➳ Chapitre 26
Trois semaines. Trois semaines s'étaient écoulées depuis qu'ils étaient repartis. Et, cela faisait tout juste deux semaines que nous avions discuté avec eux. C'était comme s'il s'était écoulé des siècles et des siècles, tant cela me paraissait loin.
A présent, j'étais sur le quai de la gare, à Paris, attendant mon train pour Lyon. Celui d'Alice était parti il y a quelques minutes, et j'espérais que le mien ne tarderait pas.
Un vent glacial s'engouffrait dans la gare, refroidissant chaque parcelle de mon corps.
J'observai toutes les personnes présentes dans la gare, repoussant le sentiment de mélancolie qui me dévastait.
Un jeune couple patientait, non loin de moi, parlant de voyages et d'études. Ils semblaient enthousiastes.
Un vieil homme, silhouette trapue et courbée, était assis sur un banc, le regard vague, triste, perdu, fixant un point de l'horizon, sans ciller. Il soupira, avant de se plier encore plus.
Je ne pus m'empêcher de me demander quelle pouvait bien être son histoire ; qu'est-ce qui avait bien pu lui arriver, pour qu'il ait l'air de crouler sous le poids du monde. Car, chaque être, chaque homme avait une histoire. Derrière chaque visage, chaque sourire, chaque oeil se cachait une histoire, parfois plus dure qu'elle n'en avait l'air.
C'étaient souvent les personnes qui semblent être les plus joyeuses, les plus souriantes et les plus heureuses, qui, dissimulent un sombre secret, une flamme terrible qui les brûlent lentement et qui les tuent à petit feu. Comme Claire, et sans doute Luke.
C'est sur cette pensée que j'embarquai dans le train, qui venait d'arriver. Pensive, je m'assis à ma place et sortis mes écouteurs. We Are Broken résonnait dans mes oreilles et noyait mon coeur dans de la peine, de la nostalgie.
Il y a deux mois, Alice, Mike et Luke venaient chez moi.
Il y a deux mois, je ne voyageais pas seule.
Il y a deux mois, Luke et Mike nous demandait de rejoindre leur groupe.
J'avais l'impression que cela s'était produit il y a une éternité. Je me plaignais que le temps passait lentement ; mais nous étions déjà début mars. Alors que je regardais défiler le paysage morose baignant dans la nuit noire, toujours avec We Are Broken dans les oreilles, j'en profitai pour faire un point sur mon année de seconde, encore :
1) J'étais naïvement tombée amoureuse
2) Je m'étais alors comportée comme une immature
3) Je m'étais faite manipuler comme un vulgaire pantin
4) J'avais ouvert les yeux
5) J'ai rencontré des personnes incroyables
6) Pourquoi m'étais-je immédiatement éprise de lui ?
Oh, le regretter est inutile, enlevons ce point.
6) Je faisais partie d'un groupe
Je pensais que j'avais besoin de m'éloigner de l'amour. Je me trompais lourdement, car sans amour, le monde est fade, terne et sans couleurs. Et puis, l'amitié est une forme d'amour, une des plus belles qui soit. Montaigne ne me contredirait pas.
C'était ce simple mot, ce simple sentiment, qui faisait que notre monde ne tournait plus qu'autour d'une seule et même personne. Si cette personne partait, tout s'écroulait et notre monde sombrait. Si je réécrivais ma phrase au pluriel cela donnerait quelque chose d'aussi vrai. Alice, Mike, Luke, Caitlin en étaient la preuve.
L'être humain tombe et se relève. C'est sans fin. Qu'est-ce qui le fait tomber ? L'amour, que ce soit sous la forme d'amitié ou plus.
Qu'est-ce qui le relève ? L'amour aussi.
L'amour, sous toutes ses formes, est le remède à tous les maux, toutes les douleurs, toutes les souffrances. Car, il fait oublier. On se déconnecte du monde qui nous entoure et on s'oublie. A condition d'être avec les bonnes personnes.
Le plus « drôle » avec l'amour, c'est que souvent nous ne rendons pas compte que nous aimons ; notre entourage s'en aperçoit souvent avant nous. Certains signes ne trompent pas, pourtant, nous refuserons toujours de l'accepter, et ce jusqu'au dernier moment. Je retins alors un gloussement, songeant à Gaël et Caitlin.
Tomber amoureux est toujours rapide, trop parfois. Un coup de foudre. Un simple regard ou même un simple sourire suffit.
« Les yeux sont les fenêtres de l'âme », disait Rodenbach. Eh bien, je dirais que les yeux dévoilent notre vrai visage, ce qui, il est vrai, revient au même.
Comme Luke. Il a l'air heureux, souriant.
Pourtant, il n'y a qu'à se perdre dans l'immensité de ses yeux bleus pour comprendre que ce n'est qu'une façade. Comme si une tristesse infinie le noyait en permanence, comme si un poids l'entraînait et le maintenait au fond, sans qu'il ne puisse remonter...
Je détestais cette impression que j'avais de lui : je me sentais terriblement impuissante, et j'étais spectatrice. Je ne pouvais pas rester les bras croisés. Je voulais le serrer dans mes bras en permanence, comme si une étreinte pouvait améliorer les choses. C'était évidemment faux. J'aimerais tellement l'aider, mais pour cela, il faudrait qu'il parle.
Le front collé contre la vitre glacée, je repensais à tout ce qui nous était arrivé, alors que mes paupières s'alourdissaient. Je ne dormis pas très longtemps ; le trajet entre Paris et Lyon n'étant pas très long.
C'est toute frissonnante que je sortis de mon wagon, me précipitant vers mon grand frère, qui, les mains dans les poches et le nez rougi, patientait sur le quai.
— Enfin ! Je t'attends depuis un quart d'heure ! s'exclama-t-il, en embrassant mes deux joues.
— Désolée, Rudolf, le train avait du retard, répliquai-je, amusée, alors qu'il prenait ma valise, me délestant de son poids.
Nous nous dirigeâmes vers la voiture, en nous racontant toutes nos journées respectives. J'avais vraiment beaucoup de chance. Avoir une relation fusionnelle avec son frère n'était malheureusement pas le cas de tout le monde.
Je m'installai côté passager et allumai le chauffage, frottant mes mains pour tenter de réchauffer mes ongles bleuis, tandis que Simon démarrait, me parlant d'une certaine Aurélie qui était dans sa classe. Connaissant Simon, dans moins d'un mois, ils sont ensemble.
Avec ses cheveux bruns et ses yeux bleus-gris, il en attirait plus d'une. Il comptait bien évidemment sur son regard « à tomber » et sa personnalité originale pour faire craquer cette fameuse Aurélie.
— Emmy ! s'écria soudainement mon frère, en pleine conversation, je dois absolument rencontrer Thomas !
— Pourquoi ? C'est un imbécile ! répondis-je
— Je suis peintre, et en tant qu'artiste, j'ai une mission : redessiner son portrait ! rétorqua-t-il
— Je te laisse faire, dis-je, en riant, alors que nous arrivions.
J'allais enfin revoir mes parents.
— Ne crie pas trop fort en voyant ce que maman a fait, et ce qu'on mange, me glissa Simon, avec un petit sourire, avant d'entrer.
Je venais seulement de passer le seuil de la porte que mes parents m'harcelaient déjà de questions :
— Emilie ! Comment vas-tu ? Tu nous as manqué ! Comment va Alice ? Et Luke ? Et Mike ? Et Caitlin, qui est-elle ? Tu me parles souvent d'elle ? Ils ne te manquent pas trop ? débita ma mère, en un quart de seconde
— As-tu lu tes livres pour le français ? Thomas t'a-t-il embêté ? Comment se passe votre comédie ? continua mon père.
Je posai toutes mes affaires, en répondant à leurs questions, tout en sachant qu'il n'était pas judicieux de parler de Thomas – que tout le monde me rappelait– ; mon père étant à deux doigts d'appeler les parents de ce dernier et de le démolir.
Je faillis hurler quand ma mère m'annonça que nous mangions des sushis... C'était ma nourriture préférée et la meilleure au monde, quoiqu'en disent Mike, Alice et leurs pizzas.
Nous mangions tout en riant et discutant de tout et de rien, et je profitais de l'instant présent : ce type de soirée autour d'une table à partager et échanger m'avait manqué. OK, je le faisais tous les jours avec mes amis, mais ma famille me manquait. Ce n'était pas toujours simple d'être loin de la maison.
J'ouvris de grands yeux, surprise, lorsque ma mère déposa sur la table, devant moi, un album-photos rose pastel.
— C'est pour que tu puisses nous emmener avec toi et te souvenir que nous serons toujours là pour toi, expliqua doucement ma mère, la voix emplie d'émotions.
Je la serrai dans mes bras, ainsi que le reste de ma famille, à savoir mon père et Simon, tout en les remerciant.
— Ouvre-le, déclara mon père.
Je l'ouvris à la première page, et découvris plusieurs photographies datant de quelques années, notamment une de Simon et moi avec la mascotte d'un parc d'attractions allemand. Je souris en me remémorant cette journée. Simon n'avait pas arrêté de répéter en boucle « Guten Tag, ich bin die Maus von Europa Park ! », imitant cette fameuse souris.
Et, c'est ainsi que je redécouvrais mon enfance à travers ces pages. Lorsque je tournai une page, je fus agréablement surprise en découvrant des photos d'Alice, Mike, Luke et moi. Je commençai à rire en me souvenant des moments pendant lesquels elles avaient été prises. Plusieurs d'entre elles avaient été prises à notre insu... notamment une certaine photo de Luke et moi, prise par mon cher grand frère, et une de Mike et moi en plein bataille de coussins.
Mon père se racla la gorge à mesure que je tournais les pages.
— Séance cinéma ? proposa-t-il
— Bien-sûr ! m'exclamai-je, aussitôt.
Notre soirée se termina devant un film d'action, tandis que mes pensées et mon coeur convergeaient, encore et toujours, vers la même personne.
🎶🎶🎶
— Joyeux anniversaire Emmy ! hurla Simon en entrant en trombe dans ma chambre et en allumant la lumière.
— Quoi ? fis-je, à moitié endormie
— Ne me dis pas que tu as oublié qu'on était le 10 mars ?
— Non ! m'exclamai-je, en rejetant la couverture, esquivant, par la même occasion les glaçons que Simon me lançait. Il est 4 heures du matin ! Tu plaisantes, j'espère ? m'écriai-je, en voyant l'heure matinale
— Non ! Prépare-toi ; on va quelques part ! se réjouit Simon
— Où ? demandai-je, avec curiosité
— Chez une souris allemande ! Et tu feras absolument tous les grands-huit ! C'est important, pour tes seize ans !
Je me levai et hurlai de joie. Seize ans ne voulait pas forcément dire mature...
— Je crois que Simon a annoncé à notre fille où nous allons, fit la voix de ma mère, depuis la cuisine
— Je ne crois pas, j'entends, répondit mon père.
Je m'empressai de sortir de mon lit et d'attraper un pantalon noir, un tee-shirt GreenDay et mes converses noires. Une brosse, un élastique et une queue-de-cheval plus tard, j'étais prête.
Après un petit-déjeuner rapide, à 4 heures 30 tapantes, nous étions installés dans la voiture, prêts à partir.
J'allumai mon téléphone et fus surprise de voir qu'il affichait cinquante messages, dont quarante de la part d'Alice, qui semblait m'harceler depuis minuit. Les autres provenaient de Luke, Caitlin, Mike, John, Gaël, Lucie, Emma, Clara et Antoine ; et bien-sûr Simon, qui avait espéré me réveiller à minuit.
Je pris le temps de répondre à chacun d'eux, et à ma grande surprise, Luke me répondit dans la foulée -alors qu'il était minuit et demi à New-York-, me disant de brancher mes écouteurs et que cela venait de lui, Mike et Caitlin. Sur ce, il m'envoya une vidéo. Je cliquai dessus et commençai à rire, en les voyant chanter et jouer une version rock de Joyeux Anniversaire. A peine fut-elle terminée que Mike m'envoya : « C'était la première partie. Tu auras la seconde en mai ! ». J'avais un sourire fixé sur mon visage. Le fait de les avoir vus, même si c'était à travers un écran, me rendait heureuse.
🎶🎶🎶
Je poussai la porte de ma chambre, et m'affalai directement sur mon lit, épuisée par cette journée riche en émotions, et qui n'était pas terminée puisqu'un dîner de famille m'attendait.
Quelques secondes plus tard, mon téléphone sonna : j'avais promis à Alice qu'elle pourrait m'appeler quand je serai rentrée. Je décrochai de suite, avant d'immédiatement éloigner l'appareil de mes oreilles :
— Bon anniversaire ! hurla Alice, à l'autre bout du fil
— Merci, Barbie, la remerciai-je, en rapprochant avec méfiance mon téléphone
— Je ne suis pas une barbie ! Je ne suis pas faite de plastique ! protesta-t-elle
— Peut-être que si, rétorquai-je.
Elle m'ignora et changea de sujet :
— Alors, Simon t'a faite souffrir, je suppose ?
— Oui, j'ai fait toutes les attractions fortes, notamment la plus forte, dis-je, me rappelant la hauteur inquiétante de la descente...
— Et vous avez une photo, j'imagine ? continua-t-elle.
Je savais, qu'à ce moment précis, elle avait un sourire malicieux
— Malheureusement oui...
— D'ailleurs, il faut absolument qu'on dise à Mike ce qu'on va chanter à leur spectacle ! reprit-elle, plus sérieusement ; tu as des idées ? demanda-t-elle
— Oui, attends deux secondes, répondis-je, en me levant de mon lit, me dirigeant vers mon bureau.
J'attrapai la feuille sur laquelle j'avais noté toutes mes idées et lui en proposai quelques unes :
— Que dirais-tu de Mamma Mia ?
— Je nous vois mal la chanter ! Tu en as d'autres ?
— What A Feeling ou Heart By Heart ?
— Pourquoi pas, mais j'ai aussi pensé à La Seine ou à la Chanson Des Jumelles..., suggéra-t-elle
— Ce serait mieux en anglais, objectai-je, cependant je crois qu'il y en a deux qui pourraient te plaire : Skyfall ou Decode, la chanson de Twilight.
— Ah, oui ! C'est le groupe Paramore qui a composé et chanté Decode ! Ce serait mieux, à mon avis, si on chantait Skyfall à deux et si on gardait Decode pour le groupe, parce qu'il y a deux guitares, une basse et une batterie ! Enfin, j'ai décidé qu'il y aurait deux guitares, une basse et une batterie !
— Excellente idée ! m'écriai-je, mais, et Caitlin ?
— Luke m'a dit qu'elle savait jouer de la guitare...
— Wow ! Je ne le savais pas ! m'étonnai-je
— Oui, c'est lui qui lui a appris à en jouer...
— Luke, professeur de musique à ses heures perdues, blaguai-je.
J'entendis le rire d'Alice résonner à l'autre bout de l'appareil.
— Alors, qu'est-ce que cela te fait ? questionna-t-elle
— Quoi ?
— D'avoir une ride en plus, pardi ! s'exclama-t-elle, comme si c'était évident
— Arrête avec cette blague, je la supporte depuis ce matin, et je vais encore la supporter toute la soirée, grimaçai-je.
Elle se moqua de moi... Décidément...
— Ecoute, reprit-elle, tu es la plus vieille, alors assume ton rôle !
— Mike a son anniversaire dans cinq jours ! Et Caitlin dans un mois ! Ce n'est pas de ma faute si toi et Luke êtes d'août !
Nous rîmes encore.
— Je suis désolée, s'excusa Alice, ma mère m'appelle pour le dîner, on se voit dimanche prochain !
— D'accord, à dimanche !
— Et mauvais anniversaire, petite excentrique ! s'écria-t-elle, avant de raccrocher, ne me laissant pas le temps de répondre.
Ah ! Sacrée Alice ! Elle ne changera jamais...
— Emmy, viens dire bonjour ! cria Simon, depuis le salon
— J'arrive ! lui criai-je, avant de courir jusqu'au salon.
✧
Hey ! Comment allez-vous ? :)
On approche tout doucement de la fin de la première partie, il reste exactement deux chapitres ! En attendant, qu'avez-vous pensé de ce chapitre, de l'histoire de manière générale ?
Merci d'être de plus en plus nombreux à me lire ! <3
A très vite !
~ Honey
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