Chapitre 7 : Interrogatoires - Partie 2

  Mathias, le fils de Francine et Bernard, s'assit de manière désinvolte dans le même fauteuil que son oncle peu de temps auparavant. Il se présenta succinctement avant de regarder les détectives avec un air de défi.

« —Quelle était votre impression sur la soirée d'hier ? demanda Ewen sans se laisser impressionner par l'homme qu'il avait en face de lui.

—Longue et chiante. Même si mon grand-père avait encore été en vie, ça aurait été ma dernière participation. Ma famille est ennuyante. J'ai besoin d'aller de l'avant, tandis qu'eux m'oppressent.

—Vous pouvez développer ?

—Je suis un original. Je n'entre pas dans les cases. Et ça, ils le détestent. Ils voudraient que je mène une vie stable, mais ça ne m'intéresse pas.

—Que faites-vous dans la vie ?

—Je suis en train de monter mon business.

—Quel business ?

—Je suis obligé de vous répondre ?

—Non.

—Alors je garde ça pour moi. Ça ne fera pas avancer l'enquête.

—Si vous le dites.

—Je le dis.

—Et sinon, vous vous entendiez comment avec votre grand-père ?

—Ni bien, ni mal. J'ai de tendres souvenirs d'enfance avec lui. Ça s'arrête là.

—Il ne vous soutenait pas plus que les autres dans vos projets ?

—Si, un peu. Sans plus. »

  Il agaçait énormément Ewen. Était-ce un rôle ou était-il vraiment comme ça au quotidien ? Si c'était dans sa nature, il ne devait pas se faire beaucoup d'amis, songea le détective.

« —Que pensez-vous qu'il lui soit arrivé ? poursuivit Ewen.

—Je vais suivre l'opinion majoritaire, je vais dire qu'il s'est suicidé.

—Et selon votre opinion à vous ?

—Oui, il a sûrement dû se suicider.

—Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?

—Qui ne craquerait pas en restant seul dans ce grand manoir dans un département où il ne fait jamais beau, et à passer ses journées à inventer des meurtres ?

—Ok. Autre chose à ajouter ?

—Non, aucune.

—Vous pouvez y aller. Envoyez-nous quelqu'un d'autre s'il vous plaît. »

  Lentement et avec un sourire sarcastique, Mathias quitta la pièce. De longues et interminables minutes plus tard, au point où les détectives allaient s'impatienter et chercher eux-mêmes le prochain à interroger, un homme à l'allure renfermée entra dans la pièce.

À peu près du même âge que Mathias, l'homme paraissait nettement moins extraverti. Il devait sûrement revenir de l'extérieur car il n'avait pas enlevé son trench. Il se tenait très droit.

  Les détectives se présentèrent avant qu'Ewen ne mène à nouveau l'interrogatoire :

« —Pouvez-vous vous présenter s'il vous plaît ?

—Je m'appelle Norman Laluthe. Je suis le fiancé d'Eugénie que vous n'avez pas encore rencontrée. Il s'agit de la sœur du charmant homme qui vient de vous quitter. »

Il avait prononcé cette dernière phrase avec, plus que de l'ironie, du dégoût.

« —Vous n'avez pas l'air de le porter dans votre cœur, fit remarquer Ewen.

—Je ne le sens pas du tout. Il est trop louche, il cache quelque chose, c'est évident.

—Et vous ? Vous avez quelque chose à cacher ?

—Énormément. Mais ces choses ne concernent en rien cette enquête.

—C'est ce que nous verrons. C'est la première fois que vous participiez à ce genre de soirée ?

—Oui. Notre relation, à Eugénie et moi, est très récente.

—Vous n'aviez jamais rencontré Arthur de Linthe avant ce soir ?

—Absolument jamais.

—Que pensez-vous qu'il lui soit arrivé ?

—Aucune idée. Mais ça ne m'étonnerait pas qu'il ait été refroidi. Et pourquoi pas par Mathias ? Vous devriez vous orienter sérieusement vers cette piste.

—Merci du conseil. En avez-vous d'autres à nous communiquer ?

—Non. Je ne connais pas cette famille et leurs histoires. »

   Les détectives congédièrent Norman avec la même consigne qu'aux autres : leur ramener la prochaine personne à interroger.

« —Il est spécial, soupira Ewen.

—Oui, lui répondit Maggie. Ses intentions ne sont pas claires. Et j'ai l'impression qu'il ne nous dit pas tout sur sa relation avec son beau-frère.

—J'ai eu la même impression. »

   Leur conversation n'alla pas plus loin car on frappa à la porte. Une femme qui ressemblait énormément à Francine fit son apparition. Les détectives la saluèrent, se présentèrent et l'invitèrent à s'installer sur l'un des fauteuils. Elle choisit celui de gauche.

« —Pouvez-vous vous présenter s'il vous plaît ? demanda Ewen.

—Je m'appelle Eugénie Bailleul. Je suis la fille de Francine et Bernard Bailleul, la sœur de Mathias, la fiancée de Norman, et la petite-fille d'Arthur de Linthe.

—Au moins, c'est précis. Quelle relation entreteniez-vous avec votre grand-père justement ? »

Une larme roula sur la joue d'Eugénie avant d'aller s'écraser sur le tapis coloré.

« —Je l'aimais tendrement, finit-elle par dire. Il était un grand-père incroyable. C'était un homme passionné et passionnant. Je me revois, toute petite, lorsqu'il me portait sur ses épaules pour que je dérobe le bonbon qu'il avait caché spécialement pour moi sur une étagère, et faire comme si je l'avais trouvé seule. »

  Ewen marqua une courte pause afin de laisser Eugénie vagabonder dans ses douces pensées un instant, un sourire attendrit sur les lèvres et les larmes qui ruisselaient toujours le long de ses joues pâles.

« —Que pensez-vous de ces petites soirées qu'il organisait deux fois par an ? reprit le détective doucement afin que le retour au présent ne soit pas trop dur pour Eugénie.

—Je les adorais, lui répondit-elle. J'adore revoir ma famille, et voir mon grand-père heureux dans l'univers qu'il venait de créer, ça n'a pas de prix. Et hier était une soirée spéciale puisque je lui présentais Norman.

—Vous faites très bien d'en parler car j'ai quelques questions à son sujet.

—Au sujet de Norman ?

—Oui. Comment l'avez-vous rencontré ?

—Grâce à des connaissances communes. Vous savez, ces amis qui pensent que vous êtes forcément malheureux d'être seul et qui se sentent donc obligés de vous faire rencontrer tout leur répertoire de célibataires. Eh bien, je dois dire que cette fois, ils ont eu raison de le faire.

—Votre compagnon connaissait-il votre frère avant vous ?

—Non, pas du tout. Pourquoi ces questions ? Qu'a fait Norman ? Et mon frère, qu'a-t-il à voir avec lui ?

—À priori, rien.

—Alors pourquoi insister ? Je sais que Norman est... comment dire...? Mystérieux. Il ne parle pas beaucoup, il est très introverti, et il ne laisse pas beaucoup la place aux affects. Mais je peux vous dire qu'il s'agit d'un homme formidable. Un puits de savoirs. Et il est très gentil quand on apprend à le connaître. Quant à mon frère, il peut être détestable par moments, mais il est adorable lui aussi, je vous l'assure.

—D'accord. Alors changeons de sujet. Avez-vous remarqué quelque chose d'anormal hier soir ?

—Oui. Le scénario. Il n'y en n'avait pas vraiment. Et ça ne ressemblait pas à mon grand-père.

—Quelles conclusions en tirez-vous ?

—Je crois qu'il commençait à souffrir de démence. Laquelle ? Je ne sais pas, mais ce n'était pas lui.

—Que pensez-vous qu'il lui soit arrivé ?

—Je penche plutôt pour un suicide. Mais, au regard du contexte, enfin, je veux dire, de votre présence, je commence à avoir des doutes.

—Dans ce cas, suspectez-vous quelqu'un ?

—Non. Imaginer qu'un membre de ma propre famille ait pu faire ça, c'est insoutenable. Impossible. »

  Alors peut-être ton Norman, songea Maggie sans s'arrêter de noter.

« —Je comprends, poursuivit Ewen. Avez-vous autre chose à ajouter ?

—Non, je ne vois rien de plus qui pourrait vous aider.

—D'accord. Merci de votre participation. Pourriez-vous nous envoyer quelqu'un d'autre s'il vous plaît ? »

   Eugénie accepta, salua les détectives, et quitta la pièce. Quelques secondes plus tard, suffisamment peu de temps pour imaginer qu'il se tenait déjà derrière la porte, un vieil homme au style absolument ringard, entra dans la pièce.

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