Chapitre 2 : Retrouvailles à Hide Manor

  Le domaine familial était majestueux. Après avoir longé une adorable petite mare, malheureusement rendue opaque par une invasion d'algues, le chemin atteignait un immense manoir de style victorien, parfaitement entretenu par son propriétaire, mais surtout par ses employés.

Hide Manor.

Pour comprendre ce nom, il est important de se replonger brièvement dans l'histoire de la Normandie. C'est en 1066 que Guillaume le Conquérant, Duc de Normandie, devint roi d'Angleterre suite à la bataille d'Hastings. Le département devint alors anglais jusqu'en 1259 où la France fit à nouveau son acquisition grâce au traité de Paris. À nouveau, en 1417, les anglais reprennent ce petit territoire français, grâce à leur roi Henri V, et ce, pour une trentaine d'années.

La Normandie redevient donc définitivement Normande en 1450 grâce à Charles VII et ses alliés bretons. Mais ces occupations ont laissé une trace dans l'Histoire plus récente du département. En effet, encore de nos jours, et par pure tradition, c'est le monarque britannique qui porte le titre de Duc de Normandie. Cet attachement au département a aussi été observé chez certaines familles anglaises qui n'ont pas voulu repartir dans leur pays.

Ainsi, une petite famille, dans les années 1840 acquit ce bout de terre (bien plus imposant encore à l'époque, mais de nombreuses fois divisé depuis) et y fit construire ce manoir avec l'architecture de référence à la reine de l'époque, la reine Victoria. Appelé alors « Victoria's Manor », c'est après la seconde guerre mondiale que les propriétaires, les descendants de la famille anglaise d'origine, ont décidé de le renommer « Hide Manor » après y avoir caché de nombreux juifs au péril de leurs vies.

Les trente piteuses qui succédèrent aux trente glorieuses dans les années 70 eurent raison de la famille anglaise. Sans le sou, ils durent revendre leur manoir une bouchée de pain au plus offrant qui ne courrait pas les rues à ce moment-là.

C'est ainsi qu'Arthur de Linthe se vit offrir, comme cadeau de mariage par ses parents, le domaine anglais afin d'y élever sa progéniture. Un nom mystérieux pour un lieu de vie loin de la civilisation. Ce fut l'inspiration parfaite pour cet auteur encore inconnu à cette époque, mais qui y écrira parmi les plus grands succès policiers français par la suite, ce qui lui permit de quitter son ennuyant — mais très instructif — emploi d'avocat.

Maintenant que l'histoire du manoir a été dévoilée, il est d'usage de poursuivre le tour du propriétaire. Derrière la vaste demeure se trouvait un très grand parc parfois légèrement boisé de saules pleureurs, parfois habillé d'un manteau de fleurs encore colorées â cette période de l'année.

Au bout du parc se trouvaient d'anciennes écuries, retapées par les propriétaires pour devenir des chambres d'hôtes au succès fou été comme hiver. Quel lecteur adorateur de romans policiers ne rêverait pas de passer la nuit dans le domaine d'Arthur de Linthe ? Et pour les autres, le lieu était idéalement placé dans un endroit particulièrement calme et à quelques minutes en voiture de la mer et de Jouville, immense ville répondant à n'importe quel besoin, même le plus farfelu.

Arthur de Linthe s'amusait comme un fou chez lui. Et il aimait y réunir sa famille au moins deux fois l'année pour partager cet amusement de grand enfant.

Voilà comment toute sa famille s'était à nouveau retrouvée dans sa belle demeure en cette fin d'après-midi de septembre sous un soleil radieux. Malgré le fait d'avoir retardé leur départ, Armelle, Luc et Candice étaient les premiers arrivés. Ils furent accueillis par le patriarche en personne.

« —Mes premiers invités sont arrivés ! s'enthousiasma le vieil écrivain. Ma chère fille, tu es radieuse. Mon gendre, tu es fidèle à toi-même. Et ma petite-fille, tu dois tous les faire tomber au lycée avec ton charme fou, digne de ton grand-père. »

Il adressa un clin d'œil à l'attention de Candice qui rosit de plaisir. Armelle, quant à elle, embrassa affectueusement son père qu'elle aimait beaucoup malgré tout, tandis que Luc serra la main de son beau-père avec distance.

Philipe, majordome modèle, arriva discrètement et sortit les valises de la voiture après avoir respectueusement salué les convives.

« —Je dépose vos bagages dans vos chambres habituelles ? demanda ce dernier.

—Oui, lui répondit passivement Armelle, faites donc. »

Sous cet ordre, le majordome disparut avec les valises. Dans le même temps, une magnifique Cadillac vintage fit son apparition devant le manoir. Le conducteur se gara à la place qui mettrait le plus en valeur sa voiture de collection, puis il sortit de son carrosse.

Il s'agissait d'un vieil homme habillé dans un style très américain, très m'as-tu-vu, bling-bling au possible. Son faux sourire digne des pubs Colgate les plus vendeuses ne le quittait pas. Pour achever ce tableau à base de chemise légèrement ouverte sur le haut d'une toison blanche, des lunettes de soleil de type aviateur cachaient ses yeux gris.

« —Arthur ! lança-t-il à l'adresse du maître des lieux en ôtant ses lunettes. Mon cher frère ! Comme je suis content de te revoir !

—Moi aussi je suis heureux de te retrouver Jean-Jacques ! »

Les deux frères, aux styles complètement opposés, se prirent dans les bras.

« —Tu as un nouveau bébé à ce que je vois, fit Arthur en desserrant son étreinte et en pointant du menton la voiture de son fraternel. Belle bête.

—J'en ai fait l'acquisition lors d'une vente aux enchères caritative, lui répondit Jean-Jacques. Elle était dans un sale état mais je l'ai entièrement retapée. Et tout ça en faisant une bonne action ! Tu te rends compte ?

—Une de plus à ta collection. Comment fais-tu pour toutes les conduire ?

—Hem, je m'organise. Tiens ! Mais ce ne serait pas ma très chère nièce et sa jolie famille ? »

Pendant que Jean-Jacques saluait les autres membres de sa famille, le majordome Philipe refit son apparition pour aller ranger l'énorme valise du nouvel arrivant. Lui aussi désirait se reposer dans sa chambre habituelle.

Enfin, les derniers convives attendus arrivèrent. Francine, la sœur d'Armelle, fut la première à sortir du taxi. Très élégante avec un charme tout naturel, elle acceptait volontiers de laisser les années s'installer sur elle, contrairement à sa sœur qui aurait vendu son âme au diable pour ne pas prendre une ride. Ainsi, devant une chevelure noire de jais à tendance légèrement grisonnante, une longue mèche complètement blanche s'était installée très tôt au-dessus de son front, apportant un petit côté unique à cette femme.

Ancienne pneumologue, elle était à présent enseignante à l'université de médecine de Bordeaux. Artiste-peintre à ses heures perdues, elle avait un réel talent pour transformer un paysage banal en une magnifique toile qui se vendrait à bon prix sur le marché de l'art.

Francine était mariée à Bernard. Ils s'étaient rencontrés à Bordeaux, où elle avait fait ses études avant de s'y installer définitivement. Fils d'un vigneron, il avait repris l'affaire familiale avec passion. Â écouter son oncle parler, Candice en était certaine, ce n'était pas du sang qui coulait dans ses veines mais du vin. Il vivait pour son vignoble.

Le couple avait eu deux enfants qui vivaient près d'eux. D'abord Mathias, le cousin trentenaire qui a toujours un millier de projets, mais jamais rien qui ne décolle. Pour Armelle, son neveu n'était qu'un raté, puisque bon à rien. Ensuite, Eugénie. Le petit prodige. Championne de France d'échecs à 15 ans, bachelière l'année d'après, elle était, depuis juin dernier, une très jeune médecin généraliste. Son ambition ? Partir une année au Laos pour Médecins Sans Frontières avant de revenir sur Bordeaux pour ouvrir son propre cabinet libéral.

Ce weekend, Eugénie n'était pas venue seule. Au terme de ses études, elle s'était permise de présenter son fiancé au reste de sa famille. Norman, un laborantin très réservé, donnait aussitôt l'impression d'être un homme énigmatique. Même à Eugénie, il ne se dévoilait que très peu. Et cela convenait à la jeune femme qui était tombée éperdument amoureuse de lui.

Le chauffeur du taxi se fit payer avant de descendre les valises de son énorme coffre, pour le plus grand bonheur de Philipe le majordome, et repartit pour une nouvelle course.

« —Avez-vous fait bon voyage ? demanda Arthur après les avoir chaleureusement salués.

—Oui, lui répondit Francine de sa douce voix posée. Le train n'était pas bondé, c'était agréable.

—Ravi de l'entendre ! Bon, maintenant que tout le monde est là, je vous invite à entrer au manoir pour prendre un apéritif digne de ce nom et, bien sûr, découvrir votre rôle pour le weekend ! »

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