XII.
TaeHyung traverse la pièce doucement, en évitant les photos et les objets répandus sur le parquet, s'assoit à côté de JungKook, prend sa main, la garde dans la sienne, de l'autre il enlève son verre, le pose loin de lui, puis il le regarde, il voit les larmes, il voit la peine, il voit la rancœur, il se voit lui quelques années plus tôt, sauf que lui a été seul, et il murmure je suis là, tu peux pleurer, je suis là, je ne pars pas, alors JungKook pose sa tête contre son torse, s'agrippe à sa veste, demande entre deux sanglots pourquoi ça fait si mal, je souffre tellement, TaeHyung répond je ne sais pas, mais pleure, pleure.
Alors le temps s'arrête, et la nuit semble leur offrir le silence, pour qu'eux deux, âmes éplorées qui tentent de combler le vide, de faire reculer la mort, qui essaient de redevenir vivantes, puissent profiter de la douceur de l'autre pendant un instant.
Il tient JungKook serré contre lui jusqu'à ce que ses sanglots se tarissent et qu'il n'entende plus que des reniflements d'enfant. Puis l'endeuillé se détache de lui, expire en essuyant son visage, jette un regard sur la bouteille, a un rire sans joie, n'ose pas regarder TaeHyung dans les yeux, se détourne, mais avant de se lever, l'inspecteur l'attrape par la main et le garde près de lui. JungKook dit d'une voix cassée :
- Je suis désolé de m'être emporté comme ça, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'étais si seul, pardon...
- C'est normal. Je suis là pour vous.
- J'aimerais qu'on se tutoie. Tu l'as fait tout à l'heure.
- D'accord. Est-ce que tu vas mieux ?
JungKook a un sourire triste, le même que TaeHyung a quand il parle de ses parents, et voir sa bouche s'étirer ainsi, feindre que tout va bien, essayer de faire abstraction, tenter de refréner le mal à la racine, de l'enfermer dans son cœur et de le bannir de son esprit, déclenche une vague de compassion qui le cloue contre le matelas et le laisse pantelant, le cœur ravagé.
C'est un sourire qui veut dire non, un sourire qui pense que rien n'ira jamais mieux, qu'une partie de lui s'est éteinte en même temps que son père, que son avenir ne va être que souffrance et larmes, que ses oreillers seront toujours humides parce qu'il pleurera toutes les nuits, que plus rien ne paraîtra beau ; mais TaeHyung sait que le chagrin ne dure qu'un temps, et il le lui dit.
- Tu iras mieux. Ce sera long. Ce sera dur. Tu pleureras beaucoup. Mais tu iras mieux. Et tu riras. Un jour, tu seras de nouveau heureux.
En le disant, TaeHyung pose sa main sur celle de JungKook, et il sent sa paume se refermer, capturer la sienne et la garder dans une douce étreinte. Ses yeux disent merci, et ses mains sont tendres. Puis JungKook se lève, contemple la pièce comme s'il se rend soudainement compte qu'il est celui qui l'a mise dans cet état-là, regarde l'inspecteur, et déclare :
- Je ne t'ai pas fait venir pour que tu me consoles, même si j'ai apprécié que tu restes pour moi. En cherchant dans la chambre de mon père, hier, j'ai trouvé ça.
Il se baisse, attrape une caisse qui est sous le lit, en extirpe une dizaine de photos, un carnet jauni par le temps, des feuilles rongées, et un carnet de naissance. Il se rassoit au milieu du lit, pose la bouteille sur le sol, TaeHyung pense qu'il semble avoir soudainement décuvé, puis il lui tend les photographies en noir et blanc.
En même temps que TaeHyung regarde une à une les photos, il récite :
- Mon père est né le 8 février 1908. L'hiver prochain, il aurait eu soixante dix-huit ans.
- Tu veux dire qu'il a assisté à l'enquête de 1915 ?
- Oui. Et il s'en souvenait sûrement. Il tenait un journal à l'époque. C'est ça.
JungKook désigne le carnet et continue :
- Je ne l'ai pas encore lu, mais je suis presque sûr qu'il contient des choses exploitables.
Soudain, il a vu l'inspecteur se figer et pâlir. Il s'est approché de lui, a regardé la photo, a vu qu'il s'agissait de celle de l'enfant balafré, a retenu un frisson en regardant ce portrait déchirant, a demandé :
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
TaeHyung pose sur lui des yeux effrayés et murmure :
- Le médecin légiste qui travaille sur l'enquête a exactement la même cicatrice. Ça ne peut pas être une coïncidence.
- Quel âge a-t-il ?
- Peut-être soixante-dix ans. Ou un peu plus.
- Comment peut-il encore travailler ?
- Il est talentueux. Et déterminé.
Il revoit la lueur dans ses yeux qui dit que personne ne lui échappe. C'est un rapace, voilà ce qu'il est. Une bête maudite, un charognard, laid et repoussant mais tenace comme un tique.
- Il était déjà né en 1915. C'est forcément ce garçon. Ton père et lui se connaissaient. Peut-être même qu'ils étaient amis.
Une aire de jeu. Le soleil qui brille sur le parc. L'herbe est tendre. C'est la fin de l'école. Son père va venir le chercher. Il doit se dépêcher. Il voit un homme au loin. C'est le voisin. Il vient parfois à la maison. Sa mère l'aime bien. Parfois ses parents crient à cause de lui. Le voisin sourit. Il lui fait signe. Mais son père arrive et les voit. Il le gifle. Quand il tourne la tête, le voisin a disparu.
- Pourquoi est-ce que ton père ne t'en a jamais parlé ?
- Je ne sais pas. Il ne disait jamais rien sur son passé. Je l'entendais parfois, il pleurait la nuit. Il semblait beaucoup en souffrir, mais il n'a jamais quitté le village.
- Tu m'as dit la dernière fois qu'il avait des secrets. Je pense qu'il ne disait rien pour te protéger. Une fois, quand j'ai enquêté il y a quelques années dans le sud, il y avait un cas semblable. La mère de l'enfant avait vécu toute sa vie sans jamais révéler qu'elle avait été complice dans un braquage. Elle avait fait ça pour le préserver. Mais au final, l'enfant s'est suicidé.
- Tu essayes de me réconforter ?
TaeHyung sourit sans le regarder, se baisse pour attraper la bouteille de vin, enlève le bouchon, boit une grande gorgée au goulot et la pose à côté de lui. Puis, enfin, il répond :
- Non. Je pense que ton père a été témoin de quelque chose quand il était enfant. Sinon pourquoi garderait-il ces vieilles photos sans valeur ? Ses parents n'y sont même pas.
- Pourquoi n'est-il pas parti dans ce cas ?
- Je ne sais pas, JungKook. Tout quitter n'est pas une chose si facile. Et puis il était enfant au moment de l'enquête. Peut-être qu'il s'est dit que rester ici l'aiderait à se reconstruire.
JungKook pose sa tête contre sa paume et ferme les yeux. Ainsi vulnérable, il semble soudain épuisé, et l'inspecteur se demande depuis combien de temps il n'a pas fait une nuit complète. Lorsqu'il rouvre les yeux, la fatigue a alourdi ses paupières.
- Je crois que le seul moyen de savoir qui a tué mon père est de résoudre l'enquête de 1915. Les suspects de l'époque sont morts, c'est certain, mais leurs enfants sont encore en vie. Et il doit y en avoir un qui se souvient de ce qui s'est passé.
Mais soudain TaeHyung se lève, s'approche lentement de la fenêtre, jette un œil a l'extérieur, tremble d'un coup, lui lance d'une voix blanche la bête est dehors, JungKook traverse la pièce, la nuit lui fait peur, le noir est d'encre, on ne voit pas les étoiles, et devant sa porte il y a une forme, c'est un animal, et ses yeux les regardent à travers la vitre.
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