Solitude
Je n'étais ni populaire, ni rejeté de la vie lycéenne. Je me fondais dans le décor, indifférent aux rumeurs et autres broutilles sociales. J'avais un groupe d'amis particulièrement soudé, rencontré au collège.
Cette proximité m'était devenue vite étouffante, suffocante. Bien que présent à leurs côtés, j'étais absent. J'étais insensible aux conversations, aux éclats de rire communicatifs. Comme au travers d'une vitre teintée, je peinais à les observer, à les atteindre.
L'esprit embrumé de pensées négatives, accompagnées d'idées dévastatrices, j'érigeais une barrière autour de moi. Les faibles couinements de mes camarades, ainsi que les discours moralisateurs des professeurs, ne m'atteignaient plus.
La fatigue s'ensuivit rapidement. Je ne dormais plus que quelques heures par semaine, rendant mon comportement irritable, insupportable. Mes parents pensèrent que ce n'était qu'une crise d'adolescence. Ils étaient naïfs. Ils se voilaient également la face, refusant d'admettre que leur enfant avait un problème.
Des cernes violacées, des joues creusées, les ongles rongés. J'étais anxieux, une boule de nerfs prête à exploser. Mes amis le remarquèrent rapidement et les ennuis commencèrent.
Ce jour-ci, le cours d'histoire se déroulait lentement, noyé par les paroles soporifiques du professeur. Mes paupières étaient lourdes, ma respiration lente. Derrière ses grosses lunettes, il ne me remarquait pas. Tant mieux.
Une surveillante a interrompu la leçon, me tendant une convocation. L'infirmière souhaitait me parler. J'avais froncé les sourcils, incrédule. Je n'étais jamais entré dans son bureau. Les seuls fois où je l'apercevais, elle fumait devant le lycée (celle-ci même qui organisait des conférences sur le danger du tabac).
Dans un état second, j'ai rangé mes affaires. Mes amis chuchotaient discrètement, me regardant furtivement. J'étais soudainement suspicieux. Avaient-ils provoqué cette convocation ? Mais pourquoi ?
L'infirmière m'observait, silencieuse. Gênée, mon pied battait la pulsation d'une ancienne partition de violon, reportant ainsi mon attention sur ses mouvements saccadés.
" - Comment te sens-tu ? "
J'ai sursauté, surpris de sa franchise, de ses manières directes. Dans l'incapacité d'arrêter les soubresauts de ma jambe, j'ai grimacé.
" - Je vais bien, ai-je répondu, faussement convaincu.
- Tes amis pensent le contraire, a-t'elle expliqué, dardant son regard accusateur sur ma jambe. Tu ne mangerais plus, d'après eux.
- Est-ce ma faute si je n'apprécie pas les repas de la cantine ? "
J'étais énervé contre l'infirmière, remonté contre mes amis. C'étaient mes affaires, les miennes ! Pourquoi s'immisçaient-ils dans ma vie privée ? Ils n'avaient aucun droit dessus, pensais-je.
" - Je pense que nous devrions convoquer tes parents.
- C'est tout ? Vous n'avez pas d'autres questions à me poser avant de tirer des conclusions faussement fondées ?
- Tu continueras d'affirmer que tout va bien, expliquait-elle, les bras croisés. Tes parents sont les plus aptes à prendre des mesures pour t'aider. " Elle marqua une pause, alors que je fulminais. " Tu peux retourner en cours ; je vais appeler ta mère. "
J'ai retrouvé mes amis, les poings serrés. Ils parlaient d'un devoir de physique programmé pour la semaine suivante.
" - Pourquoi avez-vous fait ça ? criais-je. "
Ils me donnèrent une vulgaire explication, basées sur des spéculations avec, comme refrain, cette histoire de cantine. J'ai secoué la tête, courant me réfugier dans l'imposante bâtisse.
J'aimais me rendre au dernier étage, réservé aux spécialités cinématographiques. Il y avait un espace reculé, orné de grandes fenêtres donnant sur la ville.
L'escalier a grincé. J'avais espéré que ce ne soit qu'un élève de passage, mais Clarissa était apparu dans mon champ de vision. Son regard était empli de tendresse, de compassion. Elle voulait m'aider.
Elle s'installa à mes côtés, observant la ville. J'ai relevé la tête, fier. Impossible d'avouer mon mal-être. Je ne voulais pas l'évoquer.
" - Tu vois ce carreau ? " Elle le désigna, les yeux brillants. " - Il est en forme de carré. Et toi, tu es enfermé, baignant en son centre. Cherches la sortie ! Sors de ce carré dévastateur ! Accepte mon aide. " Elle marqua une pause, m'observant. " - Ta dépression...
- Je ne suis pas dépressif. Ton histoire de carreau... " J'ai poussé un léger cri, rageusement. " Cela n'a aucun sens ! Je ne suis enfermé nul part, encore moins dans un carré. "
J'ai fui, séchant mes cours de l'après-midi. Ma maison était vide. Je m'étais enfoui sous les couvertures, pleurant à chaudes larmes. Epuisé, je me suis finalement endormi.
En fin de semaine, j'ai dû retourner à l'infirmerie, accompagné de mes parents. L'infirmière expliquait les faits, grave. Ma mère palissait, jouant nerveusement avec son alliance. À la fin de sa tirade, elle me donna la parole à contre-coeur, connaissant ma stratégie de persuasion. J'ai tout nié, agrémentant mon discours de grands sourires.
" - J'ai dû mal à gérer la pression scolaire, en ce moment. Le travail est compliqué, mais je vais reprendre des forces pendant les vacances ! "
Ils m'ont cru. À vrai dire, j'ai toujours eu une période vide, épuisé physiquement et moralement, avant les vacances. Ce n'était donc pas une inquiétude pour mes parents.
Pourtant, j'aurais dû accepter cette main tendue. Je ne pouvais pas gérer mes problèmes seul. Il n'y a aucune honte à évoquer ses problèmes à des personnes compétentes, des personnes de confiance. Au contraire ! Cela peut sauver des vies.
Cela aurait pu sauver la mienne.
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