Chapitre 23 : De fil en aiguille
Après leur visite à Mathias, les détectives décidèrent de retourner à Hide Manor. Le trafic routier était presque revenu à la normale et ils ne mirent qu'une petite heure et quart avant d'atteindre leur but. Le petit groupe composé de Patron, du Lieutenant Messant, de Bastien et de Raphaël Potéo s'était dissout, laissant le pas de la porte vide de présence humaine.
Un peu plus loin dans le jardin, Philippe le majordome poussait une brouette que Candice remplissait des branchages éparpillés par la tempête. À la vue des deux détectives qui venaient à leur rencontre, ils se stoppèrent.
« —Candice, commença Maggie, sais-tu où es ton père ? »
L'adolescente ne put retenir une grimace de dégoût.
« —Mes parents sont repartis chez eux. Ils n'ont pas voulu attendre la fin de l'enquête.
—Tu n'es pas avec eux ?
—Certainement pas. Je ne bougerais pas d'un pouce tant que le meurtrier n'aura pas été retrouvé. Mon cousin vous a dit quelque chose d'ailleurs ?
—Il nous a un peu aidés, oui. Et toi, le lycée ?
—Ma copine Souad, qui est une excellente élève, me prend mes cours pour le temps qu'il faudra. Comment voulez-vous que je me concentre avec tout ça ?
—Pas faux. Tu peux nous donner ton adresse s'il te plaît ? »
Candice leur déclina cette information, et les détectives se mirent aussitôt en route vers le très moderne appartement d'Armelle et Luc de Linthe, idéalement situé dans le quartier d'affaires de Jouville. C'est la maîtresse de maison qui leur ouvrit, sans cacher son agacement de les voir débarquer chez elle, à une heure où il n'était plus correct de recevoir de la visite, qui plus est à l'improviste.
« —Nous avons besoin de parler à votre mari, la prévint Ewen avec autorité.
—À cette heure ? »
C'était une question rhétorique qui n'attendait pas d'autre réponse que des excuses qui n'arrivèrent pas.
« —Quand finirez-vous par enfin nous laisser tranquilles ?
—Quand nous aurons retrouvé le meurtrier de votre père.
—Il va falloir vous rendre à l'évidence : il s'est suicidé, ou a été tué par Mathias.
—Si nous sommes encore là, vous imaginez bien que ces conclusions ne nous conviennent pas. »
C'est finalement l'apparition d'une voisine de palier, qui respirait le luxe et le dédain, qui força Armelle à faire pénétrer les détectives chez elle afin que les scandales qui frappaient sa famille ne s'ébruitent pas. Dans un premier temps, Ewen et Maggie ne furent pas invités plus loin que dans un hall d'entrée spacieux, moderne et recouvert de placards supportant d'immenses miroirs érigés du sol au plafond.
« —Pourquoi avez-vous besoin d'importuner Luc à nouveau ? Que vous a dit Mathias ? J'espère que vous ne prenez pas pour argent comptant tout ce qu'il vous dit ? C'est un fou, il regorge de pathologies, dont la mythomanie.
—Parce que vous êtes psy peut-être ? railla Maggie, ce qui ne plut pas du tout à la maîtresse de maison.
—Je connais suffisamment mon neveu pour vous l'affirmer.
—Vous êtes bornée, mais nous aussi. Nous avons besoin d'interroger une nouvelle fois votre mari, point. Et je pense que vous préférez largement que ce soit nous de manière intimiste, plutôt que la gendarmerie avec convocation officielle, non ? »
Maggie avait visé juste. Armelle consentit à faire pénétrer les détectives dans son salon meublé avec goût et modernité. Ensuite, elle disparût derrière une porte qui ouvrait sur un couloir, et en revint quelques minutes plus tard, avec son mari, tout benêt.
« —Nous aimerions nous entretenir avec lui et lui seul s'il vous plaît, dit Maggie à Armelle qui restait autoritairement plantée près d'eux.
—Vous exigez un peu trop, lui répondit-elle avec son air hautain.
—Je pense que votre mari sera plus à l'aise de nous parler si vous n'êtes pas dans le coin.
—Mon mari n'a rien à me cacher.
—Armelle, s'interposa Luc sans grande conviction face à sa femme, tu nous fais perdre du temps à tous. Ils ne demandent pas grand-chose. Ravale ta fierté un instant, et laisse-nous quelques minutes, je te promets d'être bref. »
Fulminant face à cette opposition, Armelle tourna les talons et disparut à nouveau dans le couloir, claquant la porte derrière elle. Après cette petite scène, Luc invita les détectives à s'asseoir sur le gigantesque canapé en cuir.
« —Je ne vous propose rien à boire, leur dit-il. Comme vous l'aurez compris, nous devons être rapides. Que me voulez-vous ?
—Nous venons d'aller interroger Mathias, l'informa Maggie.
—Oui, et ? En quoi cela me concerne ? Ce n'est que mon neveu par alliance.
—Il est entré dans la chambre de votre beau-père dans la nuit du meurtre.
—C'est donc lui le meurtrier ! Pourquoi nous faites-vous perdre votre temps ?
—Parce qu'Arthur de Linthe était déjà mort au moment de cette petite visite.
—Comment vous pouvez en être sûrs ?
—Votre beau-père est mort d'une overdose médicamenteuse.
—Nous le savions déjà, mais encore ? Comment pouvez-vous être sûrs que ce n'est pas Mathias qui a fait le coup pendant sa visite nocturne ? »
Même s'il semblait se défendre avec habileté, Luc ne pouvait complètement dissimuler la tension qui avait pris possession de son corps.
« —Le médecin légiste en charge de l'autopsie nous a confirmé qu'il avait pris une trop grande dose pour qu'elle ait pu être administrée en une seule prise sans passer inaperçue, l'informa Maggie. Le meurtrier a mélangé les médicaments à ses verres d'alcool tout au long de la soirée.
—C'est pour ça qu'il s'est fatigué plus vite que d'habitude, songea Luc.
—Vous l'aviez remarqué et vous ne nous avez rien dit ?
—Non, car nous pensions que c'était à cause de l'âge qu'il est allé se coucher en premier.
—Sauf qu'une fois couché, il ne s'est pas endormi tout de suite. Il a reçu la visite de plusieurs personnes successivement dans sa chambre.
—Peut-être bien.
—Vous ne voyez toujours pas où nous voulons en venir ? »
Luc voyait très bien, mais il tenta de ne rien laisser paraître, trop maladroitement pour ne pas que les détectives ne le remarquent.
« —Non, bluffa-t-il, je ne vois pas.
—Mathias vous a vu sortir de sa chambre juste avant d'y entrer à son tour.
—Mathias est un menteur.
—Et vous ? Je vous rappelle que vous trompez votre femme.
—Shhhhht ! »
Luc agitait ses bras de bas en haut devant lui, comme un oisillon cherchant à s'envoler, le regard tourné vers la porte du couloir, paniqué.
« —Pas si fort ! chuchota-t-il.
—Vous avez raison, minauda Maggie. Ce serait dommage que votre femme l'apprenne, non ? Vous savez, si vous ne daignez pas nous dire la vérité, nous pouvons aller lui parler avant de repartir.
—C'est une menace ?
—C'est une technique de persuasion. Vous ne m'en croyez pas capable ?
—Si ! Je vous crois ! Eh bien, oui, je suis allé voir mon beau-père la nuit de sa mort.
—Que lui vouliez-vous ? »
Luc se gratta l'arrière de la tête, manifestement gêné. Il lâcha finalement l'information dans un soupir :
« —Je suis venu le supplier de ne pas révéler mes tromperies, comme il avait visiblement l'intention de le faire.
—Et ? Vous avez pu lui parler ?
—Non, car il dormait. Enfin... C'est ce que je pensais. Maintenant, je sais qu'il était mort, en réalité.
—S'il était de plus en plus fatigué, qu'est-ce qui vous a fait croire que vous pourriez lui parler à une heure aussi avancée de la nuit, surtout s'il était déjà allé se coucher depuis un moment ? »
Luc ne répondit pas tout de suite. Son malaise était dorénavant palpable, évident. Il se tortillait sur son canapé, ne sachant quoi répondre.
« —Dites-nous simplement la vérité, l'aida doucement Maggie sur le ton de la confidence.
—Je vous en supplie, ne soyez pas sévère avec elle. Je suis persuadé qu'elle est de bonne foi et qu'elle n'est pas la meurtrière.
—Qui donc ? s'étonna la détective. »
Le restaurateur prit une grande inspiration avant de lâcher l'info en dégonflant son torse remplir d'air :
« —Ma femme. Ma femme était déjà passé le voir une quarantaine de minutes avant moi, mais elle m'a assuré l'avoir vu vivant.
—C'est pour la protéger que vous ne vouliez pas de notre présence, c'est ça ?
—Oui. J'avais peur que vous ne la croyiez pas.
—Nous ne savons pas encore qui croire.
—Merci de votre honnêteté. J'ai une dernière chose à vous dire. Juste après être allée voir son père, Armelle s'est précipitée dans la chambre de sa sœur, voisine de la nôtre, et elles se sont violemment disputées, mais je n'ai pas entendu distinctement leur conversation. Je ne peux donc pas vous dire quel était le sujet de leur discorde.
—Pourquoi était-elle allée voir son père ?
—Je ne sais pas. Elle n'a pas voulu me le dire. Et, vous avez sûrement dû vous en rendre compte mais, on ne contredit pas Armelle. »
Maggie se fit pensive.
« —Bien, fini-t-elle par dire. Merci de votre coopération, et désolés d'avoir fait pression de cette façon pour obtenir ces informations. Nous allons maintenant vous laisser. »
Ewen et Luc ne cachèrent pas leur surprise.
« —Vous ne l'interrogez pas ? demanda l'hôte.
—Non, lui répondit la détective. Pas maintenant. »
Sur ces mots, Maggie salua Luc, imité par Ewen, et les détectives sortirent de l'appartement, sans prendre la peine de saluer Armelle. Juste avant de refermer la porte, le propriétaire des lieux leur glissa un dernier message :
« —Je suis persuadé qu'elle est innocente. Je pourrais en mettre ma main à couper. »
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