33 - Evan
Depuis deux jours, la famille d'Emilien et la mienne logeons chez les grands-parents de Léonor. Nous sommes un peu à l'étroit, à 17 dans leur maison, mais c'est toujours mieux que le gymnase à moitié écrasé sous l'arbre.
A cause de la coupure d'eau et d'électricité, nous sommes obligés d'aller faire les courses pour pouvoir boire, et on arrive difficilement à se laver. Il y a des moments où l'eau revient mais ils sont rares. Je crois que ça vient d'un problème de canalisations que le maire essaye de faire réparer de toute urgence.
Aujourd'hui, nous préparons une sortie de la maison pour aller au supermarché le plus proche à pied. On sait très bien que, si on prend la voiture, ça risque d'être encore plus dangereux. En plus, on peut très bien marcher au milieu de la route vu qu'il n'y a presque plus de circulation.
Luna et Juliette, mes sœurs, veulent absolument venir mais ma mère leur a dit non. Elle a trop peur pour elles, et je la comprends entièrement. Je m'en voudrais si les filles finissaient écrasées sous un arbre à cause de moi. Du coup, Léo a proposé qu'on y aille tous les trois, avec Emilien. J'ai supplié mes parents un bon moment, et mon père a fini par accepter. Il a décidé de partir avec Thierry et Anna, les parents d'Emilien, pour voir si les gens encore au gymnase ont besoin d'aide. Durant la crise, l'entraide est primordiale. Ma mère, elle, préfère rester à la maison pour garder mes sœurs et aider les grands-parents de Léo à faire à manger pour tout le monde.
Une fois les petits groupes prêts, nous sortons de la maison, nos sacs de course à la main. Les parents prennent la direction du gymnase tandis que Léo nous entraîne, Emilien et moi, vers le supermarché le plus proche.
– Vous imaginez, c'est pire que la crise de l'année dernière, commence Léo, le visage grave. En fait, on dirait presque que la Nature nous avait affaiblis pour cette année nous achever.
C'est vrai que maintenant qu'elle le fait remarquer, on risque de tous y passer, si ça continue comme ça.
Nous poursuivons notre chemin, silencieux, défaitistes, côtoyant les mouches géantes que nous tentons d'éviter. Soudain, à l'angle de la rue, une odeur de putréfaction nous assaille les narines. Je me couvre le nez et la bouche avec mon t-shirt et je vois mes amis en faire autant. Nous nous regardons, surpris, quand je remarque un corps allongé au sol, au pied d'un arbre qui a l'air de ne pas tenir parfaitement sur ses racines. Je devine alors qu'il a écrasé la personne qui passait à côté, et que l'odeur immonde que nous sentons à présent est l'odeur de la mort qui se dégage du cadavre.
Je me retiens alors de ne pas vomir à la vue du corps, et Emilien, lui, lutte pour ne pas s'évanouir. Seule Léonor garde la tête froide et nous entraîne à l'écart.
Nous nous asseyons sur le trottoir, le plus loin possible des arbres alentour.
– C'est... c'est horrible, murmure Emilien.
Je hoche la tête, incapable de prononcer un mot. Puis Léo se redresse.
– Il faut aller au supermarché, on doit absolument faire les courses. Venez, ajoute-elle en souriant, ce n'est pas un cadavre qui va nous arrêter.
Je sens bien qu'elle essaye de nous remonter le moral, mais là, voir un corps mort, sur le bord de la route, je ne m'y attendais pas. Je finis par me lever à mon tour et je tends la main à Emilien pour qu'il puisse en faire de même. Puis nous repartons, inquiets de ce que nous pourrions trouver par la suite.
Le reste du trajet se déroule sans encombre et nous sommes presque arrivés au magasin quand une dame sort de chez elle devant nous, un bébé dans les bras. Ce dernier est tout rouge et couvert de boutons. Je me demande d'abord s'il n'a pas la varicelle quand je vois du pus sortir de ses boutons. Horrifié, je me tourne vers Léo. Celle-ci s'est approchée de la femme pour lui demander si elle n'a pas besoin d'aide.
– Là mon bébé, tout va bien... Pardon ? De l'aide ? Je vous remercie jeune fille, mais j'ai peur que vous l'attrapiez à votre tour.
– Mais... qu'est-ce qu'il a, au juste ? demande Léo, hésitante.
La femme cille, le regard voilé, puis elle se reprend :
– Je ne sais pas. Mon médecin non plus. On dirait une nouvelle maladie. Je... j'ai peur, vous comprenez ?
Léo acquiesce, la mine grave.
– Nous allons au supermarché. Vous voulez que l'on vous ramène quelque chose ? j'interviens.
Ce bébé et sa mère me font tellement pitié.
A ces mots, le visage de la femme s'illumine.
– C'est vrai, vous voulez bien ? Oh, je vous en serais tellement reconnaissante... Mon mari est urgentiste, il est obligé d'aller travailler pendant plusieurs jours. Et je n'ose pas me déplacer avec mon fils dans cet état... Merci beaucoup les enfants.
– Que voulez-vous que l'on vous rapporte ?
– Si vous pouviez prendre des packs d'eau, des pâtes et du riz, ça serait déjà tellement gentil de votre part...
– Parfait, on vous ramène ça sur le chemin du retour ! s'exclame Léo, ravie de pouvoir aider. A tout à l'heure, madame !
La femme nous adresse un dernier regard reconnaissant avant de rentrer chez elle. Je mémorise le numéro et le nom de la rue, pour pouvoir retrouver la maison, et nous nous remettons en route.
Après quelques minutes de marche, nous arrivons enfin au magasin. Mais ici, l'ambiance est bien différente de celle de la rue, calme, pesante.
C'est la cohue. Les gens se bousculent pour pouvoir prendre de l'eau et du papier toilette en premier, certains se jettent même sur les pots de Nutella.
– Ils sont fous ! remarque Emilien, atterré.
– Bon, nous ne devons prendre que ce qui est nécessaire, dis-je en me dirigeant vers le rayon pâtes, les deux autres sur mes talons.
Après une bonne heure à faire les courses, en essayant d'avoir ce que nous cherchions, on arrive enfin à sortir du magasin, nos sacs pleins de nourriture.
– Pfiou, c'est pas trop tôt ! commence Emilien.
– Je te le fais pas dire. La dame de tout à l'heure va se dire qu'on l'a oubliée.
Nous nous dépêchons de prendre le chemin du retour. Arrivés devant la maison de la mère et de son fils, Léo sonne. La femme ouvre, son bébé pleurant toujours dans ses bras.
– Oh, c'est vous ? Merci infiniment ! Combien je vous dois ? s'enquit-elle.
Après nous avoir remboursés (Léo lui a menti sur le prix, pour qu'elle n'ait pas trop à dépenser en nourriture), elle nous remercie chaleureusement une nouvelle fois.
– Ce n'est rien, ne vous en faites pas, répond Emilien, gêné de toute cette attention.
Puis Léo lui donne son numéro de téléphone, si jamais elle a encore besoin de nous pour aller faire ses courses. Elle nous remercie encore une fois, puis nous reprenons la route pour rentrer, nos sacs un peu plus légers.
– Elle était tellement gentille, s'attendrit Léo. La pauvre, avec son bébé malade, elle ne pouvait rien faire !
– Je suis d'accord avec toi, répond Emilien, je suis content d'avoir pu l'aider.
Je souris à ces mots.
Puis une pensée d'horreur me traverse.
– Et si... et si Ludo était mort écrasé sous un arbre, ou malade comme le pauvre fils de cette dame ?
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