Une en deux

Je me souviens de cette sensation de me faire aspirer sans que mon corps ne bouge. À moins que ce ne soit pas moi ? J'étais troublée, et puis plus rien. Seulement cette impression de flottement dans un monde sans lumière, sans bruit, sans rien.

Quand j'ai repris conscience, nous étions deux.

- Ça a marché !

Je ne comprenais pas pourquoi j'avais cette apparence ni pourquoi on avait séparé un être en deux. Avec cette fille en face de moi, nous ne formions qu'une seule unité. Pourquoi ces humains en blouse blanche poussaient ainsi des cris de joie alors que l'angoisse prenait place en moi ? Mes souvenirs s'entremêlaient, se mélangeaient, s'embrouillaient puis disparaissaient pour ne laisser que le vide dans ma mémoire. Je n'arrivais à me rappeler de rien, me rendant que plus troublée.

- C'est toi ? m'avait-elle questionné ce jour-là.

Mais je n'ai rien répondu. Nous savions toutes deux la réponse et elle ne nous plaisait pas. Nous nous sentions incomplètes.

Elle, elle l'acceptait. Apparemment c'était nécessaire pour qu'aucune de nous deux ne disparaisse. Elle m'avait expliqué que je la consumais sans m'en rendre compte, j'aurai fini par la tuer. Je ne comprenais pas comment c'était possible mais je lui faisais confiance, ma moitié.

Je me suis retrouvée dans ce monde où je devais prendre mes marques dans ce corps sans réel matière mais je n'étais pas à ma place. Je ne devais pas être un être à part entière, il n'y avait donc rien pour moi. Ce que je savais, c'est que chacun a un rôle, aussi futile soit-il, dans son monde et qu'il pouvait, grâce à cela, faire tout ce qui lui chantait. Sans rôle, je n'étais rien qu'une simple prisonnière.

Alors, je me suis créée le mien. Je servirai et protégerai ma moitié aussi longtemps qu'il m'aie possible. Elle me dirait ce que je dois faire, ainsi, je pourrai moi aussi agir.

Elle accepta ce rôle que je m'étais imposé, m'emmenant même à son lieu de travail, la garderie, pour que je puisse m'occuper. Les enfants ne demandaient qu'à s'amuser et jouer et je m'y pris à cœur joie pour les entendre rire. Rien n'était plus beau que ce son mélodieux à mes oreilles. Pour les histoires, ma moitié s'en occupait, j'aimais écouter ses contes tout droit sortis de son imagination. Il y en avait un pourtant qui ressortait plus souvent que les autres.

- Pierrot Blanc ? Et bien ma sœur dit toujours que ce n'est qu'une vieille légende mais moi que pense que c'est réel.

- Pourquoi ça ? Un personnage traversant le temps et les mondes relève du surnaturel.

- Tout comme le fait de séparer une personne pour révéler deux entités possédant chacune ses souvenirs, sa personnalité et son apparence.

Et elle avait raison. Nous avions chacune vu les souvenirs de l'autre mais sans jamais les vivre. Parfois l'un d'eux me revenait des années plus tard.

J'avais fini pas m'habituer à ce monde, je le voyais grandir, évoluer tout comme ma moitié qui mûrissait avec l'âge. Mais moi, rien ne se passa. Je restais la même aussi bien physiquement que mentalement.

J'appris également que cet univers fonctionnait grâce aux rôles des deux races existantes. Les monstres, aux capacités magiques, faisaient contrebalance avec les traits de caractères humains, ayant chacun leur particularité.

Un jour, un être de brume était apparu ravageant tout sur son passage, les gens appelaient ça un "cauchemar", un esprit humain qui n'avait pas réussi à trouver le domaine mortuaire à temps. Quand un esprit prend trop de temps à s'y rendre, ses souvenirs se désagrègent peu à peu pour qu'ils ne deviennent à la fin qu'une simple masse sombre. Comparé aux monstres qui tombaient en poussière à leur mort, les humains avait encore leur esprit qui devait partir. Pour la vaincre on faisait appelle aux humains aux traits de patience. Ceux-ci pouvaient les faire disparaître à condition que le cauchemar ne soit pas enragé.

Ce jour-là, l'être brumeux était entré dans une colère folle et personne ne pouvait l'arrêter. Ma moitié se trouvant dans sa trajectoire, je me devais de la protéger alors je m'interposa entre les deux. Je ne tolérais pas qu'il puisse lui arriver quoi que ce soit et c'est ce qui fit qu'il s'arrêtait, comme si il arrivait à sentir ma colère. À moins qu'il n'aie vu ce qu'il cherchait ? Ce n'était qu'une brume mais malgré tout j'arrivais à discerner une silhouette humaine qui me fixait comme emplie de détresse et je compris ce regard, comme si je l'avais déjà vécu. Mon corps agit tout seul. Je marchais d'un pas lent vers lui sans craindre ses coups qui, étrangement, me passaient à travers mais je ne m'en préoccupais pas. Arrêtée devant l'être souffrant, je relevais mes mains vers lui sans but précis, attendant juste qu'il accepte mon aide.

Autour de nous, personne n'osait bouger de peur d'agiter le cauchemar de nouveau. Celui-ci finit par frôler mes mains comme pour une simple caresse avant que la brume ne vienne serpenter sur mon corps. Petit à petit, la brume disparut tout comme la silhouette que j'avais aperçu puis c'est celle présente sur moi qui se dissout comme si rien ne s'était passé.

Des souvenirs me revinrent à cet instant précis. Je l'avais déjà fait de nombreuse fois avant et j'avais fini par comprendre la douleur des cauchemars. Pris par des excès de folies dut à leur nouvelle forme, ils cherchaient par tous les moyens ce domaine qui leur apporteraient la paix intérieur et qui les délivreraient de cette brume qui embrouillait leur esprit. Je décida de les aider comme je l'avais fait dans le passé, rejoignant les humains aux traits de patience. Je ne risquais rien avec mon corps sans matière, comme me l'avait prouvé les attaques du cauchemar et je ne craignais pas non plus le vieillissement.

Le temps passait, les souvenirs me revenaient, le monde évoluait. Je regardais ces enfants de la garderie qui, aujourd'hui, préparaient leurs études supérieurs. Je regardais ma moitié qui travaillait maintenant en tant que professeur des écoles, qui était mariée et qui réfléchissait à un enfant. Je regardais ces personnes qui m'accompagnaient contre les cauchemars prendre des rides et fonder leur famille. Je les regardais changer et je me voyais figée. Vivre comme eux m'était impensable dans ma situation et puis si c'était pour voir ceux que j'aimais mourir je passais mon tour. Cette idée me dérangeait sans que je ne sache pourquoi.

Le dernier jour, ma moitié m'avait invité à un pique-nique avec sa famille et je n'avais pas osé refuser. Je me sentais faible, sans force et fatiguée mais je voulais profiter de ce moment de repos avec eux. Nous avions parlé un long moment de ces vingt dernières années passés ensemble et profité du repas avant de simplement discuter tous ensemble.

- Heu... tu es sûr que ça va ?

Ce sont les derniers mots que j'ai échangé avec elle avant que je ne vois mon corps se confondre avec le décor, que je ne vois flou.

Quand j'ai ré-ouvert les yeux, je me trouvais dans ce monde où je suis "née". Cet endroit noir, silencieux, apaisant. Je m'y sentais bien, j'avais l'impression de recouvrer mes forces, d'être plus légère. Je ne sais pas combien de temps je suis restée dans cet endroit mais je ne voulais pas le quitter, il me rassurait.

- Qu'est-ce qui ce passe ? Comment suis-je arrivée là ? Pourquoi j'y suis ? Tu ne te poses vraiment aucune question ?

Je ne savais pas qui me parlait. On aurait dit ma voix mais je savais que ce n'était pas le cas.

- Cet endroit est ma demeure. Un endroit où nous nous retrouverons à chacun de tes voyages. J'espère que tu seras un peu plus bavarde à ta prochaine visite.

- Pourquoi je suis chez toi ?

- Enfin tu te le demandes ! Parce que tu crois que je le sais ? Je suis aussi paumée que toi vu que je ne suis que tes souvenirs.

- Hein ?

- Tu m'as parfaitement comprise. Je suis tes souvenirs dont tu as oublié l'existence. Ce lieu est là juste pour nous protéger du monde environnant. Sans doute que je disparaîtrai d'ici une fois que tu te souviendras de tout. Ho mais ne t'inquiètes pas tu ne seras pas seule ! Tu ne tarderas pas à retrouver une vieille connaissance. Dans très peu de temps même.

Un rire moqueur suivit ses dires avant que soudain, une lumière ne m'aveugle m'extirpant une nouvelle fois de ce monde.

*****

- Et c'est là que tu es arrivée ici !

- Non pas encore Astrid. Il y a encore du chemin avant que je ne te rencontre.

- Alors dépêches de raconter la suite !

- Ça ne te dérange pas que je te racontes tout ça ?

- Bien sûr que non voyons ! Je veux apprendre à te connaître jusqu'au bout de mes chaînes !

Le cliquetis de ses menottes aux chevilles vint comme pour confirmer ses dires.

Je soupira devant son visage enfantin qui me quémandait la suite

- Bon et bien continuons.

Une en deux

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