que tu voulais organiser ton propre projet ?

— Oui, je voulais organiser ma propre représentation, mais je n'ai pas pu. Question de budget, c'est là que j'ai...

— C'est là qu'elle nous a fait le plaisir de nous rejoindre, complète Will en me lançant un petit sourire.

— Elle s'est super vite intégrée, clame Nils.

— C'est un plaisir de t'avoir avec nous, me dit directement Tom.

— C'est vrai que Laureen dispose d'une grande énergie, qu'elle met correctement à profit, fait remarquer Maria en jetant un coup d'œil en coin au blond.

Face à l'allusion de Maria, Nils se ratatine sur sa chaise, ce qui est assez rare pour le faire remarquer. Tous les autres me font peu à peu part de leurs compliments, même Adam.

— Elle a un regard avisé, lance-t-il en me fixant, et elle a souvent raison.

— Vous avez l'air très charmants, tous autant que vous êtes, nous complimente Stan.

Les discussions vont bon train. Après mon petit aparté avec Adam, je participe plus aux conversations sur l'association.

— On s'occupe des personnes dans le besoin, répond Joey à une question de Luna, principalement dans les trois ou quatre quartiers autour du centre-ville. On a une permanence où on reçoit les personnes et où on organise les emplois du temps, et sinon, on se balade beaucoup pour distribuer de la nourriture, parler aux gens, rendre des services s'ils en ont besoin...

— Et vous avez déjà eu beaucoup de partenariats avec des projets d'artistes ? demande Will.

— Environ une ou deux fois par an, l'informe Joey. Cette année, vous êtes les seuls, c'est pour ça que nous sommes vraiment heureux d'être ici.

Ensuite, il nous montre quelques photos ; on les voit, en tenue de travail, distribuer des repas chauds aux personnes sans-abri ou discuter avec des familles. Sur l'une d'elles, Joey serre la main d'un petit garçon rieur. Je ne sais pas pourquoi, mais cette photo me touche beaucoup.

— C'est Jason, m'informe Joey. Il va avoir dix ans au mois de décembre. C'est un petit garçon très mature pour son âge et qui a beaucoup d'humour. Chaque fois qu'il vient, il garde le sourire et raconte même des blagues aux bénévoles.

Stan, à côté de lui, sourit tendrement. Ce gamin doit vraiment leur tenir à cœur, parce que la simple évocation de son nom semble éveiller quelque chose chez eux.

— Il vient toutes les semaines avec sa mère, Debbie. Elle aussi est extraordinaire. C'est une femme charmante qui garde toujours le moral. Pourtant, ils n'ont pas eu une vie facile. Debbie se bat tous les jours pour vivre décemment sans jamais abandonner.

— Et ça fait longtemps qu'ils viennent ?

— Environ trois ans.

Trois ans. Je me répète cette simple phrase dans ma tête ; trois ans, c'est long. Trois ans, c'est une éternité dans la vie d'un petit garçon. Trois ans, ça en fait des jours, pour s'attacher à des gens et construire une histoire. Trois ans.

Trois ans que le destin s'acharne sur eux, peut-être plus encore.

— Chaque fois qu'ils viennent, Jason joue un peu avec d'autres enfants qui viennent. Abigaël, Zach, Martin... Ce sont des noms qu'on voit souvent, ce sont des visages qu'on croise bien trop souvent, oui. Je vais vous raconter un truc : l'autre jour, Jason est venu me voir. Je lui ai demandé si ça allait, et là, sans explication, il m'a pris dans ses bras en me disant que je lui avais manqué. Il n'était pas venu la semaine dernière. Cette simple phrase m'a donné envie de pleurer, parce qu'il m'a ensuite dit qu'il tenait beaucoup à nous. Grâce à vous, ma maman ne pleure plus, alors je vous aime, récite-t-il.

Joey fait une pause, tout le monde l'observe. Tout le monde est captivé par l'histoire de Jason, qui est aussi l'histoire de Zach, Martin, Abigaël et de tant d'autres.

— Cette anecdote, j'y repense souvent. Tous les jours. Quand on se lance dans l'aventure, on a l'impression de pouvoir changer le monde. La vérité, cruelle, je vais vous la dire : on ne peut pas. Mais cette aventure, c'est la possibilité d'observer mille histoires. Mille sourires. Cette aventure, c'est la possibilité de changer le monde de quelques personnes. Changer le monde de quelques enfants, n'est-ce pas, malgré tout, une façon de changer le monde ?

L'assemblée approuve et se met à applaudir devant le discours de Joey. C'est au tour de Stan, ensuite, d'intervenir.

— Cette aventure, comme l'a dit Jo, on la commence avec des ambitions de malade, sinon, on ne tient pas. On veut changer le monde parce qu'on ne veut plus voir de larmes d'enfants. On veut changer leur vie, on veut les voir grandir avec tout ce dont ils ont besoin à disposition. On veut voir des familles se reformer, des parents heureux, des gens seuls retrouver un peu de chaleur. On a l'impression, parfois, d'être leur sauveur. Mais l'autre vérité de cette aventure, c'est que parfois, ce sont eux qui nous sauvent.

Stan se gratte la main, sur laquelle quelques plaques rouges se propagent.

— Avant de commencer, ma vie n'était pas très facile. J'ai été viré de mon job et j'ai failli divorcer. J'aurais pu me retrouver à la place de Debbie. J'aurais pu me retrouver à la rue. Je suis quelqu'un d'anxieux, alors j'ai pensé à... C'est dérangeant, si j'en parle ? demande-t-il.

Nous nous regardons, sans trop savoir quoi répondre. Je me doute bien du sujet qu'il veut aborder. La mort n'a jamais été un tabou pour moi. Non loin de moi, Alex baisse les yeux.

— Alex, si tu veux sortir... lui murmure Adam.

— Non, ça ira, dit-elle.

Plusieurs fois, j'ai entendu Alex parler de ce sujet et je sais que, longtemps auparavant, elle avait connu ce désir terrible de mourir. Aujourd'hui, j'envie son courage, car elle accepte d'écouter l'histoire d'un homme qui a partagé cette même envie, ce même fardeau.

Alex est plutôt du genre discrète ; brune, de taille moyenne, un peu plus âgée que nous — elle est même plus âgée qu'Adam —, toujours vêtue de façon à se fondre dans la masse, elle ne se fait jamais remarquer.

Stan lui jette un coup d'œil compréhensif avant de reporter son attention sur toute la tablée. A côté de moi, je sens en revanche Nils beaucoup plus nerveux que tout à l'heure, ses jambes s'agitent comme un marteau piqueur. Je pose ma main sur la sienne. Il contemple mes doigts sur les siens et me sourit.

— Avant de rentrer dans l'association, reprend Stan, j'ai perdu beaucoup de choses, y compris le goût de vivre. Je me laissais aller, j'ai perdu plus de quinze kilos, je sortais à peine, j'étais de plus en plus malade. J'ai pensé à mourir. J'ai pensé à mourir, puisque je n'avais plus de but dans la vie, rien qui ne me fasse vibrer, rien qui ne me fasse exister. C'est là que j'ai revu Jo. Il m'a proposé de venir bosser à l'association, de voir ce que c'était, puisqu'elle était encore toute neuve. A la base, il voulait m'embaucher comme informaticien, puisque je me débrouillais, même si mon job, c'est la peinture dans le bâtiment.

— Enfin, ça l'était, du coup, intervient Joey.

— Ouais. Quand je suis entré, j'ai été subjugué. C'est là que Jo m'a proposé d'être bénévole, de tester, même pour une journée. J'ai accepté. Je n'ai jamais quitté mon poste depuis. Ça fait six ans. Tout ça pour dire que nous les sauvons, certes, mais parfois, ce sont eux qui nous sauvent.

Les discours de Joe et Stan nous électrisent. Tout le monde les applaudit, tout le monde les félicite ; on sait bien que ce qui changera le monde, ce ne sera pas la parlote des gens en costard-cravate, mais ceux qui se donnent à fond pour les autres.

Et quand je regarde mes amis, je me dis qu'à leur côté, j'ai le sentiment que mon monde a changé pour le mieux.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top