2.
Je sortais du cinéma. C'était un samedi soir comme bien d'autres. Il faisait déjà sombre, aussi sombre que dans la salle de projection. Des lampadaires émanait une douce lumière jaune qui éclairait les trottoirs de l'avenue.
Il avait plu, le sol était imbibé d'eau.
Je marchais un peu devant, mes parents et ma grand-mère sur les talons. Le vent soufflait ses bourrasques de fin d'été nocturne et humide, sifflait un air léger aux oreilles des rares passants. Mes jambes à nu se couvraient de chair de poule en sentant sa fraîcheur. N'ayant pas prévu une si grande baisse de température, mon short immaculé ne m'était pas d'un grand secours.
Je lâchai un soupir, mon parapluie petit format tapant contre ma cuisse au rythme de mes pas. Un passage clouté de traversé... Je continuais de descendre l'avenue vers la mairie. Les néons de la banque au coin du carrefour s'imprimèrent dans ma rétine.
Je suis arrivée la première.
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Quand je l'ai vue, j'ai cru qu'elle dormait. Ce qui est totalement con, personne ne dort allongé sur du béton trempé en pleine nuit. Pourtant, mon cerveau a tenté de balayer le sujet. Les yeux de ma raison se sont clos, comme ça. C'est toujours plus simple de ne rien voir. Esquive du problème. Ce n'est peut-être pas si grave... Regarde-la, immobile, c'est si apaisant. Elle n'est pas pressée comme les autres, tous ces autres qui courent sans fin...
Et pour cause.
Mes parents se sont arrêtés pour regarder le panneau d'affichage du programme des spectacles du mois à la Scène. Moi, je me suis arrêtée tout court : de bouger, de penser...
Il y a un garçon qui l'a aperçue en même temps que moi. Il était sûrement trop vieux pour être un simple garçon... Tant pis, de toute façon on redevient tous des gamins face à la peur.
Lui aussi a refusé d'y croire un instant, je le sais. Le déni était gravé dans ses pupilles quand j'ai croisé son regard. Visible même dans le noir.
On s'est regardé pendant un long moment qui m'a semblé durer des heures au lieu de quelques secondes. Il a vu la tête que je tirais et a subitement cessé de sourire. Moi, j'avais déjà compris, mais je n'ai rien fait, pas tout de suite. Comme toujours, il me fallait du temps. Un peu plus de temps.
J'étais tétanisée, la gorge nouée, les yeux écarquillés, fixés sur ce corps jonchant le trottoir. Je n'arrivais simplement pas à agir, comme si une voix me soufflait à l'oreille de passer mon chemin et continuer ma petite vie tranquille. La voie de la facilité, c'est toujours trop tentant. C'était égoïste.
Son petit chien blanc a tourné la tête vers moi. J'ai croisé ses prunelles noires. J'ai eu l'impression que je le trahirais si je ne faisais rien. Mes pensées cruelles se sont tues. Je n'en revenais pas de n'avoir ne serait-ce que songé à la laisser là.
Des gens sont passés sans même jeter un coup d'œil à ce qu'il se passait autour d'eux. Tout le monde est aveugle avec tout le monde. Sales hypocrites.
Derrière moi, ma grand-mère arrivait à pas plus lents. Mon parapluie est tombé au sol. Je me suis éloignée de leurs voix.
— Madame ? Madame, vous m'entendez ?
Pas de réaction. Un pas, deux pas vers elle. Le gars en sweat gris est monté sur le trottoir, il a sorti son téléphone. Je ne l'ai pas regardé.
— Les pompiers, j'ai dit.
Il a hoché de la tête. J'ai contourné le corps pour être du bon côté, face à son visage. Elle respirait. Je l'ai entendue bafouiller quelque chose malgré sa respiration erratique. Alors, je l'ai retournée sur le côté, juste au cas où. Elle était consciente. Elle m'a vue. Moi aussi. J'ai répété, incapable de penser :
— Vous m'entendez ? Vous avez mal quelque part ?
Elle m'a fixée, les yeux fous. Ils étaient bleus ou gris, impossible de bien distinguer les couleurs à cause de la pénombre.
J'étais gelée. Fichu short.
Elle a commencé à me parler. Horreur. Je n'ai rien compris. Les mots entrecoupés qui sortaient de sa bouche n'appartenaient en rien au français. Une langue slave.
— Tout va bien ?
C'était ma grand-mère, qui avait fini par arriver. Mes parents se tenaient derrière elle. Mon père s'est avancé, perdant immédiatement son sourire.
— Qu'est-ce-qu'il se passe ?
J'ai levé mes yeux bleus arrondis par la surprise vers lui.
Une dame au sol. Voilà ce qu'il se passait.
Pendant ce temps-là, le garçon au sweat gris déblatérait des évidences tout seul, en attente d'une réponse des pompiers.
— Elle a dû tomber et se faire mal...
Je n'y prêtais même pas attention. La cinquantenaire aux cheveux blond platine tenta de se redresser avec un grognement de douleur.
— Restez allongée Madame, ne bougez pas. Il faut que vous restiez allongée, répétai-je aussitôt.
Je plaçai une main sur sa hanche et l'autre sous sa tête pour la remettre correctement sur le côté. Elle avait étonnamment chaud au crâne. On aurait dit qu'elle transpirait, comme si c'était humide.
De la fièvre ?
Je retirai ma main, surprise. Elle était couverte de sang.
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