➳ Chapitre 15

   Cette semaine était passée rapidement. Mike, Luke et Caitlin nous avaient aidées, Alice et moi, à écrire quelques chansons pour notre comédie. Finalement, j'en avais donné une dizaine, et le résultat me plaisait beaucoup. Je me demandais si l'une des miennes serait choisie par les professeurs et les élèves. Nous aurions seulement les réponses en janvier, ce qui me paraissait extrêmement long.

A présent, Alice, Luke, Mike et moi étions à la gare Charles de Gaulle, à Paris. Nous venions de composter nos billets, et d'embarquer dans le TGV en direction de Lyon. J'avais hâte de les présenter à ma famille !

Nous étions tous dans le même wagon, mais nous n'étions pas à côté... Mike était d'un côté, Luke de l'autre, Alice à l'arrière, et moi à l'avant. Néanmoins, après une courte négociation avec trois vieilles personnes, nous réussîmes à obtenir un « carré » où nous nous assîmes tous les quatre.

Mike et Luke n'arrêtaient pas de nous regarder, Alice et moi, puis de se lancer des coups d'oeil.

— Bon, finit par dire Alice, que voulez-vous nous dire ?

Tous deux se regardèrent, gênés. Luke fixa Mike avec insistance, lui intimant de parler. Qu'avaient-ils en tête ?

Mike toussota :

— Eh bien, Luke, Caitlin et moi, nous avons formé un groupe, il y a deux ans, et on a joué dans des cafés, et depuis le début de cette année, on poste des covers sur YouTube.

   Alice et moi nous jetâmes un coup d'œil : où voulaient-ils en venir ? Il dirigea ensuite ses yeux sur Luke, l'incitant à continuer. Ce dernier planta son regard azur dans le mien.

— Et nous nous demandions si vous accepteriez de venir dans notre groupe, termina-t-il, toujours en me fixant de ses yeux bleus.

Un sourire éclaira mon visage :

— Evidemment ! m'exclamai-je, les yeux pétillant

— La question ne se pose même pas ! ajouta Alice avec joie.

Mike et Luke se levèrent dans le train et crièrent :

Yes !

   Puis, ils se rassirent rapidement, en raison des regards des personnes aux alentours, qui se demandaient sincèrement pourquoi Mike et Luke avaient été si bruyants.

— Comment s'appelle votre groupe ? questionna Alice

— Justement, répondit Luke, en passant une main maladroite dans ses cheveux blonds

— En fait, on n'a pas de nom ; jusqu'à maintenant, on prenait les initiales de chacun, et cela donnait The Clam, compléta Mike.

C pour Caitlin, L pour Luke, M pour Mike... Et A ? Qui est-ce ? pensai-je

— On pourrait y réfléchir un peu, lança Alice, qui ne semblait pas s'être aperçue du A inconnu.

Nous acquiesçâmes.

— Pourquoi pas The Lucky Day ? proposai-je

— Dans Lucky il y a Luke, alors je suis d'accord ! s'exclama ce dernier

Blue Ocean ? l'interrompit Alice

— Non, ce n'est pas original, argumenta Mike, il nous faut quelque chose qui a du sens pour nous, quelque chose de puissant qui nous transporte.

Sweet Demons ? suggéra Luke

Qui parle à tout le monde, Luke ! maugréa Mike

— Ou Sad Happiness, ou alors Black Angel, non, Sad Joy ! trouvai-je

Sad Joy, j'aime bien, approuva Luke

— C'est une bonne idée, affirma Alice

— C'est un oxymore. Il peut faire référence à tout le monde. On a tous été malheureux dans le bonheur et heureux dans la peine, expliquai-je, on a tous déjà culpabilisé de se sentir bien alors qu'au vu de la situation, on ne devrait pas.

   Je songeai alors à Claire. Claire, c'était cette fille dans mon collège, cette fille qui souriait tout le temps mais que tout le monde pointait du doigt. Elle était dans ma classe, Claire. Elle était ma voisine, Claire. Je lui parlais de temps en temps. Elle, elle m'a dit qu'elle pensait que je pouvais aller à Sainte-Cécile. Elle était forte, Claire. Moi, on me fichait la paix, elle pas. Les derniers mots qu'elle m'avait adressés étaient « Je pars de cet enfer ». Je n'avais pas compris. Je ne la connaissais pas assez, je n'avais pas réagi. J'aurais dû. Mais quelque part, elle était peut-être mieux au milieu des étoiles. Et c'était à ce moment-là que j'avais reçu ma lettre pour Sainte-Cécile.

— J'ai écrit toutes vos idées ! cria Mike me sortant de ma torpeur en agitant un carnet devant mes yeux

— On demandera à Caitlin ce qu'elle en pense, déclara Luke

J'hochai la tête, un sourire aux lèvres, effaçant de mon esprit le sourire brouillé de Claire.

— Quelles covers avez-vous postées ? demanda Alice

What's My Age Again, Centuries, Photograph, Iris, et je crois que c'est tout, répondit Luke

— Qui joue de quoi ? questionnai-je, à mon tour

— Je joue de la basse, Luke de la guitare, Caitlin du synthétiseur et nous chantons tous. Mais maintenant, je crois qu'on a deux guitaristes-chanteurs, un bassiste, une batteuse et quelqu'un au synthétiseur ! expliqua Mike, et donc cinq chanteurs !

— Chouette !

— Mais, ne dites rien à personne, prévint Luke, c'est encore secret.

Alice et moi le rassurâmes sur ce point : nous serons muettes comme des carpes.

Je ne tenais déjà pas en place rien qu'en pensant à présenter Alice, Mike et Luke à Simon et à mes parents ; alors maintenant, je devais me retenir de me comporter comme une hystérique... Tâche difficile...

Mon téléphone vibra dans ma poche : j'avais reçu un message de Clara. Elle s'excusait, encore une fois, pour ce qu'il s'était passé entre Thomas, Lise et moi...

« Si ! C'est moi qui vous l'aie présentée ! Moi qui aie insisté pour qu'elle reste avec nous ! Moi qui...

— Arrête, tu n'y es pour rien » l'avais-je interrompue.

   Nous avions eu ce type de conversation plus d'une fois. Je lui avais dit que je ne voulais plus en entendre parler mais elle refusait de m'écouter. C'en devenait agaçant.

— Encore un message de Clara ? s'étonna Mike, qui s'était penché sur mon écran. Elle...il faudrait vraiment lui faire comprendre que...

— Lise s'est jouée d'elle, et que Thomas n'est qu'un idiot manipulateur et calculateur. Je reste poli, car je pensais à un mot en sept lettres commençant par la lettre C, et...

— Arrête, Luke, intervins-je

— Je vois, sujet sensible ? me taquina-t-il.

Je l'ignorai, sous les regards moqueurs d'Alice et Mike, bien que je sache que Luke plaisantait.

     Ces derniers temps, j'avais dû affronter les visages désolés de quelques rares lycéens, le regard des autres ; certains en avaient profité pour dire que cela n'aurait pas duré entre Thomas et moi. Bien-sûr que cela n'aurait pas pu durer ! Je m'en rendais compte, à présent. Notre relation était vide, creuse. Heureusement, tout le lycée n'était pas au courant de la situation, car dans la salle commune il n'y avait que deux premières, une terminale et Newton. Il me regardait parfois avec pitié, chose que je ne supportais pas. Pourtant, à sa place je ferais exactement la même chose.

Mais Newton n'était pas le seul : je soupçonnais Luke d'avoir légèrement pitié de moi ; mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Quelque chose me poussait à croire qu'il cachait quelque chose, c'était évident. Je le trouvais un peu lunatique : parfois il semblait aussi jovial qu'une montgolfière atteignant le firmament, et d'autres fois, son visage était si fermé qu'il semblait être aux Enfers.

Quant à Mike, il n'y en avait pas deux comme lui ! Un peu énergique, comique, et gourmand ! Rajoutez-lui une dose de malice, et vous obtenez Alice !

Mike et Luke étaient  néanmoins très différents : Mike était plutôt impulsif et un peu brusque, tandis que Luke était plus calme et plus doux. Parfois, ils échangeaient leurs rôles, comme quand Luke s'est laissé emporter pour me calmer ; il m'a dit ce que j'avais besoin d'entendre ; alors qu'à l'inverse, Mike a été plus délicat...

— Tu vas enfin pouvoir me présenter à ton frère ! J'entends parler de lui depuis le début de l'année ! s'exclama Alice, coupant ma réflexion

— Simon, non ? demanda Mike

J'acquiesçai d'un signe de tête. Je ne l'avais pas vu depuis si longtemps !

— Etes-vous proches ? questionna Luke, intéressé

— Oui, beaucoup même.

Il m'a souri, les yeux brillant. Il affichait une mine nostalgique, accompagnée d'un sourire rêveur, qui laissèrent bientôt place à un visage sombre, fermé. Je lus une immense peine dans ses yeux, noyée dans de la souffrance. J'allais lui demander ce qui n'allait pas, mais je n'en eus pas le temps, car mon téléphone vibra à nouveau. Ma mère me prévenait que Simon viendrait nous chercher à la gare.

🎶🎶🎶

— Simon ! m'écriai-je en faisant de grands signes à un grand brun aux yeux bleus -mon portrait craché- qui attendait sur le quai.

— C'est bizarre, vous avez les mêmes cheveux et les mêmes yeux, constata ironiquement Mike

— C'est normal, ils sont frère et soeur, le coupa Luke

— Mais pas la même taille ! acheva-t-il, d'un air moqueur, tandis que nous descendions du train, croulant sous le poids de nos valises.

  Dès que Simon nous aperçut, il se précipita vers nous.

— Bonjour Emmy ! s'exclama-t-il, en me prenant dans ses bras

— Salut Simone ! m'empressai-je de lui répondre.

Il savait que j'abhorrais le surnom « Emmy », tout comme je savais qu'il détestait « Simone ».

— Salut, tu dois être Alice, continua-t-il en étreignant cette dernière qui pouffait de rire.

— Et bonjour, euh..., dit-il, hésitant, en regardant Mike et Luke.

Je ne leur laissai pas le temps de se présenter :

— Le petit blondinet, c'est Luke, et le petit chaperon-rouge, c'est Mike, expliquai-je, en français.

Ces derniers me jetèrent un regard interrogatif, en voyant Alice et Simon s'esclaffer.

— Qu'est-ce que tu lui as dit ? me demanda Luke

— Rien..., répondit malicieusement Alice

— Donc, hello Mike, hello Luke, reprit mon frère en leur serrant la main à chacun, ou du moins essayant...

   J'éclatai de rire en voyant Mike et Luke le saluer gauchement : Mike s'était avancé comme pour lui faire la bise, tandis que Luke s'était approché comme si il allait lui faire une rapide étreinte. Mon frère finit par leur faire une accolade, les saluant à l'américaine, un air amusé sur le visage.

— J'adore ce moment où les étrangers ne savent pas comment dire bonjour ! ne put-il s'empêcher de commenter, en anglais

— C'est compliqué ! Des fois vous collez vos joues et vous faites des bisous gluants dans le vide – ce qui est franchement énigmatique et dégoûtant – et d'autres fois vous vous serrez la main ! s'exclama Mike

Simon se moqua de lui :

— C'est vraiment drôle ! Alors pour que vous soyez prévenus, les parents vont vous saluer avec une accolade ! Moi, j'ai fait exprès de d'abord vous serrer la main pour vous embêter !

  Nous quittâmes la gare pour prendre la voiture. Simon, du haut de ses dix-huit ans, était très fier d'avoir obtenu son permis. Il ne put s'empêcher de le dire, me faisait sourire. Il agita même sous leurs yeux le papier violet. Simon leur posa tout un tas de questions pour les connaître un peu plus.

  Alors que nous étions proches de la maison, Luke eut la brillante idée de parler d'études à Simon :

— Je fais des études scientifiques ! Enfin, je suis encore au lycée, mais mon but est de devenir physicien, et chimiste ! J'adore la chimie des matériaux, la physique nucléaire, la physique quantique, ...

— Ah tiens, tu ne veux plus aller à la fac de médecine ? m'étonnai-je

— Comme je refais ma terminale et que je connais déjà absolument tout, j'ai décidé d'approfondir certaines matières. Et waouh ! La physique c'est vraiment incroyable ! s'enthousiasma-t-il, savais-tu qu'il existait une loi de composition du mouvement ? Et des référentiels étranges ? Et que le sens dans lequel tourne le vent des cyclones dépend de la force de Coriolis ?

   Simon ne s'arrêta pas de parler. Nous l'écoutions tous avec intérêt. Les sciences l'avait toujours passionné, et c'était bien la passion qui émanait de sa voix qui nous poussait à ne pas l'interrompre. Il stoppa son monologue passionné quand il se gara devant chez nous.

— Vous avez une jolie maison ! complimenta Alice.

   Notre maison était pourtant simple. Ses mûrs étaient bleu-pâlissant et les fenêtres étaient encadrées de bleu foncé. Elle comportait un sous-sol et deux étages. Au premier se trouvaient la cuisine, le salon, une salle de bains, et nos deux chambres. Au second, il y avait la chambre de mes parents, une deuxième salle de bains et notre ancienne salle de jeux, dans laquelle se trouvaient toutes nos peluches et tous nos jouets, ainsi que de vieilles affaires datant de l'école primaire.

  Je sortis de la voiture avec mes trois compatriotes, impatiente de les présenter à mes parents. Simon prit mon sac à dos et celui d'Alice, avant de se diriger vers la porte d'entrée.

— Ne faites pas cette tête, personne ne va vous manger ! les rassura-t-il en voyant le teint pâle de Mike

— Accolade, hein ? fit simplement mon correspondant, en avalant sa salive

— Accolade, confirma Simon, et puis tu sais papa est américain, alors franchement, tu es bien tombé !

   A ces mots, mon frère enfonça ses clés dans la serrure et rentra le premier en criant :

— Salut !

   Le visage souriant et accueillant de ma mère apparut à l'embrasure de la porte, précédé par celui de mon père. Alice rentra juste après moi, et Mike ferma la marche. Et comme Simon l'avait dit, les américains eurent droit à une accolade, à leur plus grand soulagement. Mike eut l'air particulièrement jovial quand on lui annonça qu'on allait manger...

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