II. Soirée entre amis
Le couple arriva à dix-neuf heures tapantes devant la porte d'appartement de la famille Pinot. Ils y avaient été conviés quelques jours auparavant afin de fêter le contrat que venait de signer Georges Pinot avec un riche architecte privé de la ville. Ce dernier demeurait un vieil ami de Léonard, lui aussi poète il avait beaucoup aidé le plus jeune à s'inscrire parmi les plus grands poètes de leur temps. Ainsi avaient-ils réussi par leur travail acharné, jamais ils ne s'étaient perdus de vue.
Après avoir emprunté les escaliers qui les menèrent au troisième étage, Jeanne en profita un instant pour replacer le nœud papillon brun foncé qui décorait la chemise blanche ainsi que le veston et la veste de costume que Léonard avait pris soin de vêtir. Sa tenue tendait à une nuance de marron qui s'accordait hasardeusement avec la robe gris-kaki et le tablier brun clair pour laquelle la vieille femme avait choisi.
Le concerné, captif du regard doux qui lui faisait face, arrangea une mèche blanche quelque peu rebelle qui s'échappait du chignon pourtant bien coiffé de Jeanne. Celle-ci ne put cacher le léger sourire qui apparut au coin de ses lèvres.
« Jeanne ! Léonard ! Quel plaisir de vous voir !
— Bonsoir Georgette, nous espérons que nous ne sommes pas arrivés trop tôt ? Salua Léonard avec élégance.
— Vous êtes pile à l'heure, entrez donc Anne va débarrasser vos affaires. »
La concernée, par un sourire timide, ôta les manteaux des invités avant de disparaître par une porte ornée sur le côté gauche de l'entrée. La maîtresse de maison les guida jusqu'à la pièce principale avec enthousiasme.
Lorsque le couple pénétra dans la salle, l'attention du poète s'arrêta sur un autre couple qui était déjà assis sur une banquette à motif floral vert émeraude. Alors que l'homme âgé installé face au maître des lieux demeurait en pleine discussion, l'attention de sa femme qui lui était accordée dévia à l'encontre des trois adultes qui venaient de faire irruption dans la pièce.
« Voilà donc les derniers arrivés, déclara-t-elle par malice.
— Décidément nous ne ferons jamais plus en avance que vous, répondit avec ironie Léonard.
— Vous savez ô combien le temps est un ennemi pour Henri.
— C'est une chance que vous soyez arrivé à l'heure, exclama le concerné, je frôlais une belle syncope ! »
Les trois couples éclatèrent de rire avant de s'adonner à des embrassades chaleureuses qui nourrissaient le feu ardent de la cheminée.
« Alors Henri, est-il vrai que vous êtes à la tête de l'agrandissement de la gare Saint-Lazare ? interrogea Léonard en s'asseyant à table.
— Effectivement il se pourrait ! En plus de cela mon vieil ami, monsieur Lisch a un projet de construction, il aimerait un hôtel pour accueillir les visiteurs de la prochaine Exposition Universelle.
— C'est une belle idée ! S'emporta un peu Louis Pinot avant de s'approcher de ses amis, si vous voulez mon avis le monde doit mesurer de lui-même cette avancée considérable de la France. J'ai hâte de lire la presse étrangère à ce sujet.
— Et c'est une bonne opportunité pour vous mon cher, j'espère que Carnot vous fera plus ample confiance que Ferry, reprit Léonard d'une voix basse.
— Il semblerait que ce soit le cas, mais je préfère ne pas m'avancer et attendre le moment venu pour crier victoire. Nous savons tous que l'humain change d'avis autant qu'il ne pense. »
Si les hommes continuaient de discuter avec enthousiasme de politique, Jeanne Poirier, Georgette Pinot et Pauline Durand se trouvaient elles aussi en pleine conversation. Les sujets étaient divers et chacune écoutait les autres afin de répondre ou de rebondir à leurs propos.
Les trois couples se rencontrèrent il y avait de cela plusieurs dizaines d'années, lorsque Georgette présenta à Pauline l'ami de son frère, qui par malheur était devenu veuf. L'alchimie s'était donc créée dès l'instant où Henri posa les yeux sur sa future épouse. Un vrai coup de foudre. Madame Pinot avait longtemps été envieuse de cet émoi, lorsque l'on savait qu'elle avait subi les premières années son mariage arrangé. Mais comme à son habitude le temps avait bien fait les choses.
L'histoire d'amour de Jeanne et Léonard demeurait bien différente des deux autres. Cette fameuse rencontre plus de soixante-quatre ans auparavant avait bousculé leur vie et cette chance qui n'arrivait que très peu en leur siècle, avait béni le couple pour des jours heureux. Aucun jour sombre n'avait pu les séparer : ils voyageaient, découvraient et vivaient ensemble, sans jamais se quitter.
Ils ne pouvaient se résoudre à rester loin l'un de l'autre.
« D'ailleurs Jeanne, la mémoire de Léonard lui fait-il encore défaut ? Demanda Georgette en débarrassant la table de la cuisine.
— Toujours, nous avons vu un médecin la semaine dernière parce que Léonard était inquiet mais il semblerait qu'il n'y ait rien d'anormal, répondit Jeanne après un soupir.
— Je n'ose imaginer sa frustration, ajouta Pauline en essorant un chiffon gris.
— Oh si vous saviez ! Encore hier il rouspétait en écrivant. Plus le temps passe, plus ses idées lui échappent. C'est aussi frustrant pour lui que pour moi parce que je ne sais comment l'aider.
— Apprendre à vivre avec est la meilleure solution.
Jeanne acquiesça d'un signe de tête, ses pensées lui donnaient quelques idées pour aider l'homme qu'elle aimait.
— La vieillesse est dure avec le corps, heureusement que Louis est là sinon je ne pourrais monter les escaliers à chaque fois que je rentre du marché.
— Ma chère amie vous devriez prendre une canne cela vous aidera, conseilla Pauline, Jeanne en est le parfait exemple.
— Pour tout vous dire, si Léonard n'avait pas insisté je n'en posséderais pas. Mes hanches ont eu raison de mon entêtement.
— Voilà qui est bien mieux ! »
Des sourires décoraient la cuisine.
Après le délicieux repas, madame Durand s'installa au piano, attirés par les touches blanches et noires, ses doigts se mirent à danser sur l'instrument. Ses yeux se fermèrent, touché par la mélodie douce qui atteignait les tympans de la petite assemblée. La balade musicale poussa Léonard à se rapprocher de son épouse. La musique demeurait une passion commune, un art qui les touchait en plein cœur et les connectaient par le fil invisible de leur amour.
« Je vous aime ma douce Jeanne. »
Ses lèvres se posèrent délicatement sur son nez, lui provoquant toujours des frissons. Leurs cœurs se connectèrent par un regard, il plongea dans son bleu océan qui charmait chaque parcelle de son corps. Jeanne ne put s'empêcher d'arborer un sourire, ne connaissant que trop bien les habitudes de son époux.
Le contact visuel s'arrêta lorsque le poète décida de prendre sa main droite avec la douceur qui lui était toujours réservée avant de déposer un léger baiser sur le dos.
Un feu d'artifice explosa dans sa cage thoracique.
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Alors qu'avez-vous pensé de cette scène ?
J'avoue que ce n'est pas vraiment mon passage préféré mais le meilleur reste à venir :)
N'hésitez pas à me laisser votre avis, je lis avec grand plaisir !
A mardi prochain ! <3
Lauren
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