➳ Chapitre 42 ~ Luke

— Ta sœur ? répéta Emilie, incrédule. Mais, tu m'avais dit que...

— Je sais ce que j'ai dit, répondit Luke, les yeux clos. J'ai menti. Excuse-moi. Je voulais que ça reste...  secret.

    Il rouvrit les yeux et respira un grand coup, détaillant les visages d'Alice et Emilie de ses yeux bleus. Elles le regardaient simplement, un peu mal à l'aise, prêtes à entendre ce qu'il allait leur narrer. Prêtes à entendre quelque chose de triste et de certainement bouleversant. Il mordilla sa lèvre inférieure avant d'ancrer son regard dans les leurs.

— Anna et moi étions très proches, commença-t-il, doucement, les yeux fermés.

    Il revoyait beaucoup de moments heureux passés à ses côtés. Il se rappelait qu'elle grimpait fréquemment sur son dos et lui tirait les oreilles, lui pinçait le nez et les joues, lui ébouriffait ses cheveux blonds trop longs, s'agrippant à lui en riant aux éclats, se moquant de lui parce qu'il râlait en disant qu'il ressemblait à un âne bâté. Il se souvenait aussi qu'il la chatouillait jusqu'à ce qu'elle pleure de rire quand elle allait mal, et qu'elle dormait souvent dans sa chambre, à côté de lui. Elle était effrayée par la solitude, et elle ne supportait pas de rester seule. Elle lui disait qu'elle se sentait rassurée et en sécurité quand elle était avec lui. Il retint une larme.

— Ma petite sœur était un peu casse-cou, râleuse, mignonne et taquine, mais je l'aimais comme elle était. On était toujours fourré ensemble pour inventer des histoires, jouer et faire des bêtises.

— Comme quand elle t'a coupé les cheveux ? lança Mike, en riant

— Inoubliable, renchérit Caitlin, tu devais avoir huit ans et tu avais des escaliers partout ! Ta maman a dû rattraper les dégâts !

— Je crois que tu n'as jamais eu les cheveux aussi courts de toute ta vie ! se moqua Mike

— Ils ont très vite repoussé, sourit Luke, toujours en retenant ses larmes

— Oui, un mois plus tard tu avais à nouveau une sacrée tignasse ! se souvint Mike. Et ta petite sœur recommençait. Sauf que cette fois, ta maman voulait que ça te serve de leçon pour que tu ne te laisses plus faire...

— Et tu es resté pendant un mois avec un côté plus court que l'autre, termina Caitlin, en riant, pour la photo de classe, en plus !

— Et quand on a peint le frigo tous les quatre ! se rappela Luke, en souriant à ce souvenir

— C'était ton idée et vos parents n'avaient pas apprécié, et on s'était fait gronder tous les quatre, parce que tu ne voulais être le seul puni !

— On avait du tout nettoyer, et on avait fait une bataille de mousse, c'était encore pire ! ria Caitlin

— Bref, reprit sérieusement Luke en reportant ses prunelles sur les deux françaises, nous étions inséparables, et nous avions une vie on ne peut plus normale. Parfois, on se chamaillait et on se disputait, mais cela ne durait jamais bien longtemps. Elle me collait souvent, mais cela ne me dérangeait pas.

— Sauf quand c'était devant une fille qui te plaisait, intervint Mike

Emilie et Alice s'esclaffèrent légèrement et Luke eut l'ombre d'un sourire.

— Sauf dans ces cas-là, admit-il, même si ce n'était pas très important. On était un peu comme toi et Simon, conclut-il, en regardant Emilie, tu me la rappelles un peu par moment.

— Oh, fit-elle, en rougissant un peu

— Ne t'en fais pas, uniquement d'un point de vue positif, ajouta-t-il, avec un sourire enjôleur dont, encore une fois, il avait le secret.

Ce qui eut pour effet d'accentuer les rougeurs des joues d'Emilie, qui ne savait plus où se mettre.

Luke la détailla quelques instants. Physiquement, elle ne ressemblait absolument pas à Anna, si ce n'était qu'elle était plus petite que lui. Elle avait, cependant, cette même flamme de curiosité, celle de vouloir tout savoir sur une personne, celle de vouloir lire dans le cœur qu'Anna. Et comme Anna, elle savait quand il ne fallait pas insister, quand il fallait s'arrêter. Comme pendant le spectacle, lorsqu'ils étaient seuls à en parler : elle n'avait pas insisté alors que d'autres comme Mike ou même Caitlin l'auraient fait. Luke retrouvait également en elle cette aura enfantine et un peu naïve qu'Anna avait aussi. Il se souvint que la première fois qu'il l'avait vue, Mike lui avait dit qu'Em ressemblait un peu à sa sœur, et de ce fait, Mike avait détesté Thomas et Luke avait eu envie de la protéger. L'adolescent sourit : voilà qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille...

Alice toussota légèrement :

— Elle était comment,... physiquement ?

— Le portrait craché de Luke, murmura Caitlin, les mêmes cheveux blonds ébouriffés en beaucoup plus longs, les mêmes yeux bleu ciel, la même peau pâle, les traits fins, le même sourire.

— Le même visage que Luke mais féminisé, résuma doucement Mike, mais sans faire un mètre quatre-vingt-cinq.

— Je vois, affirma Alice en souriant affectueusement à Luke

   Il hocha la tête, comparant mentalement sa petite sœur à Emilie. Longs cheveux bruns bouclés et yeux clairs pour elle, et longs cheveux blonds ondulés et yeux bleu ciel pour Anna.

— Et, que s'est-il passé ? questionna Emilie, d'une voix douce, les yeux rivés sur Luke, car il s'est forcément passé quelque chose...

  Luke acquiesça et se rembrunit. Il avait ressenti une étincelle de nostalgie en repensant à tous ses souvenirs, et des braises de bonheur oublié. Une boule se formait déjà dans sa gorge. Respirant calmement, les larmes qui menaçaient de couler s'évaporèrent et il parla.

— On aimait bien aller à Central Park, même si c'était loin de Brooklyn, commença-t-il, d'une voix rauque. On y allait souvent seuls. On prenait le métro, on y passait l'après-midi et on rentrait. C'était sans risques.

Il marqua une pause, ravalant un sanglot avant de reprendre, d'une voix encore plus rauque :

— C'est de ma faute. J'avais insisté pour qu'on y aille ce jour-là. Je m'étais disputé avec mes parents et j'avais besoin de me calmer.

    Il souffla bruyamment, empêchant ses sanglots de franchir ses lèvres et tenta de repousser ses larmes. Il tâcha de reprendre consistance.

— J'avais treize ans et elle dix.

D'un coup, sans prévenir, ses yeux débordèrent et les larmes tant de fois refoulées se mirent à dévaler ses joues.

— Luke..., murmura Emilie, attendrie

— Ça va, la coupa-t-il, d'une voix qui se voulait normale.

Lui qui voulait éviter de pleurer... Raté.

   Elle n'ajouta rien, mais ses yeux en disaient long. Elle ne le croyait pas, et si Caitlin, Mike, Gaël et Alice n'avaient pas été présents, elle l'aurait sans doute étreint si fort que cela en aurait été douloureux.

— On était sur le rocher au-dessus de Central Park, mon endroit préféré. C'est haut.

Un sanglot finit par franchir ses lèvres, et il dut inspirer et expirer calmement pour continuer.

— Je... J'avais faim et je lui ai dit que j'allais nous acheter des churros. Elle adorait ça. Je lui ai dit de m'attendre là où nous étions et de ne pas bouger. Je me souviens qu'elle m'a dit de faire attention en traversant, de me dépêcher et qu'elle aurait préféré m'accompagner. J'ai insisté pour y aller seul. Elle a capitulé, m'a déposé un baiser sur la joue et je suis parti. À mon retour, à peine une dizaine de minutes plus tard, elle n'était plus là...

    Sa voix se brisa à la fin de sa phrase. Il revoyait la scène comme si elle s'était produite hier. Elle était imprimée dans sa mémoire, gravée. Il criait encore et encore, appelait en vain, ayant pour unique réponse l'écho de sa solitude. Péniblement, il reprit, sous les yeux embués des autres, en peinant à articuler :

— J'ai d'abord cru à une blague. Je lui ai crié de sortir de sa cachette, que ce n'était pas une blague amusante. Mais, elle ne venait pas, elle ne sortait pas, elle ne répondait pas à mes appels. Ça m'a inquiété.

  Luke se rapprocha d'Emilie, qui, les larmes aux yeux, ne le lâchait pas du regard.

— Tu vois ce bracelet ? lui dit-il en désignant le fin bracelet argenté qu'il portait au poignet

Elle hocha la tête en reniflant.

— Je le lui avais offert pour ses dix ans, un mois plus tôt. Elle le portait tout le temps, disant que c'était son porte-bonheur. Quand je l'ai retrouvé à l'endroit exact où j'avais laissé Anna, j'ai paniqué.

Un sanglot l'interrompit.

— Alors, continua-t-il, la voix emplie de larmes, je suis redescendu plus bas en pleurant et j'ai tout raconté au premier venu. C'était un homme assez jeune, je crois. Il m'a tiré jusqu'au commissariat le plus proche, après s'être assuré que je ne mentais pas. Ensuite, tout s'est bouleversé et enchaîné rapidement. Mes parents sont arrivés, l'alerte enlèvement a été déclenchée, le bracelet analysé, mais les empreintes digitales présentes appartenaient à un parfait inconnu dont la police ignorait le nom. Il n'y avait aucun témoin. Je suis le dernier à avoir vu ma sœur vivante, et si je l'avais laissée m'accompagner, elle serait encore là...

— Ce n'est pas de ta faute, chuchota Emilie

— Si, sanglota Luke

— Non, bien-sûr que non, lui répondit Alice

— Chaque mois, reprit-il en pleurs, je passe au commissariat pour voir s'il y a du neuf. Mais, il n'y en a pas. Ma petite sœur que j'aimais tant, s'est évaporée.

— Je suis désolée, Luke. Mon coeur est avec toi, lui fit savoir Emilie, la voix empreinte d'émotions

— Je te soutiens aussi. Si tu as besoin d'aide, on est là, ajouta doucement Alice

— Merci, bafouilla-t-il

   Les mains tremblantes, il décrocha doucement le bracelet de son poignet, et, en hoquetant, prit le poignet d'Emilie et le lui attacha, sous son regard interrogatif.

— Luke, commença-t-elle, d'une voix blanche, pour-...pourquoi ? bégaya-t-elle, alors qu'il lui prenait la main

— Car je préfère que cela soit toi qui le porte, répondit-il, le visage ravagé par les larmes, et elle aurait aussi préféré que tu l'aies. Elle m'avait dit qu'elle n'était pas assez jolie pour le porter, quand je le lui avais offert.

    Emilie sourit avant d'essuyer les larmes qui roulaient le long des joues du jeune homme. Il renifla et mordit sa lèvre inférieure pour l'empêcher de trembler.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas pleurer devant toi, vous, se corrigea-t-il

— Tu ne dois jamais avoir honte de tes larmes, répliqua Emilie, presque à voix basse, en le fixant tendrement

   Il lui sourit à travers ses larmes, qu'elle lui essuya à nouveau. Elle finit par craquer et par le prendre dans ses bras, l'enlaçant étroitement et Luke posa délicatement ses mains sur sa taille.

— Ne perds pas espoir, lui souffla-t-elle

— Je ne sais même pas si elle est morte ou en vie, chuchota-t-il, avant d'éclater en sanglots, encore, et d'enfouir son visage dans le cou de la jeune fille

— Ça va aller..., murmura-t-elle, en le serrant plus fort

— J'aimerais te croire. Elle aussi, elle gardait toujours espoir.

— L'espoir est la flamme qui nous fait vivre, cita-t-elle, reprenant les mots de Simon, en resserrant encore son étreinte.

Une perle salée avait roulé sur sa joue.

— Elle nous consume entièrement, on s'embrase et puis on brûle le ciel, souffla Luke, en hoquetant. Mais, la vie est un cadeau empoisonné, laissa-t-il échapper, durement

— Non, Luke, pas empoisonné, répliqua doucement Alice en se rapprochant d'eux

   Ils se relâchèrent et Luke essuya ses yeux d'un revers de main.

— Voilà, déclara-t-il, simplement, en respirant, maintenant vous savez tout.

Alice passa son bras autour des épaules de Luke et le serra très fort à son tour.


Hey ! Luke a tout avoué ! Que pensez-vous de tout cela, de ce qu'il a vécu ? Trouvez-vous qu'il a bien fait de ne rien dire jusque là ? Que pensez-vous de lui ? Dites-moi tout ça

+ Il reste deux chapitres et l'épilogue :(

++ Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me les poser

+++ Des explications seront données dans les deux derniers chapitres (bah oui, pas tout d'un coup :P )

À très très vite !

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