J'ouvre les yeux et regarde autour de moi. Il fait jour. Je sors de mon lit et enfile un tee-shirt. Programme du jour : cinéma avec Harmony et Juliette. Je descends et vois Harmo et Emilien à table. Ma sœur sourit. C'est rare qu'elle soit heureuse dès le matin. Je m'installe à mon tour et tourne la tête. Miraculeusement, mes parents sont là aussi. Je ne les avais pas vu. Je suis content.

Après un bon petit-déjeuner, je sors mon téléphone et m'aperçois qu'il est déjà onze heures. Je demande à Harmo de récupérer Juliette pour aller au cinéma. Après réflexion, j'envoie d'abord un message à Evan :

« Tu peux venir avec nous au ciné et invite Léonor si tu veux... Je crois que les filles ont choisi Dumbo... par contre Nona vient de mourir et Emilien est encore sous le choc, évite les gaffes STP »

Peu de temps après, mon téléphone vibre, j'ai ma réponse :

« OK ça marche, Léo vient avec nous »

Harmo débarque avec Ju, je crois qu'il est temps d'y aller. Je reçois un message d'Evan :

« Ma mère peut nous emmener »

Il n'en faut pas plus pour que nous nous trouvions tous les six dans la voiture de la mère d'Evan, direction le cinéma "Le prado". Les filles se disent des secrets tout à l'arrière de la voiture. Moi, je me retrouve au milieu, entre Emilien et Léonor. Evan, lui, est à l'avant à côté de sa mère. Après dix minutes de trajet, nous arrivons enfin. Nous rentrons dans le hall et commandons les billets pour la séance. J'offre du pop-corn aux petites. Nous nous installons sur un des côtés tous les quatre, Harmo et Ju sont devant ensemble avec Lisa, la mère d'Evan. Je les surveille du coin de l'œil. Pendant les pubs, Emilien brise le silence :

– Hé, ça fait longtemps les Alliés Visionnaires !

– Grave, répond Evan.

– Ça m'as trop manqué, ajoute Léonor.

D'habitude, je suis rarement d'accord avec elle mais là j'avoue qu'elle a raison.

– Moi aussi les mec, dit-je dans un sourire.

Léo est la seule fille du groupe donc on aime bien la charrier.

Les Alliés Visionnaires est notre groupe de potes, depuis toujours. Mais cette amitié doit restée secrète car la réputation d'Evan et Léo n'est pas top au lycée. Emilien et moi tenons à notre image. Comme par sécurité, je jette un rapide coup d'œil à la salle pour vérifier que personne du lycée ne se trouve ici. Mais bon, Dumbo, ce n'est pas vraiment un film à risques...

Une fois la séance terminée, les filles nous rejoignent à la sortie, suivies de Lisa, la mère d'Evan. Nous nous dirigeons vers la voiture. Durant le trajet, les filles demandent si elle peuvent passer le reste de l'après midi ensemble.

– Ludooo, est-ce que Ju peux venir ?

– Non, venez tous prendre le goûter à la maison ! intervient Lisa.

– Ouaais, crient elles en cœur.

– C'est OK pour moi, annonce Léo.

– Oui, pour moi aussi, ajoute Emilien.

– Bon bah c'est d'accord, dis-je.

Nous arrivons devant la maison de la famille d'Evan. La porte est à peine ouverte que la plus petite de la famille sort en courant. C'est Luna, la petite sœur d'Evan. Elle lui ressemble beaucoup. Ils ont la même peau très foncée et les mêmes cheveux noirs de jais. Par contre, elle a les mêmes boucles que sa sœur Juliette. Son père, Etienne, sort à son tour en courant et criant :

– Luna, rend moi cette chaussette !

Nous somme pris d'un fou rire incontrôlable. Puis sa mère nous propose d'entrer pour boire un jus d'orange bien frais. Passé le seuil de la porte, on voit vraiment la différence entre ma famille et celle d'Evan. La sienne est chaleureuse, accueillante et elle inspire la bonne humeur. La mienne est froide, triste et vide.

Quand on rentre, on arrive dans une grande pièce au couleurs chaudes. La décoration rappelle vraiment leurs origines nigériennes. Tout est fait main et pas toujours ordonné mais ça donne un côté vraiment familial à la pièce. Des jouets traînent par terre et la peinture n'est pas parfaite mais ça rend la maison vivante.

Nous nous installons dans la table de la salle à manger, dans le même espace que le salon et la cuisine. Sa mère nous apporte un plateau avec six verres de jus d'orange et un paquet de gâteaux secs. C'est toujours la même chose et pourtant toujours aussi bon.

– Alors le lycée les grands, comment ça se passe en ce moment ?

La mère d'Evan n'est pas au courant pour la situation... compliquée de son fils.

– Ludo et Léonor y arrivent grave, moi un ça va tranquille et Evan bah..., répond Emilien

– Ça se passe, on va dire, dit Evan.

– Le lycée de l'excellence, par l'excellence et pour l'excellence, intervient Léo en haussant les épaules.

– Tu as raison, ma grande. Je crois que ce lycée n'est pas vraiment fait pour toi, Evan, dit Lisa.

– Il n'encourage pas ceux qui en ont besoin, continue Léo.

– Mais il a une bonne réputation, dis-je, fier d'être à la hauteur de ce lycée exigeant.

– Il a quand même de bons débouchés, fait observer Emilien.

– Et de bons profs, continue Léo.

Et beaucoup de discrimination ethnique, aussi. Je sais que je ne suis pas le seul à penser ça autour de cette table, mais personne ici ne le dira à voix haute. Evan ne veux pas que sa mère s'inquiète pour lui, il va bien et on le sait. Il se fiche complètement des critiques, et tant mieux. Je ne sais pas comment j'aurais réagi moi, à sa place.