Chapitre 9 : Fin de la première journée d'enquête
Les interrogatoires avaient pris toute la journée des détectives. Il était temps qu'ils rentrent chez eux. Mais avant ça, ils devaient encore faire le débriefe de leurs premières impressions à Patron qui les attendait inlassablement aux bureaux, même un samedi soir.
« —Pour résumer, fit Patron après avoir entendu le récit de ses détectives, nous avons une famille entière de suspecte. Eux pensent, à la quasi-unanimité à un suicide, mais le majordome vient démentir cette hypothèse. Et si c'était le majordome qui mentait ?
—On y a pensé, lui répondit Maggie. Mais pour le moment, nous n'avons pas plus d'éléments que ça, alors nous ne pouvons pas nous diriger plus vers une piste qu'une autre.
—C'est normal à ce stade de l'enquête. Le contraire m'aurait vexé d'avoir accepté une requête aussi simple, bien qu'elle soit quand même relativement banale et que je pense avoir déjà découvert le coupable rien qu'à vous écouter. »
Il bluff, ce n'est pas possible autrement, songèrent les détectives déstabilisés par l'assurance de Patron.
« —Mais je n'attends pas de vous que vous en soyez déjà là, reprit ce dernier en voyant la tête abasourdie des deux compères. Il ne faudrait pas que vous bâcliez cette enquête. Vous y retournerez demain pour passer un peu de temps avec cette famille.
« Et ne vous désintéressez pas de la benjamine. Je pense qu'elle peut, en effet, vous être utile. Le corps sera autopsié lundi matin. Vous passerez donc à l'IML en début d'après-midi. Maintenant, je ne vous retiens pas plus longtemps et vous laisse profiter de votre samedi soir. Au-revoir. »
Sans attendre de réponse, Patron quitta l'open-space et retourna se terrer dans son bureau personnel.
« —T'as prévu quoi ce soir ? demanda Ewen à sa collègue pendant qu'ils quittaient les lieux.
—Encore une soirée déballage de cartons et installation, soupira Maggie. C'est dingue tout le bazar qu'on a accumulé, même dans notre petit appartement. Mais je crois qu'on tient le bon bout. Et demain, on devait faire la peinture de notre salle de bains, mais ça va devoir attendre à cause de l'enquête...
—Bon courage ! Si vous avez besoin d'un coup de main, n'hésitez pas.
—Merci Ewen. Et toi, tu fais quoi ce soir ?
—Aurélie voulait sortir, alors je pense qu'on va aller au cinéma ou au restaurant. Ou les deux, vu qu'il n'est pas encore trop tard. »
Les deux amis se saluèrent ensuite et rentrèrent chacun de leur côté.
Maggie vivait avec Alex, son petit-ami depuis de nombreuses années. D'abord instable, l'homme 12 ans plus vieux qu'elle avait émis le souhait, il y a presque deux ans de cela, de faire construire leur maison à tous les deux. Ainsi, un an auparavant, la construction avait démarré et ils étaient à présent le nez dans les travaux d'embellissement et les cartons depuis la remise des clés en début d'année.
De son côté, Ewen entretenait une relation amoureuse avec Aurélie, la meilleure amie de Maggie, depuis un peu plus d'un an. Ils avaient récemment emménagé ensemble et luttaient main dans la main contre le cancer de la jeune femme.
Maggie gara sa voiture dans l'allée de sa maison et franchit le pas de sa porte. Une douce odeur de nourriture épicée vint lui chatouiller les narines. Grand amateur de popote, Alex était encore derrière les fourneaux dans leur cuisine aménagée flambant neuve, pour son plus grand bonheur.
« —Je pensais que tu rentrerais beaucoup plus tard, fit le professeur en embrassant sa compagne qui vint se poser près de lui, alors ce ne sera pas prêt tout de suite.
—C'est quoi ? demanda Maggie en jetant un regard curieux sur la marmite qui cuisait doucement.
—Un chili végé. Ça te va ?
—Évidemment.
—Pendant que ça mijote, on va terminer de vider nos cartons ? Je n'en peux plus de voir notre bureau encombré.
—Oui, on a qu'à faire ça, soupira la jeune femme.
—Allez, courage, ce sont les derniers. Et puis après tout, c'est de notre faute, on n'aurait pas dû traîner autant. On a un peu abusé sur la procrastination.
—Mais c'est chiant de déballer les cartons. »
Alex baissa l'intensité de la plaque de cuisson à induction au minimum, un sourire attendrit sur les lèvres, et les deux amoureux se rendirent dans leur bureau, dernière pièce encore prise d'assaut par leurs cartons de déménagement.
Alors que Maggie était assise en tailleur sur le sol, une pile de papiers à trier sur les genoux, son petit-ami l'interpella :
« —J'ai retrouvé ta carte d'identité ! Elle était dans le carton « tiroir du bas ». J'en fais quoi ?
—Passe-la-moi, lui répondit-elle. Je vais la détruire puisque j'ai dû la refaire-faire. »
Alex zigzagua entre les cartons, meubles et autres piles d'objets à classer et ranger, puis il donna la petite carte couleur bleue à sa propriétaire. Cette dernière allait la ranger dans sa poche pour la découper et la jeter plus tard mais son regard s'y attarda un instant et une bouffée de tristesse prit possession d'elle.
Maggie Annisterre.
Rien d'autre. Pas de 2e prénom, et encore moins de 3e. C'était comme si elle ne s'inscrivait dans aucune filiation. Comme si elle n'était l'enfant de personne. Et un nom qui n'évoque rien d'autre que des sacs à main lorsqu'on le tape dans Google, ainsi que la page Facebook nouvellement créée de son frère, sa seule famille biologique connue, mais tout autant orphelin qu'elle.
Maggie était une enfant de l'Aide Sociale à l'Enfance. Ses parents sont décédés lorsqu'elle était bébé et son frère pas beaucoup plus vieux. C'était apparemment une overdose aux drogues dures. Enfin ça, c'était l'explication des éducateurs. En réalité, Maggie n'en avait jamais eu la preuve. Pas de dossier. Perdu. Toute une partie d'existence effacée par mégarde.
La jeune femme avait passé sa vie de foyers en familles d'accueil avant d'enfin en rejoindre une qui l'éleva comme leur propre fille et chez qui elle se sentait bien. Ils avaient tenu bon. Ils étaient passés au-dessus de ses difficultés comportementales, ce qui lui avait permis de se poser. De mûrir, de devenir une femme épanouie. Elle avait même pu passer sa licence et trouver un travail grâce à eux. Ils l'avaient sauvée.
Son frère avait eu beaucoup plus de chance qu'elle puisqu'il avait directement été proposé à l'adoption et s'était retrouvé au sein d'une famille aimante dans laquelle il avait grandi. La fratrie s'était retrouvée réunie par le plus grand des hasards deux ans auparavant, dans le cadre de leurs professions.
« —T'en fais une tête, fit gentiment remarquer Alex. C'est ta photo d'identité qui te rend triste ? »
Maggie répondit à son conjoint par une grimace. Il se remobilisa alors dans la tâche qu'il venait de mettre en pause et qui consistait à remonter leur bureau, revalant difficilement une flopée d'injures en tout genre, tandis que la jeune femme se remit à fixer son ancienne pièce d'identité avec un pincement au cœur.
« —Alex ? finit-elle par le rappeler au bout de quelques secondes.
—Oui ? répondit ce dernier concentré à ne pas se pincer les doigts entre deux planches en bois.
—C'est quoi déjà tes deuxièmes et troisièmes prénoms ?
—Atanas, Jean, Damyan. J'ai quatre prénoms.
—Ils signifient quoi ?
—Il y a le prénom de mon père et ceux de mes deux grands-pères. Pourquoi ? Pourquoi me le demander seulement maintenant ?
—Parce que moi je n'en ai aucun autre que mon prénom principal. Et c'est difficile d'en parler.
—Peut-être que tes parents n'avaient pas envie de t'en donner d'autres. Pour ce qu'ils servent, franchement, autant ne pas se prendre la tête avec ça. En plus, je ne connais ni mon père, ni son propre père, alors je trouve ridicule de porter leurs noms. »
Tout ce qu'Alex savait de son père, c'est qu'il était d'origine bulgare et, qu'après avoir reconnu son fils et l'avoir élevé les deux premières années de sa vie, il était finalement retourné dans son pays du jour au lendemain sans laisser d'adresse. Atanas était un tabou pour Valérie, la mère d'Alex. Il aurait aimé lui poser plus de questions, mais elle ne lui en laissait pas le droit. Il s'y était finalement fait avec les années. Peut-être était-il déjà mort. Peu lui importait. S'il ne l'avait pas élevé, il ne méritait pas qu'Alex s'intéresse à lui.
« —Mmh, lui répondit Maggie peu convaincue par la réponse qui venait de lui être apportée.
—Quoi ? insista Alex.
—Rien. »
Il n'insista pas et les deux amoureux continuèrent d'aménager leur bureau une bonne partie de la soirée avant d'aller manger. Enfin, ils se couchèrent, exténués.
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