Chapitre 5 : Première approche sur les lieux du crime
La route fut agréable sous le beau soleil de septembre. Ewen et Maggie arrivèrent en un rien de temps à Hide Manor. Le jeune détective arrêta tant bien que mal la voiture devant le magnifique portail en fer forgé. Une foule de journalistes piétinait dans l'espoir de saisir la meilleure photo possible ou, mieux, le scoop qui fera vendre.
Ewen alla sonner à l'interphone puis, lorsque la barrière lui fut ouverte, il remonta dans la voiture aux côtés de son acolyte et s'engouffra dans la propriété privée sous les regards d'envie des journalistes. Au bout du chemin, les deux détectives furent accueillis par le lieutenant Messant et, sans surprise, Raphaël Potéo qui la suivait comme un chewing-gum collé à sa semelle. Ils se saluèrent tous.
« —Comment t'as encore fait pour entrer ? demanda Ewen à son collègue journaliste.
—Grâce à la phrase magique du lieutenant, lui répondit Raphaël. « Il est avec nous ». Le meilleur des laisser-passer.
—T'as dû faire des envieux. Il y a un tas de tes confrères agglutiné devant le portail.
—C'est toujours aussi jouissif comme situation, j'adore. »
Raphaël Potéo travaillait officiellement en tant que journaliste pour le journal local. Officieusement, c'était la fouine de Patron. Grâce à ce statut, il avait quasi systématiquement l'avantage d'être immergé en plein dans les enquêtes que menaient les détectives. Ainsi, Patron avait le pouvoir de contrôler les médias et de fournir à ses hommes les informations qu'il pouvait glaner.
« —C'est donc ici que le corps d'Arthur de Linthe a été retrouvé ? demanda Maggie à l'attention du lieutenant Messant.
—Exactement, lui répondit cette dernière. »
Ludivine Messant, grande rousse au caractère bien affirmé, était lieutenant de gendarmerie. Patron et elle travaillaient en lien étroit. Pas une enquête menée par les détectives n'échappait au lieutenant. C'était une femme à l'efficacité redoutable et au sang-froid à toute épreuve.
« —Arthur de Linthe a été retrouvé mort au petit matin dans son lit, poursuivit le lieutenant. Il s'agirait d'une overdose médicamenteuse couplée à une importante prise d'alcool. Il prenait des cachets pour réduire sa tension artérielle. Les boites ont été retrouvées vides dans sa salle de bain. Concernant les verres, ils ont malheureusement tous déjà été lavés par son majordome.
« Pour sa famille, ce serait un suicide. Il vivait seul ici. Sa femme est morte prématurément il y a de nombreuses années, et ses deux filles ont leurs vies trop remplies pour pouvoir venir lui rendre visite régulièrement. La solitude et son hobby d'écrivain aux œuvres toutes plus sombres les unes que les autres auraient eu raison de lui, selon eux.
—Ce n'est pas de votre avis nous a dit Patron ? questionna Maggie.
—Non. J'ai de gros doutes. Mon instinct de flic me dit qu'il y a anguille sous roche. De toute façon, comme pour n'importe quel suicide, une enquête doit être menée. Je leur ai donc conseillé de faire appel à vous pour plus d'efficacité.
—Qui s'est montré réfractaire ?
—L'un de ses gendres. Il ne voulait pas dépenser son argent en, je cite, « conneries de détectives privés ».
—Qui l'a raisonné ?
—Sa femme. Elle est très affectée par la perte de son père alors elle ne lui a pas laissé le choix, elle veut des réponses au plus vite.
—Il m'a plutôt l'air d'être suspect ce gendre, lança Ewen.
—Vu les sommes d'argent en jeu, lui répondit le lieutenant, ils sont tous suspects. Maintenant, à vous de démêler tout ça. Avez-vous des questions ?
—Quand a lieu l'autopsie ? demanda Maggie.
—Le corps devrait être emmené d'une minute à l'autre. Il passera entre les mains des médecins légistes en priorité lundi matin. Sauf si ton frère veut bosser ce weekend. »
Bastien, le frère de Maggie, était médecin légiste à l'institut médico-légal de Jouville. Séparés et sans nouvelles l'un de l'autre pendant plus de vingt ans à la suite de la mort de leurs parents, ils avaient fini par se retrouver par hasard il y a peu.
« —D'autres questions ? s'enquit le lieutenant.
—Non, lui répondirent les détectives d'une seule voix.
—Bien. Vous savez où me trouver en cas de besoin. En attendant, je vous souhaite bon courage pour votre enquête. »
À ces mots, le lieutenant retourna vaquer à ses occupations professionnelles. Les détectives se mirent donc en quête des membres de la famille d'Arthur de Linthe afin de commencer leurs interrogatoires. C'est en ouvrant la porte d'entrée du manoir qu'ils tombèrent nez à nez avec une magnifique femme aux cheveux ébène avec une mèche entièrement blanche sur le devant.
« —Oh ! lança cette dernière par surprise. Bonjour. Vous êtes ?
—Ewen Mercier et Maggie Annisterre, se présenta le jeune homme. Les détectives privés que vous avez engagés.
—Enchantée. Je suis Francine. La fille de... »
Sa voix se brisa et ses yeux s'emplirent de larmes.
« —...la fille d'Arthur de Linthe, dit-elle avec un sanglot dans la voix.
—C'est vous qui nous avez missionnés ? s'enquit le détective.
—Pas vraiment. C'est plutôt ma sœur. Vous désirez la voir ?
—Comme on vous a sous le coude, on va commencer avec vous si vous n'y voyez pas d'inconvénient ?
—Non, aucun. Je suis libre. Vous n'avez qu'à vous installer dans le jardin d'hiver pour mener vos interrogatoires. Il y fait bon vivre, surtout de cette saison et de ce temps. Suivez-moi. »
Les deux détectives furent emmenés dans une magnifique pièce surchauffée afin de permettre à de gracieuses plantes exotiques de s'y développer. Au centre trônait un superbe salon de style Louis XV supporté par un tapis oriental aux vives couleurs. Des sculptures en tout genre jouaient avec la verdure environnante dans une mise en scène apaisante. Enfin, de grandes baies-vitrées donnant sur l'immense parc achevait d'orner ce tableau de sérénité qu'offrait la pièce.
Maggie s'imagina sans mal l'auteur installé dans son canapé l'hiver, chauffé par la cheminée en pierre installée dans un coin de la pièce à côté d'un majestueux piano, écrire son prochain best-seller. Depuis cette nuit, il n'en écrirait plus jamais.
Tandis que les détectives furent invités à prendre place sur le sofa, Francine s'assit avec sa grâce naturelle dans l'un des deux fauteuils de la pièce. Maggie sortit un calepin de son sac et se saisit du stylo qui maintenait ses cheveux depuis ce matin où elle avait signé la réception d'un colis, provoquant, de ce fait, une soyeuse cascade de souples boucles châtaines qu'elle rattacha avec un élastique trouvé autour de son poignet.
Lorsque la jeune femme eut terminé sa petite installation sous les yeux patients d'Ewen et Francine, l'interrogatoire put commencer. C'est Ewen qui en prit les rênes :
« —Pouvez-vous nous décliner votre identité ainsi que votre lien avec la victime s'il vous plaît ?
—Je m'appelle Francine Bailleul, née de Linthe. Je suis la fille aînée d'Arthur de Linthe.
—Quelles relations entreteniez-vous avec votre père ?
—Nous ne nous voyions pas beaucoup car je vis à Bordeaux. Mais lorsque nous nous réunissons, tout se passe pour le mieux. Nous nous téléphonions aussi régulièrement et avions des échanges pleins de tendresse. »
Ewen laissa le temps à Francine d'essuyer une larme avant de poursuivre :
« —Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois hier soir ?
—Juste avant d'aller me coucher.
—Quel était son état d'esprit ? »
Francine marqua un temps d'hésitation noyé par des larmes silencieuses avant de reprendre, la voix cassée par le chagrin :
« —Pour être complètement transparente avec vous, nous nous sommes disputés. Le dernier échange que nous avons eu était une dispute. »
Crise de larmes incontrôlable.
« —À quel sujet ? reprit Maggie avec douceur quand Francine se fut un peu calmée.
—Je pensais que mon père devenait sénile, répondit-elle avec douleur.
—Comment ça ?
—C'est un peu complexe à expliquer...
—Nous avons tout notre temps. »
Francine prit une grande inspiration avant de se lancer dans l'exposition des faits :
« —Je pense que vous n'êtes pas sans savoir que mon père nous a réunis hier pour l'une de ses murder parties qui ont lieu deux fois l'année. Il s'agit, pour lui, de retrouver sa famille au complet dans un contexte qui l'anime tout particulièrement afin de pallier à sa solitude.
« Il organise ces réceptions de A à Z. Tout est de lui : du scénario à l'écriture de chaque personnage. D'habitude, il est très créatif, mais hier, j'ai été quelque peu surprise par mon rôle. Si nous incarnons toujours un personnage de fiction sorti tout droit de sa tête, ça n'a pas été le cas pour moi hier soir. J'ai eu le rôle du fantôme de ma défunte mère. »
Francine marqua une pause afin de guetter les réactions des détectives qui s'appliquèrent à rester neutres, bien qu'ils fussent profondément surpris par cette révélation. Sans se laisser abattre pour autant, la femme reprit son récit :
« —Il ne s'est pas arrêté là. Il nous prévoit régulièrement des costumes, ou des tenues bien spécifiques qu'il fait réaliser sur-mesure. La mienne était déconcertante. La robe de mariée de ma mère m'attendait sur mon lit. C'était trop pour moi. Je ne pouvais pas.
« Il faut aussi que vous sachiez que je ressemble énormément à ma mère. Plus j'ai vieilli, plus je lui ai ressemblé. Maintenant, je suis plus vieille qu'elle ne l'a jamais été et qu'elle ne le sera jamais. Elle est décédée quand j'avais 11 ans. Une rupture d'anévrisme soudaine, qui n'a pas été expliquée à l'époque. Ça a été un drame pour toute la famille.
« Mon père a, suite à ça, sombré dans une profonde dépression pendant des années. Ma sœur et moi avons donc dû faire face seules, en se serrant les coudes. Aujourd'hui, nous sommes éloignées géographiquement parlant, mais sentimentalement proches. Ce drame nous a soudées pour l'éternité.
« Mais je m'égare. J'en ai voulu à mon père de m'avoir donné ce rôle et d'avoir voulu me faire porter cette robe. Il sait que c'est un tabou familial, la mort de notre mère. Il n'avait pas le droit d'amener cela ainsi, c'était violent et irrespectueux.
« J'ai attendu que presque tout le monde soit couché et que mon père soit isolé pour aller en échanger avec lui. J'ai horreur des non-dits. Lui, il n'a pas vu le mal, il ne comprenait pas mon emportement. Il semblait être à part, déconnecté de la réalité. J'ai eu l'impression que ce n'était pas mon père.
« J'ai alors commencé à lui parler de séjour en EHPAD car il semblait complètement délirer et que j'avais peur pour sa santé autant physique que mentale. Là, il s'est emporté. Et nous nous sommes disputés un moment à ce sujet avant que je ne mette fin à notre conversation et que j'aille dormir. Voilà, maintenant vous savez tout. »
Maggie prenait des notes à une vitesse impressionnante. Son cerveau bouillonnait déjà, et ils n'en étaient qu'à leur premier interrogatoire.
« —Merci pour toutes ces informations, dit Ewen. J'ai une dernière question à vous poser pour le moment.
—Je vous écoute.
—Vous pensez à un suicide ou à un meurtre ? »
Francine réfléchit un moment avant de finalement lâcher :
« —Je pense à un suicide. Il était vieux, seul et profondément triste.
—Bien, lui répondit Ewen. Merci pour votre coopération. Si vous n'avez rien à ajouter, nous ne vous retenons pas plus longtemps.
—Non, je n'ai plus rien à dire.
—Pouvez-vous faire venir un autre membre de votre famille s'il vous plaît ? »
Francine accepta et quitta la pièce. Quelques minutes plus tard, c'est sa petite sœur, Armelle, qui fit son apparition dans le jardin d'hiver.
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